L'eau à la bouche

Le reste de ce jour du Seigneur avait été à couteaux tirés. Elle ne savait plus comment lui parler, et lui digérait mal son refus. Jean avait fait, seul, sa valise pour la semaine ; et plutôt que de partir le lundi matin, il avait repris la route après un dîner des plus silencieux. Adèle sentait que tout coulait autour d'elle. Elle ne comprenait plus rien dans sa vie. Trois fois elle avait refait l'amour en pas très longtemps et elle avait l'impression de dégager quelque chose qui attirait tous les mâles. Même son fils ! Alors, que se passait-il pour que tout s'embrouille de la sorte ?

La nuit avait ramené son lot de gel et de froidure. La cheminée avait fonctionné, et c'était tout naturellement sur le canapé du salon que la rousse avait trouvé refuge, d'abord devant le téléviseur, puis dans les bras de Morphée. Elle s'était endormie, puis réveillée vers deux heures du matin et avait rechargé le foyer. Elle avait aussi consulté sa messagerie, mais Jean n'avait pas laissé de message ni averti non plus de son retour à Nancy. Elle s'inquiétait de ce grand silence.

Pour finir, elle plongea dans un sommeil lourd, sans nuages, et se réveilla dans la fraîcheur d'un petit matin brumeux. Elle n'avait pas grand-chose à faire sinon attendre le passage de Lucie vers quatorze heures. Elle en profita pour nettoyer sa chambre, changer les draps tachés de café, et démonter le lit de son fils. La machine à laver et le sèche-linge tournaient depuis un moment quand la faim la rattrapa. Un casse-croûte rapidement expédié et c'était déjà l'heure de faire la tarte promise.

Celle-ci était encore tiède quand son amie arriva. L'odeur de pâtisserie qui flottait dans la cuisine et la salle à manger fit froncer le petit nez de l'invitée. Assises toutes les deux au salon, elles discutèrent d'abord du temps, puis au fil des minutes Lucie voulut connaître les impressions de la rousse sur la « soirée Gustave ».

— Alors, ma belle, tu as ouvert l'enveloppe de Gustave ?
— Non. Elle est toujours dans mon sac.
— Ah ! Tu n'es donc pas pressée de savoir ce qu'il t'a remis ? En tout cas, je t'ai trouvée géniale et douée. Pour une première fois, c'était tout bonnement époustouflant. Quelle culture aussi… Courbet et ses toiles… J'ai regardé sur Internet : « L'origine du monde » montre bien une belle chatte bien touffue, plutôt brune. Un régal pour les yeux. Il avait raison, le Courbet : c'est bien là que se situe l'origine du monde.
— C'est aussi connu que Picasso ou de Vinci, dans un autre registre.
— Oui, tu es parfaite pour ce genre de… passe-temps. Tu ne voudrais pas sortir ce soir ?
— Ce soir ? Mais ça fait beaucoup avec la dernière soirée…
— Je sais, mais quand on m'appelle, je réponds toujours, et il se trouve que je suis libre. Alors, si le cœur t'en dit, tu peux être ma partenaire pour un nouveau show. Mais je ne te cache pas que l'épouse du mari sera là aussi…
— Et tu imagines que je vais… tripoter la bonne femme ? Tu rêves, là !
— Ben, un peu peut-être ? Enfin… je n'en sais rien, mais au moins tu devrais tenter le coup. Si ça ne colle pas, ils ne nous en voudront pas.
— Pourquoi tu ne te ferais pas la dame et moi son bonhomme ?
— Je ne sais pas… L'impression que tu vas aimer, que tu devrais aimer le sexe au féminin. L'autre soir, tu n'as jamais été tenté de me toucher ? Il m'a pourtant semblé qu'à certains moments… tu me suivais des yeux ; enfin, pas moi, mais mon minou. Et je crois bien me souvenir que ta main s'en est approchée à plusieurs reprises. Tu n'as pas cédé à la tentation, mais l'envie était bien réelle ! Allons, avoue-le-moi.
— Tu m'ennuies avec tes questions idiotes. Arrête, bon sang !
— Oui… oui, c'est une réponse de footballeur ça.
— Quoi ?
— Oui, tu bottes en touche, là, pour ne pas avoir à te dévoiler. Comme au tarot, tu utilises l'excuse en fait.

Adèle avait les yeux fixes ; sa copine pensa juste une seconde qu'elle devait arrêter de la titiller. La pousser doucement en avant, oui, la mettre sur les rails et laisser mijoter sous la caboche enflammée que l'idée, que les images fassent leur petit bonhomme de chemin. C'était sans doute cela le secret pour qu'Adèle se laisse aller. Et, fine mouche, la brune maintenant finissait une seconde part de tarte.

— C'est drôlement bon ; tu es une cuisinière hors pair ! Tu as bien des talents cachés… Alors, tu regardes un peu combien notre ami « Gus » t'a laissé ?
— Non ! Je m'en fiche. J'ai bien voulu jouer sinon je ne l'aurais pas fait, et son enveloppe n'aurait jamais pu me motiver, je t'assure.
— Allons, ne me raconte pas d'histoires… Et puis peu importe le motif, moi je sais pertinemment que tu es faite pour cela.
— … ?

Lucie avait lâché un peu de lest, mais le cerveau de son amie se trouvait déjà en ébullition. Elle avait ce désir de sexe chevillé au corps, et sans qu'elle le montrât, si Lucie avait insisté encore une seconde, elle aurait cédé. Mais avec un peu de recul, toucher un sexe femelle lui paraissait… peu normal. Encore qu'elle dût reconnaitre au fond d'elle-même qu'elle s'était sentie attirée par la chatte brune de sa potine. C'était tout aussi réel que par instants elle y aurait bien fourré ses menottes, pour ne pas dire son nez également.

L'autre, qui achevait sa pièce de gâteau, restait silencieuse, attendant comme un félin l'instant propice pour bondir sur sa proie. Mais Adèle préparait une parade.

— Alors tu te fais belle et tu m'accompagnes ?
— Non, pas ce soir.
— Oh, allez, ça te fera du bien de sortir ; et puis… c'est agréable aussi, un peu de compagnie.
— Écoute… je suis à peine remise de notre sortie chez ton Gustave.
— Ne te fais pas prier… Je suis certaine que déjà au fond de toi tu y es.
— Quoi… j'y suis ? Je suis où ?
— Dans l'ambiance de fête et de baise que je te propose. Et puis la femme est de toute beauté.
— Pff…
— Ne fais pas la fine bouche. Tu en as juste pour deux minutes à te préparer. Une douche, un peu de maquillage, et le tour est joué ; je t'attends ! Nous mangerons avec eux.
— Tu es impossible… Tu ne sais pas ce que non veut dire ?
— Ce n'était pas un vrai non, pas un non dit franchement. Allez, file dans ta salle de bain, je t'attends. Je peux reprendre un peu de café ?
— Sers-toi alors. Bon, mais si ça ne me plaît pas… je rentre.
— Oui. Ça colle, comme deal.

Bien entendu que la gaillarde n'en pensait pas un mot. Dès qu'Adèle eut le dos tourné, elle envoya un SMS au couple en disant que c'était d'accord pour leur venue, dans une heure environ.

Dans une grande maison, pas très loin de la ville, une femme et un homme préparaient un lit et des serviettes. La soirée promettait d'être agréable et très… épicée. Mais la femme, Annabelle, était fébrile. Leur contact – Lucie – avait promis une surprise sous la forme d'une amie… et celle-ci aurait sans doute des tendances bi. Son mari aussi s'apprêtait à passer une soirée formidable ; depuis qu'il en rêvait de voir sa femme avec une autre…

Sûr qu'il allait en profiter, ce monsieur Hubert, de l'arrivée de Lucie et de cette Adèle. Si ça marchait, les deux femmes seraient récompensées à la hauteur de leurs attentes. Et si quelque chose ne fonctionnait pas, ils auraient toujours passé un moment fort sympathique avec deux belles créatures de rêve. Du moins supposait-il que la nouvelle était jolie. Après, la beauté reste pour tous une affaire de goût et d'affinités. Annabelle se souvenait encore – et le narrait parfois à son mari – de son unique essai avec une autre femme.

Subjugué, lui avait dans la tête depuis bien longtemps l'espoir de la voir rejouer, mais devant lui, ces scènes saphiques dont elle décrivait si bien chaque détail. Quand il lui avait proposé un trio libertin, il avait d'abord cru qu'elle refuserait. À sa grande surprise, elle avait – pas vraiment tout de suite, ce serait mentir, mais quelque temps après – accédée à sa requête. Elle voulait le voir, l'entendre faire l'amour à une autre devant elle. Si cette femme était bi, eh bien, ce serait un plus. Mais les recherches du couple leur firent trouver un unique contact, Lucie.

Si tout allait pour le mieux avec Hubert, elle ne voulait cependant aucun rapport avec la gent féminine. Un choix personnel, un choix qu'ils respectèrent sans rechigner, trop heureux de n'avoir plus à chercher. Elle les voyait à leur demande et se montrait d'une discrétion exemplaire qui convenait bien à ces deux-là. Et au fil des retrouvailles, si elle acceptait toujours la belle gratification pour services rendus, elle leur avait promis un jour de trouver pour Annabelle un dérivatif plaisant. Et apparemment elle tenait parole… Que demander de plus ?

Pour les libéralités, l'épouse d'Hubert était seule maîtresse à bord. Pour ce rendez-vous qui tombait à pic, elle prépara deux paquets d'images à l'effigie de Pierre et Marie Curie. Le nombre importait peu à ces deux joyeux fêtards ; ce qu'ils désiraient en somme, c'était simplement un plaisir à partager, qu'il soit charnel ou visuel. Et ils attendaient donc pour la soirée Lucie et son amie Adèle. Alors, bien sûr que si en plus la nouvelle, cette amie providentielle, était aussi un tant soit peu attirée par les attributs féminins… un régal !

Donc, pendant que notre Hubert s'occupait de dégoter quatre repas chez un traiteur local – et là aussi ça relevait de l'exploit un lundi après-midi – sa belle, cheveux bouclés, une quarantaine naissante, se pomponnait. Quand il en eut terminé avec l'intendance, notre brave type, sûr de son fait, fit irruption dans la salle de bain. Miss Annabelle, assise devant sa coiffeuse, mettait la touche finale à un maquillage savant. Il aurait bien pris un peu d'avance et ses mains se seraient rapidement aventurées sur ce que le miroir lui reflétait, mais elle ne l'entendait pas de cette oreille. D'un geste de la main, elle chassa cette mouche qui lui tournait autour.

— Non, Hubert. Ce soir, c'est mon heure de gloire ; ce soir, c'est mon seul plaisir. Tu sauras bien t'arranger de notre Lucie. Je garde pour moi seule sa nouvelle amie. Tu ne m'en voudras pas ?
— Mais non, ma chère, bien sûr que non ! Tu m'as déjà tellement donné…
— Alors tu devras juste te contenter du spectacle ; j'ose espérer qu'elle sera à la hauteur de nos attentes.
— Faisons confiance à Lucie : elle ne nous a jamais déçus et a tenu ses engagements. Alors j'en ai l'eau à la bouche.
— Et je suppose que… tu bandes déjà.
— Tu veux voir ? Mais si je te montre, il te faudra toi aussi mettre la main à la pâte…
— Fiche-moi le camp, satyre du lundi !

Elle riait encore à gorge déployée alors qu'il avait déjà quitté la salle de bain et son miroir facétieux qui lui renvoyait une image trop excitante. Hubert n'aurait plus très longtemps à attendre pour savourer ces appâts délicieux, ou ceux tout aussi savoureux d'une Lucie toujours docile. Puis, qui savait ? La dénommée Adèle, illustre inconnue à cette heure, serait peut-être aussi à son menu. La soirée s'annonçait chaude et pleine de surprises, voire de tendresse. Un plaisir qui n'avait pas de prix ; enfin, si : celui que contenaient les enveloppes enrubannées qu'Annabelle avait confectionnées quelques minutes après l'appel de Lucie.


Adèle avait elle aussi pris du temps pour rendre son corps présentable. Sous le jet d'eau tiède, elle ne songeait qu'à son fils. Un foutu caractère qui s'apparentait à celui de son ex-mari. Les chats ne font pas des chiens, elle en avait conscience ; mais lui demander ça… impossible. Alors finalement Lucie tombait bien. Cette soirée allait lui remettre les idées en place, et c'était ce dont elle avait besoin. Après, restait le détail enquiquinant de la troisième partenaire. Pour l'homme, elle s'en était déjà, dans sa caboche, accommodée. Elle avait retrouvé le plaisir de faire des fellations, celui aussi de se sentir prise. Mais caresser un double de soi restait une étape à franchir car elle ne possédait aucune référence dans ce domaine.

Alors elle imagina un peu comment ça pourrait se passer. Ses mains cajolèrent donc sa propre chatte, et elle tenta de mémoriser tous les détails qui lui tiraient un brin de plaisir : effleurement du clitoris, pincement des tétons, bout de la langue un peu partout, et puis des figures impossibles à réaliser sur elle-même, mais sur la personne en face. Puis elle abandonna son simulacre en songeant que, sur place, elle saurait bien improviser. Après tout, elle avait bien su contenter trois mecs depuis quelque temps ; alors une femme…

Elle retrouva Lucie sur le divan qui sagement l'attendait. Celle-ci portait une jupe qui défiait la morale, et son pull en laine lui moulait la poitrine d'une manière presque indécente.

— Je n'ai pas de vêtements aussi… provocants ; je suis désolée…
— Ce que tu portais l'autre soir, c'était parfait. Remarque, tu peux aussi venir ainsi, en passant seulement ton long manteau.
— Tu es folle ? Je ne veux pas attraper la mort. Il gèle dehors.
— Oui, mais tu ferais sensation en culotte et soutien-gorge. On rigole, mais… bon sang ! Tu es magnifique. Ils vont t'aimer, c'est certain.
— Humm, je peux aussi passer un porte-jarretelles.
— Ah oui, riche idée ! Montre-moi ton dressing ; je vais t'habiller, moi.
— …
— Ne sois pas hébétée, je ne veux que voir ce que tu peux mettre.
— Alors viens.

Dans la chambre, la penderie de l'armoire ouverte, Lucie fit le tour de tout ce qu'elle contenait. Son choix s'arrêta sur une jupe en lamé brillant d'un rouge sombre et un chemisier de satin noir orné seulement d'une rose sur l'épaule gauche. Après avoir enfilé un porte-jarretelles et des bas qui frisaient l'incorrection, la rousse se lova dans cette seconde peau de tissu. Quand elle en eut terminé avec son habillage, elle était époustouflante. Elle mit une touche de parfum, et c'est Lucie qui, reprenant le vaporisateur, avec un large sourire espiègle souleva le devant de la jupe et parfuma, sous la culotte, le buisson qu'elle cachait.

En reposant le flacon, Lucie s'aperçut et s'inquiéta de l'enveloppe dans le tiroir.

— Tu n'as toujours pas regardé ce que Gustave… Tu es incroyable, toi !
— C'est bien ; je n'ai pas envie de savoir.
— Moi si. Je peux décacheter la lettre ?
— Je suppose que même si je te dis non, tu vas le faire quand même ; alors vas-y.
— À la bonne heure !

Ses longs doigts fins venaient de mettre à jour… une vraie fortune pour Adèle qui tirait le diable par la queue.

— Ben… merde alors, je ne me serais pas douté que… c'est toujours comme ça ?
— Oui. Qu'est-ce que tu t'imagines ? Il y a belle lurette que j'aurais laissé tomber si ce n'était pas le cas.

La messe était dite. La main remit le contenu dans le contenant et les images regagnèrent le fond du tiroir. C'était le moment de partir. La politesse commençait par l'exactitude des horaires donnés.

La petite voiture allait lentement sur le bitume rendu glissant par la neige et le gel. La brune avait sa jupe déjà bien courte qui lui remontait haut sur les cuisses. Deux fuseaux superbes, et quelque part, cette vue en pointillé due aux phares des voitures qui croisaient leur route donnait comme un creux aux reins d'Adèle. Dire que peut-être elle toucherait de pareilles guibolles dans la soirée la mettait assez mal à l'aise, mais aussi lui procurait une sorte d'excitation assez violente.

De l'itinéraire, elle ne retint rien, seulement admirative des gambettes dévoilées par sa compagne de siège. Elle se demanda si l'autre ne le faisait pas exprès, mais elle ne comprenait rien à ces changements de vitesse fréquents qui faisaient changer le rythme du moteur. À mi-chemin, la neige se remit à tomber, drue, épaisse, formée de millions de papillons blancs qui venaient mourir sur le pare-brise. Enfin, au bout d'un long périple que la rousse aurait eu beaucoup de peine à refaire en sens inverse, une maison tranquille, à la sortie d'un village, vit le pinceau des phares éclairer sa façade.

— Voilà. C'est là, ma belle ; chez Annabelle et Hubert. Je suis déjà venue plusieurs fois, mais je crois que tu es la bienvenue : Annabelle se fait une joie de te rencontrer.
— Tu… tu as donc parlé de moi à ces gens-là ?
— Difficile d'arriver avec une totale inconnue à ce genre de… sauterie.
— Tu étais donc si certaine que je t'accompagnerais ? Et si j'avais refusé ?
— Ce n'est pas le cas ; alors pourquoi se poser de telles questions ?
— Bien sûr, mais c'est histoire de me détendre, je me sens fébrile. Toi tu les connais, mais je suis l'intruse pour l'instant.
— Quand ils t'auront saluée, tu vas de suite être mise à l'aise, ne t'inquiète pas. Ce couple est on peut plus sympa. Tiens, les voici qui arrivent !

Devant la maison, une lampe s'était allumée. Et sur le perron situé en amont de trois marches de granit, une femme blonde et un homme se tenaient par la main. La neige entourait ces deux qui, patients, voyaient monter vers eux deux femmes emmitouflées dans de longs manteaux. La main libre de la nana s'agitait en signe de bienvenue. L'homme auquel elle amarrait sa menotte devait avoir une petite cinquantaine d'années, et son épouse quelques-unes de moins. Un joli duo ! Les sourires affichés sur leurs visages indiquaient une complicité tacite.


L'accueil était chaleureux. La main qui tenait son mari avait serré fortement celle plus menue d'Adèle. Le courant était de suite passé entre ces deux femmes, et la méfiance primaire de la rousse s'effaçait de plus en plus au fil de ce repas servi dans une salle à manger moderne. La discussion n'avait rien d'érotique, chacun jaugeant les autres. Hubert se révélait être un hôte exquis ; boute-en-train, il animait de ses bons mots un dîner succulent. Autour de la table ronde, Lucie se tenait aux côtés de l'homme, et Adèle avait été placée à la gauche d'Annabelle. Ainsi elle était entre le mari et la femme.

Le dîner s'acheva par un dessert que tous prirent avec un certain bonheur, puis un café aux arômes pointus vint chatouiller les narines des convives. Un chocolat de qualité accompagnait la boisson chaude que déclina Adèle. Hubert, serviable, lui prépara un thé au jasmin. Et puis lorsqu'il se leva une nouvelle fois, ce fut pour venir entourer de ses bras le cou de la belle Lucie.

— Alors nous sommes tous des adultes, n'est-ce pas !

Personne ne répondit à cette affirmation logique et visible.

— Vous savez donc pourquoi vous êtes là, Mesdames. Annabelle, si tu voulais bien accomplir les formalités d'usage… que nous soyons tous dans le bain.
— Oui, mon chéri.

Et elle aussi quitta sa place. Le mari, lui, avait plaqué délicatement ses mains en conques sur la poitrine de la brune qui ne bougeait pas, puis la blonde revint vers la table. Dans ses mains, comme un paquet cadeau, deux pochettes plates entourées d'une faveur. Elle en tendit une à chacune des invitées.

— Voici pour vous, comme convenu avec Lucie.
— Merci, Annabelle.
— Oui, merci, Madame.
— Allons, Adèle ! C'est Annabelle et Hubert. Plus de « Monsieur » ou de « Madame » : nous sommes des gens simples. Nous pourrions aussi nous tutoyer ? Notre soirée n'en serait que plus intime.

La rousse avait eu comme un rictus en guise de sourire. Face à elle, le chandail de sa copine était mis à mal par les pattes fouilleuses de l'homme. Celui-ci fixait sa femme et Adèle, attendant sans doute l'ouverture d'un bal convenu. Mais la brune se gardait bien d'esquisser le moindre mouvement : elle suivait seulement les évolutions des doigts d'Hubert qui abaissaient les bonnets d'un soutien-gorge bien inutile. Et d'un coup la menotte de la maîtresse de maison vint saisir le poignet de l'invitée encore libre.

— Viens… venez, passons au salon. Hubert, mets-nous un peu de musique, veux-tu ?
— Mais oui, ma belle.

Apparemment, tout était pensé, prévu. Sur la platine, un CD se mit à envoyer des notes douces. Annabelle attira contre elle sa cavalière et les deux dames débutèrent un slow aux accents tendres. Les regards du mari et ceux de Lucie étaient toujours sur les deux silhouettes qui tournaient en cadence. La blonde avait collé sa joue contre celle de sa cavalière et elle semblait s'enivrer du parfum que portait Adèle. Elle guidait la danseuse comme un homme l'aurait fait, et naturellement la rouquine suivait le tempo. La main féminine, de l'épaule dérivait lentement vers les reins, mais les mouvements étaient mesurés, en douceur, pour ne pas effaroucher sa partenaire.

Annabelle lui murmura quelques mots inaudibles pour les deux voyeurs qui venaient de prendre place sur le canapé.

— J'adore ton parfum… J'ai envie de te faire l'amour ? Tu serais d'accord ?
— Oui…
— Hubert et ton amie vont seulement nous regarder ; ça ne te dérange pas ?
— Je crois que nous sommes venues pour cela, si j'ai bien compris.
— Je préfère tout de même avoir ton accord et m'assurer que tu es pleinement consciente de ce qui va se passer.
— Et que va-t-il se passer exactement ?
— Je n'en ai aucune idée, sauf à savoir que j'ai envie de toi. Tu es belle et excitante. Tu aimes les liens ? Les jeux un peu borderline ? Tu aimes avoir mal ?
— Je ne vais pas dire oui… tant que ça reste un plaisir. Mais j'avoue que tu me donnes aussi envie et que je n'ai jamais rien fait avec une femme. Tu seras ma première…
— Humm, tu me mets l'eau à la bouche ! Bon, voyons comment on peut s'y prendre… attends !