La mère de Jean
Charline8817/04/2019Amicalement !
Dans le train express qui l'emportait vers son domicile, Adèle voyait défiler sous son crâne toutes les péripéties d'une fin de semaine très peu conventionnelle. Dire que c'était les amis de son fils qui l'avaient ramenée sur le chemin d'une sexualité en mode redécouverte ! Sa trop longue hibernation allait-elle enfin cesser ? Elle se voulait résolument optimiste, mais elle ne reviendrait pas dans l'appartement de Jean de sitôt. Et elle s'en félicitait parce que son gamin se serait sans doute aperçu de quelque chose : les cernes sous les yeux ne trompent jamais grand-monde.
En tout cas, elle avait pris un énorme plaisir à prendre en bouche les deux sexes de ces hommes jeunes, pleins de vie et encore d'illusions. Et les images plus pornographiques qu'érotiques qui se bousculaient dans sa tête lui laissaient sur les lèvres un sourire énigmatique. Le couple assis sur la banquette, face à elle, ne cessait de la chouffer. Chaque cahot provoqué par les rails la renvoyait dans son monde si particulier, et pourtant elle se traitait d'idiote lamentable.
Difficile de renouer avec le sexe dans ces conditions, mais si une voix en elle l'insultait, une autre – plus raisonnable – lui laissait entendre que son corps avait apprécié. Donc il ne s'agissait que de faire bonne mesure, de peser les « pour » et les « contre », et de voir de quel côté pencherait la balance. Paupières mi-closes, elle se berçait aux bruits du roulement sur les voies. Elle sentait ces regards appuyés de l'homme qui donnait la main à sa compagne. La femme aussi revenait sur le visage d'Adèle, mais elle le faisait sans insistance malsaine.
Le trajet s'éternisait, mais la maman de Jean aimait le confort des voitures de la SNCF. De toute manière, elle n'avait pas de permis de conduire et ne s'en inquiétait pas vraiment. Elle se tourna vers la baie vitrée et y posa son front. C'était frais, et dans la toute petite fente entrouverte entre ses cils entremêlés, elle scruta un long moment le paysage qui défilait à toute vitesse. Elle se félicita d'être dans le sens de la marche. Puis sans doute, la pensant endormie, le type sur sa banquette eut un geste en direction du menton de son accompagnatrice ; la femme eut une sorte de raidissement qui passa inaperçu chez le bonhomme.
Et il insistait. Alors, de guerre lasse, elle tourna son joli visage vers lui. La tentative de baiser ne devait plaire qu'à demi à cette nana. Adèle se surprit à se poser la question de savoir ce que ces deux-là fichaient ensemble. La femme était brune de cheveux, mais aussi brune de peau. Un bronzage estival parfaitement réalisé. Lui était… quelconque, sans envergure ; « mal assortis », voilà ce que se disait la voyageuse. Ils n'allaient pas bien ensemble, mais allez savoir pourquoi cette idée tenace s'insinuait sous le crâne de la mère de Jean. Pendant ce temps, le train avalait les kilomètres.
Face à elle, l'autre revenait à la charge et la femme s'abandonna enfin dans un palot rapide ; mais quand les grosses pattes commencèrent à glisser sur les genoux de la dame, elle les repoussa assez violemment. Un spectacle étrange qui restait muet pour ne pas attirer l'attention de l'endormie ? S'ils savaient qu'elle les observait depuis un bout de temps… Mais ce n'était en rien ses affaires, et puis le gaillard, pour l'instant, ne semblait en rien dangereux. La femme était de taille à se défendre. Alors… Adèle ferma pour de bon les rideaux.
Elle était à nouveau dans un univers très particulier. Les deux jeunes hommes la poursuivaient de leurs assiduités mais, chose curieuse, ils le faisaient ensemble ! Puis dans son rêve érotique plutôt poussé, elle eut le sentiment que l'un d'eux lui avait effleuré l'épaule. Elle sursauta. Mais alors qu'elle reprenait pied dans une réalité moins rose, un nouvel effleurement lui donna la chair de poule. Elle fit un bond de surprise. Un grand échalas en uniforme bleu se tenait proche d'elle dans la travée séparant les deux banquettes.
— Contrôle des billets, Madame.
— Ah oui ; attendez, il est dans mon sac… voilà.
Elle lui tendit le sésame qu'il passa dans une sorte de pince. Son titre de transport portait la marque de l'engin. Le type en tenue marmonna quelques mots en se retirant. Il lui avait semblé comprendre une timide phrase d'excuse. La femme face à elle lui souriait tout en insistant du regard vers le bas de son corps, alors Adèle baissa les yeux. Dans son sommeil, elle avait bougé beaucoup et sa jupe était un peu remontée. Le type avec cette dame se tordait lui aussi le cou pour voir plus haut que ce qui était permis. D'un geste de tête, la rousse fit signe à l'autre qu'elle la remerciait et elle tira sur l'ourlet du pan de la jupe. Aussitôt le mec tourna son visage de l'autre côté, mais Adèle ne fut pas dupe : encore un salaud qui avait voulu se rincer l'œil.
À la montre-bracelet de la Vosgienne, le train était proche de la gare où elle le quitterait. Une espèce de complicité tacite s'instaurait entre la passagère brune et elle. Allez comprendre pourquoi, mais cette femme plaisait à Adèle. Pas bien entendu pour ses formes épanouies, non ! Plus parce qu'elle avait un air jovial et enjoué. Et puis parce que, quelque part, elle aurait aimé faire payer au voyeur ferroviaire son manque de discrétion. Elle songeait à cela alors que le train ralentissait pour s'arrêter sur le quai où elle descendait. Les deux autres aussi s'agitaient sur leur banquette. Le sac à main venait de réapparaître au bras de la brune. Elle ou ils étaient aussi au terme de leur voyage ? Peut-être !
Adèle devait encore prendre le bus pour se rendre jusque chez elle. Elle arriva à l'arrêt où le véhicule prenait en charge les passagers, et dès son arrivée elle y prit place. Quelques instants plus tard la passagère du train montait aussi, mais elle n'avait plus son accompagnateur. Elle leva la tête et se dirigea droit vers la place libre auprès de la femme aux cheveux presque rouges.
— Vous permettez ?
— Oui, bien sûr !
— Merci. C'est bien long, ces voyages… Vous rentrez où vous partez ?
— Non, je regagne ma maison.
— Ah… moi aussi, et mon week-end a été cauchemardesque. Il est des hommes qu'il vaut mieux éviter.
— … ?
Étonnée, Adèle se garda bien de répondre mais l'autre revenait à la charge :
— Vous habitez donc ici ?
— Oui. Enfin, pas très loin.
— Je vois ; moi aussi. Je me prénomme Lucie.
— Oui. Pardon ; alors moi, c'est Adèle.
— Vous voyagez toujours par le train et le bus ?
— Oui.
— C'est bien pratique, et puis au moins on ne risque rien. Je voulais excuser le monsieur qui… enfin, il vous a ennuyée avec ses regards limite cochons.
— Ce n'est rien… tant qu'il n'allait pas plus loin !
— Oh, il n'aura plus cette occasion ; avec moi tout du moins. Il m'a pourri mon séjour à Nancy.
La femme sentait bon le parfum. Et ses mains s'agitaient au fil de la conversation. Adèle dut supporter le rapport inédit des pérégrinations de cette femme avec son godelureau dans un hôtel nancéen, mais le babillage incessant de cette Lucie avait quelque chose d'instructif.
— Vous savez, je vais de temps à autre à l'hôtel avec un monsieur gentil. Mais ce Denis n'avait rien de sympathique. Je suis longtemps restée au chômage et – comment vous dire – je rencontre parfois… deux fois par mois, soyons honnête, des hommes qui louent mes services pour un week-end. Mais ce Denis… Nous ne sommes restés que dans la chambre, n'en sortant que pour manger.
— … ?
— Vous semblez étonnée ! Mais vous savez, travailler pour une misère ou passer quelques jours avec un monsieur pour le même salaire…
— Vous voulez dire que… vous couchez pour de…
— Ben oui ! Ils ont du blé, alors c'est seulement un partage, non ? Et puis je n'ai jamais retrouvé de vrai travail, et faire des ménages pour six francs quatre sous…
— Vous…
— Oui. Vous me prenez pour une salope, n'est-ce pas ? Mais vous faites quel travail, vous ?
— Moi ? Euh, je suis… je bossais dans une filature qui va fermer et je serai bientôt aussi sans emploi.
— Vous aimez aussi les hommes ? Vous n'êtes pas… lesbienne ? Remarquez, je n'ai rien contre ce genre de pratique.
— Mais bien sûr que non.
— Alors voici ma carte, et si vous voulez tenter votre chance je vous aiguillerai volontiers. Vous savez, ils ne sont pas tous comme cet idiot de Denis, le type du train.
Deux stations plus tard, la brune se levait et quittait l'autocar. La carte remise par la femme indiquait son habitation à deux rues de là. Adèle avait collé le bristol dans son sac à main. Trois arrêts plus loin, elle aussi abandonnait le bus. Elle marcha sur le trottoir pour les quelques cent mètres qui lui restaient à faire. Ses talons claquaient sur le bitume enneigé. Chaque pas devenait un exercice d'équilibriste. Enfin, le minuscule pavillon était là, bienveillant et rassurant. La première chose que fit la mère de Jean fut de rallumer la cheminée.
L'insert dans lequel les flammes montaient en crépitant assurait à l'habitation une chaleur qui avait été absente tout le week-end ; il faudrait encore un peu de temps pour qu'il fasse bon dans la maison. Heureusement que la petitesse des lieux permettait une remontée rapide du mercure. Alors elle défit sa valise, rangea son linge sale et celui de son fils dans la panière de la buanderie, et elle prépara un repas pour son déjeuner. Une matinée qui allait encore s'achever, mais l'âtre avait rendu la température agréable.
Donc une pause après le frugal repas, près de la cheminée et devant le téléviseur qui distillait ses habituelles inepties, mais le son était précieux et donnait une âme à la maison ; ainsi Adèle avait l'impression de n'être plus tout à fait seule. Elle entreprit d'ouvrir le courrier arrivé depuis vendredi : encore des factures, un rattrapage pour l'électricité – merci, Ségolène ! – et le forfait TV-téléphone-Internet. Elle devrait encore piocher dans ses dernières économies. Et le mois suivant verrait encore les assurances arrivées à échéance, celle de la voiture de Jean, celle de cette baraque. Un cercle vicieux qui creusait un peu plus chaque fois un trou dans le bas de laine de notre douce rousse. Comment faire pour que tout retrouve un semblant de vie normale ? Un bon job ne serait pas un luxe.
Le dernier courrier était une lettre de refus de sa candidature pour un poste dans une entreprise qui fabriquait des chaussures : même dans ce secteur, c'était la disette. Adèle s'endormit près de son feu avec la voix si particulière de l'inspecteur Maigret ; Bruno Cremer, lui, n'avait plus ce genre de doutes et de problèmes…
La semaine suivante se passa sans histoires. La rousse parcourait chaque matin les pages des offres d'emploi… Rien ! Le grand désert. Puis le vendredi après-midi, puisque Jean avait annoncé son retour pour le samedi matin, elle se décida à aller faire quelques courses. De toute façon, il leur faudrait manger tout le week-end. C'est au supermarché du coin qu'une jolie brune entra dans son champ de vision.
— Tiens ! Comme le monde est petit. Ça va, vous ?
— Ah…
— Vous ne me remettez pas ? Lucie… Lucie, le train et le bus.
— Oui, oui je sais ; mais je suis surprise de vous trouver ici.
— Ben, je viens chaque vendredi moi aussi faire mes courses. Vous avez fini ?
— Fini ?
— Oui, vous alliez vers les caisses, là, non ?
— Oui… Pardon, je suis un peu ailleurs en ce moment.
— Je vais payer également. On se prend un café toutes les deux ? Histoire de discuter un moment. Demain et dimanche, je suis libre ; j'ai un peu de temps devant moi.
— Un café… non, un thé, si vous voulez.
— Thé ou café, peu importe… Je vous rejoins de l'autre côté, près de l'accueil.
— D'accord, mais pas trop longtemps.
La caissière passait les articles sur le tapis et l'addition grimpait. Tout avait une nette tendance à augmenter. Mais le beurre, par exemple, elle ne pouvait pas faire l'impasse sur une plaquette de ce produit. Elle paya en souhaitant que sa carte bleue ne soit pas refusée. Non ! Une sorte de soulagement dans ce soupir qu'elle laissa échapper en rangeant fébrilement les courses dans son caddie. À quelques caisses de là, une grande brune, elle aussi avec un sourire, déposait toutes ses affaires achetées dans son chariot. Puis elle avança dans l'allée centrale et fit de grands gestes du bras à l'intention d'une femme à la crinière tirant sur le feu.
— Là, ça vous convient ? Un thé, alors ?
— Oui, un thé, merci.
Une vendeuse, robe noire et petit tablier blanc en dentelle notait la commande sur un calepin. Elle ne regardait personne en particulier, faisant son job d'une manière machinale.
— Vous prendrez une pâtisserie avec vos boissons chaudes ?
— Tiens, c'est une bonne idée, ça ! Allons… Adèle, je crois, une part de gâteau ?
— Non merci…
— Mais si ; allez, laissez-vous tenter. Au diable la ligne et les kilos ! Nous n'allons pas nous priver.
— Mais…
— Pour moi, Mademoiselle, une part de tarte au flan… Allez, Adèle, accompagnez-moi dans ma gourmandise !
— Bon… alors la même chose, s'il vous plaît.
— Bien, Mesdames.
La jeunette était repartie et déjà l'eau chauffait dans une bouilloire électrique. Le café, le thé et les tartes, tout fut servi en même temps et très rapidement. Adèle, gênée, vit Lucie qui sortait un billet de son portefeuille pour régler à la serveuse.
— Non. Je paie ma part.
— Vous êtes mon invitée… alors chut, plus un mot.
La gamine se fichait pas mal de qui venait l'argent. Elle l'empocha sans dire un mot et mit la monnaie sur la table.
— Alors, racontez-moi… Vous venez souvent ici ?
— Je fais mes courses là, oui. Mon fils rentre ce week-end.
— Ah, vous avez un fils ! D'autres enfants peut-être aussi ?
— Non, juste un garçon. Jean, un bon fils.
— Et le papa ?
— Ah, le papa… c'est toute une histoire, et je n'ai pas envie d'en parler.
— Vous avez raison : laissons dormir le passé et ne regardons que l'avenir en face. Vous avez retrouvé un travail ? Vous m'aviez dit que votre usine battait de l'aile.
— Non, rien. Il faut vivre, quand même…
— Oui… Vous ne voudriez pas faire comme moi ? Vous savez, c'est facile et ça met du beurre dans les épinards.
— Je n'aurais jamais ce courage. C'est toute une éducation à refaire.
— Mais vous avez été mariée, et la différence entre recevoir de l'argent d'un seul homme ou de plusieurs, vous en trouvez une où, vous ? Et puis dites-vous que quand on change, ils sont différents. Pas du tout les problèmes d'un fil à la patte. Vous êtes libre de refuser aussi les pratiques qui ne vous plaisent pas ; ces messieurs sont conciliants et tellement généreux…
— Généreux ? Vous appelez cela généreux ?
— Dites-moi, sans indiscrétion… vous avez dépensé combien pour votre chariot de courses, là ?
De l'index elle montrait le caddie abandonné devant elles.
— Le mien m'a coûté cent vingt-huit euros, et le week-end dernier me permettrait d'en payer cinq ou six. De plus, le type n'était pas génial, mais il fait figure d'exception, vous savez. La plupart sont non seulement friqués, mais aussi très bon chic bon genre, et pas regardants à la dépense. Enfin, ce que j'en dis, moi… c'est seulement pour vous.
— …
Adèle avait levé sa tasse de thé comme pour échapper à ce regard perçant qui la scrutait. L'autre en face la regardait avec des yeux tout ronds.
— Je peux vous poser une question indiscrète, Adèle ?
— Dites toujours ; je répondrai si j'ai une réponse à vous donner.
— Vous… vous aimez les femmes ?
Devant cette interrogation, Adèle avait d'un coup presque éclaté de rire.
— Quelque chose dans mon attitude pourrait vous le faire croire ? Vraiment ?
— Non, non, ce n'est pas cela, mais… je suis aussi sollicitée par des femmes, et ce n'est pas vraiment ma tasse de thé. Si je trouvais une amie, une connaissance qui aime le côté un peu bi de la chose, voyez-vous ?
— Non. Mais vous, vous n'avez jamais essayé, vraiment ?
— Essayé, oui, mais pas vraiment enthousiaste ; j'aime la partie virile des rapports sexuels, vous comprenez ?
— Tout à fait ; et pour être plus crue, vous aimez la bite pour la bite, quoi !
— En quelque sorte, oui, c'est bien schématisé. Mais si vous voulez tenter l'expérience, vous auriez pas mal d'atouts ; et vous savez, dans notre monde actuel, les femmes, à l'instar des hommes, ne veulent plus perdre de temps en recherches inutiles : droit au but, quoi !
— Je vois, mais… je n'ai guère d'expérience avec les hommes, et pas du tout avec des personnes de mon sexe.
— Il faut un début à tout.
— Je sais, mais il faut aussi oser, et c'est là que le bât blesse.
— Pour cela, je peux vous ouvrir des portes et vous accompagner dans les premiers temps. J'ai aussi plein « d'amis » qui aimeraient que je sois parfois accompagnée.
— C'est-à-dire ? Je ne vous suis pas trop sur ce terrain du genre miné.
— Ben… comment vous dire cela ? Ces amis pourraient venir en couple et se repaître de la vision de leur douce moitié prise en main par une autre dame. Ce que je ne peux pas faire, moi. Vous ne voulez vraiment pas tenter ?
— Ben… je ne sais vraiment pas trop. Vous n'avez jamais eu d'ennuis ? Avec la police, je veux dire.
— Non. Je suis discrète, et tout se passe pour le mieux. Ne cherchez pas non plus midi à quatorze heures. De plus, voyez aussi l'aspect financier de notre collaboration, si elle venait à se faire.
— Évidemment, mais… vous prenez du plaisir à faire l'amour comme cela avec des hommes inconnus ?
— J'avoue que pas toujours. Mais nous avons aussi des atouts à mettre en avant, et bien malin le type qui peut dire quand nous simulons ou que nous jouissons vraiment.
— C'est un peu vrai, mais je n'aime pas tricher.
— Un grand mot ! Et puis vous savez, la couleur d'un billet dépend parfois de nos soupirs… Bon, je dois rentrer à la maison. Vous avez toujours ma carte et vous pouvez m'appeler quand il vous plaira ; et si c'est seulement pour me faire un coucou, pas de souci, je suis preneuse aussi.
— Merci, vous êtes sympathique aussi…
Les deux femmes se firent un bisou près de la voiture de la brune qui rangea ensuite ses achats dans son coffre en s'avisant qu'Adèle repartait avec son cabas au bout du bras.
— Mais… vous n'avez donc pas de voiture ?
— Non, pas de permis non plus. Alors, à quoi servirait-elle ?
— Je peux vous raccompagner si vous voulez.
— Je ne voudrais pas vous déranger… vous êtes pressée.
— Ce n'est pas le bon mot ; j'ai bien du temps pour… je peux vous considérer comme une amie ?
— Bien sûr. Alors merci. Je n'ai pas grand chemin, mais le sac est lourd.
— Montez, alors, je vous dépose.
La brune et la rousse firent donc la route qui menait chez Adèle, assises côte à côte dans la berline de Lucie. Arrivée devant son pavillon, la rousse invita son chauffeur à boire un verre :
— Vous venez prendre un autre café ?
— Ce serait avec plaisir, mais cette fois je suis attendue pour de bon. Mais si vous le permettez, je vous laisse le temps de réfléchir et vous reverrai lundi. Vous aurez le temps de songer à notre petite entente. Je passerai vous voir vers quatorze heures et vous me direz oui ou non. D'accord ?
— Oui. Je ferai une tarte, alors. Entendu, je vous attends lundi.
Une embrassade supplémentaire scella cette amitié toute neuve qui débutait au pied de la maison d'Adèle. Elle resta un long moment à regarder partir la voiture, et quand l'arrière de la berline ne fut plus visible du tout elle pénétra chez elle. Son sac de courses à la main, elle se remémorait les mots que Lucie lui avait dits à propos de… Non, ce n'était pas possible ! Coucher pour… non. Et puis des inconnus, voire une femme inconnue… Une femme ? Comment imaginer cela !
Demain Jean serait là, et c'était tout ce qui lui importait.