Patriarcat

Je m'approche de Sacha et Friedrich qui ont l'air en état de choc. Cela n'a pas été évident pour eux ; ils connaissaient bien les jumeaux puisqu'ils se sont entraînés ensemble. Alors les voir mourir dans de si atroces conditions… Je pose à chacun une main réconfortante sur l'épaule. Sacha sursaute.

— Je suis content, Maître, que vous n'ayez pas vraiment dû combattre le chevalier des Gémeaux la fois où nous nous entraînions en dehors du Sanctuaire.

Ouais, moi aussi d'un côté. Je ne suis pas sûr que j'aurais pu résister longtemps face à Ayé, même si le combat aurait pu être des plus intéressants. Mais bon, je préfère ne pas trop y penser ; une autre question me brûle les lèvres :

— Purée, Friedrich, comment diable as-tu fait pour maîtriser la Déflagration Atomique ?
— Vous avez vu, hein ! sourit-il, fier de lui. Je me suis entraîné jour et nuit comme un dingue, comme vous me l'aviez demandé. Et aussi, en faisant le ménage chez vous, je suis tombé sur des vidéos que vous aviez faites avec votre maître…

Les vidéos ? Ah oui, je me souviens : Pierheim aimait bien filmer mes entraînements. Il disait que les visionner m'aiderait à analyser et à comprendre de moi-même mes erreurs et mes points faibles. Il me les avait enregistrées sur de vieilles cassettes vidéo. J'avais oublié que je les avais gardées, croyant les avoir effacées en enregistrant mes premières sextapes dessus… Attends, j'espère que le gamin n'est pas tombé sur ces dernières ! Si j'ai bonne mémoire, je les avais rangées ailleurs, ça devrait aller.

— Quoi qu'il en soit, c'était très impressionnant ! Bravo à toi !
— Merci, Maître ! Alors, vous êtes vraiment fier de moi ?
— Euh… oui, reconnais-je.

Surtout fier que, de tous les apprentis que j'ai pu avoir, ce soit un qui se démerde quasiment tout seul, un avec qui je n'ai pas eu à m'investir beaucoup.

— Et moi alors, intervient Sacha, les larmes aux yeux, je deviens quoi ? Je n'ai plus personne ; ni compagnon, ni maître, et je suis trop nul ! Qu'est-ce que je vais devenir ?

Friedrich me donne un petit coup de coude pour me faire réagir. Mais quoi ? Je m'en fous de Sacha.

— Maître, vous pourriez l'entraîner lui aussi…
— Ça va pas la tête ! Je n'ai pas que ça à faire… et puis il a déjà gagné une armure, je te rappelle.
— Oui, mais je suis encore une merde… chiale Sacha. Jamais je ne survivrai en pleine guerre, et moi, je veux vivre !
— Maître, je vous rappelle qu'il vous a sauvé la vie tout à l'heure. D'ailleurs, quand les autres chevaliers apprendront ça…
— Bon, OK.

Est-ce les yeux implorants de Friedrich qui m'ont fait céder ou bien ce chantage à peine voilé ? Me menacer de révéler à tout le monde d'avoir été sauvé par un bronze débutant et un gamin sans armure, c'est bas ! Mon apprenti commence à devenir vraiment malin.

— Mais on est bien d'accord : ce qu'il vient de se passer ici reste entre nous, complété-je.
— Motus et bouche cousue ! sourit Friedrich.

Et merde, dans quoi je m'embarque encore ? Bah, avec un peu de chance, je vais trouver la mort dans cette guerre et je n'aurai pas à assumer ma promesse. Quoi qu'il en soit, il est temps de continuer la route. Je prie les deux mômes de rentrer chez eux et de se remettre de leurs émotions. Ils se tirent en nous souhaitant bonne chance.

Ayé et moi accourons vers la maison du Cancer où des cosmos s'entrechoquent, ce qui veut dire que Sanka est, heureusement, toujours en vie. Il n'est pas encore trop tard. Avec une arme de destruction massive comme Ayé, les combats devraient être vite terminés.

Arrivés à destination, nous trouvons Sanka aux prises de deux donzelles : les chevaliers du Taureau Noir et du Cancer Noir. Vu les dégâts, ils ont l'air d'avoir déjà bien castagné. Mon collègue a un joint cloué au bec. Il est impossible : même dans ce genre de situation, il ne peut s'empêcher de se défoncer !

— Yo, Ayé, Francis, soyez les bienvenus dans mon humble demeure ! lance Sanka en évitant le poing du Taureau Noir.

Les deux chevaliers noirs ennemis se retournent vers nous : bravo, Sanka, tu viens de casser tout effet de surprise !

— Désolé, je n'ai pas réussi à tous les retenir : il y en a un qui vient tout juste de forcer le passage.
— Ce n'est pas grave, Sanka, le rassuré-je.
— Hé, vous savez quoi ? lance Ayé. Le Bélier a été sauvé par un bronze et un apprenti !
— Ha-ha-ha… se marre Sanka. C'est vrai, Francis ?

Les deux ennemis se moquent eux aussi. Je jette un regard noir au chevalier des Gémeaux qui me répond avec un sourire sadique ; c'est vrai, j'avais oublié de tenir compte d'elle. J'avais omis qu'elle adorait faire chier son monde. Maintenant que Sanka est au courant, la rumeur risque de s'étendre comme une traînée de poudre. Si j'avais su, je n'aurais pas accepté d'entraîner Sacha.

— Putain, on s'en fout ! maugréé-je. Ce qui importe, c'est ce combat-ci. Chevaliers noirs, rendez-vous tant qu'il est encore temps !
— C'est un mec qui a été sauvé par deux nuls qui s'imagine nous faire peur ? se moque le Taureau Noir.
— Ne me sous-estimez pas, me plains-je. Et puis je vous rappelle que nous sommes en supériorité numérique : nous sommes à deux contre trois !
— Non, non, intervient Ayé. Deux contre deux, en fait.

Hein ? Je me retourne vers ma collègue ; retour des cheveux roses : Fèmi vient donc de reprendre les rênes. Évidemment, ça aurait été trop facile avec Ayé, pff…

— Putain, Fèmi, tu fais chier ! Tu comptes encore ne rien faire et nous laisser se faire défoncer ?
— Je peux jouer les pom-pom girls si tu veux…
— Et voilà : ils prétendent être les plus aptes à diriger le monde, et pourtant ils demandent aux femmes de faire leur sale boulot ! ironise Carmen. Ah là-là, la logique des chiens de garde du patriarcat me fera toujours rire !
— Hein ? Quoi ? Comment ? réagis-je.
— Trois excellentes questions ! me rejoint Sanka. Depuis tout à l'heure, elle n'arrête pas de parler de patriarcat, et je ne sais même pas ce que ça veut dire.
— Je dis juste que vous avez la prétention de vouloir tout diriger, de vous accaparer toute la gloire alors que ce sont les femmes qui possèdent toutes les vertus.
— Mais je n'ai la prétention de rien du tout, et je n'ai jamais douté de la valeur des femmes que j'ai croisées, me défends-je.
— Ouais, c'est ça… Bon, Calixte, tu me le laisses celui-là. Occupe-toi de l'autre imbécile en attendant.
— Avec plaisir, Carmen. On va faire voir à ces machos qui est vraiment le sexe fort.

Bon. Bah, la bataille reprend. Carmen du Taureau Noir ne perd pas de temps et me charge. Le choc est violent mais il en faudrait plus pour me déstabiliser : ses coups sont puissants mais manquent de rapidité ; j'évite donc la plupart. En revanche, ceux qui réussissent à passer se font bien sentir. Ouch ! Heureusement que mon armure d'or est bien résistante. De son côté, Sanka semble ne pas avoir l'avantage. Une série de coups s'abat sur lui.

— Allez les gars ! Allez les gars ! nous encourage Fèmi.
— Idiote ! peste Carmen. Tu devrais plutôt être avec nous. Et la solidarité féminine, bon sang ?

Je profite qu'elle baisse sa garde pour lui emmancher une immense patate dans la gueule. Le choc l'envoie valdinguer contre un pilier. Hé-hé ! Alors c'est qui le nul, maintenant ? La dame se relève, visiblement pas contente du tout. Un filet de sang lui coule de la bouche.

— Solidarité féminine ? s'étonne Fèmi. Personnellement, ma solidarité ne s'embarrasse pas du sexe de l'autre. Je ne me sens pas oppressée par quiconque.
— Idiote, ne confonds pas ton cas avec celui de toutes les autres femmes, grogne Calixte. Tu es puissante, alors tu échappes en partie au système. Mais ce n'est pas le cas de millions de femmes. Ne vois-tu pas que tu n'es qu'une vulgaire soumise aux hommes ?
— Mouais, mais c'est parce que je le veux bien et que j'adore ça.

Carmen me charge de nouveau en poussant un énorme cri de rage. Son cosmos est décuplé par sa colère, impossible de la retenir. Argh ! C'est à mon tour de passer à travers un pilier. Le choc se ressent dans chacune de mes cellules. Je me relève ; mal au dos, le cerveau en bouillie. Carmen a un sourire satisfait. Bon, décidément, elle n'aime pas avoir le dernier mot.

De son côté, Sanka en prend de plus en plus dans la gueule. Calixte du Cancer Noir semble le dominer au corps-à-corps, alors que tout à l'heure le combat semblait un peu plus égal. Putain, il attend quoi pour réagir ?

— Espèce de sale petit macho de merde ! ricane Calixte. Tu t'imaginais t'en sortir avec une technique si faible ? J'ai eu le temps d'analyser tous tes mouvements depuis le début.
— Sanka, il serait peut-être temps d'envisager une autre stratégie, lui proposé-je.
— J'ai tout prévu, sourit-il en se sortant un nouveau joint. T'inquiète !
— Bien sûr que je m'inquiète ! C'est ça ta stratégie ? Te défoncer ? C'est tout ce que tu trouves à faire ?
— Celui-là est préparé avec une herbe spéciale. Les effets sont bien plus rapides et décuplés par rapport aux classiques. Je le sors juste pour les grandes occasions.

Il s'avale une grosse bouffée de fumée. Sa merde embaume tout son temple. Et merde, je le sens gros comme une maison que je vais encore me retrouver seul à affronter plusieurs adversaires à la fois. Il me faut éliminer Carmen au plus vite avant que Sanka soit hors course. Peut-être qu'une petite Explosion Cataclysmique réglera vite l'affaire…

Oui, en effet, le résultat est rapide. Voilà le regard de Sanka qui se barre en couille. Il se bat maintenant n'importe comment, sans le moindre équilibre.

— Hé-hé, se marre-t-il, tu connais la technique de l'homme ivre développée par de grands maîtres chinois ? Eh ben moi, j'ai été encore plus loin et j'ai créé ma technique de l'homme défoncé.

Résultat : pas d'équilibre, aucun réflexe. Il ne réussit à porter aucun coup à son adversaire mais une pluie de poings s'abat sur lui. Son armure prend cher ! La voilà fêlée de partout. Visiblement, Calixte a une puissance redoutable.

— Sanka, tu ferais bien de te défoncer moins souvent, lui gueulé-je après, ça te mettra un peu plus de plomb dans la tête. La technique de l'homme ivre s'inspire de l'imprévisibilité d'un homme ivre : elle ne demande pas d'être vraiment ivre.

— Il est temps d'en finir. BLACK CANCER'S CLAWS ! crie Calixte.

Un faisceau d'énergie cosmique transperce Sanka qui hurle de douleur. Une giclée de sang rougit le sol et il s'écroule. Fèmi lâche un cri de désespoir. Et merde ! C'est très mauvais. Il n'est pas encore mort mais son cosmos est très faible. Je charge le mien afin de préparer une attaque.

— À mon tour : TAUREAU D'AIRAIN ! hurle Carmen.

C'est elle qui porte la première l'attaque. Une forte chaleur m'envahit. J'ai l'impression que mon armure est bouillante. Je chauffe, je brûle. Argh, la chaleur devient vraiment insupportable ! Je commence à manquer d'air. Je fais appel à toute la puissance de mon cosmos pour résister, mais malgré tout mes forces commencent à me lâcher. Un genou à terre, bientôt l'autre, et je m'écroule. Je reste malgré tout conscient, me débattant autant que possible à la recherche d'air frais et de fraîcheur.

— Et voilà, chevalier du Bélier, s'avance-t-elle doucement. Tu vas mourir à petit feu, tout comme ton collègue le chevalier du Taureau.
— Go… Gomez est… mort ?
— Bien sûr. Comment t'imagines-tu qu'une merde comme lui ait pu me vaincre, moi ? Il a éliminé quelques-uns de vos chevaliers de bronze rebelles, mais contre moi il n'était largement pas de taille. Mais t'inquiète, j'ai pris mon temps pour l'éliminer, je l'ai bien fait souffrir comme il le fallait : il l'avait bien mérité, après tout.
— Méri…té ?
— Bien entendu : il a pris la place qui me revenait de droit. C'est lui qui a été nommé chevalier d'or alors que j'étais bien meilleure que lui, tout ça parce que c'était un homme ! Ça aurait dû être moi ; mais non, le patriarcat a encore préféré privilégier un incompétent plutôt que moi, une candidate bien plus qualifiée ! Je lui ai donc fait bouffer ses privilèges. Il est mort dans d'atroces douleurs.

Je comprends mieux ! Lors de ma mission d'escorte d'Athéna à Athènes, elle m'avait, en effet, raconté que Gomez avait eu le poste à la place d'une femme pour respecter les principes de parité. C'était donc Carmen, cette femme ! C'est ironique, quand on y pense : le Taureau Noir croit s'être vengée du patriarcat en ayant tué Gomez alors que c'est une loi d'Athéna censée lutter contre le patriarcat qui est la cause de la non-obtention du poste. Et là-dedans, c'est Gomez qui en a payé les frais, un pauvre type qui n'avait rien demandé à personne.

Mon cosmos explose à son paroxysme ; je retrouve un nouveau souffle, même si les effets de l'attaque du Taureau Noir restent encore très douloureux. Cela va être dur de se battre dans ces conditions, mais je n'abandonne pas, pour Sanka et pour Gomez.

— Alors tu te relèves ? s'étonne-t-elle. Bien, tu as plus de courage que ce minable, mais ton sort ne sera pas différent : tu mourras toi aussi cramé dans ton armure !

Dans mon armure ? Ces trois mots viennent de me mettre la puce à l'oreille. Je crois avoir compris le secret de son arcane. Depuis tout à l'heure, la chaleur venait de mon équipement. Si je comprends bien, son attaque ne me visait pas moi directement, mais ma protection. En un cri, je m'en libère ; mon cosmos expulse les différentes pièces tout autour de moi.

— Tss ! siffle-t-elle. Tu as compris ? Bravo. Mais que crois-tu faire maintenant sans ton armure ?

J'ai déjoué son attaque, mais il est vrai que la situation semble périlleuse, sans la moindre protection. Il va me falloir redoubler de prudence. Chaque coup peut m'être fatal. Bah, tant que je suis debout et que mon cosmos brille de mille feux, c'est bon. Derrière moi, Fèmi, qui semble avoir retrouvé un peu d'espoir, m'encourage en chantant… si au moins elle savait chanter !

— Tu t'imagines avoir frappé le patriarcat en ayant assassiné Gomez, mais il n'en est rien. Tu es à côté de la plaque ! Je vais venger la mort inutile du chevalier du Taureau.
— Il ne méritait pas sa place au sein des chevaliers d'or, crache-t-elle. Tu veux vraiment venger cette merde ? Je ne comprends pas pourquoi.
— Moi-même j'ai du mal à comprendre. Hier encore, il me débectait.

Derrière, Calixte se rapproche de sa collègue. Il va me falloir du renfort pour la gérer le temps que je m'occupe de Carmen. Fèmi ne semble pas prête à repasser en mode Ayé. Un seul espoir : le Cancer, mais son cosmos semble très faible.

— Sanka, l'appelé-je. Sanka, t'es mort ?
— Oui, man… me répond une faible voix.
— Sanka, lève-toi, bordel ! J'ai besoin de toi.
— Pas maintenant. Laisse-moi dormir encore cinq minutes…
— Sanka ! gueulé-je.

Ça marche. Il se relève doucement et son cosmos retrouve une belle vitalité. Calixte fait demi-tour vers lui. Plus qu'à éliminer Carmen au plus vite : mon collègue ne tiendra pas longtemps. Les deux corps-à-corps reprennent au même moment. Sanka et Calixte d'un côté, Carmen et moi de l'autre. Sanka a l'air d'avoir retrouvé un peu de concentration.

Le Taureau Noir se montre sévère et déterminée. Elle charge son cosmos dans ses poings afin que ses coups soient décisifs. Mais elle est trop lente. Je le sens. C'est subtil, mais le fait d'avoir enlevé mon armure m'a fait gagner légèrement en vitesse, suffisamment pour mieux gérer le corps-à-corps. Au souvenir du combat de Marie contre Amalia, c'est un paramètre non négligeable. Carmen semble s'agacer de ne pas arriver à me toucher. La voilà qui concentre soudain son cosmos entre ses mains, prête à lancer une attaque.

— SOLEIL DE PLOMB !
— DÉFLAGRATION ATOMIQUE !

Pas cette fois ! J'ai été plus rapide qu'elle. La terrible explosion la repousse. Un hurlement de douleur s'échappe de sa gorge : elle vient de s'écraser violemment contre le mur et retombe sur le sol. Je profite de ce moment de répit pour regarder comment s'en sort Sanka. Visiblement, il tient bon malgré sa blessure.

— Me voilà impressionnée, chevalier du Cancer, reconnaît Calixte. Tu as réussi à te relever malgré ton état et à continuer à te battre.
— Ouais, c'est l'effet de mon joint : il me coupe tout effet de douleur. C'est comme si j'étais guéri.
— Guéri ? Juste une petite rémission avant la rechute… Mais nous entrons maintenant dans la phase terminale. Tu vas mourir, sale macho !
— Mais arrête de me prendre pour un macho !
— Ha-ha, voilà bien les mecs ! Tous les mêmes à répéter sans cesse « Mais non, on n'est pas tous pareils ! » Pourtant, dès que je m'inscris sur un site de rencontre, je me retrouve envahie pas des tonnes de photos de bites et je croule sous les messages à la « Tu baises ? » Et si un mec semble sympa, c'est juste pour me manipuler pour coucher. Mais qu'est-ce que vous vous imaginez, à la fin ? Qu'il n'y a que le sexe qui nous motive à chercher une relation ? Non, moi je suis un être sensible avec un petit cœur qui saigne ; j'ai des rêves, j'ai des espoirs, j'ai des ambitions, je ne suis pas qu'un vulgaire trou à remplir. Arrêtez de vous comporter en fauves en nous prenant pour des bouts de viande !
— Perso, moi je suis végétarien.
— J'm'en fous : t'es un sale type comme les autres ! s'emporte-t-elle. Je vous hais tous. Vous êtes le cancer de l'humanité. BLACK CANCER'S CLAWS !
— THREE LITTLE BIRDS ! réplique-t-il.

Sanka évite l'attaque. La sienne atteint cependant sa cible. Les trois oiseaux de cosmos viennent s'écraser sur le torse du Cancer Noir en provoquant une petite explosion, suffisante pour l'envoyer au sol. Carmen, pas encore vaincue, revient à la charge contre moi. Je tenterais bien une nouvelle Déflagration Atomique, mais la connaissant, je suis quasiment sûr qu'elle ne se fera pas avoir une seconde fois et qu'elle a déjà prévu une contre-attaque. Cependant, je l'ai suffisamment affaiblie. Je la terminerai avec ma plus puissante attaque : l'Explosion Cataclysmique.

— Pourquoi tant de haine ? demande Sanka à Calixte. Tes revendications sont légitimes, et je comprends que tu aies pu en souffrir ; mais tu t'es laissée enfermer par celles-ci. Tu ne vois plus le monde qu'en noir et blanc, trop conditionnée par ton spectre d'analyse. Tu es incapable d'aller voir plus loin, de chercher la lumière autour de toi. Le monde est beau, putain ! Les oiseaux chantent, les vaches broutent et le soleil nous illumine de sa clarté. Quelle est la dernière fois où tu t'es allongée sous un ciel bleu, à imaginer des formes dans les nuages ?
— Arrête ton mansplaining, sale enculé de merde ! Tu crois que c'est en matant des nuages que la situation va s'arranger d'elle-même ? Arrête de te la raconter si tu ne sais pas ce qu'on vit. On va vous buter tous jusqu'au dernier. On sera ainsi libérées de toute l'intolérance des hommes. Plus de femmes traitées de putes parce qu'elles ont osé mettre une jupe, plus de femmes utilisées comme des kleenex, plus de femmes cantonnées à la cuisine ou payées vingt pour cent de moins quand elles travaillent.
— Je le reconnais : je suis loin d'avoir toujours un comportement exemplaire. Si j'ai pu parfois offenser des femmes, c'est que je suis un être imparfait, maladroit, plein de failles, et effectivement je ne sais pas ce que vous vivez au quotidien. Voici ma REDEMPTION SONG !

Sanka lève le bras en l'air et son cosmos éclate à son paroxysme. Les éléments se déchaînent tout autour de lui, si bien que cela gêne momentanément mon combat avec Carmen. Me voilà surpris d'une telle violence dans son cosmos. Visiblement, il s'agit d'une attaque bien plus puissante que tout ce qu'il avait pu montrer contre Gomez. Est-ce son niveau naturel, ou doit-il cette puissance soudaine au joint spécial qu'il s'est fumé ? Calixte est prise dans un tourbillon cosmique, secouée dans tous les sens. Elle finit par s'écraser sans vie lorsque les éléments se calment.

— J'ai pu parfois écouter certaines conneries machistes, mais je n'en ai jamais fait mon credo. Je n'ai jamais éprouvé le moindre sentiment de supériorité envers les femmes, ni même considérer avoir une quelconque légitimité à leur dicter leur conduite.

Sanka vient de prononcer ces deux dernières phrases d'une voix faible. Très affaibli par sa blessure et par l'énorme énergie dépensée, il s'écroule à son tour.

— Pff ! Quel crétin celui-là ! proteste Carmen. « Moi, moi, moi ! » Comme si ça ne concernait que sa personne… On s'en fout de son avis : le sexisme, c'est avant tout la société qu'il touche. Et ce n'est pas ses prétendues bonnes intentions qui pourront changer quoi que ce soit : vous avez beau jouer les anges, vous les hommes, la réalité c'est que vous jouissez de privilèges au détriment des femmes, que vous le vouliez ou non. Vous n'avez aucune idée à tel point vous êtes loin de saisir le problème. La seule solution, c'est d'écraser le patriarcat afin de fonder une société plus juste. Et voilà déjà un crétin d'éliminé.
— Sanka était quelqu'un de bien, s'écrie Fèmi ; sûrement l'un des plus sympathiques et empathiques des chevaliers d'or. Je refuse de vous laisser salir sa mémoire ! Francis, bute-la ! — N'étais-tu pas non-violente ? m'étonné-je.
— Moi oui, j'ai horreur de me battre, mais je regarderais avec plaisir cette garce saigner. Vas-y, je suis de tout cœur avec toi ! Je te regarde.

Ouais, il est temps d'en finir. C'est pour Gomez et pour Sanka que je vais mettre un terme définitif à ce combat. Bon, une Explosion Cataclysmique devrait faire l'affaire. Je concentre mon énergie dans la paume de ma main avant de créer l'orbe fatal.

Je ne me suis jamais vraiment intéressé aux luttes féministes mais je les ai toujours trouvées légitimes, même si j'ai cru remarquer certains excès. Peut-être que les arguments que je trouve ridiculse au premier abord, je ne les ai tout simplement pas compris ; n'étant pas un intellectuel, c'est ce que je me suis toujours dit. Je peux donc bien croire la bonne foi et comprendre en partie les motivations de mon adversaire.

Ce que je remarque, c'est que les chevaliers noirs et leurs alliés semblent se battre chacun pour ce qu'ils pensent être un monde meilleur. Je ne sais pas qui les dirige, mais il se pourrait qu'il soit au final bien intentionné. Dans d'autres circonstances, peut-être me serais-je laissé convaincre. En attendant, j'ai une mission à accomplir et un camarade à venger, peut-être deux.

— Soleil de Plomb, prononce doucement Carmen.

Elle aussi crée une boule d'énergie entre les paumes de ses mains. Plus sombre et grosse que la mienne, je sens l'énorme chaleur qu'elle dégage. Si jamais elle me touche avec ça, je risque d'être désintégré, d'autant plus que j'ai dû laisser mon armure de côté. Du coup, la victoire reviendra au premier qui touchera l'autre avec son attaque.

Nous nous observons, l'un en face de l'autre, prêts à charger pour en finir. Le temps semble s'être figé tellement la tension est à son comble. J'aime cette ambiance de duel à mort. C'est si excitant… Cela m'évoque les duels au pistolet dans les westerns que j'affectionnais tant quand j'étais enfant. Et puis, en un fragment de seconde, nous chargeons !

— Sus au patriarcat !
— GRouAAaaAAAAA !

À peine le temps d'avoir prononcé nos cris de guerre que nous sommes l'un sur l'autre. Je suis le premier à tenter de la toucher. Elle m'évite, contre-attaque avec un coup de genoux dans le bide et tente de m'atteindre avec son orbe. Je me dégage rapidement, évitant l'attaque de justesse. Je repars à l'assaut directement, orbe en avant, prêt à le lui foutre dans la tronche. Elle s'attend au même mouvement que précédemment et se tient prête à contre-attaquer. Ce coup-ci, j'augmente la vitesse de mon attaque au dernier moment. Elle est déstabilisée, et mon orbe atteint sa cible. Carmen est projetée contre le mur de la maison du Cancer. Une énorme explosion retentit, bouffant tout le pan. Quand les débris et la poussière finissent de retomber, le Taureau Noir apparaît, armure brisée, face à terre, baignant dans son sang.