La mère de Jean
Charline8817/04/2019Le printemps
Le vendredi soir, Jean avait appelé ; il arriverait dans quelques minutes. Sa mère était dans ses petits souliers. Son fils, s'il rentrait bien, ne serait pas seul. Et cette fois, ce n'était pas un copain qui était invité à la maison, mais une certaine Nadine. À la voix, Adèle avait bien saisi qu'entre lui et cette fille il devait se passer quelque chose. Elle s'en trouva ravie. Depuis environ une année que son amie Lucie lui avait parlé, il n'avait plus jamais eu de mots ni de gestes équivoques, non ! Et puis il venait d'obtenir son diplôme. Quant à elle… elle ne lui avouerait jamais que certains soirs, ses sorties n'étaient pas tout à fait désintéressées.
La jolie rousse n'avait retrouvé qu'un job qui ne l'occupait que quelques heures par semaine. Pas de quoi pavoiser, mais elle avait des petits à-côtés… dans la continuité du chemin sur lequel son amie Lucie l'avait aiguillée, et elle y trouvait son compte. Pas un vrai bonheur, non ; juste des escapades de plusieurs heures les après-midis ou certaines soirées libres. Elle avait bien mené sa barque, et ces rendez-vous secrets s'étaient au fil des mois fidélisés. Elle voyait Gustave de temps en temps. Le couple Nathalie et Jacqueline aussi, mais sans relations autres qu'amicales.
Alain, Jérôme, Alban, Maxime et quelques autres Annabelle et Françoise avaient complété une série bien étoffée de contacts précieux. Personne ne regrettait rien, et dans la marmite mijotaient des petits plats qui nourrissaient son fils et ses rares amis. Ceux qui venaient à la maison n'avaient jamais outrepassé leurs droits, et Jean se trouvait toujours loin quand ils passaient. Donc elle vivait le mieux du monde une vie plutôt riche et libre. Mais depuis ce fameux Guy, son fils n'avait plus jamais amené quiconque à la maison.
Donc s'il revenait avec une fille, une femme, ça devait être sérieux, au moins pour lui. Alors Adèle avait mis le paquet. Les petits plats dans les grands, histoire que cette nénette soit bien reçue. Et l'anxiété allait grandissante au fur et à mesure que l'heure d'arrivée approchait. Oh, pas que la jolie maman ait peur de cette fille, mais si elle était importante pour son gamin, elle se devait de tout faire pour qu'elle se sente à l'aise chez elle. Une pensée finalement plutôt rationnelle dans la tête d'une femme qui se voulait mère moderne. Et pour ce week-end, pas de rendez-vous, pas de rencontres, juste une famille qui allait fêter la réussite du garçon de la maison.
Pour le dimanche, Adèle avait déjà prévu un repas avec Lucie et elle comptait bien que le gâteau qu'elle avait commandé serait à la hauteur de l'évènement. Pour le déjeuner, elle avait déjà tout préparé et il ne restait qu'à cuisiner ; mais là, c'était son rayon. Alors elle n'avait rien d'autre à faire qu'à se morfondre en attendant Jean. Elle guettait le moindre bruit de moteur, sautant à la fenêtre au plus léger ralentissement d'un véhicule. Le téléphone qui sonnait la dérangea soudain. Elle décrocha ; la voix lui était inconnue.
— Bonsoir. Vous êtes Adèle ?
— Oui, qui êtes-vous ?
— Mon nom ne vous dirait rien. Juste un ami d'un couple que vous connaissez bien, Hubert et Annabelle. Et j'aurais aimé savoir si c'était possible de sortir un soir avec vous…
— Quand cela ?
— Dans le courant de la semaine à venir. Mercredi, si vous êtes disponible.
— Mercredi soir ou après-midi ?
— En soirée, ça vous conviendrait ?
— Et nous irions où exactement ?
— Disons que je suis seulement de passage et que je ne connais rien de votre région. Alors je comptais un peu sur vous pour… enfin, pour me faire visiter.
— J'avais déjà projeté d'aller au cinéma, à la séance de vingt heures. Nous pourrions nous retrouver dans le hall du Palace. Vers dix-neuf heures quarante-cinq…
— Eh bien écoutez, pour moi c'est juste parfait. Je vous souhaite un bon week-end.
— Merci à vous, et à mercredi, donc. Bonne soirée.
Alors qu'elle raccrochait, la porte venait de s'ouvrir et Jean entrait. Juste derrière lui, une fille de son âge qui le cramponnait par le bras.
— Ah, Nadine, je te présente ma mère Adèle. Maman, voici ma copine Nadine. Elle aussi vient d'obtenir son diplôme.
— Enchantée de vous connaitre, Mademoiselle. Entrez ! Ne restez pas dans l'entrée. Allons, Jean, va mettre vos affaires dans ta chambre. Profites-en pour faire visiter la maison à ton amie. Je vous rejoins dans un instant.
— Oui. Viens, Nadine. Tu vas voir l'antre où j'ai passé toute mon enfance ; mais la reine-mère, depuis que je ne l'occupe plus que partiellement range, brique. Enfin, tu vois bien : c'est net et propre.
— C'est ça, fais-moi passer pour une méchante maman qui t'oblige à tout nettoyer !
— Oh, rassurez-vous, Madame ; je sais bien comment il est. Mais vous me raconterez tous ses secrets pour que je puisse le mener moi aussi à la baguette.
La fille avait une allure qui plaisait à Adèle. De longs cheveux qui lui tombaient en cascade sur les épaules, d'une couleur tirant plutôt sur le brun, mais avec quelques mèches colorées, par un coiffeur sans doute. Elle devait être approximativement d'une taille égale à celle de son fils. Ses yeux, pour autant que la rousse ait pu en juger, étaient verts et elle était plutôt bien faite. Mais à cet âge-là, toutes les filles sont belles. Enfin, elle avait le même bagage universitaire que son fils, donc elle n'était pas là par hasard.
La belle-mère en devenir suivit un instant les courbes de cette belle gosse qui partait avec son Jean en direction du couloir. Elle les entendait encore rire avant que la porte de la chambre du fils ne se referme sur eux deux. Il avait bon goût, ce gaillard-là, et elle n'avait qu'à se féliciter de son choix. Dans sa cuisine, elle reprit le cours de son dîner. Cette fois le cœur un peu plus léger puisque les présentations s'étaient bien passées.
Au bout d'une bonne demi-heure, ne voyant personne revenir, elle avança vers le corridor donnant accès aux chambres. Elle vit un rai de lumière filtrer sous le pas de la porte. Dans le calme de la maison, les murmures sourds et certains gémissements que ses oreilles percevaient soudain ne laissaient aucune place au doute : dans la chambre, les deux jeunes avaient mieux à faire que venir tenir compagnie à la vieille qu'elle était. Elle se replia vers sa popote qui mijotait doucement, mais le sourire qu'elle arborait était un signe de victoire : au moins ce jeune homme s'intéressait aux jeunes femmes de son âge et avait totalement oublié le passage difficile où il confondait amour tout court et amour filial. Elle envoya un merci muet à sa copine Lucie.
Le samedi et le dimanche avaient filé sans qu'elle ait vu les heures lui couler entre les doigts. Elle avait de nouveau dans la nuit entendu le matelas et le sommier grincer dans la chambre de Jean ; comme elle était censée dormir en face, la gamine avait retenu ses cris de plaisir mais ils n'avaient pas su tromper la vigilance de la mère, habituée à veiller sur le sommeil de son garçon. Lors du repas du dimanche midi, Adèle et Lucie s'étaient souvent regardées, quand les amoureux s'échangeaient des baisers et des câlins un peu partout, se croyant bien à l'abri des regards des deux amies.
Mais parfois la rousse avait cru déceler dans les yeux de sa copine comme une forme d'envie, surtout lorsqu'elle détaillait les muscles de Jean, saillants sous son tee-shirt. Adèle s'était demandé si la brune n'était pas un peu jalouse de cette Nadine qui accaparait son fils. Puis la jeune fille avait discuté longuement avec cette belle-mère qui n'en était pas tout à fait une. Elles avaient desservi la table ensemble et fait la vaisselle alors que Lucie se lançait dans un long laïus avec son fils.
Enfin le lundi matin, les deux tourtereaux avaient regagné la colocation qu'ils reprenaient à leur compte, tous les deux. Bien entendu, le coffre de la voiture s'était vu remplir de bonnes choses confectionnées par une mère attentive au bien-être de sa progéniture. Et que Jean soit en couple ou non ne changeait rien à cette manne qu'elle lui mettait d'office dans ses bagages. Elle lui remit aussi une enveloppe bourrée de billets de banque ; Adèle avait vu le garçon donner discrètement l'argent à sa petite amie. Un bon point pour un couple en gestation.
Les deux jours qui suivirent, elle se reposa dans l'attente de ce fameux mercredi soir. Et à l'heure dite, elle se trouvait dans le hall du Palace. Le type qui s'avançait vers elle avait une bonne tête de plus qu'elle. Il la salua, et elle se demanda comment il avait pu aussi facilement la trouver dans cette salle des pas perdus. Il sentait bon, et ils prirent comme deux amis leurs tickets avant de monter dans la salle où passait le film qu'elle était venue voir. Fidèle à ses habitudes, elle se retrouva une fois de plus dans la rangée la plus haute et en bout d'une lignée de sièges de velours rouge.
Son voisin devait avoir largement plus d'une soixantaine d'années, des cheveux courts poivre et sel. Une minuscule petite bacchante ornait sa lèvre supérieure et ses yeux pétillaient de malice. Il avait l'air heureux d'être là en compagnie d'une aussi jolie femme. Il lui proposa du pop-corn ou une glace, qu'elle refusa. Et les publicités défilèrent avant que la salle ne fut plongée dans l'action de ce spectacle où un handicapé tentait de remettre un jeune banlieusard noir dans le droit chemin. Un excellent film où les rires se mêlaient aux situations proches d'une vérité flagrante. Tout se passait pour le mieux.
Il lui avait déclaré être lui aussi descendu à l'Hôtel de la Poste, et certains souvenirs avaient refait surface dans l'esprit de la rousse. La salle – comme toutes celles des cinémas du monde – étant surchauffée, elle se releva une seconde pour se débarrasser de son manteau. Celui-ci en travers de ses genoux, elle sentit la main de son voisin qui cherchait la sienne. Mais quand il l'eut trouvée, il tira son bras vers lui et posa cette menotte sur sa cuisse. La chaleur de la paume était communicative. Puis cette patte qui avait pris en charge celle d'Adèle revint vers la femme.
Quelques instants plus tard, l'homme aussi plaçait sa paume bien à plat juste sous l'ourlet de la jupe, là où se situait la frange que le bas couvrait. Elle sentit que cette patte était brûlante, et ce n'était sans doute pas d'une fièvre ordinaire. Sans rien laisser paraître, le type colla sa joue contre l'épaule de la femme ; il se trouvait désormais légèrement de travers sur son siège. Elle n'avait pas bougé, laissant ses regards fixés sur la toile. La salle riait aux éclats pour une paire de bas de contention. Mais l'homme près d'elle, lui, s'il songeait aussi « bas », c'était bien à ceux de la rousse qu'il faisait référence. Et sa main, comme un serpent, avait lors d'une longue reptation caressante migré vers le haut de ses Dim-up.
Elle n'avait pas vraiment envie de le dissuader de s'arrêter là, et quand il franchit la barrière symbolique des élastiques qui gardaient les gaines de nylon en place, il bandait déjà comme un cerf. Sa patte, n'ayant trouvé aucun obstacle, continuait son ascension vers le centre du compas pourtant serré ; et lorsque les doigts sentirent la présence de cette autre dentelle, il en souleva délicatement les bords et un premier visiteur vint se perdre dans une vallée plutôt humide. Adèle avait seulement crispé un peu sa menotte sur la cuisse du gaillard.
De sa main libre, il enserra de nouveau le poignet de la belle, et franchement cette fois il avança la main féminine vers ce qui se trouvait à l'étroit dans son pantalon. Elle toucha d'abord la bosse qui déformait la braguette puis, comme il lui caressait déjà les lèvres délicatement et qu'elle ne voulait pas être en reste, le zip de la fermeture tiré vers le bas libéra le bélier. La trique émergea de sa prison et les doigts encerclèrent le cylindre impatient. Elle se pinça les lèvres pour ne pas crier sous l'assaut rapide du majeur de ce type.
Ils se tripotèrent de longues minutes. Trop compliqué de faire l'amour là, tout de suite, dans cette salle où un tas de braves gens braillaient et pleuraient de rire. Alors au générique de fin ils se redressèrent vivement pour se diriger vers la sortie.
— Vous voulez que l'on aille faire un tour par là ?
Le gars lui montrait une direction ; en y regardant de plus près, Adèle vit qu'il s'agissait des toilettes. Elle refusa avec une sorte de sourire.
— Non, trop de monde va les utiliser à la sortie… vous n'êtes pas dans la rue pour la nuit.
— J'ai pris une chambre à l'hôtel, mais parfois les femmes répugnent à accompagner les hommes dans leurs chambres.
— Moi, ça m'ira très bien. C'est à prendre ou à laisser, de toute façon ; vous n'allez tout de même pas me baiser dans les WC ou dans la rue !
— C'est vrai, vous méritez mieux que cela ; alors si vous êtes d'accord, allons-y. Vous êtes en voiture ?
— Non, je suis à pied, et l'hôtel n'est pas au bout du monde. Ça va nous permettre de faire plus ample connaissance.
— Vous avez raison… alors vous m'accompagnez ?
Ils marchaient dans les rues où la nuit avait étendu son royaume. Il lui tenait la main, de peur peut-être qu'elle ne s'envole ou qu'elle ne veuille plus finir ce qu'ils avaient si bien commencé. Mais il se rassura en voyant les néons de l'enseigne. Adèle sentait la tension du mec qui pressait sa main dans sa grosse pogne. Elle le précéda alors que la porte se refermait sur un couloir éclairé. Puis les marches, celles que depuis un an elle parcourait si souvent. Les chambres ici se ressemblaient toutes. Une grande pièce, un petit salon, une salle de bain et des toilettes. Elle aurait trouvé le lit les yeux fermés.
Il avait déjà tapé le code et elle entra dans le minuscule espace servant de hall d'entrée, puis elle s'assit sur la couche alors que lui se rendait sous la douche. « Un bon point pour l'hygiène ! » songea-t-elle. Puis quand il revint, une serviette nouée autour de la taille, elle le remplaça. Elle aussi se passa autour du ventre un second long drap en éponge frappé du nom de l'hôtel et surgit dans la chambre où il s'était allongé sur le couvre-lit. La serviette qu'il portait en sortant de la cabine de bain était ouverte et il se frictionnait le sexe.
Un instant elle resta debout, se demandant si elle allait venir près de lui. Puis comme il tendait la main pour l'inviter à prendre place, elle ne se préoccupa plus de se poser la question. Son destin était à nouveau scellé : elle irait une fois encore jusqu'au terme de ce rendez-vous. Alors en bonne travailleuse, elle vint se lover contre l'homme qui l'entoura de son bras en le passant sous sa nuque. Sa main repliée arrivait à hauteur de son sein ; il n'avait qu'étendre les doigts pour en découvrir la texture, et il ne fit pas prier.
Elle le laissa faire alors que ses doigts folâtraient déjà avec un téton qui se gorgeait de sang. Envie ? Excitation ? Le résultat était similaire. Le pic sombre dépassait de l'aréole d'un bon centimètre et devenait énorme. L'autre sein, lui, n'espérait que la venue de la bouche du type. Il se baissa, et d'un coup ses lèvres happèrent la seconde mamelle. Adèle trouva le mec trop pressé, trop impatient. Pour finir, il n'avait rien de délicat. De plus, il pensait bien faire en se frottant le museau entre ses cuisses, mais la moustache très courte avec ses poils durs n'était en rien sympathique sur la chair tendre des muqueuses qu'elle irritait plus qu'elle ne donnait envie, alors elle écourta la rencontre.
Tout d'abord par une de ses fellations dont elle connaissait le pouvoir, puis en trois allers-retours le type éjacula. Elle se releva, sans trop discuter, se doucha et récupéra sa part du butin. Ensuite ce fut seule dans la nuit froide qu'elle rentra chez elle. Un coup raté, par une indélicatesse certaine et des poils de bacchante épineux, qui ne laisserait pas à Adèle un souvenir impérissable.
Tout au long du parcours pour revenir au bercail elle se jura bien, comme à chaque fois du reste, que c'était la dernière fois. Mais une voix au fond de sa tête lui murmurait qu'elle se mentait. Une bonne nuit de sommeil lui permettrait d'oublier cette déconvenue, mais elle avait toujours ce creux dans les reins. Comment était-ce possible ? Plus elle se roulait dans la fange de ses sorties sexuelles, plus son corps réclamait. Une drogue, en quelque sorte. Parfois elle se pensait un peu nymphomane, mais aussi vite arrivée ce genre d'idée repartait sans avoir trop fait de dégâts à son moral.
Mars et les premiers bourgeons avaient ramené un peu de vie à des paysages qui se coloraient. Les embryons de feuilles apparaissaient sur les arbres les plus avancés, les bouleaux et autres essences hâtives. Quelque part aussi, le printemps qui s'annonçait raccourcissait les jupes et les robes, et les bas peu à peu laissaient le champ libre à un possible bronzage. Puis il y avait les travaux de jardinage, ce potager qui allait encore reprendre un peu de vie ; les fleurs aussi, telles les roses qui reviendraient embellir la demeure d'Adèle. Jean continuait de filer le parfait amour avec sa Nadine chérie.
Ils étaient passés durant quelques week-ends, et la jeune fille se montrait toujours très sympathique aux yeux de sa belle-mère. Enfin, si elle ne l'était pas encore, la rousse avait bien l'impression qu'elle devenait cette Nadine, du bois dans lequel on taille les brus. Et puis Jean semblait épanoui ; n'était-ce pas cela l'essentiel, finalement ? Alors lorsque ce neuf mars, vers dix heures du matin, la sonnette de la porte grelotta avec insistance, elle était loin de se douter de qui venait la déranger. Lorsque la rousse ouvrit la porte, elle reçut comme un coup de poing dans l'estomac.
Mal rasé, costume débraillé, celui qui se tenait devant elle avait tout de Jean. Mais un Jean avec un compteur d'années bien supérieur à celui de son fils. Des ans mal vécus à en juger par la dégaine.
— Bonjour, Adèle. Je passais par là, alors je me suis dit…
— Bonjour, Gilbert. C'est étrange qu'après tout ce temps tu te souviennes de mon existence !
— J'aurais aimé avoir des nouvelles de… notre gamin.
— Tu n'as donc plus de téléphone ? Et puis ta nouvelle femme ne semblait pas trop apprécier notre Jean.
— Je sais, je sais… mais les erreurs se paient cash aussi, parfois. Et tu vois ce que je suis devenu.
— Je sais juste une chose : nous avons un fils, et c'est le seul lien qui nous rattache encore. Mais je sais également que jamais tu n'as pris de ses nouvelles depuis au moins dix ans. Que pas une seule fois il n'a eu un mot, une carte de toi pour ses anniversaires, ses fêtes, et tu oses venir me demander comment il va ?
— Je sais… mais je voudrais…
— Non ! Tu ne veux rien et tu n'auras rien de moi ! Pas l'adresse de notre gamin, pas son téléphone, et je ne veux plus te voir devant ma porte. Alors file, sinon j'appelle la police. Tu n'as plus à rien à faire dans ma vie ; pour notre fils, ce sera à lui de décider. Je te conseille de repartir chez ta… oui, la morue avec qui tu vis – ou vivais – et de m'oublier.
— Je suis seul ; il y a longtemps qu'elle m'a quitté.
— Eh bien, tu paies le mal que tu nous as fait. C'est un juste retour des choses. Bon vent.
Adèle avait repoussé le battant de bois et avait regardé depuis sa fenêtre ce type qu'elle avait aimé jadis, les épaules voûtées, l'allure d'un clochard, remonter la rue ; son cœur se serra. Même morts, certains amours sont incrustés dans la peau autant que dans l'âme, et la rousse regrettait déjà son animosité pour cet homme. Il était tout de même le père que son fils avait réclamé longtemps. Jean ne devrait pas, lui, avoir une attitude aussi dure avec son père. Elle lui en parlerait quand ils se reverraient.
Elle avait vidé son fiel et ne s'en trouvait pas mieux pour autant. Dans l'entrée, le téléphone grelottait dans l'attente de sa propriétaire pour couper la sonnerie.
— Allô ? Eh bien, tu en as mis du temps pour décrocher ! Ça va ?
— Oui, oui, ça peut aller…
— Ouais, ta voix donne l'exact contraire de tes paroles. On dirait que tu viens de croiser un fantôme.
— Tu as raison, ma Lucie ; c'est tout mon passé qui vient de me sauter sur les épaules. Un vrai cauchemar remonté de ma jeunesse.
— Houlà ! Bon, j'arrive. Tu ne vas pas nous péter un câble, là ? Attends-moi, je saute dans ma voiture et j'arrive.
Un clic, et le silence pesant de la maison vint étreindre la jolie rousse jusqu'aux entrailles. La journée de ce neuf mars, malgré l'annonce d'un printemps précoce, avait d'ores et déjà des relents nauséabonds, des goûts d'égouts dégoûtants revenus de si loin…
Arrivée sur place, Lucie trouva que la rousse avait les yeux rougis et la mine défaite. Elle posa simplement sa main sur l'épaule amie et attendit que l'orage passe. Et quand enfin Adèle se sentit mieux, au moins n'était-elle plus seule plantée au milieu d'une petite maison, qui vide pourtant s'avérerait toujours trop grande.
Et la vie reprenait ses droits.
— Viens, viens, ma belle ; je t'emmène. Nous allons faire les magasins. Ça te changera les idées…
Pas besoin d'en savoir plus : le chagrin ne se partageait pas. Et puis le leitmotiv de la brune restait toujours à l'ordre du jour : jouir de la vie, mais ne pas s'immiscer dans celle des autres. Alors les deux copines déjeunèrent dans un petit bistrot, s'ingéniant à ne parler que du printemps qui leur tombait dessus, éclatant de vie et de renouveau. Lucie et son bagout, Lucie avec ses rires qui parfois se trouvaient forcés tout autant que certains de ses orgasmes ; une Lucie pétillante, qui remettait du baume au cœur de sa jolie complice.