Terre des hommes
Charline8807/02/2020Tendre préparation
Assis l'un près de l'autre dans la voiture, Marielle et Bernard se laissaient bercer par le roulis et le tangage dus au profil de la route qui montait longuement avant de replonger vers un autre ruisseau. Dans son rétroviseur, Christophe avait aperçu à plusieurs reprises la cuisse de sa belle-sœur se frotter contre celle de son invité. Coïncidence ou connivence ? Difficile d'apprécier ce genre de situation alors qu'il devait avoir les yeux rivés sur les lacets interminables d'une départementale sinueuse. Marie-Anne quant à elle avait le regard dans le vague, comme paumée dans un monde hermétique. Le silence devenait pesant.
— Bon, les amis, voilà le restaurant. Je vais commander pour midi, et vous, pendant ce temps, vous descendez voir la cascade ?
— Comme tu veux. Alors je vous suis, les filles : ici, c'est toujours un peu « chez vous » ! Les sœurs avaient encadré Bernard et se donnaient le bras alors que lui marchait derrière. Les deux paires de fesses dans les jeans moulants avaient des airs de ressemblance. La même manière de les tortiller, le même déhanchement : le spectacle valait son pesant d'or. Le vallon était profond, et tout au fond, le bruit si caractéristique de l'eau qui tombait d'une grande hauteur se faisait entendre. Si l'homme était silencieux, les deux nanas marmonnaient entre elles. Des choses qu'il ne pouvait plus entendre à cause du boucan fait par la flotte.
— Quelque chose ne va pas, ma belle ? Tu n'étais plus avec nous dans la voiture. Un souci ?
— Non, non ! Le printemps me fait toujours un peu cet effet, tu sais bien.
— Vous avez fait des trucs tous les trois, hier soir ? Les quinquets de Bernard semblent te suivre encore plus, depuis ce matin.
— Mais… bien sûr que non ! Qu'est-ce que tu vas imaginer ? Et puis c'est quoi pour toi, des « trucs à trois » ?
— Ne fais pas semblant de ne pas comprendre ; je suis certaine que ton Christophe en serait ravi. Prends garde à la routine, ma vieille : ça te flingue un couple plus vite que de rigoler.
— Est-ce que je te demande ce que tu as fait de tes fesses hier soir, moi ? En tout cas, si tu as couché, ça ne t'a pas rendue plus joyeuse ce matin.
— Alors là… je pourrais simplement te rétorquer que baiser ne semble pas te réussir non plus. On dirait que depuis que ce Bernard est arrivé, les lignes bougent un peu. Tu as envie de lui ? Tu sais, je suis certaine que si tu en parlais avec Christophe, il saurait comment réagir.
— Bon, ça suffit ! Tu es imbuvable depuis que tu es arrivée !
— Pas vous, peut-être ? Vous me prenez pour une gourde ? À mon avis, vous n'avez invité ce type que pour me le coller dans les pattes, et ce n'est pas fair-play ! Au moins auriez-vous pu me demander mon avis.
— Mais, je t'assure que je n'y suis pour rien. Je me suis un peu froissée de voir ce gars rappliquer dans nos vacances… pour plein de bonnes raisons, d'ailleurs, et pas seulement pour toi.
— C'est donc ton mari qui estime que je ne suis pas assez grande pour faire mes choix toute seule ?
— Oh, c'est comme tous les mecs ; il n'a sûrement pas calculé de cette manière. Il n'a pas pensé à mal, à mon avis.
De nouveau, seul le bruit de la chute troublait la tranquillité des lieux. Quelques autres badauds tout au long du sentier qui menait au pied de la cataracte, mais des anonymes qui se fichaient éperdument des petits malheurs de ces filles-là. Christophe venait de rejoindre son ami. Le petit groupe se reformait, en extase devant un ruisseau qui tombait à pic, se frayant un chemin dans le granit de la montagne. Chacun prit le temps d'admirer ce que seule la Nature est capable de réaliser avec bonheur.
Le déjeuner était franchement convivial. Le quatuor s'entendait bien et la tablée riait. Tout autour d'eux, la salle remplie voyait une serveuse pour le moins étrange : complètement noyée dans son travail, elle houspillait parfois les clients un peu trop demandeurs. Alors que Christophe réclamait du pain pour le fromage, la bonne femme revint et jeta littéralement la panière au milieu de leurs assiettes, ce qui eut pour effet de faire rire plus encore les deux femmes. Mais si sur la table le repas s'achevait, un pied de Bernard avait lui suivi un itinéraire pour le moins hasardeux.
Sans rien montrer aux autres, il avait simplement sorti son panard de sa chaussure et étirait sa jambe sous la table dont la nappe descendait bien bas. Les orteils entrèrent ensuite en contact – volontairement ou non – avec la jambe de sa vis-à-vis. Et ce fut la cheville de Marielle qui arrêta l'avancée du ripaton fugueur. Elle leva les yeux, sans vraie surprise, vers l'homme qui avait soudain blêmi. Puis, comprenant qu'elle ne retirait pas sa guibolle, Bernard entreprit alors une ascension de ses orteils sur cette jambe inerte.
La jeune femme ne bronchait pas, gardant simplement un incroyable calme. Le pied suivit des formes et des courbes fines et monta lentement de la cheville au genou. Il était caressant, doux, chaud même. Quel culot que ce tripotage en plein restaurant ! Si elle le jugeait osé, la benjamine du groupe ne cherchait cependant pas à se dérober à la caresse. Et dans ses yeux, une sorte de fièvre semblait même encourager le type à continuer sa progression. Ce qu'il faisait du reste, avec la régularité d'un métronome.
Les deux autres finissaient leurs assiettes sans se soucier de ce qui se passait à moins de trente centimètres d'eux. Christophe était lancé dans une histoire qui captivait son épouse ; Marielle, elle, n'avait toujours aucune réaction… enfin, si ! Elle avait seulement entrouvert ses cuisses accolées sur l'assise de sa chaise. Inconscience qui facilitait la venue du visiteur entre celles-ci, ou geste sibyllin pour rectifier sa position ? Elle sentait la jambe de Bernard continuer sur sa lancée et se frayer un passage dans le couloir qu'elle venait de dégager. Là, en revanche, elle se trouvait bloquée par l'épaisseur du pantalon.
Au bout de longues secondes, dans leur gangue de fil, les orteils avaient atteint la fourche féminine et depuis déjà quelque temps ils massaient de haut en bas ce qui se trouvait sous le tissu. La jeune femme était cramoisie. Un court instant sa sœur s'aperçut que les couverts de sa frangine avaient une nette tendance à rester plus que de raison en l'air, un peu comme si le souffle de Marielle venait à lui manquer. Et quand son regard se porta sur elle, elle vit enfin ce monstre noir qui, bien à plat, se mouvait de haut en bas en silence. Elle fixa elle aussi l'énergumène qui se trouvait de trois-quarts face à elle.
Une sorte de rictus semblait illuminer la bouille du pote de Christophe, une béatitude qui en disait long sur ce qui se tramait juste à ses côtés. Alors, par jeu ou par bravade, Marie-Anne bouscula sa sœur en se levant.
— Bon, je vais me refaire une beauté. Tu viens, Marielle ?
— Ah, tu veux que je t'accompagne aux toilettes, c'est ça ?
— Oui. Je n'ai pas trop confiance dans cette boutique ; on ne sait jamais qui on risque de rencontrer.
— … Bon, j'arrive.
La jeune femme avait lâché ces mots comme à regret. Quant à Bernard avec son pied à l'équerre, il en était pour ses frais. Il commençait seulement à s'amuser et aurait bien aimé continuer à chauffer la dame, mais le ton de sa sœur n'avait rien d'amical.
Les deux filles se dirigeaient vers le petit coin, sous l'œil amusé de Christophe.
— Marie t'a repéré ?
— Pardon ?
— Oui… tu faisais du pied à Marielle, et Marie-Anne l'a remarqué ?
— Mais…
— Allons, ne me prends pas pour plus idiot que je ne le suis ; c'est de bonne guerre. Et puis moi aussi, j'ai des fantasmes. J'aimerais un jour que…
— Oui ? Que quoi ?
— Comment dire cela… Que Marie et moi tentions une expérience à trois.
— À trois ?
— Oui, avec un autre homme. Ça te choque ?
— … ! Non, pas vraiment. Mais pourquoi tu me parles de cela, justement à moi ?
— Une idée comme ça. Les vacances sont parfois propices à ce genre de petites folies.
— Et Marie est d'accord, elle ?
— … C'est là que le bât blesse. Mais bon, je peux lui en parler si… Tu serais d'accord, toi, pour jouer avec nous ?
— Pourquoi pas ? Après tout, ta femme est belle et désirable. Mais il y a sa sœur…
— Oh, Marielle… Elle ne reste pas toujours avec nous, tu sais. Pour cela, ça peut aisément s'arranger.
Les deux amis s'étaient alors regardés, semblant se comprendre à demi-mot. Du reste, deux silhouettes presque identiques revenaient vers la table : il n'était plus l'heure des confidences. Les quatre convives terminèrent leur repas sans plus se préoccuper de rien d'autre que de ces desserts faits de belles parts de tartes à la « brimbelle ». La langue et les dents violettes, tous éclatèrent de rire de voir leurs vis-à-vis « marmosésÊtre marmosé = avoir le visage sale en parlé vosgien et lorrain. ». L'atmosphère était donc à la détente chez les filles, mais également chez les garçons qui avaient peut-être de quoi rêver… chacun de son côté.
Un autre retour avec les deux sœurs à l'arrière du véhicule, et dans la tête de chacun des mecs, des idées dont personne n'aurait la teneur. Pour Bernard, qui désormais connaissait les formes de l'épouse de son collègue, les images dansaient sur des musiques syncopées. Il revoyait cette bouche gourmande qui montait et descendait sur sa queue, et les sensations dues aux souvenirs de cette caresse lui redonnaient la trique. Le chauffeur suivait quant à lui les lacets de la route, méditant à coup sûr les paroles lancées lors du repas à cet homme qui, à ses côtés, demeurait silencieux.
La masse sombre de la maison apparut d'un coup au bout du chemin dans le pinceau des phares. Les filles à l'arrière bougèrent, s'apprêtant déjà sans doute à quitter le véhicule.
— La lune est bien belle ! On y voit comme en plein jour.
— Oui ! C'est signe qu'une gelée sévère s'annonce ; nous serons mieux à l'intérieur. Vite, Marielle, pendant que je ferme les volets, va remettre du bois dans la cheminée. On va prendre un verre avant de se coucher ? Tout le monde est partant ?
— Ben… oui ! La soirée était agréable, et la finir en beauté n'est pas pour me déplaire. Et vous, les hommes ? Ça vous tente, la proposition de Marie-Anne ?
— Pas d'objection pour moi ; et je ne pense pas que Bernard y trouve à redire.
— Bien au contraire ! Vous êtes tous sympas avec moi. J'aime bien votre maison et ce qui s'en dégage. Une atmosphère familiale dont je rêve depuis longtemps… Enfin, la solitude me pèse aussi trop souvent, et ça fait un bien fou de se ressourcer avec des gens comme vous.
— Comme nous ? On peut le comprendre de plusieurs manières, tu sais…
— Je veux dire des gens heureux, sans façons, et très conviviaux.
— Bon, vous palabrez tous les deux dans l'entrée ou vous nous rejoignez au salon ? Ah, ces bonshommes, toujours à minauder… Et dire qu'on fait passer les femmes pour des bavardes, mais vous êtes bien pire que nous !
La sœur de Marielle venait de lancer ces mots avec un sourire qui découvrait deux rangées de dents d'une blancheur magnifique. Elle était radieuse. Les deux mâles sourirent à ces propos spontanés et s'empressèrent de filer dans la pièce où la cadette avait ravivé le feu. Elle avait également mis de la musique en sourdine. Du coup, Bernard oscillait sur place sur l'air d'un slow entraînant. La jeunette le regardait faire avec un rictus sur les lèvres. Elle lui attrapa le bras et, se collant à lui, entreprit de suivre le rythme musical.
Mu par une impulsion impalpable, un autre couple de danseurs – formé celui-ci par Christophe et son épouse – se mit à tourner dans cet espace plutôt exigu. Fatalement, la place étant réduite, les corps se frôlaient et, facétieuse, la benjamine du groupe laissait traîner ses mains sur la croupe de sa sœur. Marie-Anne, ne sachant pas trop qui l'effleurait sans vergogne, n'avait pas osé dire quoi que ce soit. La petite peste avait alors, tout en restant collée à son cavalier, recommencé son petit manège ; presque brusquement, la maîtresse de maison s'était écartée du parquet improvisé.
— Bon ! Champagne pour tous ?
Personne ne répondit à cette demande. Marie-Anne se dirigea vers la cuisine pour y prendre le nectar embouteillé. Son mari la suivit sans faire de bruit.
— J'aime bien danser avec toi, ma chérie ; nous aurions pu continuer un peu. Pourquoi avoir brisé le charme ?
— Oh, c'est trop petit ! Et puis… laissons faire nos deux tourtereaux ; je crois qu'ils ont plus de choses à se dire que toi et moi.
— Parce que toi tu n'en as plus à me raconter ? Je ne suis pas totalement aveugle, ma belle. Ne me prends pas pour aussi bête. Je sais bien que mon collègue te plaît, et que, mieux, tu lui plais également ; sans doute même plus que ta sœur !
— Qu'est-ce que tu racontes ? Tu es malade ?
— Allons, ce n'est pas aux vieux singes que l'on apprend à faire des grimaces, mon amour. Mais tu sais si bien ce que j'aimerais que je ne peux que t'encourager à aller encore plus loin.
— Plus loin dans quoi ? Je ne pige pas vraiment.
— Tu es certaine de ce que tu avances ? Nous en avons longuement parlé, de cette envie de faire un plan à trois… et c'est peut-être lui le partenaire idéal, non ?
— Tu oublies ma sœur ; et il n'est pas question que tu mettes tes pattes sur elle… pas plus que je ne voudrais la toucher.
— Qui te parle d'un échange à quatre ? Le chiffre trois est aussi très… prisé dans ce genre de fantasme.
— Arrête ! Tu te fais du mal. Tu connais déjà ma réponse, il me semble.
— Tu préfères donc me tromper purement et simplement sans que je puisse participer ? Ce n'est pas super cool comme raisonnement.
— Te tromper ? Pourquoi te tromper ? Tu dis n'importe quoi.
— Tu en es si sûre ? Allons, fais un petit effort de mémoire. Je ne suis pas aussi dupe que tu te l'imagines. Mais ton air rieur toute la journée m'a prouvé que tu avais apprécié.
— Comment ça ? Tu… tu sais quoi ? Dis-moi !
— Eh bien, disons que je ne dors souvent que d'un œil. Alors le second s'est un peu promené sur un charmant duo au salon… Quand le chat dort, il est des chattes qui miaulent.
Marie-Anne était devenue blême. Ainsi son mari avait tout compris, tout vu. Et dire qu'elle le pensait bien endormi dans leur chambre… C'était peut-être même lui qui avait manigancé cette soirée, qui l'avait poussée dans les bras de ce Bernard ? Raisonnement simpliste peut-être, mais qui avait le mérite de l'exonérer en partie de sa faute. Et Christophe ne faisait rien d'autre que lui proposer cette fois d'assister, d'être présent. Il voulait sa part du gâteau ! Une sorte de rage froide s'empara d'elle. Comment ce salaud avait-il pu oser ?
Puis sa colère retomba. Il voulait une partie de cul avec son pote ? Eh bien, pourquoi pas ? Après tout, elle avait aimé la manière de Bernard de la prendre ; elle gardait le souvenir de cette queue différente qu'elle avait prise en bouche et ailleurs. Ça pourrait être amusant de jouer avec celle de son mari et l'autre, simultanément. Après tout, pourquoi mourir idiote ? Et puisque son seigneur et maître était demandeur… Restait un écueil : Marielle ! Et là, pas question de la voir à poil dans le lit conjugal, ni même de l'imaginer avec son homme.
Au salon, la musique avait changé, pas son rythme. Un nouveau slow était distillé par la chaîne hi-fi. La voix de la cadette leur parvint à demi étouffée :
— Alors, vous comptez nous laisser mourir de soif ? À moins que vous ayez décidé de repeupler la France de suite…
Christophe restait les yeux dans ceux de sa femme. Les paroles de sa belle-sœur le firent sourire. Son épouse prit cela pour elle, alors elle vint sans rien ajouter se coller contre lui. Elle chercha ses lèvres, comme pour conjurer l'appréhension qui se faisait jour dans son esprit. Il savait pour le coup de canif dans le contrat, mais il ne s'en trouvait pas autrement offusqué. Amusé, envieux tout au plus, et il lui réclamait une contrepartie étrange. Serait-elle capable d'aller jusqu'au bout ? Pourrait-elle faire cela ? Son esprit s'embrouillait.
— Ça va ! Nous arrivons.
C'était Christophe qui avait répondu à la benjamine. Juste avant d'embrasser à pleine bouche cette épouse qui se frottait à son torse. Si elle n'avait pas d'idées particulières, c'était rudement bien imité. Et l'homme bandait depuis qu'il avait avoué savoir qu'elle avait baisé avec son collègue. Avec quelques regrets, les deux se séparèrent pour rejoindre l'autre couple qui dansait toujours. Les yeux de Marie-Anne brillaient d'une flamme inconnue.
Marielle et son cavalier étaient encore accrochés l'un à l'autre et paraissaient sages. Le « pop » du bouchon qui sautait rassembla tout le monde autour des verres. Christophe fit le service avec une joie visible. Tous trinquèrent, et finalement la plus jeune de l'équipe décida qu'il était temps pour elle d'aller se coucher. Elle prit congé de tous, s'attardant un peu plus que nécessaire sur la main de l'invité d'honneur.
— Bonne nuit à tous ! Demain, je retourne chez mon amie Christine ; je dois me lever tôt.
— Ah bon ? C'était prévu ?
— Non, mais je viens de recevoir un SMS. Elle a besoin de moi, et c'est ma seule copine dans la région ; je ne peux pas la laisser tomber.
— Tu pars toute la journée ?
— Une bonne partie de celle-ci en tous cas. Je ne sais pas vraiment à quelle heure je rentrerai. Ne m'attendez pas pour le dîner : je trouverai bien quelque chose à grignoter dans le frigo si je n'ai pas soupé.
— Comme tu veux. Alors bonne nuit.
Dès qu'elle eut embrassé son beau-frère et son aînée, serré la patte de Bernard, elle disparut dans sa chambre. Les trois qui restaient étaient en train de finir la bouteille entamée. Les deux hommes avaient pris d'autorité chacun un fauteuil, tandis que la brune sur le sofa devenait la cible de leurs regards appuyés. Elle tremblait de l'impression d'être déshabillée par ces yeux vicieux. Pas de froid ni de peur ; simplement une appréhension due à l'insistance de ces hommes qui ne masquaient guère leur envie d'elle.
Elle reposa d'un geste nerveux sa flûte vide sur la table basse qui la séparait des mâles.
— Je crois que je vais suivre l'exemple de ma sœur ; une bonne nuit de sommeil me sera profitable.
— Oh ! Tu veux déjà nous abandonner ? Tu ne veux pas vraiment nous tenir compagnie un petit moment ? Bernard n'a sûrement pas envie d'aller se coucher de si bonne heure.
— Tu peux lui tenir compagnie. Je suis lasse, et il fera jour demain, non ?
Son mari haussa les épaules. Cette phrase pouvait avoir un double sens pour celui qui la comprenait. Elle se leva, chaloupa un instant entre table et divan, puis après avoir salué l'invité, elle aussi se faufila dans le corridor menant aux chambres. Les deux mecs suivirent les courbes harmonieuses jusqu'à leur totale disparition dans l'obscurité du couloir.
— On se met un film ? Tu voudrais voir quoi ? Un truc sympa ? J'ai toute une série de DVD des Chevaliers du fiel. Ça t'irait ?
— Ce sera parfait. Un peu de rigolade avant de se coucher ne peut pas faire de mal.
— Sans doute… aurais-tu espéré autre chose ? Mais bon, avec un peu de chance, demain, lorsque sa sœur aura quitté la maison… Enfin, je ne veux rien te promettre, mais c'est en bonne voie.
— Tu veux dire que tu as réussi à la persuader de…
— Je pense que c'est plutôt toi qui as fait pencher le plateau de la balance en faveur de nos attentes.
— Moi ? Mais pourquoi ? Je ne comprends pas tout.
— Tu ne vas pas faire comme elle aussi, hein ! Je sais très bien ce qui s'est passé dans la nuit.
— Quoi ? Tu…
— Oui, oui, les murs ont des oreilles, et puis je ne suis pas aveugle. Mais rassure-toi, je ne suis pas d'une jalousie excessive.
— … !
Christophe, satisfait de son petit effet, s'était tu, et sur l'écran les aventures désopilantes d'un duo drôle donnaient l'impression de captiver les deux mâles. Personne n'était dupe, mais au moins les apparences étaient-elles sauves. Les dernières images virent les deux amis se relever et gagner leur chambre. Ils se saluèrent avant d'y entrer. Quelques minutes plus tard, Bernard perçut les sons du couple qui chuchotait. Alors, son oreille collée à nouveau à la faïence, il chercha à percer les mystères de la conversation qui se déroulait de l'autre côté de la cloison.
Visiblement, la femme ne dormait pas. Et bien sûr, l'auditeur attentionné pouvait tout imaginer. Du reste, quelques minutes plus tard les bruissements provenant de la chambre conjugale lui donnaient raison. Ils faisaient l'amour en sourdine. Plusieurs fois, les plaintes s'avérèrent plus violentes avant de se terminer par un silence pesant. Les amants dormaient-ils ? Pas si certain, et Bernard en eut confirmation par une discussion des plus instructives entre les époux.
— Marie, pour demain, tu étais sérieuse ? Tu vas vraiment me donner ce que je veux ?
— Chut ! Ne parle pas si fort. On entend tout dans les autres chambres. Tu ne sais pas ce que tu veux, on dirait. Il faudrait savoir.
— Si, si, c'était juste pour avoir une confirmation. J'aimerais que tu commences par le caresser…
— Stop ! Je veux bien baiser avec vous deux lorsque Marielle sera partie, mais c'est moi qui décide de quelle manière je le ferai. Je ne veux pas recevoir de consignes.
Derrière la mince cloison, Bernard, la bite à la main, écoutait la discussion en se masturbant. Son diable de copain venait de monter sa femme, et il lui préparait donc vraiment un moment de rêve. Alors, pourquoi être plus royaliste que le roi ? Dans le couloir, une lame de plancher avait légèrement craqué. L'homme suspendit son geste libérateur. Une impression, ou bien… quelqu'un se déplaçait dans le passage qui menait à la cuisine ? Il remonta son slip et retourna dans sa couche. Il eut l'impression que la porte de sa chambre s'ouvrait.
Un sentiment étrange le tenaillait. Rêve ou réalité ? Il sentit comme une présence, et sut lorsque le drap se souleva que celle qui arrivait n'avait pas froid aux yeux. Elle lui posa de suite la main sur la bouche et se lovant contre lui et lui murmura délicatement :
— Chut ! Ne faites pas de bruit. Laissez les deux-là se remettre en chantier et occupez-vous de moi. Vous pourrez ainsi constater que je peux avantageusement remplacer ma sœur, au moins pour une heure ou deux.
— Mmm…
— Quoi ? Ah oui, pas facile de parler avec la bouche fermée.
Elle gloussait doucement. Puis, se ravisant, elle se remit assise à droite de Bernard.
— Si nous allions dans ma chambre ? Nous y serions plus à l'aise qu'ici. Ils n'ont pas besoin de nous entendre. Enfin, je doute qu'ils puissent entendre quoi que ce soit : elle couine comme une lapine qui se fait monter par son mâle… Mais vous voulez bien me suivre ?
Pas un mot n'était sorti de la gorge de l'invité qui se bornait à exécuter les désirs de la môme. Il avait bien senti dans le noir qu'elle ne portait rien sur elle. Et sa menotte avait frôlé sa verge tendue dans son caleçon. Donc il ne pouvait pas mentir, ça n'aurait du reste servi à rien, sinon à perdre un bon coup. Et à la remorque de Marielle, il s'était retrouvé dans le plumard de la belle. Avec un certain plaisir, il devait bien se l'avouer. Les grandes manœuvres s'en étaient trouvées grandement facilitées par la jeunette qui avait un tempérament de feu, à l'instar de sa frangine.
Les mains se promenaient en toute quiétude sur le corps de l'homme, l'obscurité facilitant vraisemblablement les contacts. Puis elle avait adjoint ses lèvres aux jeux de moins en moins innocents. Lui avait retrouvé avec bonheur ses patins si bien roulés, et les encourageait avant de les déclencher seul. Et de fil en aiguille, ils n'avaient pas fait qu'enfiler des perles. Elle se montrait bonne amante, un zeste plus fougueuse que Marie-Anne. Sa jeunesse, sans doute, n'avait pas que des désavantages.
Quand elle eut mis à nu la queue raide du bonhomme, ses doigts encerclèrent le jonc. Il soupirait déjà depuis un long moment. Et dans la foulée, en se contorsionnant, elle vint poser ses fesses sur le visage masculin. Parallèlement à cela, elle enfourna la dague tendue au maximum de ses possibilités. Bernard eut la sensation d'être avalé par un volcan. De la langue, il atteignit les chairs qu'elle lui présentait. Alors chacun reçut sa part de ce dessert si délicieusement présenté. La chatte ainsi chatouillée dégoulinait de sécrétions toutes féminines, et l'envie qui montait dans sa verge était de plus en plus difficile à maîtriser.
La pipe était royale. Pourtant il arrivait à faire la différence entre les deux bouches qui l'avaient astiqué à quelques heures d'intervalle. Il dut faire un effort pour la calmer.
— Hé, doucement ! Je ne veux pas venir tout de suite. Donne-moi du plaisir, oui, mais je veux aussi que tu en prennes.
— Oh, pardon ! Mais si tu rebandes après, ce n'est pas un problème…
— C'est parfois un peu plus long à renaître, je suis plus âgé…
— Âgé ne veut pas dire vieux, et ce que je touche là vaut son pesant de plaisir. Ne te retiens pas pour moi : je suis très… en manque. Enfin, tu comprends ?
— … Je crois que oui.
— Apparemment toi aussi, pour être déjà au bord de l'apoplexie. Je me trompe ?
— Non, non, fais donc comme bon te semble, mais il te faudra patienter quelques minutes après si tu veux que je te prenne.
— Nous avons encore bien du temps devant nous avant que le jour se lève, me semble-t-il.
— … !
Il avait repris ses va-et-vient avec sa baveuse collée aux muqueuses de la belle, et c'était à son tour de frémir sous les passages habiles qui lui tiraillaient les tripes. Ses cuisses tremblotaient, et lui et elle ont joui presque simultanément. Bernard se trouva surpris en comprenant que chacun de ses petits jets de semence était avalé par la gourmande ; peu de femmes lui faisaient cet honneur de le boire jusqu'à la lie, et son plaisir en fut décuplé. Quant à Marielle, son corps tout entier se crispait dans un orgasme qu'elle ne refrénait pas. Du reste, ses cuisses serraient comme dans un étau le visage de son lécheur.
L'aube naissante vit deux corps alanguis et recrus de fatigue se désolidariser l'un de l'autre. En catimini, Bernard reprit la direction de sa chambre. Aucun bruit ne perturbait plus le silence de la maisonnée. Ses voisins ne bougeaient pas non plus. Alors, satisfait par ce repos vosgien, il s'endormit sans remords.
Les pas feutrés dans le corridor qui le ramenèrent à la vie devaient être ceux d'une Marie-Anne qui venait de terminer sa grasse matinée. Quant à Marielle, après une douche rapide, elle abandonna le nid à l'issue de ses frasques nocturnes en compagnie de son nouvel amant.
Sous le jet tiède de la salle de bain, l'invité se remettait de ses émois. Enfin il rejoignit le couple qui prenait un petit déjeuner tardif à la cuisine. Il s'associa gentiment aux deux amoureux.
— Bien dormi, Bernard ? C'est plutôt calme ici, n'est-ce pas ?
Le gaillard avait juste souri pour se montrer poli. Les amants avaient-ils flairé sa bonne fortune ? En tout cas, personne ne fit allusion à son escapade nocturne dans la chambre de la benjamine. De toute manière, il n'aurait pas su quoi rétorquer. Il se trouvait un peu mou, mais après ses chevauchées épiques ce devait être normal. Marie-Anne était en nuisette par-dessus laquelle elle portait une robe de chambre assez glamour. Le nez dans son bol de café fumant, son mari ne s'occupait plus de rien d'autre.
— La journée s'annonce belle : on pourrait déjeuner dans la véranda. Il y fait déjà bien bon. Nous avons l'âme paresseuse et une furieuse envie de nous poser pour la journée. Et toi ? Si tu veux la voiture pour aller te promener, n'hésite pas.
— Non, ça ira. Je me sens bien avec vous deux, si vous me voulez bien chez vous…
— Allons, nous n'allons pas vous chasser ! De toute façon, je suis certaine que Christophe a déjà quelques idées pour occuper notre temps…
— Ah ? Tu veux bien m'en toucher deux mots ?
— Il est possible de faire un peu de bronzette : ça évitera de s'habiller trop.
— Si vous tolérez la blancheur de l'aspirine… Je n'ai guère l'occasion de rester au soleil en ville, avec mes voisins.
— Ici, personne ne viendra nous déranger, et ma sœur est partie pour un bon moment. Alors mettez-vous à l'aise. Je vais desservir la table. Allez, ouste ! Hors de mes pattes !
Bernard leva les quinquets avec un air interrogatif vers son ami.
— Tu n'as pas pris de maillot de bain ? Qu'à cela ne tienne, tu peux te mettre en slip, nous sommes entre nous.
— Mais…
— Ne vous inquiétez pas, je suis bien d'accord. Alors faites comme mon mari vous le demande. Saisissez votre chance… pendant que je suis partie prenante.
— Vous êtes certaine que… ça ne dérangera personne ?
— Allons, vous ne voulez pas que je vous fasse un dessin ? Allez, je vais venir vous retrouver dans quelques petites minutes.
— Dans ces conditions…
— Oui. Viens, Bernard. Laisse madame décider de son moment et profitons de ce soleil printanier magnifique.