Rêveries particulières

Marie-Anne et Christophe étaient à nouveau enlacés et tournaient au rythme d'une marche. Elle songea un instant que son mari avait bien prémédité son coup avec son pote. Mais ce qui l'étonnait le plus, c'était que ça marchait. Sa sœur allait encore se fourvoyer dans une histoire de cul sans grand intérêt. Visiblement ce type, ce Bernard, n'était pas emballé vraiment par la jeunesse de Marielle. Il l'embrassait, mais… ses yeux l'avaient suivie elle, toute la soirée. Même quand son mari se permettait quelques privautés sur le parquet. Elle en était certaine : l'autre là avait un faible pour elle.

Pourquoi aussi ce baiser entrevu lui donnait-il ce mauvais goût dans la bouche ? Ce n'était pas la sienne que le type avait investie, et pourtant elle se sentait comme trahie. D'abord par Christophe qui avait ramené le loustic là sans lui demander son avis, et puis aussi un peu parce que… oui, elle était quelque part jalouse de cette embrassade. Comment était-ce possible ? Elle qui répugnait tant à ce genre de considération… Sa sœur avait aussi le droit de s'amuser un peu après ce qu'elle avait subi.

Et puis Bernard était tout aussi honnête que les deux gaillards successifs avec qui Marielle s'était affichée précédemment. De plus, il avait une bonne situation. Alors pourquoi cette impression que ça ne collerait pas encore cette fois ? Et cette pointe de jalousie qui la titillait au fond de sa cervelle ? Qu'est-ce qu'elle avait donc à s'imaginer des trucs qui ne devaient pas exister ?

— Hé, fais attention ! Tu me marches sur les pieds, ma belle !
— Oups ! Pardon, j'étais perdue dans mes pensées… et je ne suivais plus la musique.
— J'ai bien vu. Et on peut savoir à quoi tu rêvassais ?
— Des histoires de bonne femme. Ne t'inquiète pas, viens, allons nous poser quelques minutes. J'ai soif.
— Bien ! Comme cela, mon pied aura le temps de se remettre… tu n'es pas vraiment lourde, mais bon, un pareil poids tout à coup sur les orteils, c'est surprenant.

Elle sourit de cette boutade : il gardait son humour en toutes circonstances.

Les deux autres tourtereaux s'étaient éclipsés. Elle scruta la piste à la recherche de cette sœur qui lui donnait bien des soucis. Elle était bien sur le parquet, entraînée par son cavalier dans une marche effrénée. Les rampes de lumière accrochaient les couples qui passaient sous elles, et quand ils furent dans les faisceaux de l'une d'entre elles, elle remarqua qu'ils se serraient plus que la normale. Marielle finirait-elle dans le lit de Bernard ? Cette idée lui parut insupportable.

La lumière posée sur sa sœur lui montra par transparence le soutien-gorge que la danseuse portait et, ses yeux glissant plus bas sur le corps féminin, force lui fut de constater que son mari avait fait un émule : les doigts de leur invité avaient soulevé l'ourlet de la jupe de Marielle. Ils étaient perdus – pas pour tout le monde – dans la dentelle de sa culotte. Cette vision mit en rage la jolie Marie-Anne sans trop qu'elle sache pourquoi. Elle aurait dû pourtant se réjouir de cette situation.

— Ton ami ne va toute de même pas violer ma sœur sur la piste de danse !
— Qu'est-ce que tu racontes ? Ils flirtent un peu tous les deux… ça ne peut que faire du bien à ta frangine. Et puis… je l'ai un peu invité avec le secret espoir que ce genre de truc arrive.
— Enfin, un peu de tenue serait…
— Tiens donc ? Quand j'ai fait la même chose sur toi, tu n'as rien trouvé d'anormal. Rien dit non plus, il me semble.
— Ce n'est pas pareil ! Nous sommes mariés.
— Ah, ben, c'est nouveau ça ? Seuls les gens mariés peuvent se toucher un peu ? Comme tu y vas, ma belle ! Laisse donc faire Marielle, elle est grande et vaccinée. Si Bernard va trop loin, elle saura bien le calmer… et ne parles plus de viol ou de je ne sais quoi. C'est seulement un flirt librement consenti. Nous retournons danser un peu ?
— Oui, mais nous allons bientôt rentrer.
— D'accord, dans une petite demi-heure ? Le temps que le verre d'alcool ingurgité se soit dissipé. Mon permis… j'y tiens.

Sur le plancher, Marie-Anne l'avait laissé la serrer contre lui. Elle avait son corps pour se caler alors que tournaient dans sa tête ces images d'un couple trop proche. Mon Dieu, mais pourquoi cette situation lui paraissait donc aussi invivable ? Elle n'était pas maîtresse des amours de sa petite sœur, mais bizarrement son cerveau ne l'entendait pas de cette oreille. Elle tenta d'analyser la situation. Rien à faire, elle revenait toujours au raisonnement précédent. Et ce diable de mec semait la zizanie dans sa caboche autant que dans sa vie. Pourquoi Christophe avait-il jugé bon de l'inviter ?


Pour le retour, Marie-Anne avait tenu à s'installer sur le siège arrière, au grand désappointement de Marielle. Elle n'avait rien dit, mais se demandait bien quelle mouche avait piqué son aînée. Elle aurait bien voulu profiter encore un peu de ce danseur agréable, se pelotonner contre lui. Visiblement, Marie en avait décidé autrement. Marielle s'était tue et ils étaient rentrés gentiment. Le chauffeur et son passager avant discutaient tranquillement de la soirée. Les deux femmes firent le voyage sans dire un mot, se bornant à écouter les propos de l'un ou de l'autre.

À la maison, Bernard prit congé de tous et s'éclipsa vers sa chambre. Le couple traîna quelques minutes en compagnie de Marielle, puis tous s'évanouirent dans leur chambre respective. La salle d'eau reçut la visite de Marie-Anne puis de son mari. Une fois dans le grand lit, il voulut recommencer les grandes manœuvres nocturnes. Son épouse se refusa à collaborer et ils s'endormirent sans faire l'amour. Dans la pièce d'à côté, Bernard chercha longuement un sommeil qui se cachait bien. Curieusement, ses pensées n'allaient pas vers la jeune femme, mais bien vers celle qui dormait contre son ami. Un comble, après avoir flirté toute la soirée avec la frangine, de penser à la femme du voisin !

Dans sa caboche, il soupesait mentalement les seins de l'une, les comparants à ceux de l'autre, et l'avantage tournait toujours en faveur de… Marie-Anne. Il retraça ainsi pratiquement chaque partie des deux corps : la lutte était inégale. En fin de compte, la victoire était largement acquise par la jolie quadra brune, hélas mariée. Il s'aperçut soudain que ces estimations idiotes l'avaient amené à une érection conséquente.

Il tenta bien d'oublier cette facétie éphémère, mais la Nature se rappelait bien à lui. Puis la soif aussi le rattrapa alors qu'il se tournait, se retournait dans un grand lit trop vide. La solution était de se rendre à la cuisine pour y prendre un verre d'eau. Il se leva donc pour aller se désaltérer. Il venait d'ouvrir la porte et de s'enfoncer dans le couloir quand il eut l'impression très nette qu'une autre porte venait de s'entrouvrir. Comme il dormait nu, pas question de se montrer dans le plus simple appareil à quiconque. Il s'éclipsa sans bruit, s'enfonçant dans le petit salon télé.

De sa cachette, il entrevit la femme de Christophe qui, en tenue légère, venait elle aussi fouiller les placards. Il n'osait plus faire un geste, plus respirer presque, de peur de dévoiler sa présence. Dans un tiroir, il la vit se saisir d'un tube de comprimés. Sans doute avait-elle mal au crâne ou ne pouvait-elle pas dormir non plus ? En tout cas, ce qu'il découvrait des yeux sous la fine étoffe venait de faire remonter en flèche un thermomètre extrêmement sensible ou dérangé en ce moment. Elle tira de l'eau d'une bouteille, puis s'assit sur un siège.

De sa place, il pouvait tout à loisir reluquer deux longues quilles terminées par deux jolis pieds. Et elle se posa de côté sur l'assise, croisant soudain les jambes. Dans ce mouvement ample fait sans fausse pudeur, sûre d'être seule, elle laissa le champ libre à la vision érotique de cette soudure qui se formait entre le bas et le haut de son corps. Un instant, Bernard vit comme par magie cette forêt sombre d'un pubis velu. Son sexe, lui, avait gonflé au maximum. La femme posa une main sur le bord de la table et releva d'un coup un talon pour le mettre en appui sur le coussin sur lequel reposaient ses fesses.

Le compas s'ouvrit d'un coup sur une image hallucinante : sa chatte ombrée totalement dans la ligne de mire des yeux du voyeur piégé dans le salon. Indécente, la femme se mit en devoir de frotter ses orteils. Bernard était là, tétanisé par la vue de cette faille présentée à sa vision d'une manière spontanée, naturelle. Elle était si certaine d'être seule ! Comment aurait-elle pu deviner du reste qu'il en voyait suffisamment pour rêver ?

L'homme avait totalement stoppé sa respiration et commençait à manquer d'air. Surtout, ne pas trahir sa présence ! Comment expliquer pourquoi il se trouvait là, au beau milieu de la nuit, alors que la maîtresse de maison était au centre de sa cuisine quasiment à poil ? Les ennuis risquaient fort d'arriver si jamais elle le découvrait dans la même tenue qu'elle ! Sans compter ce qu'il pourrait bien dire à son collègue qui l'avait si gentiment invité. Merde ! La vie lui jouait un tour dont elle avait le secret.

De plus, la vision de ce pubis finement orné d'un long ticket de métro, découvert par le compas qui restait ouvert, voilà qui compliquait encore plus la chose. Il s'était mis instinctivement à rebander devant ce fabuleux spectacle, et la brune, sans se douter de rien, ne cherchait absolument pas à refermer ses cuisses. Le supplice pouvait durer encore un moment si elle ne voilait pas son entrejambe. Puis, mue comme par un sixième sens tout féminin, elle leva les yeux vers le salon.

Un instant Bernard se sentit rougir comme jamais auparavant ça ne lui était arrivé. L'avait-elle découvert ? Avait-elle pressenti sa présence ? Elle se remit debout, mais lui était comme un con dans la pièce où elle arrivait tout droit. Il se coula derrière le canapé et se fit tout petit ; il lui restait une chance que sa venue ne soit due qu'au hasard. La suite lui donna raison. Elle alluma la télé ou la platine et s'installa sur le fauteuil proche du canapé.

Le type complètement couché derrière le sofa n'avait pour tout champ de vision qu'une petite partie du fauteuil où elle s'incrustait. Il la vit remonter ses talons sous ses fesses, et bien entendu le tableau devint encore pire que sur la chaise de la cuisine. Elle avait le sexe entièrement dévoilé, et comme elle se trouvait plus proche… c'était un vrai supplice. Il ne respirait plus. À ce rythme-là, sans doute ne tiendrait-il pas très longtemps.

Alors, comme pour porter à son paroxysme son pire tourment, en écoutant la musique distillée par il ne savait quel instrument, Marie-Anne venait de faire glisser sa main sur cette entaille si… envoûtante. Lentement, très doucement, les doigts se mouvaient sur les lèvres qui s'entrebâillaient alors qu'elle soupirait. Collé contre l'arrière du dossier, dans une position invraisemblable, l'homme n'en pouvait plus de bander. Et le petit manège de Marie-Anne qui persistait à se caresser devenait torture.

Aux premières loges pour la voir titiller cet endroit dont il rêvait depuis quelques jours, un autre bruit insolite le crucifia sur place. Dans la pénombre de la cuisine, une autre ombre venait de se faufiler. Christophe, son collègue, arrivait lui aussi : les gémissements de plaisir de son épouse lui avaient fait dresser l'oreille. Sans tergiverser, il entra dans la pièce où sa brune se tripotait. Elle n'en stoppa pas pour autant ses attouchements ! Elle eut seulement un sursaut à son approche.
Ils se mirent à chuchoter.

— Eh bien ! Tu n'étais pas bien au lit, près de moi ?
— Si… mais je n'ai pas voulu te réveiller… tu dormais si bien !
— Pour ça, tu pouvais sans crainte me tirer de mon sommeil.

De son inconfortable place, Bernard ne voyait qu'une toute petite partie de son ami. Et celle-ci masquait désormais les mouvements de sa belle. Continuait-elle à se toucher ? Toujours est-il qu'il se sentit soudain presque frustré de ne pas en voir davantage.

— Tu veux que nous retournions nous coucher pour continuer ton petit jeu, ma belle ?
— Tu en as envie aussi ?
— Tu sais bien que je ne sais pas résister à l'envie de te voir, te… et puis, on peut faire cela à deux, non ?
— Bon… de toute façon, j'ai trop envie, et puis finalement à deux, c'est trop bon. Allons-y !

Pourquoi Bernard se prit-il à maudire son ami ? Le spectacle d'un duo sur fauteuil ou canapé aurait sans doute pu devenir… intéressant. Mais Marie-Anne avait déjà coupé la musique et s'était remise debout. Il les vit une fraction de seconde alors qu'elle se tournait vers son mari et qu'ils se roulaient un patin. L'érection n'avait pas quitté le voyeur involontaire. Alors que ces deux-là quittaient le salon, Michel avait la main sur le derrière de son épouse.

Il attendit un long moment, tentant d'analyser la situation. Cette fois, le couple de ses amis allait faire l'amour loin de sa vue ; puis il songea que loin des yeux ne voulait pas dire loin des oreilles. Sans faire de bruit, il reprit lui aussi le chemin de sa chambre et se faufila dans la salle de bain. Les murmures et petits rires étouffés montaient de derrière la cloison. Bon Dieu, que n'aurait-il pas donné pour un instant dans les bras de cette femme… Il en avait oublié sa soif !

Aucune équivoque sur ce qui se tramait de l'autre côté de la paroi. La femme avait beau retenir la plupart de ses cris, certains d'entre eux revenaient pour alimenter les images dans le crâne du type qui avait l'esgourde collée au mur peu épais. Christophe devait la labourer ; il devait se faire plaisir, et elle n'en demandait pas plus. Mais l'auditeur invisible en avait mal aux bourses de suivre leurs ébats. Bernard dut faire un effort pour retourner se coucher alors que le combat dans l'autre chambre devait faire rage.


Le soleil inondait le corridor. Un frottement de pieds sur le parquet fit revenir à lui l'invité. Une douche hâtive avant de retrouver les trois autres qui prenaient ensemble leur petit déjeuner.

— Alors, paresseux ! Bien dormi ?
— Bonjour à tous. Oui ! La maison est d'un calme… ça me change de mon appartement en ville.
— Nous allons marcher un peu en forêt ; tu es des nôtres ?
— Oui, je veux bien ; c'est chouette, vos petites montagnes. C'est ici que vous avez passé votre enfance, d'après ce que m'a dit Christophe ?
— Elle y est même née, tout comme moi du reste.

Marielle venait de s'adresser à lui d'un ton enjoué. Si sa sœur avait de larges cernes sous les yeux aussi visibles qu'un nez au milieu d'un visage, elle était d'une fraîcheur exemplaire. Un instant, Bernard les jaugea. Il s'ingéniait à les comparer. La cadette avait la beauté de sa jeunesse ; mais, l'esprit en alerte, il revit la chatte découverte et la main qui folâtrait sur celle-ci. Il songea un moment que finalement la beauté des deux sœurs n'était en rien comparable et que l'aînée méritait le détour. Puis il se dit aussi que faute de grives, manger des merles ne serait pas mal non plus.

La jeune avait déjà passé un pull qui lui moulait la poitrine et un pantalon serré qui rehaussait la minceur de sa taille. Oui, elle était superbe ! Mais rien à faire, sa préférence allait bien à celle plus lourde, plus mûre. Marie-Anne portait un chemisier dont l'étoffe restait tendue sous les boutons. Dans l'interstice entre deux attaches, Bernard devinait la présence d'un balconnet dont la couleur blanche se voyait aisément. Elle respirait calmement sous les yeux amusés de son mari qui se contentait de mastiquer sa tartine beurrée.

Il comptait les points, heureux de cette belle journée qui débutait. Le soleil était chaud dans la véranda, et la tablée plutôt joyeuse. L'envie de se rendre sur les chaumes… voir si les brimbelliersBrimbellier ou myrtillier : mot employé surtout dans les Vosges pour désigner de petites plantes forestières sur lesquelles poussent de savoureuses baies violettes dont on fait de remarquables desserts et confitures. En particulier des tartes qui laissent les dents et la langue d'un violet sombre... n'avaient pas trop souffert de l'hiver, si leurs fruits n'avaient pas subi le gel des jours passés… tout contribuait à mettre en joie la belle Marie-Anne. Sa sœur aussi prenait déjà du plaisir à la seule idée de retrouver les sentiers de ses jeunes années, pourtant pas si lointaines.

Alors qu'il s'habillait pour la circonstance, Marielle fit irruption dans l'encadrement de la porte de la chambre de Bernard. Elle affichait un grand sourire.

— Nos Vosges vous plaisent, Bernard ? Sous le soleil, elles sont… magiques !
— Oui. Je crois que j'en tombe aussi amoureux…

Marie-Anne eut comme un sourire. Un de ceux qui ne donnent jamais l'impression de savoir s'ils sont ironiques ou de contentement. Alors, après un déjeuner des plus sympathiques, ils prirent les petits sentiers qui longeaient tout d'abord le ruisseau. D'autres belles Farios mouchetées déguerpirent, promptes à se camoufler à la vue des promeneurs indésirables. Les deux hommes étaient à quelques pas derrière les femmes ; et les déhanchements dès les premiers raidillons avaient des airs de danse.

Les deux sœurs promenaient leurs fesses enveloppées dans des pantalons plutôt serrés, et ces culs bien dessinés attiraient l'œil comme un aimant. Christophe suivait lui aussi des quinquets ces joues cachées qui se démenaient à portée de main. Il ne lui serait pas venu à l'idée d'y mettre la main, pourtant, mais il savait que son collègue jaugeait tout comme lui ces popotins d'enfer qui les narguaient. Bernard eut même la sensation que son ami lui faisait un clin d'œil, alors que penchée en avant, Marielle s'attaquait aux endroits les plus raides.

Sa sœur ne parlait plus. Elles se donnaient parfois la main, histoire de sauter un fossé, ou alors quand les souffles devenaient plus courts. Quand enfin ils débouchèrent sur une sorte de vaste plateau à la végétation moins haute, des arbustes où bourgeonnaient déjà les myrtilles s'étendaient à perte de vue.

— Regarde, Bernard ! Tu vois, ici dès les premiers jours de juin, les brimbelliers seront tous violets, et si le temps le permet, ceux-là, dès ce mois printanier, seront tous chargés de baies si douces en bouche.
— Alors c'est ici que vous venez, Marie-Anne, pour cueillir ces délicieuses baies qui font une si bonne confiture ?
— Oui… mais j'y viens aussi, vous savez, et la confiture du petit déjeuner, c'est de ma production.

La plus jeune avait jeté cela comme si elle ressentait le besoin de se justifier. Son beau-frère haussa les épaules en souriant à l'intention de son ami.

— Alors merci à vous deux ; c'est royal ! Ces myrtilles sont…
— Et toutes cueillies à la main : la rifletteLa cueillette des myrtilles est réglementée en France ainsi que l'utilisation du peigne (rifle ou riflette) qui est interdite en Haute-Saône. est interdite dans les Vosges. Les gardes veillent.

Les deux femmes venaient de s'asseoir dans une sorte de rond de mousse et les mecs, eux, discutaient à trois pas de là. Quand il se tourna vers elles, Bernard vit que Marielle venait de retirer son chandail. Sous celui-ci, seul un sous-pull cachait sa poitrine. Et visiblement, elle n'avait pas jugé nécessaire de porter un soutien-gorge. Sous le tissu fin, les deux rondeurs apparaissaient en filigrane avec de jolies pointes bien marquées. Ces deux seins plantés haut sur son torse hypnotisèrent presque immédiatement l'invité.

Du reste, Christophe aussi laissait ses yeux flirter avec les deux globes qui rendaient la dame plus nue que si elle l'avait été réellement. Mais personne ne dit rien. Et le mari s'approcha de son épouse, s'asseyant près d'elle, sans pour autant quitter du regard les envoûtantes sphères rondes de sa belle-sœur. Sa main effleura celle de Marie-Anne qui posa délicatement un bisou sur la joue de son homme. Ce geste tendre n'avait pas échappé à la cadette ni à leur compagnon de promenade. C'était si tranquillement amené que Marielle se releva.

— Venez, Bernard ! Je vais vous montrer le plus beau point de vue de la région. Laissons roucouler ces deux-là qui sont encore en chaleur…
— File, sale gosse ! Tu es jalouse de nous, hein ? Petite peste !

La benjamine éclata de rire tout en tirant par le bras le collègue de son beau-frère. Ils s'engagèrent vers la partie la plus éloignée de cette étrange clairière.

— Vous voyez, ici les chaumes s'arrêtent et commence la descente vers la vallée et son lac que nous allons apercevoir dès que nous serons au bord de la forêt.

La main qui tirait l'homme avait une incroyable chaleur.

— Vous connaissez bien la région !
— Ben, je marchais à peine que nos parents nous amenaient déjà ici. C'était comme un pèlerinage, chaque année au printemps.
— Un peu comme aujourd'hui, alors ?
— J'étais toute petite, la première fois.
— Mais vous n'êtes pas encore bien grande… presque une enfant.
— Merci de vouloir me faire plaisir, mais les années passent pour tout le monde.
— Bien sûr, mais entendez par là que vous avez la vie devant vous… et sans doute qu'un beau jeune homme vous attend, là, au fond de cette vallée. On dirait une carte postale ; c'est chouette !

Marielle avait lâché sa main, et elle aussi avait le visage tourné vers la petite tache bleue nichée au fond de l'écrin attendant une nouvelle verdure. Le couple ne marchait plus ; Marie-Anne et Christophe se serraient l'un contre l'autre en observant les deux autres.

— Tu crois que notre Marielle va… ?
— Pas si sûre que ce soit bien elle qui intéresse ton ami, Christophe.
— Comment ça… pas elle ? Regarde-les ! Ils forment un beau duo.
— Il y a loin de la coupe aux lèvres… Je te dis, moi, que ce type-là ne cherche rien avec ma sœur.
— Ah bon ? Et tu déduis cela de quelle source ?
— Mais, bon sang, ouvre les yeux ! Il n'arrête pas de me reluquer ; de me renifler, même… comme un chien de chasse.
— … ? Tu n'exagères pas un peu, tout de même ?
— Tu veux que je te le prouve ? Rien de plus simple : il suffirait que j'entre dans son jeu.
— … ! Ma femme est devenue folle, folle… folle.

Christophe chantonnait ces mots. Et cela eut le don d'énerver quelque peu la belle Marie-Anne.

— Bon, eh bien tant pis pour toi. Tu l'auras voulu !
— Qu'est-ce que tu baragouines dans ton coin ? Je ne comprends pas…
— Chante, beau merle, chante ; demain tu pleureras.

La femme s'était détachée de son mari et avançait vers un autre sentier qui partait vers le fond de la vallée d'une manière assez abrupte. Si Marielle et Bernard n'avaient pas saisi les propos de ces deux-là, ils avaient pourtant perçu que le ton devenait moins amical. Les intonations de la voix de la brune avaient changé. Ils avaient tous les deux tourné la tête vers ces éclats de voix et vu Marie-Anne filer vers la sente minuscule. Ils revinrent vers Christophe.

Ce dernier s'engageait déjà sur les traces de son épouse. Un groupe de trois se forma alors qu'avec quelques dizaines de mètres d'avance, tous pouvaient suivre les déhanchements de l'ouvreuse. Dans cette descente, elle se retenait aux arbustes, aux genêts, et sa croupe ondulait à chacun de ses pas. Elle montrait ses capacités de descendeuse, et les yeux mâles qui suivaient ses courbes se remplissaient d'images plutôt… lubriques.

Christophe, à la dérobée, chouffait son collègue. C'était pourtant vrai qu'il ne se gênait pas pour laisser traîner ses quinquets sur les fesses de sa femme. Il hésita un instant, allant presque jusqu'à ouvrir la bouche pour lui demander s'il avait bien une préférence pour Marie-Anne. Il renonça, de peur du ridicule de la situation. Puis sa belle ne lui avait-elle pas dit qu'il verrait bien ? Alors il se prit au jeu. Voir et laisser faire, attendre. Après tout, cette idée l'émoustillait plus qu'il ne l'aurait cru.

Il se demanda aussi comment son copain pouvait être assez idiot pour préférer une femme mariée à cette jeune plante qui s'agrippait à tout ce qu'elle trouvait aux abords du sentier. Ce raidillon débouchait sur une portion plus douce. Marie-Anne avait stoppé sa descente en solitaire et attendait le groupe. Sa sœur la rejoignit la première. Elles repartirent ensemble à quelques pas devant les mecs.

— Qu'est-ce qui t'a pris de nous larguer comme ça ? Tu t'es engueulée avec Chris ?
— Mais non ! Qu'est-ce que tu vas imaginer ? Et toi, ce Bernard te drague ouvertement, non ?

Surprise à nouveau par l'animosité de la voix de sa grande sœur, Marielle se prit à sourire. Ce qui ne fut pas du goût de son aînée.

— Ça te fait rigoler ce que je te dis ?
— Ben… franchement oui ! Tu te comportes comme une femme… jalouse ! Tu en pinces pour ce type, vraiment ? Alors je peux me taper ton mari ?
— … ? Tu… quoi ? Ça ne va pas la tête ?
— Oh lalala ! Susceptible, avec ça… Calme toi, tu veux ! On ne peut plus plaisanter ?
— Pas de tout. Il y a des sujets qui fâchent.
— Oui… mais je vois bien – et je ne dois pas être la seule – que tu as un faible pour ce type. Alors, tape-le-toi et ne nous enquiquine plus.

Marie-Anne avait la mine renfrognée, et si elle marchait de concert avec la plus jeune, elle se taisait maintenant. Le reste de la balade se fit dans une ambiance un peu bizarre. Christophe et Bernard admiraient les paysages tandis que les deux nanas avançaient en silence. Le ruisseau qui traversait la propriété était de nouveau là ; et le petit pont de bois pour le franchir à peine dépassé, la maison devenait visible. Un petit point sombre dans un océan de verdure en gestation, avec en bruit de fond le murmure du torrent.