Terre des hommes
Charline8807/02/2020Étreintes nocturnes
La marche avait ouvert l'appétit des promeneurs. Les deux femmes avaient préparé un repas froid. Autour de la table, les convives ne trouvaient pas les mots pour dérider une situation plutôt confuse. Christophe resservit du vin rouge aux autres, et au bout d'un long moment les choses semblèrent s'améliorer enfin. L'alcool aidant, ils finirent par oublier l'incident. Le contenu de la cruche avalé, Marie-Anne se leva pour se rendre à la cave afin de tirer du vin au tonneau.
— On continue avec du rouge ?
— Ben… oui, je crois. Ça te convient aussi, Bernard ?
— Oui, oui, bien sûr !
— Tu as déjà vu notre cave ? Voûtée comme seuls les anciens savaient les faire. Toute l'année il y fait toujours neuf degrés, quels que soient le temps et la chaleur extérieure…
— Vous pouvez aller avec Marie-Anne pour voir ce petit bijou que notre maison renferme.
S'il fut surpris par la proposition de sa belle-sœur, Christophe n'en montra rien. Seule la brune avait sursauté. Elle ne s'attendait pas à cela, et quand elle vit que Bernard avait pris au sérieux cette boutade, elle se crispa davantage. Si ses yeux avaient été des couperets, sa sœur aurait été hachée menue sur place. L'invité s'était déjà levé ; la maîtresse des lieux n'avait donc plus le choix. Elle ouvrit la porte d'accès à la cave et descendit la première.
Il fallait baisser un peu la tête pour ne pas se cogner le front dans l'étroit escalier, mais au fond c'était immense. Tout le dessous de la maison n'était qu'une sorte de vaste grotte fraîche. Pas un poil d'humidité non plus sur les longs murs de granit. La brune se redressa et avança, longeant une longue file de casiers accrochés aux pierres des murs. Des bouteilles partout, des bocaux de conserves aussi, et des verrines de confiture. De quoi tenir un siège, songea l'homme !
Ils avancèrent ainsi jusqu'au fond de la cave, et de là vers deux énormes tonneaux d'où elle tira un vin couleur rubis, le même que celui qu'ils venaient de consommer. Elle ne le regardait pas tandis que lui, à un pas d'elle, admirait la cambrure de son dos alors que penchée sur le fût de pinard elle remplissait son récipient. Il aurait volontiers avancé la main à la rencontre de ce pétard ensorceleur, mais le risque était grand de prendre une gifle. Et puis ça ne se fait pas d'ennuyer la femme d'un ami. Seul le bruit du réceptacle se remplissant coupait le lourd silence de l'endroit.
Quand d'une main ferme elle ferma le robinet et se retourna, il était si proche d'elle que Marie-Anne pouvait sentir son souffle sur son visage. Elle voulut s'écarter mais ne réussit qu'à se retrouver encore plus voisine du mec. Lui, instinctivement, venait de faire une sorte de mouvement, et sa bouche frôla celle de la brune. Alors, comme si c'était naturel et dans l'ordre des choses, elle ferma les yeux et attendit. Elle espérait un baiser qui ne vint pas !
Quand ses paupières se soulevèrent à nouveau, il remontait déjà les premières marches d'accès à la cuisine. Marie-Anne s'en trouva presque vexée. Cet idiot qui lui laissait penser qu'elle lui plaisait et qui déguerpissait au premier élan vers lui… Un lâche qui ne savait pas ce qu'il voulait ? Ou bien avait-il l'intention de se faire désirer plus encore ? À moins que ce ne soit Christophe qui ait raison dans cette histoire, et que seule Marielle avait une chance ? Difficile à dire, mais elle se sentit bête, conne au possible.
Elle aussi refit le chemin en sens inverse. Son mari et sa sœur venaient d'être rejoints par Bernard. Elle crut déceler dans les yeux de Christophe une interrogation. Avait-il pu un instant penser que la cave était propice à un rapprochement entre elle et son collègue ? Sa mimique en disait long sur ses pensées. Quant à Marielle, elle ne faisait aucun cas de cette promiscuité entre Marie et ce Bernard, provoquée par elle pour embêter son beau-frère. Finalement, les doutes s'installaient dans la caboche de la porteuse de vin. Pourquoi son mari la poussait-il implicitement dans les bras de ce type ? Mais le pire, c'était bien qu'elle avait failli succomber dans la cave à ce désir obscur d'être embrassée par… Bernard. La cadette reprit la parole :
— Alors, comment avez-vous trouvé notre cave ? Vous ne pouviez pas visiter les Vosges sans voir cette merveille.
La gouaille du ton employé fit sourire tout le monde. Mais elle était lancée et son humour caustique décapait l'embarras qui aurait pu s'installer. Finalement, elle déridait une situation qui s'enlisait.
— Bon, ce soir je ne serai pas des vôtres : je vais voir mon amie Christine au village ; elle a trouvé un nouvel ami et tient à me le présenter. Vous aurez le champ libre.
— Le champ libre ? Pour quoi faire ?
Christophe venait de se lâcher et s'était mis à parler instinctivement, pensant à voix haute. La réponse fut cinglante.
— Mais… pour faire des cochonneries à trois si vous en avez envie.
Et Marielle éclata de rire. Tous autour de la table avaient arrêté leur geste, fourchette levée, bouche béante. Marie-Anne était devenue non pas rouge, mais plutôt livide. C'était comme si les mots de la benjamine du groupe l'avaient atteinte de plein fouet. Puis son mari prit le parti de rire de la boutade ou supposée telle. Alors son ami se dérida d'un coup, et ce fut comme si l'incident glissait en eux. Mais dans l'esprit de la brune, quelque chose venait de s'allumer. Comme une sorte de feu qui la dévorait.
Et si c'était cela la solution ? Si elle et son homme débauchaient l'invité ? Si Marielle avait raison ? Et cette incroyable idée tournait dans sa caboche alors qu'elle mastiquait sa nourriture. Les deux mâles, eux, buvaient le vin du pichet avec délectation. Seule la plus jeune semblait totalement détendue. Sa sœur aurait donné cher pour savoir ce qu'elle avait dans la tête ; cette histoire d'amie, de Christine… une excuse pour filer ?
Et aussi bizarre que cela pouvait paraître, le désir de sexe était remonté dans les reins de la jolie quadra. Elle sentait son ventre s'embraser et ne pouvait rien faire pour empêcher cela. Marielle avait donc bien vu juste : elle était quelque part jalouse d'elle. Mais pourquoi ? Pour qui ? Pour ce type qu'elle avait deviné en chaleur lui aussi ? Elle n'arrivait plus à mettre de l'ordre dans ses pensées. Elle sentit d'un coup que Christophe lui secouait le bras.
— Eh bien ? Tu es où ? Hello ! Nous sommes là, reviens parmi nous, ma belle.
— … Hein ? Qu'est-ce que tu dis, Christophe ?
— Tu rêves ou quoi ? Ça fait deux minutes que je te demande ce que tu veux faire ce soir, et tu as l'air complètement à l'Ouest. Dans les nuages !
— Ah oui ! Ce soir, disais-tu ? Je… je n'en sais rien. Je suis un peu crevée, alors peut-être irai-je me coucher de bonne heure. Surtout si Marielle sort.
— Tu n'as donc pas envie de passer un moment avec nous au coin du feu, près de la cheminée ?
— Ben… franchement, je n'en sais fichtrement rien. Je… je me sens toute drôle.
— Comme tu veux. Je n'ai pas envie de me coucher comme les poules. Viens, Bernard, je vais faire du feu au salon et nous prendrons le digestif au chaud. Ma foi, tu fais comme tu veux, Marie ; tu es la bienvenue aussi près de nous. Quant à toi, ma chère belle-sœur, je te souhaite donc de passer une très bonne soirée.
Il s'était levé de table, suivi en cela par son ami. Et d'un pas de côté, il avait dans un premier temps donné une bise à Marielle. Les deux femmes avaient desservi la table, mais il y avait comme un malaise en elles.
— Alors comme ça tu sors ?
— Pourquoi me demandes-tu ça ? Ça t'étonne que je puisse avoir envie de m'évader un peu ?
— Non, pas du tout, mais nous nous voyons si peu…
— Écoute, Marie-Anne, j'ai bien senti que tu avais un petit faible pour l'invité de Christophe. Il n'a pas l'air d'être très sensible à mes avances. Ou alors seulement parce que tu n'es pas intéressée par les siennes. Je ne veux pas être la roue de secours, tu saisis ?
— Pas un traître mot.
— Ne te fais pas plus bête que tu ne l'es en réalité. Et puis ton mari semble lui aussi très amusé par la tournure prise par les évènements. Je ne sais pas pourquoi il a fait venir ici son pote, mais à mon avis, il avait – il a – une idée derrière la tête. Me le coller dans les pattes, son copain ? Peut-être. Mais à coup sûr, il joue un jeu dangereux.
— Tu racontes n'importe quoi ! Tu deviens folle !
— Tu crois cela ? Eh bien réfléchis un peu. Sois honnête avec toi-même : tu te comportes comme une femme jalouse dès que l'autre m'approche.
— L'autre ? Mais il porte un prénom, il me semble… Bernard.
— Tu vois, cette réaction est typique des gens jaloux. Alors, baise avec lui et vois où ça te mène, mais arrête de te prendre la tête. Du reste, je suis certaine que ton mari a très bien vu ton petit manège et il en joue, s'en amuse. Il est sans doute prêt à vivre cette histoire avec bienveillance.
— Comment ça ? Explique-toi ! Je ne pige pas tout dans tes propos.
— Rassure-toi, ma grande sœur. Je sais, je sens que ce soir vous allez avoir une belle et grande soirée. Comme tu es ma frangine, je ne veux pas participer à ces genres de petits jeux. Pas avec toi, je veux dire, pas en famille. Alors je vous laisse la place. Profite donc bien des envies de ces messieurs, et vis ces plaisirs que tu refoules de plus en plus maladroitement. Moi, je passerai la nuit chez Christine et reviendrai demain. Tu me raconteras ?
— Vraiment, tu es folle ! Tu es impossible ! Comment peux-tu imaginer une seule minute que…
— Chut ! Écoute ton ventre, écoute ton cœur, et même si ce n'est qu'une seule fois, bon sang, vis une soirée extraordinaire pour une fois, la vie est si courte !
Marielle avait passé une veste, s'était rendue au salon, et après avoir salué les deux hommes elle avait filé vers ailleurs. Les deux garçons, assis chacun dans un large fauteuil, appréciaient la chaleur de l'âtre. Les flammes rougeoyaient dans l'insert, et Marie-Anne, au bout d'un long moment, était venue s'asseoir sur le canapé. Le film, débuté depuis longtemps, ne la captivait pas vraiment. Sur la table basse du salon, la bouteille de cognac avait vu son niveau prendre une sérieuse claque.
Dans la pénombre, avec la seule lueur des flammes dansantes et la luminosité du poste de télévision, la brune s'allongea finalement sur l'assise hospitalière du divan. Sa tête dirigée vers les images fluctuantes du film, elle offrait un spectacle autrement plus intéressant que celui des personnages du navet qui défilaient sur l'écran. Une fois de plus, les yeux de Bernard survolaient la forme étirée qui ne bougeait pas, confortablement installée sur le cuir fauve. Le mari de la belle, quant à lui, avait les quinquets de plus en plus lourds. De temps à autre, sa respiration se faisait plus rauque, et il donnait l'impression de s'assoupir. Du reste, au bout de quelques minutes, une sorte de ronflement remplit la pièce. Puis au cours d'une scène un peu plus bruyante à la télé, il sursauta.
— Bon, je crois que j'ai mon compte. Cette fois, je serai mieux dans mon lit. Je crois que j'ai ronflé, non ? Alors je vous laisse profiter du film sans vous déranger plus longuement. À toute à l'heure, ma chérie. Salut, Bernard, et bonne nuit.
Personne n'avait bronché. Si Marie-Anne avait accusé le coup, elle n'avait cependant pas bougé. Christophe lui avait embrassé les lèvres avant de s'éclipser vers la chambre. Son ami, lui non plus, n'avait pas moufté, mais ça lui faisait tout bizarre de se retrouver seul dans ce salon avec la femme de son hôte. Il fit alors mine de replonger dans l'intrigue idiote distillée par la télévision. Sur sa couche de fortune, la femme avait simplement replié un genou contre le dossier du sofa, et dans ce geste – volontaire ou pas – le tissu de sa robe avait suivi le mouvement.
Dans la lumière pâle, un bout de cuisse semblait vouloir arracher les yeux de l'invité. Ce qu'il entrevoyait là était du coup bien plus intéressant que le film. Avait-elle sciemment mis en évidence ce haut de cuisse juste pour l'appâter ? Du coup, sous le crâne du gaillard, mille idées bouillonnaient. Mais à oser un geste, ne risquait-il pas de briser le charme soudain de cette soirée ? Et rien n'indiquait que ce fût volontaire. Peut-être n'était-ce qu'un pur hasard, un oubli de la part de l'épouse de son ami.
Il fit cependant un mouvement vers son verre sur la table, comme pour l'attraper, mais il recula le bras, constatant que son godet était vide.
— Si vous en avez envie, vous pouvez vous resservir !
— … ? Oh, pardon ! Je n'avais pas l'intention de…
— Servez-vous si vous en avez envie. Et puis j'en prendrais bien un également. Servez-moi aussi. Dans le verre de Christophe, s'il vous plaît.
Il avait obtempéré. Elle avait donc suivi tous ses mouvements sans en avoir l'air. Les verres remplis, il s'empara de celui de son hôtesse et le lui tendit. Au moment où elle le saisissait, les doigts de Bernard frôlèrent les siens. L'impression de recevoir une décharge électrique la fit sursauter. Alors elle porta le breuvage ambré à ses lèvres, et Bernard, dans son fauteuil, eut un geste analogue. Mais cette fois les deux visages étaient tournés l'un vers l'autre. La bouche de la femme ourlée de sombre ressemblait à un fruit attirant.
Se déplacer pour cueillir cette fraise violette et croquer dedans… Cette idée folle en traversa d'un coup l'esprit du type assis près d'elle. Elle venait de rabattre sa jambe pliée, mais l'ourlet de la robe était pourtant resté bien haut sur la cuisse. Dans le mouvement qu'elle fit pour se tourner vers le garçon, le chiffon en dévoila plus encore. Un peu de la culotte, plus sombre sur la peau claire, narguait maintenant Bernard. Cette belle femme avait une classe folle. Du chien ! Encore fallait-il oser, mais là… la peur de s'être trompé pouvait avoir des conséquences tragiques. Merde, elle était… superbe dans cette demi-obscurité !
— Je… je vais aller me coucher aussi…
Il venait de jeter ces mots comme un pavé dans une mare. Il n'en avait aucune envie, ne désirant que la faire réagir. Elle finissait son cognac, et cette fois il avait cru apercevoir une sorte de recul du buste féminin. Elle allait ouvrir la bouche, mais réalisa au dernier moment que ce serait une folie. Pourtant, parfois les choses se faisaient sans vraiment les provoquer. Elle s'asseyait alors qu'il se levait. Il lui tendait la main, et elle prit cela pour une invitation à se lever aussi. Dans les deux mouvements distincts, pourquoi la place venait-elle à manquer ?
Bernard debout devant son fauteuil et elle proche de lui, la main de l'homme avait zébré l'air et s'était accroché au poignet féminin. Une incroyable décharge électrique venait de la percuter. Elle avança alors d'un pas dans cet espace déjà bien restreint. Les deux visages étaient l'un contre l'autre. Lui aussi tremblait, elle l'aurait bien juré. Mais quand les lèvres se trouvèrent, il était trop tard pour reculer. Adviendrait ce que pourrait. Une amitié vieille de dizaines d'années risquait bien de faire les frais de ce baiser.
Le premier souffle coupé, elle tenta de reculer mais l'invité la tenait par la taille, et sa tentative de fuite fut vaine. En avait-elle vraiment autant envie que cela ? Pas certaine qu'elle ne se mente pas. Ce palot avait un goût de « reviens-y », et l'ami de Christophe n'avait pas l'intention d'abandonner. Elle se laissa donc faire à nouveau, et les sensations devinrent plus profondes. Merde, bien que consciente de faire une énorme erreur, elle en découvrait pourtant une délicate jubilation. Pourquoi Christophe les avait-il laissés seuls, aussi ?
Les mains de Bernard ne restaient pas inactives. Trop heureux de cette bonne aubaine, il caressait déjà la nuque de la brune. Ses doigts glissaient vers le dos à la recherche de ce qui tenait la robe fermée sur le cou. Quand il trouva la fermeture Éclair, le bruit du zip parut incongru dans ce silence juste entrecoupé de soupirs. Marie-Anne se laissait embrasser comme si c'était chose normale que de céder aux avances de ce… de cet homme. Qu'il soit l'ami de son mari n'était plus un handicap.
Elle frissonna quand la robe glissa de ses épaules pour tomber en corolle sur ses chevilles. En soutien-gorge et culotte devant ce type, elle était en transe, humide, mouillée, trempée. Les sens exacerbés par une situation hors norme, elle ne se rendit compte que trop tard que sa culotte recevait la visite de la patte de Bernard. Elle n'avait ni la force – ni l'envie surtout – de la repousser. Son corps, son ventre, tout son être attendait cette avancée significative des doigts. Elle se laissa fléchir sur ses genoux comme pour faciliter l'accès à cette paluche qui connaissait son affaire.
Bernard ne réagissait plus qu'au feeling. Il avançait sans mesurer les enchaînements de ses actes. La gifle, si elle lui en donnait une, lui garderait le souvenir de cette chatte sur laquelle ses doigts se frottaient. Les bouches des deux ne cessaient plus de se rejoindre. Et la poitrine de la femme était plaquée contre le chandail de l'invité. Désormais, elle se moquait bien du bruit que son mari pourrait entendre. Il avait ramené ce type ? Eh bien, Christophe devait en assumer les conséquences. Cette fois, l'invité savait qu'elle avait envie de faire l'amour ; comment aurait-elle pu cacher cette pluie qui coulait de son sexe ?
Quand s'était-il dévêtu ? Aucune idée ! Marie-Anne avait été bien trop emportée par cette volupté soudaine que lui martelaient ses envies. Elle ne le comprit que lorsque sa main rencontra la bite. Elle était tendue et n'avait rien à envier à celle de son mari. Mais l'heure n'était plus aux considérations de ce genre ni aux comparaisons hasardeuses : Bernard venait de la pousser sur le canapé. Elle s'assit de nouveau, et sa tête se trouvait juste à la hauteur idéale. D'autant que d'un geste souple du bassin, le mec venait d'avancer son pieu contre son visage. Elle eut d'abord l'odeur. Agréable parfum d'envie qui flottait et imprégnait déjà la pièce.
Puis ses doigts qui n'avaient pas lâché le jonc l'attirèrent vers ses lèvres. Elle en découvrit alors la texture. Les yeux fermés, elle aurait pu, si elle ne l'avait pas vu, s'imaginer qu'il s'agissait de celui de son mari. Elle commença par une petite série de bisous sur le gland qui flirtait avec ses lippes pour finalement laisser la tringle raide entrer dans sa bouche. Au moment où elle se laissait envahir par la queue, elle songea que pour la première fois de toute sa vie de femme mariée, elle trompait son Christophe. Le mot « salope » fit son petit bonhomme de chemin dans son esprit, mais cela n'eut aucune incidence sur la pipe qu'elle s'évertuait à rendre la plus langoureuse possible. Et les doigts qui lui massaient les tempes démontraient combien sa caresse était appréciée.
Marie-Anne se trouva bientôt avec sur la bedaine un Bernard conquérant. Il lui labourait le ventre avec de longs ahanements significatifs. Mais ni lui ni elle n'étaient à l'aise sur le canapé ; la position n'avait rien de confortable. Alors elle le repoussa sans violence. Puisqu'ils avaient commencé, autant que ce soit bien, bon. C'est sur la moquette du salon, devant la cheminée et son feu, que Bernard la reçut sur la panse.
Cette fois, c'était elle qui le chevauchait. Elle s'était allongée sur lui, et tout son corps était en contact avec celui de l'homme. Pour lui, c'était fascinant de la sentir chaude, enfiévrée, qui remuait des fesses pour rester bien au fond de sa chatte. Il avait mis ses bras en croix, lui indiquant de cette manière qu'elle pouvait disposer de lui comme elle l'entendait. Alors, après un grand moment à gesticuler sur la bite tendue, elle se redressa, gardant seulement appui des deux mains sur le poitrail de Bernard. Elle continuait toujours son long combat. L'invité se retenait, ne voulant rien lâcher, s'évertuant à retenir cette envie qui montait.
Le couple qui s'appariait là dans la seule lumière des flammes ne remarqua pas une autre ombre, plus grande, qui dans l'encadrement de la porte suivait leurs ébats avec une sorte de sourire figé sur les lèvres. Enfin Marie-Anne avait osé ! Enfin elle avait fini par craquer ! Lentement, comme pour ne déranger personne, la fine silhouette recula d'un pas. Sans pour autant partir, la forme qui surveillait ne quittait plus des yeux le spectacle de ces deux-là qui s'envoyaient en l'air avec fougue. Du reste, les soupirs de la maîtresse des lieux étaient terriblement érotiques…
Alors l'autre glissa sa patte au milieu de son corps, et les caresses du voyeur accompagnaient l'orgasme de la brune. L'ombre suivit encore longtemps les ébats des deux amants, soupirant sans doute autant que le couple. Le spectre qui épiait jouit très fortement lui aussi. Puis, alors que Marie-Anne reprenait en bouche le pipeau fatigué, la silhouette qui venait de prendre un ineffable plaisir, s'éclipsa vers les chambres.
Sur la moquette, deux corps alanguis étaient étendus. Marie-Anne déposa alors un bisou sur le bout du nez de Bernard.
— C'était trop… bien ! Ce sera notre petit secret ? Et personne ne doit, ne devra jamais savoir. Je compte sur toi pour rester discret ?
— Oui. Nous recommencerons une fois de temps en temps ?
— Non ! Contente-toi de cette erreur. Il te reste ma sœur si tu veux, si elle est d'accord bien sûr.
— Mais c'est de toi que j'ai envie, pas de Marielle.
— Chut ! Bon, je file au lit, et je compte sur toi pour que, demain, tu ne parles de rien de ce qui vient de se passer… à personne ! D'accord ?
— Bien sûr… si c'est ton choix.
— Ça l'est. Allez ! Bonne nuit. Enfin, ce qu'il en reste, et… merci.
Bernard resta allongé encore un long moment sur la laine du salon, revivant dans sa tête ce qui venait de se passer. Bon Dieu, quel bon coup ! Une vraie furie que la femme de Christophe. Il n'éprouvait pas une once de remords envers son ami. Juste une pointe d'agacement de savoir qu'elle avait mis un terme définitif à cette ébauche d'aventure. Dans l'insert, les braises restaient rouges. L'homme récupéra ses fringues éparpillées dans les environs du sofa, puis il fila vers la chambre d'amis… avec au fond de la caboche de bien beaux souvenirs, tout frais.
La nuit, pour raccourcie qu'elle fut, n'en déboucha pas moins sur une belle journée. Un vrai soleil de printemps envahissait la campagne. Sur la terrasse, les deux hommes, en compagnie des sœurs, finissaient leurs petits déjeuners.
— Alors ? Vous avez prévu quoi par ce grand beau temps, les filles ?
— Aucune idée. Mais tu peux avancer une idée, aussi émettre un avis ; après tout, ce n'est pas à nous de toujours tout régir. Et toi, Marielle ?
— Oh, je ne sais pas trop. Une visite des deux cascades ? C'est un spectacle reposant, et puis… on peut déjeuner sur place.
— Oui. L'eau, c'est sympa comme plan.
— Alors si nous sommes tous d'accord… mais je suggère que nous les passions toutes en revue. Tu vois Bernard, notre ruisselet, là, se jette dans un plus grand ruisseau qui s'appelle Le Bouchot. Et sur son parcours, il y a une superbe chute d'eau bien connue. Tu pourras faire de belles photos si tu veux.
— Et puis comme ça, vous pourrez comparer. Vous verrez : à Tendon, la grande et la petite cascade valent le coup d'œil.
— Ma foi, c'est vous les guides. Mais déjà la façon dont vos yeux brillent quand vous en parlez…
Dans son coin, Marielle avait un air pensif. Sa sœur venait de partir prendre sa douche. Elle était rentrée dans la nuit, et une balade à la campagne n'était pas pour lui déplaire. Les deux mecs semblaient de bonne humeur. Après avoir ramassé les bols, elle aussi gagna la salle d'eau. Après ses ablutions, elle passa un jean moulant et un chandail tout aussi serré. L'ensemble, reflété par la grande glace de son armoire, avait de la gueule. Elle n'avait plus qu'à chausser une paire de baskets et elle serait prête. Marie attendait déjà dans l'entrée.
— Tu as une bonne mine, ma vieille. Bien dormi ?
— Oui, ça va. Et toi ? Ta virée avec ta copine, bien passée aussi ?
— Oui !
— Tu es rentrée tard ? Je n'ai rien entendu. Enfin… il faut dire que Christophe ronfle de plus en plus fort.
— Il me semblait bien avoir entendu des bruits étranges dans ta chambre ; j'ai cru que vous étiez en chantier. Tu soupires si violemment quand vous…
— Mais… c'est fini, oui ? C'est quoi, ces allusions-là ? C'est bien normal dans un couple… Ces choses-là sont naturelles.
— Tu ne peux pas dire « faire l'amour, baiser » ? Enfin, parler comme tout le monde, bon sang.
— Toujours aussi poétique, je vois, Marielle.
— Quoi ? Ah, c'est toi, Christophe.
— Ben… qui voudrais-tu que ce soit ? Et pour ta gouverne, nous n'avons pas – comment tu dis ? – baisé hier soir, ni dans la nuit. Mais toi… si tu nous racontais ta sortie ? Peut-être que ce serait amusant.
— Pour qui ? Je ne suis pas certaine que tous riraient si je racontais tout…
Christophe avait haussé les épaules ; visiblement, il ne percutait pas. Parfois, sa belle-sœur pouvait être très énigmatique. Et puis les histoires de cœur ou de cul de cette grande gamine ne l'intéressaient que moyennement.
Ils furent rejoints par Bernard, enthousiaste à l'idée de visiter les Vosges profondes. Et puis, il avait tellement de motifs de garder le sourire… encore que l'amazone de la nuit eût repris le vouvoiement. Pour un peu, il aurait pu croire avoir rêvé cette affaire si son dos n'en avait pas gardé quelques courbatures.
Les deux femmes avaient opté pour une tenue pratiquement identique : pantalons de toile de jean et chandails. L'une à côté de l'autre, elles avaient des traits de ressemblance certains.
Le voyage pour ces fontaines naturelles se faisait dans une bonne humeur réelle. La première halte emmena le groupe sur des marches de rondins qui descendaient vers une gorge assez profonde.
— Regarde, Bernard, là-bas, sur l'autre versant, la cascade du Bouchot. Dommage que tu ne sois pas venu plus tôt : quand il gèle, au cœur de l'hiver, c'est… monstrueusement superbe !
— Oui, j'admets que même comme ça c'est chouette, alors j'imagine bien que, couverte de glace…
Les deux femmes n'étaient pas restées près des hommes. Ceux-ci les voyaient un peu en contrebas, arrêtées sur une sorte de passerelle, dans une brume d'eau que le vent dispersait. Bon sang, comme ces deux corps-là donnaient des envies ! Certaines de la nuit remontèrent dans le crâne de l'ami de Christophe.
Tout en épiant les deux filles, ils restaient là à suivre des yeux ces mètres cubes de flotte limpide qui tombaient de vingt ou trente mètres de haut.
— Alors, avec Marielle, tu as une avancée ? J'ai vu que le premier soir à la discothèque…
— Ben non. À vrai dire, je ne dois guère l'intéresser. Et puis elle est sortie cette nuit. Alors pas facile de flirter avec une absente.
— Sans doute. Mais vous vous êtes couchés tard, Marie-Anne et toi ? Je ne l'ai pas entendue venir me rejoindre au lit.
— … Hein ? Ah oui, Marie… Après le film. Elle est partie un peu avant moi.
— Je ne sais pas trop ce qui m'arrive en ce moment : je suis de plus en plus fatigué. Le printemps me fait toujours cet effet.
— Rien de grave, j'espère.
— Non. Seulement une sorte de lassitude due à ces trop longs hivers. Mais avec les beaux jours, ça passera.
— Ah ! Voici revenues tes femmes. C'est vrai que Marielle tient beaucoup de sa sœur. Tu as de la chance, tu as une belle femme.
— La chance ? Ça s'entretient, la chance, alors. Et puis tu sais, j'aimerais parfois aussi que nous rompions la routine de notre couple…
— Ah bon ? De quelle manière ?
— Chut, elles arrivent. Nous reparlerons de cela à un autre moment, veux-tu ?
— Bien sûr, mais j'ai du mal de… Enfin, je ne veux peut-être pas comprendre ce que tu me racontes.
Elles remontaient à quelques dizaines de pas d'eux. Aucune ne semblait essoufflée, et pourtant la déclivité était raide.
— Vous n'êtes même pas allés au pied de la chute. Tu crois, Christophe, que les poissons arrivent à remonter un truc pareil ?
— Je n'en sais fichtre rien. Sans doute que non. Mais bon, j'avoue que tu me poses une colle.
— Alors, Bernard, de quoi parliez-vous avec mon beau-frère ? De boulot ? De femmes ? Un peu des deux ? Vous m'abandonnez de plus en plus depuis ce matin, je trouve.
— … ? C'est une fausse idée.
Marie-Anne suivait la conversation de près, presque avec un intérêt tout particulier. Il avait l'air bien emprunté, celui qui cette nuit n'avait pourtant rien raté. Quelque part, son attirance pour lui avait un peu perdu de son charme. Si sa sœurette voulait s'en occuper, pas de crise : elle lui céderait volontiers la place. Si ce coup de canif dans le contrat s'était avéré bien bon, il ne valait sans doute pas la peine de tout détruire pour le renouveler. Elle empoigna le bras de son Christophe.
— Bon, les enfants, si nous voulons déjeuner à la grande cascade, il faudrait songer à bouger !
Tous les quatre repartirent de ce lieu pittoresque perdu en pleine cambrousse. Direction une autre coulée de flotte tout aussi impressionnante. Dans la voiture, il sembla à Christophe que sa belle-sœur s'était rapprochée de son copain. Grand bien lui fasse. Pourtant, dans son cerveau à lui tournaient des pensées plutôt salaces. Il aimerait bien un jour, ou une nuit en fin de compte, que… son épouse se partage pour quelques heures entre ce type et lui. Mais comment l'amener à cela ?
Difficile d'y aller bille en tête. Il ne se voyait pas proposer comme ça de but en blanc à l'un ou à l'autre un trio qui, cependant, lui trottait dans la tête depuis que Marie l'avait convaincu qu'elle plaisait vraiment à Bernard. Il avait failli lâcher le morceau tout à l'heure quand les deux femmes étaient encore à quelques mètres en contrebas, mais il s'était ravisé au dernier moment. Il valait mieux en parler avec sa femme en premier. Après tout, là était le plus gros problème. Mais il se promit de le faire avant la fin des vacances.