Les oreilles traînantes

Marielle, la sœur cadette de Marie-Anne, n'avait pas eu de chance dans sa vie de femme. Elle avait dix ans de moins que l'épouse de Christophe. Les deux hommes qui avaient traversé son existence, elle les avait aimés au-delà de tout. Le premier avait disparu un matin avec ses économies. Pour le second, au bout de seulement quelques mois, elle s'était aperçue que ce gaillard-là mentait et avait déjà fondé une famille : une femme et deux enfants l'attendaient du côté de Clermont-Ferrand alors qu'il lui promettait monts et merveilles. Promesses en l'air, du vent pour l'appâter ; alors elle l'avait viré sur le champ dès qu'elle avait su.

Depuis trois heures qu'elle roulait sur ces petites routes départementales, il lui tardait d'arriver. Elle aussi venait passer quelques jours dans la maison familiale, reprise par Marie-Anne. Elle en avait aussi des souvenirs, dans cette baraque, mais pas forcément les mêmes que sa frangine : l'écart entre les deux enfants n'avait pas vraiment favorisé la bonne entente entre elles. Mais depuis quelques années les divergences entre les deux filles s'étaient tout de même quelque peu estompées. L'ambiance était au beau fixe désormais.

Marielle devait son prénom à une championne de ski que sa mère avait appréciée. Elle chantonnait dans sa petite Citroën pour éviter de penser à la route. Elle adorait son beau-frère, et s'était toujours juré d'en trouver une réplique exacte. Hélas, ses deux premières tentatives s'étaient soldées par des échecs cuisants. Un type agréable et bien, ce Christophe ; et si sa sœur ne l'avait pas alpagué avant elle… elle en aurait bien fait son « quatre heures » ! Mais bon… Un jour, elle aurait aussi son prince charmant juste pour elle ; il ne fallait pas désespérer.

Le soleil réchauffait déjà de ses rayons la vallée et les verts dégradés des sapins, seuls arbres encore fournis en verdure en ce début de printemps ; mais bientôt le tapis d'or des prairies se verrait à des kilomètres à la ronde, et la valse des cueilleurs du dimanche ferait un ballet incessant sur ces routes étroites et dangereuses. Elle s'arrêta une dernière fois au supermarché local. Avec quelques fleurs pour Marie-Anne et une bouteille de vin pour le déjeuner, elle pourrait arriver là-haut sans avoir l'air d'une mendiante.

À quarante balais, sa sœur était bien installée et son mari avait de l'argent, contrairement à elle qui vivait chichement depuis le départ de Marco, qui lui avait vidé son compte en banque. La justice était longue à réparer les dégâts, mais cela aussi s'arrangerait un jour ou l'autre. Devant le capot de la petite automobile noire, l'entrée du chemin qui menait aux souvenirs. Et le panache de fumée qui sortait de la cheminée… prévoyante, Marie-Anne, comme toujours ! Ici, les flambées étaient indispensables, au moins jusqu'au début d'avril.

Le bruit de moteur qui ralentissait avait alerté les occupants de la maison. De cela, Marielle en était certaine grâce à l'imperceptible mouvement du rideau, tiré par un résident encore invisible. Elle sortit sa petite valise, sa bouteille, sans oublier les fleurs. Déjà la porte venait de s'ouvrir et sa sœur avait son sourire des beaux jours. Tout de suite derrière elle, le visage de Christophe pour lui rappeler peut-être qu'il n'y en avait qu'un, et que c'était sa sœurette qui l'avait épousé… Quelle galère ! Elle s'approcha, embrassa le couple puis, les civilités d'usage prononcées, elle se baissa pour récupérer sa valisette.

— Attendez, je vais vous l'amener à l'intérieur !

Surprise, la dame leva les yeux vers cette voix inconnue pour découvrir ce visiteur si courtois. Alors Marie-Anne lui présenta l'homme.

— Ah, Marielle, voici Bernard, un ami et collègue de Christophe. Il passe quelques jours de vacances chez nous. Bernard, ma jeune sœur Marielle.
— Enchanté de vous connaître, Madame.
— Tu as fait bon voyage, ma chère belle-sœur ? Pas trop de monde sur les routes ?
— Non, mais c'est tout de même bien long ! Je voudrais me rafraîchir un peu…
— Bien sûr ! Tu prendras la chambre du fond ; nous avons mis le copain de Christophe dans celle d'amis.
— Bien. Je prends une petite douche et je suis à vous.

Marielle marchait deux mètres derrière le porteur de ses bagages. Sa sœur avait reçu avec plaisir les fleurs ; quant à son mari, il avait récupéré la bouteille de vin. Bernard avançait sans trop savoir où se rendre. Elle lui indiqua la porte et il déposa son fardeau devant celle-ci. Elle le fixait encore alors qu'il repartait vers l'endroit où sa famille était restée. Ce type avait quelque chose de son beau-frère. Peut-être que le fait d'être collègues influençait sur leur manière de paraître ? Elle sourit aux anges en pensant qu'il avait un joli petit cul…

Quand elle débarqua au milieu de la pièce où ils buvaient un verre, tous les yeux se tournèrent en même temps vers cette apparition sublime. Elle avait tout de sa grande sœur, avec le privilège supplémentaire de la jeunesse. Sa jupe relativement courte, son chandail qui suggérait plus qu'il ne cachait sa poitrine, sa façon de tenir sa tête… oui, tout était identique, mais en plus récent. « Une belle plante… » songea l'invité. Elle trinqua avec tous, puis les deux femmes laissèrent les hommes pour se rendre dans la cuisine.

Christophe invita son ami à aller faire un tour à l'extérieur en attendant le repas ; il ne se fit pas prier pour aller visiter les alentours. Leurs pas les menèrent d'abord vers ce fameux ruisseau à truites. Et comme Marie-Anne, à l'endroit qu'elle avait précisé ils virent également un trait rapide fendre le courant. C'était bien sa cachette favorite.

— Elle n'est pas très grosse…
— Tu sais, Bernard, ici elles ne le sont jamais vraiment. Mais vingt-cinq ou trente centimètres, c'est déjà respectable pour un si minuscule ruisseau. Tu es pêcheur ?
— Seulement devant l'Éternel. Non, je n'ai jamais tenu une gaule de ma vie ; et puis les poissons sauvages, comme cette fameuse truite, méritent de vivre en paix.
— C'est pourtant si bon, une truite au bleu ou aux amandes…
— Celles du poissonnier font l'affaire tout autant !
— Alors, que penses-tu de ma belle-sœur ?
— Je devrais en penser quelque chose ?
— Je ne sais pas, mais comme elle est libre, tout comme toi, je me disais que tu devrais tenter ta chance… Après tout, qu'est-ce que tu risques ?
— Elle est bien jeune ; ou, plus précisément, je suis bien vieux pour elle, hélas !
— Ne dis donc pas de conneries, veux-tu : l'âge n'a jamais rien changé à ces affaires.
— Évidemment, vu sous cet angle, mais je ne veux rien brusquer. Laissons se faire les choses, on verra bien. Mais c'est une jolie poulette ; elle ressemble beaucoup à son aînée.
— C'est vrai, et tu as mille fois raison. Elle mérite surtout d'être aimée ; elle en a vu de toutes les couleurs avec les deux loustics qu'elle a fréquentés avant de se retrouver seule.
— Ah ?

Tout en dialoguant, les deux hommes marchaient le long du ru qui serpentait sur le terrain en pente douce. Un peu plus haut, une autre truite avait filé sans demander son reste. Bernard repensait à ce qu'il avait surpris la nuit précédente. Et Christophe avait bien raison : cette Marielle avait tout d'une grande Marie-Anne. Mais rien ne l'autorisait à penser qu'elle serait partante pour… Et rien que cette idée lui durcit le sexe.

Les hommes revinrent vers la maison où la maîtresse des lieux leur faisait des signes pour les aviser que la table était prête. Alors qu'ils approchaient, les quinquets de la brune accrochèrent sans trop savoir pourquoi un endroit que l'ami de son mari ne pouvait guère dissimuler. Elle n'en crut pas ses yeux : il bandait ! Un court instant elle songea que c'était peut-être le fait de la voir sur la terrasse qui le mettait dans cet état d'excitation. Elle laissa dériver son regard sur le bas de sa propre personne, mais rien dans sa tenue ne semblait devoir encourager la libido masculine de l'un ou de l'autre des deux mecs. Alors ? Elle ne saisissait pas vraiment ce qui motivait cette excroissance anormale.


Le repas se déroulait dans une ambiance détendue et bon enfant. L'épouse de Christophe avait concocté un repas simple, plat unique et convivial. Les cochonnailles de la région se mariaient harmonieusement au petit vin blanc lui aussi tout droit issu d'un tonnelet de la cave. Puis les cartes – et notamment une belote sous la véranda – avaient tenu les vacanciers en haleine. L'équipe des femmes, chanceuse, remporta du reste plusieurs mille d'affilée sous les sourires mi-amusés, mi-crispés de ces messieurs.

Durant ces parties âprement disputées, tous décidèrent d'aller au restaurant dans la soirée. Et comme il fallait aussi des produits frais en grand nombre pour quatre personnes, Marielle décida de se rendre au supermarché du village. Curieusement, sans que personne ne se soit concerté, Bernard, sans voiture, demanda la permission d'accompagner la benjamine de l'équipe. Bien entendu, ce fut vite accepté par le couple qui comptait bien mettre à profit cette absence providentielle pour rattraper un peu du temps perdu.

Le duo quitta donc la maison vers seize heures pour faire les courses. Dès que la voiture eut repris la départementale, Marie-Anne s'empressa d'opérer un rapprochement corporel qui promettait d'être tout sauf sage.

— Viens, Chris… ils en ont pour un petit moment et j'ai envie de… crier, ce que je n'ai pas eu l'occasion de faire cette nuit. Tu veux bien que nous passions un petit moment dans notre chambre ?
— Humm…

Il avait juste grommelé un semblant d'accord et ils s'étaient retrouvés sur le grand lit qui n'attendait qu'eux, sans doute pour lui aussi grincer. Ni elle ni lui ne s'embarrassèrent d'un long et fastidieux effeuillage ; chaque seconde étant précieuse, la nudité rapide permit d'avancer les ébats. La brune feulait sous les coups de boutoir répétés de son compagnon. Ils changèrent plusieurs fois de position, en innovèrent certaines d'un équilibre précaire ; mais tant que les deux se donnaient du plaisir, il n'y avait rien à redire.

Les orgasmes de la belle rappelaient, par certains côtés, le brame des cerfs en lisière de forêt. Ses cris non retenus, ses gémissements librement expulsés d'une gorge rauque donnaient à l'homme plus d'entrain. La vigueur de ses coups de reins restait proportionnelle aux délires verbaux de sa tendre épouse. Si c'était assez rude comme possession, elle n'avait pas du tout l'intention de s'en plaindre, et lui non plus. Alors à ce rythme-là, ils ne purent bien entendu pas se contenir longtemps, et physiologiquement il fallait bien que cette semence secouée dans tous les sens jaillisse enfin. La première rasade éclata sur l'arrière-train de la donzelle qui, prise en levrette, continuait de hurler. Ses longs doigts fins raclaient le couvre-lit qu'ils n'avaient pas pris la peine de retirer. Un orgasme formidable la fit trembler alors que le mâle terminait de s'épancher dans la raie de ses fesses. Elle s'affala sur la couche avec un soupir de bien-être.

Alors Christophe se colla contre son dos, gardant sa queue pas encore flaccide, logée dans la cavité où elle venait de pleurer. Il lui caressa la colonne vertébrale avec une sorte de tendresse, un peu pour la remercier de cet intermède plaisant. Ses mains allaient de sa nuque à son derrière avec une chaleur palpable. La femme avait fermé les paupières, appréciant le retour paisible de son corps au calme, engendré par des caresses sensuelles.

Il lui fallut de longues minutes pour reprendre pied dans une réalité moins rose. Marielle et Bernard allaient rentrer de courses et ils n'avaient pas besoin de savoir ce que ces deux-là venaient de faire. Elle précéda son mari sous la douche avant de se préparer pour le dîner en ville. Christophe passa un moment également dans la salle de bain puis il trouva sur le lit remis en ordre par sa belle les vêtements qu'elle désirait qu'il porte pour la soirée. Ils n'avaient plus qu'à se laisser vivre gentiment jusqu'au retour des deux autres.


Bernard poussait le chariot où la jeunette entassait les courses pour une semaine. Il restait à bonne distance de la jeune femme qui évoluait gracieusement dans les allées. Elle portait une jupe ample qui voletait sur ses hanches avec désinvolture chaque fois qu'elle se tournait vers lui. Il la vit aussi allonger son corps, tendre une jambe pour puiser un sachet au fond d'un bac à légumes rempli de produits surgelés. Ses prunelles ne se lassaient pas du spectacle ; il tentait de deviner ce qui pouvait bien se cacher sous le tissu mouvant. Culotte ? String ? Rien ? Bien malin celui qui aurait pu le dire.

Au détour d'une rangée d'étals tous occupés par des fruits, elle se pencha une fois de plus en levant cette fois encore une de ses jolies gambettes et, l'espace d'une seconde, une tache mauve tapa dans l'œil du pousseur de caddie. S'il ne saisissait toujours pas la nature du cache-sexe, au moins en connaîtrait-il la couleur. Il eut un sourire et s'aperçut soudain que Marielle le fixait. Savait-elle qu'il venait de voir ? Peut-être, mais qu'importe : ça valait le coup d'œil ! Et cette rougeur des joues de la jeune femme était-elle due à ses regards salaces… de vieux beau ? Il s'en moquait éperdument.

Elle tenait à la main deux gros poireaux et les porta dans la caisse de sa charrette.

— Ça vous plaît ?
— Oh, ma foi… c'est très bien. Oui, c'est même bon.

Si la question était ambiguë, la réponse le fut tout autant. Et il souriait malicieusement alors que le feu du visage de la belle-sœur de Christophe s'amplifia d'un coup. Sans doute savait-elle que l'autre, là, avait bien regardé et surtout vu. Mais pas de quoi fouetter un chat. Et encore moins une chatte. Mais c'était instinctif et impossible à juguler, cette réaction épidermique. Il crut bon d'ajouter :

— Vous aimez le poireau ?
— Seulement en tarte. Oui… seulement en tarte.

Implicitement, elle venait de lui signifier qu'elle n'était pas dupe.

Ils avaient pratiquement terminé leurs achats, et les queues aux caisses n'avaient rien de monstrueux. Elle avait sorti son carnet de chèques, mais il refusa qu'elle paie :

— Je vis avec vous, invité par Christophe et votre sœur, alors je tiens à m'acquitter des courses pour faire bonne mesure.
— Nous n'allons pas nous battre, vous savez. Je verrai cela avec Chris et Marie-Anne. Vous n'avez besoin de rien d'autre avant que nous rentrions ?
— Non, c'est bien. Mais vous, pas envie de vous faire plaisir ? Prendre un café en ma compagnie ne vous tente pas ?
— Je ne bois que très peu de café, et puis ils vont nous attendre pour le dîner au restaurant… et pour celui-ci, pas question de payer pour moi.
— … ! Mais ça me ferait vraiment plaisir, soyez-en sûre !
— Je sais bien les contreparties que les hommes attendent de ce genre de détail.
— Eh bien, voilà qui est lancé ! Prends ça dans les dents, mon petit Bernard… Me voilà donc ravalé au rang de satyre de première classe, alors ?
— Je ne dis pas cela pour vous ; je ne voudrais pas généraliser, mais j'ai connu des déboires de ce type avec mes… ex.

S'avisant d'un coup qu'elle avait peut-être la langue trop bien pendue, elle se tut. Ses rougeurs faciales étaient de nouveau revenues. Elle devenait attendrissante avec son embarras spontané.

Elle avait filé vers le parking et sa voiture, comme pour cacher son trouble. Bernard ne s'en émut pas plus que cela. Cette Marie-Anne miniature lui plaisait bien, finalement. Elle l'aida à transférer les achats du chariot au coffre. Il s'installa le premier dans le véhicule et put une fois encore admirer ses magnifiques jambes alors qu'elle se glissait derrière le volant.

Elle tira d'une main sur le tissu de sa jupe, mais comme il n'était pas vraiment extensible, c'était difficile de tout camoufler. Alors rageusement elle enclencha la vitesse et sortit en trombe de la place de stationnement. Quelque part, cet homme l'énervait, un peu trop sûr de lui à son goût. Mais il avait de beaux restes et s'avérait courtois. Et puis il ne la draguait pas ouvertement comme elle aurait pu le croire quand il avait insisté pour l'accompagner. Il l'avait épiée dans ses moindres déplacements, mais il n'avait pas essayé de la complimenter. Non, rien de tout ceci.

Bon, elle avait bien oublié à plusieurs reprises la petitesse de sa tenue, mais s'il avait entrevu quoi que ce fût, il n'avait fait aucun commentaire pour le lui faire remarquer. Elle se demanda soudain si Christophe ne l'avait pas invitée pour… allez savoir avec les mecs ! C'était vrai qu'il n'était pas si mal et que… mais non, pourquoi cette idée saugrenue dansait-elle sous son crâne ? Alors elle appuya sur le champignon, juste pour ne plus penser à ce que son cerveau ramenait sur le tapis.

De retour à la maison, l'invité remarqua de suite la mine enjouée de Marie-Anne. Elle semblait différente, comme si elle était belle de l'extérieur, mais aussi de l'intérieur. Et son ami était détendu, souriant. Rien pourtant ne trahissait un quelconque changement dans leur attitude, mais Bernard ne s'y trompa pas : c'était une lumière interne qui illuminait la jolie quadra. À peine les courses déchargées, les deux nanas s'isolèrent dans la cuisine. Le rangement des provisions, un prétexte pour discuter sans témoins ?


Les mecs restés seuls prirent le temps de boire une bière. Quand les deux dames les retrouvèrent, c'était l'heure de se rendre au restaurant. Que s'étaient-elles dit ou raconté ? Cela resterait un mystère pour Bernard. L'une près de l'autre, l'impression donnée par ces deux femmes confirma qu'elles se ressemblaient à un point… pas possible. Mais à tout prendre, la plus âgée lui plaisait toujours autant. Et les paroles échangées entre elle et son mari durant la première nuit lui remontaient dans le crâne comme des lames de fond.

Il mesurait la chance de son collègue. Celui-ci possédait un véritable trésor. L'entente entre ces deux-là ne se démentait pas. Il monta dans la voiture à l'arrière, aux côtés de la jeune Marielle, et pour la première fois il sentit son parfum. Une délicieuse fragrance épicée qui lui chatouillait les narines, la rendant plus femelle, plus… il chercha dans sa tête le mot exact. Elle était plus enivrante, et il réalisa d'un coup que cette émanation était similaire à celle de sa sœur, assise sur le siège passager avant.

Le repas fut une parfaite réussite. Des mets aux saveurs bien montagnardes, goûteux à souhait. Et une ambiance joyeuse ajoutait encore aux plaisirs délicats de la table. Évidemment, il se garda bien de faire le moindre geste de rapprochement ; mais comme il était assis face aux deux sœurs, il prit toutes les précautions d'usage pour que ses pieds ne viennent pas heurter ceux de ses vis-à-vis. Marie-Anne parlait de choses qui lui étaient parfaitement inconnues, de gens du coin, et Christophe ou Marielle oubliaient que lui n'était pas du tout concerné. Étranger à la région, il avait du mal à suivre la conversation.
La benjamine du quatuor prit tout le monde de court alors que le repas prenait fin :

— J'ai une idée : si nous allions danser ? Ça ne vous dirait pas d'aller guincher ?
— Vous aimez cela, vous, les discothèques ?

La question émanait directement de Marie-Anne et s'adressait uniquement à Bernard.

— Je ne déteste pas. Après, dire que je les aime… c'est une tout autre histoire, mais je veux bien vous suivre pour la fin de soirée.
— Vous savez tout de même danser ? Et puis ma sœur aura bien besoin d'un cavalier.
— Je ne doute pas qu'elle soit suffisamment grande pour en trouver un toute seule.
— Bien sûr, mais puisque vous êtes là…
— Marie ! Tu deviens discourtoise, là !
— Non. Laisse, Christophe, laisse : je pense que oui, je peux être un bon cavalier. Mais encore faut-il trouver l'endroit rêvé pour jamboter.
— Oh ! Excusez-moi, je me suis mal exprimée : je voulais dire que nous n'allions pas vous abandonner pour aller en boîte.
— Rassurez-vous, je n'avais pas entrevu autre chose dans vos paroles.

Il s'était portant senti un peu vexé par cette réplique plutôt acerbe. Cette femme ne lui pardonnait donc pas sa seule présence. Bon sang, il était vert de rage. Elle aurait mérité une gifle qu'il lui aurait donnée avec plaisir. Mais faire contre mauvaise figure bon cœur, il saurait aussi bien jouer les hypocrites. Un art qui, dans leur travail, s'avérait toujours bon de connaître. Alors avec un sourire il acquiesça et suivit le trio qui reprenait la route.

Cette fois, un autre col les secouait par ses lacets.

La boîte de nuit était vraiment paumée en pleine campagne, mais son parking montrait que l'endroit était prisé. Nombre de voitures prouvaient aussi que leurs propriétaires avaient de larges moyens financiers. Il y avait plus de grosses cylindrées que de 2CV sur ce stationnement. Les quatre entrèrent dans l'établissement agréable. Le son un tantinet trop fort accrochait d'emblée les oreilles ; mais bon, ils étaient là pour faire la fête. Alors, pas question de dire quoi que ce soit.

Ils s'installèrent sur une des banquettes libres et Christophe leur demanda ce qu'ils voulaient boire. La commande prise, il se rendit au bar et revint avec les quatre verres sur un plateau. Une série de slows venait de débuter, jouée par un orchestre que Bernard jugea de bonne facture. Sur le parquet, des couples se déhanchaient lentement et lascivement. Civil, il se pencha vers la demoiselle qui devait lui faire office de cavalière :

— Vous voulez danser, Marielle ?
— Ne sommes-nous pas là pour ça ? Allons-y !

Sur la piste, elle le laissa poser ses mains pour l'entraîner dans une ronde délicate. Il savait bien danser, et elle voulait excuser sa sœur, elle aussi.

— Ne lui en voulez pas trop : parfois, ses mots dépassent ses pensées. Elle parle sans trop réfléchir.
— Je ne lui en veux pas du tout ; et puis… je suis seul moi aussi, et je connais le prix de ces moments rares où l'on se retrouve. Moi, je n'aurai plus le loisir, avant longtemps, de passer des vacances à deux. Alors… mon arrivée impromptue a sans doute gâché leurs retrouvailles.
— Je crois qu'elle s'en remettra ; et puis… je n'aurai pas ses cris dans les oreilles. C'est une expansive, ma sœur, mais peut-être les avez-vous déjà entendus ?
— Entendu quoi, Marielle ?
— Mais… les gémissements de Marie-Anne quand elle fait l'amour avec son Christophe. Elle ne sait pas se contenir, d'habitude.
— Non, non je vous assure.
— Pourtant, la chambre d'amis, c'est l'endroit idéal pour assister ou entendre… comme si on était avec eux !
— … !

Bernard continuait de la faire tourner, et à quelques pas du couple formé avec Marielle son ami guinchait avec son épouse. Un simple coup d'œil lui permit de voir que les mains de son collègue ne restaient pas aussi sages que les siennes. Il suivit un long moment celle qui lentement lissait le haut des fesses de la brune. Et bien entendu, cette simple évocation faite par sa sœur ainsi que l'érotisme de la caresse qui se déroulait à moins de deux mètres ne pouvaient avoir qu'un seul résultat : il bandait, alors que le tempo du slow l'obligeait à rester rapproché de sa cavalière. Elle ne pouvait pas ignorer cette protubérance qui se frottait contre elle, mais elle ne fit aucune remarque, ne tenta pas de se décoller du corps qui la promenait en cadence sur le parquet de bois verni.

Pas très loin d'eux, les doigts d'un autre danseur avaient franchi une limite, celle de l'indécence. Ils avaient glissé plus bas sur la croupe et ils s'incrustaient dans le tissu de la jupe, marquant les formes, ce qui n'était pas fait pour refroidir la situation. Bernard n'aurait jamais cru que cette femme élégante puisse laisser faire de telles choses. Finalement, c'était facile de se tromper sur le compte des autres : son ami, si prude au bureau, si… coincé parfois, lui apparaissait là sous un éclairage nouveau. Et Marielle pendue à son cou, ne se méprenait-elle pas sur les motifs de cette érection malvenue ? Il tenta un long moment de penser à des choses désagréables, mais ses yeux revenaient sans arrêt sur ce qui se passait à quelques pas d'eux. Et la demoiselle avec qui il tournait maintenant avait approché sa bouche de son oreille.

— Vous êtes en forme, dites-moi !
— Pardon ?
— Vous me semblez bien excité… par un simple slow.

Merde, cette petite cochonne qui lui montrait ouvertement qu'elle sentait sa bite contre elle… Que répondre à cela ? Heureusement pour lui, la série de slows venait de prendre fin. Ils regagnèrent leur banquette. La jeune ne s'écartait plus de lui et le couple faisait comme s'il ne remarquait rien. Dès que les valses débutèrent, elle empoigna Bernard par la main et l'entraîna au milieu des duos qui tournoyaient sur la piste.

Il ne bandait plus, et elle eut beau se frotter contre lui à chaque occasion… plus rien ! Mais elle persista tout le temps des cinq ou six valses jouées par l'orchestre, décidément de bon niveau. Puis ils revinrent vers l'endroit où ils avaient délaissé Marie-Anne et Christophe. Envolés, les deux oiseaux. Alors comme pour s'en assurer, il scruta la masse compacte des danseurs. Ils étaient repartis sur le parquet, et de temps en temps lorsqu'elle tournait rapidement, une lueur blanche ramenait Bernard dans son rêve.

Son sexe reprenait vie ; enfin… une vie autonome, se mettant au garde-à-vous sans trop qu'il puisse y faire quoi que ce soit. Et la jeune dame à ses côtés qui venait de poser sa menotte sur sa cuisse ne pouvait que trouver le manche sans lame. Elle s'y méprit une seconde fois, pensant que cette brusque poussée lui était destinée. Si elle avait su… aurait-elle autant insisté ? Alors, comment se dépêtrer de cette situation sans vexer la belle ? Il ne savait plus trop s'il devait accepter ou la repousser.

Il n'eut pas le loisir de tergiverser longtemps : elle avait déjà sa petite patte qui pressait sur la bosse qui déformait son pantalon. Elle s'accrochait à lui. Finalement, l'ami de son beau-frère était pour elle le bienvenu. Il ferait tout aussi bien l'affaire pour un bon moment. Ce fut ainsi que, sans difficulté, la bouche de la femme se mit en route vers celle de cet homme, ami du couple. Les lèvres bouillantes qui prirent contact avec celles de Bernard avaient une fraîcheur et une candeur qui le tétanisèrent. Comment résister à cet assaut, et surtout… pourquoi l'aurait-il refusé ?

Le premier baiser lui rappela les courbes entrevues lors des courses au supermarché. Tentantes, bandantes. Alors pourquoi celles – interdites pour lui – de Marie-Anne continuaient-elles de le hanter ? Le baiser avait un goût de sucré-salé, un petit moment de douceur que la femme renouvela sans se poser de question. Pour elle, cette queue tendue ne pouvait signifier qu'une seule chose : il bandait pour elle ! Un second bécot vint couper le souffle de Bernard. Et ce fut dans cette position plutôt embarrassante que les deux danseurs les retrouvèrent.