Six jours dans la vie d'une femme
Charline8804/06/2020Les folies passagères
Lors du retour vers le domicile du couple, chacun des occupants de la voiture reste dans ses souvenirs. Laure réfléchit à cette seconde soirée où Gaby est totalement ignoré, oublié. Bien entendu, elle soulage sa conscience en se racontant une jolie fable. Sucer n'est pas tromper, mais l'intention était pourtant bien présente. Qu'une pénétration ait eu lieu ou pas ne change pas grand-chose au fait. La nuit précédente, elle a donné du plaisir à un autre homme, et dans ce club ce sont plusieurs sexes que sa bouche a léchés. Partager ou non avec une autre nana n'enlève rien au coup de couteau dans le contrat. Ses deux compagnons de sortie, eux, savourent en silence les bienfaits d'une jouissance reçue et prodiguée presque avec amour.
À l'approche de leur demeure, le mari sort de son mutisme, tirant ainsi les deux femmes de la léthargie ambiante :
— Tu viens boire un verre ? À moins que tu ne veuilles passer le reste de la nuit chez nous. Tu pourrais dormir ici et rentrer demain chez toi.
— Je… je ne sais pas trop. Je suis fatiguée, mais je n'ai pas non plus un si long trajet à faire.
— Oh, monte boire un coup ! Ça nous a fait plaisir que tu passes un peu de temps en notre compagnie. Tu pourras me raconter…
— Te raconter, Marine ?
— Alain et moi aimerions bien savoir comment tu as vécu notre… petite sauterie.
— Ah ? Dis donc, c'est de la curiosité, ça !
— Un peu. Mais tu nous diras si tu as aimé ou pas. Nous adorons débriefer un peu nos soirées.
— Bon, puisque vous insistez…
Ils sont entrés dans l'appartement situé au-dessus du restaurant du couple. Alain s'occupe de servir les boissons et les deux femmes sont passées au salon. Dédaignant le grand canapé de cuir fauve, assises chacune sur un fauteuil, elles attendent sans trop savoir quoi se dire. L'arrivée du plateau sur lequel trois verres au liquide couleur soleil les arrache à un silence pesant. Alain a l'air joyeux.
— Voilà, Mesdames ! Trinquons à cette belle soirée. Alors, raconte-nous, Laure. Comment as-tu vécu cette première visite dans un club échangiste ?
— Tu t'es un peu amusée, tout de même ? Parce que j'avoue que nous t'avions un peu perdue de vue pendant… un certain temps.
— Ben… je me suis simplement promenée dans les divers endroits que nous avions déjà parcourus ensemble, vous et moi. Je n'ai rien fait de particulier. Simplement observer par-ci par-là les choses qui s'y faisaient.
— Et rien ne t'a donné envie ? Si Gaby avait été là, vous n'auriez pas… osé avancer un peu plus dans les folies ?
— Je ne crois pas qu'il apprécierait ce genre d'endroit. À ce propos, il serait bon que cette virée nocturne reste entre nous ; vous voyez ce que je veux dire ?
— Oui… Oui, à condition que tu dormes avec nous.
— Quoi ? Qu'est-ce que tu dis, Alain ?
— Mais je plaisante, évidemment ! Tu me connais, non, Minouche ? Tu sais bien que je rigole.
— Je n'aime pas ce genre de plaisanterie, Alain. Ça prête toujours à confusion, et tu mets mal à l'aise Laure.
— Oh, je le prends pour ce que ça doit rester : une blague de mec. Je dois dire aussi que je n'ai pas ton courage, Marine. Faire l'amour avec d'autres hommes devant le mien, je ne sais pas si j'en serais capable.
— C'est juste une histoire de confiance entre Alain et moi. Je crois qu'il est préférable de faire cela devant lui que dans son dos. Je n'ai pas l'impression de le tromper s'il est présent. Du reste, il ne se prive pas non plus, et c'est un vrai échange qui nous donne toute satisfaction.
— Du moment que nous y trouvons tous les deux notre compte !
— Oui ? Mais je ne me vois pas présenter cela à Gabriel ; j'aurais bien trop peur de sa réaction.
— Pourtant, tu devrais tenter le coup. Tu pourrais être surprise par son attitude, qui sait ? C'est un homme comme les autres, ton Gaby, et il y a peut-être déjà pensé mais n'a pas osé lui non plus t'en parler.
— Ah bon ? Tu crois que tous les mecs, un jour ou l'autre, pensent à cela ? Vous en avez déjà discuté toi et lui ? Dis-moi, Alain, vous avez déjà abordé le sujet ?
— Laisse tomber ! C'est à lui, ma chérie, que tu dois poser cette question : Alain ne trahira jamais son pote. Comme tu peux avoir confiance, nous ne te vendrons pas pour notre… safari nocturne.
— Merci. Bon, je rentre. Je n'ai guère de temps à passer sur la route et le jour va bientôt se lever. Allez, je file. Merci pour le verre et pour tout le reste aussi.
— À ta guise, alors ! Prends bien soin de toi et passe nous voir de temps en temps. Ça nous fait toujours plaisir.
— Vous connaissez aussi le chemin pour nous rendre visite, et notre porte vous est toujours ouverte.
— Oui. Bise, ma belle.
— Salut, Alain. Bise à toi, ma Minouche ! Merci encore pour tout.
Ils sont tous sur le pas de la porte et Laure traverse rapidement la chaussée pour reprendre sa voiture. Ses deux amis lui font un dernier signe de la main. Si ces ceux-ci ont le sourire, elle imagine bien qu'il est un peu forcé : sans doute auraient-ils préféré une autre issue à cette balade de nuit. Mais si l'envie de faire l'amour cramponne les tripes de la brune, elle est légèrement tempérée par leur amitié, et surtout l'absence de son mari. L'ombre du malheureux Gabriel plane dans le crâne de la femme qui se glisse au volant de la voiture.
Un bourdonnement incompréhensible arrache la femme brune à son lourd sommeil. Dans un premier temps, elle ne saisit pas vraiment de quoi il s'agit, puis sa raison refait surface et d'un coup elle réalise que c'est son téléphone portable qui fait ce bruit. Merde ! Quelle heure est-il ? Elle repousse le drap qui couvre sa nudité et tente à tâtons de trouver l'appareil. Quand elle y parvient, l'appel est terminé. Le numéro qui est gardé en mémoire est bien celui de son mari. Alors elle appuie sur le bouton de la télécommande qui actionne les volets roulants. Un beau soleil s'invite d'un coup dans la pièce. La pendule indique seize heures.
Laure songe qu'elle a fait un sacré roupillon alors que son portable grésille de nouveau.
— Allô ? Allô, Gabriel.
— Ah, ma chérie ! Tu étais sortie sans ton téléphone ?
— Pas sortie ; j'étais au jardin. Il fait un temps magnifique cet après-midi ! Tu me manques.
— Toi aussi, ma belle, mais nous nous rattraperons dès mon retour : tu ne perds rien pour attendre…
— Des promesses, encore des promesses !
Loin là-bas, son mari éclate de rire. Il ne se doute de rien et montre sa joie d'entendre la voix de son épouse.
— Ta soirée s'est bien passée ? La mienne a été un vrai face-à-face avec la télé.
— À vrai dire, je suis sortie.
— Ah, sortie ? Raconte-moi.
— J'ai rendu visite à Alain et Marine. Ils avaient envie d'aller dîner à l'extérieur, alors je les ai accompagnés et suis rentrée assez tard.
— Tu as bien fait ; il n'est pas utile de rester seule lorsque je ne suis pas à la maison. Comment vont-ils, nos deux tourtereaux ?
— Pas trop mal. Ils sont sympas et te passent le bonjour.
— Tu les revois ? Si oui, dis-leur que je pense bien à eux ! Ils sont gentils, oui.
— Il me tarde tout de même que tu rentres. Je me languis de toi.
— Tu veux que nous… rejouions la scène de l'autre soir ?
— Oh non ! La jouissance par téléphone, c'est bien une fois ; après, ça devient vite lassant.
— … On peut essayer Skype aussi, si tu veux.
— Non : quand tu raccroches, après c'est trop frustrant pour moi.
— Je comprends, tu vas... nous allons donc devoir souffrir quelques jours de plus.
— Oui, mon amour, fait au plus vite. Je t'aime, de toute façon ; tu le sais ?
— Bien sûr ! Tu as une drôle de voix pour me dire ça. Tu es certaine que tout va bien ?
— Mais oui ! Nous sommes rentrés un peu tard et je suis crevée. J'irai me coucher de bonne heure. Et notre jardin ressemble à la jungle. Je vais continuer sa remise en ordre. Le printemps revient, les oiseaux chantent et c'est la saison des amours… La nôtre reviendra à ton retour.
— Oui, ma belle. Je t'aime, ma chérie. Bon, eh bien je te rappelle demain dans la soirée.
— Je t'aime, Gabriel…
Le bip de la fin de conversation soulage presque Laure. Pourquoi a-t-elle cette certitude que son mari a deviné que quelque chose clochait ? Le ton de sa voix ? Sa manière peu naturelle de lui répondre ? Un peu de tout cela, évidemment, et Gaby est une fine mouche. Elle s'en veut de n'avoir pas été honnête avec lui. Mais lui faire du mal gratuitement n'est pas dans ses intentions. Elle revient mentalement sur les événements de ces deux journées. Le pauvre homme ! S'il apprenait que… d'abord leur jeune voisin, puis ces inconnus. Ou plutôt seulement leurs bites, encore une chance que dans la rue personne ne puisse la reconnaître et lui faire savoir qu'il sait.
Un sentiment de honte lui rosit les joues. Elle si sage, elle si prude, qui n'a jamais seulement regardé un autre type depuis ce mariage si parfait. Que se passe-t-il donc pour que tout bascule de cette si soudaine façon ? Elle en est à ce stade-là de ses réflexions lorsque la sonnette de la porte d'entrée grelotte d'un coup, la faisant sursauter. Elle va au visiophone.
— Oui ?
— Madame Laure… C'est moi.
— Que me veux-tu encore ?
— Je… j'ai besoin de vous parler. Je peux entrer ?
— Nous n'avons plus rien à nous dire. Rentre chez ta mère, allez, file ! Je ne veux plus te revoir.
— S'il vous plaît… Je resterai là jusqu'à ce que vous m'ouvriez, je vous le jure.
— Si tu insistes, j'appelle la police !
— Je m'en fiche. Je leur raconterai notre… nuit, et ce sera tant pis pour vous. J'ai tout mon temps. Ouvrez-moi, et dans cinq minutes je suis parti.
— Arrête ! Je t'ai dit non ! Inutile d'insister.
Elle s'est détournée du petit écran qui reflète l'image du garçon. Renaud, qui revient à la charge, lui fout la trouille. Comment s'en sortir avec cet énergumène ? Elle n'a pas le temps d'y réfléchir vraiment : derrière la baie vitrée de la salle à manger donnant sur la pelouse, le gaillard est là ! Il a sauté la barrière et s'est introduit sur leur propriété. Elle ne peut rien faire, surprise par la témérité du jeune homme. Elle vient, en traînant les pieds, affronter l'intrus.
— Bon ! Cette fois tu dépasses les bornes ! J'appelle les gendarmes pour de bon.
— Attendez ! Je suis venu vous dire que… que je vous aime. Je suis amoureux de vous, et c'est pire depuis que nous avons…
— Ça ne te donne aucun droit sur moi. Et tu n'as aucun respect pour ta parole, pas plus que pour la vie privée des autres. Tu n'es qu'un voyou !
Depuis le début du dialogue, elle n'a pas pensé qu'elle se trouvait toujours nue.
— Ouais, un voyou qui t'a bien baisée, hein, salope !
À ces mots, Laure a fait volte-face. Celui qui les prononce n'est pas son interlocuteur. Le sale type du bistrot du jour du marché, celui qui était le plus véhément, le plus violent verbalement également, se trouve là. Cette fois elle a très peur. Elle tente désespérément de cacher à la vue des deux jeunes sa chatte, qu'ils reluquent sans vergogne. L'autre la toise avec un regard qui laisse à penser que ses intentions ne sont pas particulièrement sympathiques.
— Qu'est-ce que vous faites là, vous ? Tu as ramené ce voyou chez moi ? Vous allez déguerpir, et plus vite que ça !
— Calme-toi, mémère. On dirait que tu nous attendais dans une tenue… Nous, on est pacifiques. On veut juste te baiser un petit coup, et comme tu es apparemment prête… Renaud a eu sa part, et largement si ce qu'il nous a raconté est véridique. Traîner à poil dans ta baraque te va bien. Tu as un sacré beau cul !
— N'importe quoi ! Qu'est ce que tu as raconté à tes potes comme salades ? Ne me touchez pas !
— Ben, on va peut-être attendre que l'avocaillon t'appelle au téléphone : il paraît que tu es bien plus docile. Et puis on lui dira comment tu te laisses grimper par le gamin de tes voisins, à moins que… tu ne sois très gentille.
— Non ! Je me fiche de ce que colporte ce petit con de Renaud. Je ne vous laisserai pas me toucher. Et cette fois, j'appelle la gendarmerie.
— Barrons-nous, Cyril ! Barrons-nous ! Je n'ai pas encore envie de voir les flics débarquer dans ma vie.
— Calme-toi ! Tu vois bien qu'elle veut nous faire peur. Elle ne peut pas risquer de perdre son bon mari. Elle ne va rien faire du tout. Allez, la vieille, on s'y colle ?
Le coq fait mine d'avancer vers elle ; Laure recule. Le guignol lui a attrapé le poignet et la force à se coller contre son torse. Renaud ne bronche pas. Il ne fait pas un geste pour aider son ami, mais aucun non plus pour la défendre.
— Tu es complice de ce type, Renaud. Aux Assises, les juges ne sont pas coopératifs avec les violeurs et leurs complices. Si ce gars me touche, vous êtes bons pour vingt ans derrière les barreaux. Réfléchis, mais fais-le vite.
— Tu l'entends, Cyril ? Je n'ai pas envie de croupir en taule. Arrête et barrons-nous !
— Elle bluffe ! Tu ne vois pas qu'elle veut te foutre la trouille ?
— Pas besoin : c'est toi qui me colles le traczir. Lâche-la !
— Quoi ? On est bien là pour prendre du bon temps avec cette pouffe, non ? Attends… c'était du flan pour te faire mousser, l'histoire de son mec au téléphone et tout le toutim ?
— On s'arrache, et vite. Si elle appelle la flicaille, on est bons pour le ballon.
— Je m'en fous ! Je veux ma part de cette salope. Elle est bonne baiseuse, non ? Dis-moi que tu n'as pas tout inventé…
Laure sent d'un coup l'hésitation du voyou. Le dénommé Cyril ne sait plus sur quel pied danser. Laure profite de la brèche ouverte dans l'esprit du sale type :
— Si vous filez tout de suite, j'oublierai jusqu'à votre violation de domicile. Allez, fichez-moi le camp.
— Mais… Renaud, nom de Dieu ! Non, mais quel connard ! Tu nous as seriné des bobards ? Tu mériterais une branlée…
— Essaie donc de me la donner ! Allons, vas-y, un peu de courage. J'en ai marre de tes conneries. Tu te crois malin ? Allez, je me casse. Fais ce que tu veux, mais si tu la touches, je dirai tout aux keufs. Et puis je balancerai tout. Tu entends bien ? TOUT !
— Sale petite frappe ! Tu ne perds rien pour attendre, Renaud. C'est ça, vas-y, file avec la queue entre les jambes, je te reverrai. Quant à toi, tu as de la chance que ce péteux n'ait pas de couilles. Tu es belle, et bonne à baiser. On se reverra, nous deux.
— J'en doute fort… Débarrassez-moi le plancher. Et toi, Renaud, choisis mieux tes amis. Tes fréquentations vont t'envoyer en prison pour un bail si tu continues de la sorte.
Les deux voyous détalent à toute vitesse, empruntant le chemin pris à l'aller. La brune a les jambes qui tremblent. Elle ne se sent plus vraiment en sécurité dans sa grande maison solitaire. Et puis comment parler de cela avec qui que ce soit ? Quant à la police… ça équivaudrait à dire à son mari ce qui est arrivé, et là… elle n'en a aucune envie. Elle est pieds et poings liés et se retrouve enfermée dans une détresse morale impossible à contourner. Quelle idiote d'avoir cédé à son jeune voisin… Elle est à sa merci et se demande bien comment s'en sortir.
Elle ferme tout à clé, comme si c'était une vraie solution. Dans sa tête, des monceaux d'images défilent et elle ne sait plus vraiment ce qu'il convient de faire. Bêtement, elle décroche le téléphone et appelle son amie… Marine.
— Allô, Marine ?
— Allô ! Eh bien, ma belle, tu n'arrives plus à te passer de nous ?
— Je… je peux venir vous voir ?
— Mais nous te l'avons dit : notre maison t'est toujours ouverte. Tu as un problème ? Viens ! Alain est parti faire un tour. On discutera toutes les deux.
— J'arrive tout de suite.
Après s'être vêtue à la hâte, la brune saute dans sa voiture et démarre précipitamment. Elle tourne et retourne les plus folles inquiétudes dans sa caboche. C'est soulagée de s'éloigner de chez elle que Laure fait le court trajet qui la mène vers Minouche. Sur la route, elle ne croise pas âme qui vive, et c'est avec une sorte de soupir qu'elle appuie sur la sonnette pour appeler sa copine. Marine devait la guetter parce qu'elle ouvre de suite.
— Tu as fait vite ! Tu en as, une tête… Ça ne va donc pas si bien que cela ?
— Non, c'est seulement que je n'ai pas assez dormi…
— Ouais ? Tu en es bien certaine ? Enfin, si tu ne veux rien dire, c'est ton problème. Mais parler libère ou soulage la conscience. Je ne veux pas t'obliger à dire ce qui ne va pas. Ce n'est pas à cause de nous et de cette nuit ?
— Non, non, rassure-toi.