Chapitre 5

— J’ai téléphoné à Martial.

Elle est restée la fourchette en l’air.

— Ah….
— Un bon moment on a passé ensemble au téléphone.
— Et alors ?
— Il m’a posé des tas de questions sur toi. Comme ça, mine de rien, sans avoir l’air d’y toucher.
— Quel genre de questions ?
— Qui tu étais. D’où je te connaissais. Qu’est-ce tu fabriquais chez moi. Et s’il y avait quelque chose entre nous. Ça le préoccupe beaucoup, ça, apparemment.
— Et vous avez répondu quoi ?
— Que tu es étudiante, que je t’héberge momentanément pour rendre service à tes parents et qu’il n’y a rien entre nous. Strictement rien. Point barre.
— Il vous a pas cru, j’parie !

J’ai haussé les épaules.

— Il a eu du mal. Il a pas lâché le morceau comme ça. Il y avait peut-être pas, mais il y aurait, non ? Une jolie petite caille comme toi, j’allais quand même pas laisser passer une occasion pareille ! Si ? Ah, mais il voyait… T’avais un mec. Auquel t’étais sacrément accro. C’était ça, hein ? Il m’a seulement pas laissé le temps de répondre. Ben oui, forcément que c’était ça. Et sûr que, du coup, j’avais effectivement tout intérêt à faire profil bas. Parce qu’une nana, quand elle est toquée d’un mec, c’est peine perdue. Vaut mieux attendre patiemment son heure. Je t’avais vue à poil au moins ? Non ? Même pas ? Oh, putain ! Lui, il y aurait une nana canon comme toi qui serait venue habiter chez lui, il aurait rien eu de plus pressé, dès le début, que de se débrouiller pour voir comment elle était fichue, si elle se rasait le minou, tout ça…
— Ben, tiens !
— Ah, pour lui taper dans l’œil, tu lui as tapé dans l’œil, ça, on peut pas dire.
— Vous l’avez invité ?
— Samedi prochain. Il est absolument ravi.

Elle a fait la moue.

— Mouais…
— Non ? Ça te va pas ? Si t’as peur qu’il te drague plein pot, je peux te rassurer tout de suite. Je le connais depuis le temps. Martial, c’est le type qui parle beaucoup, qui fantasme beaucoup, qui, à l’entendre, a couché avec tout le pays. En réalité, avec les femmes, il est plutôt du genre réservé. Il va te bouffer des yeux, ça, c’est sûr. Bouillonner à l’intérieur. Sûrement bander comme un furieux, mais il aura pas un mot déplacé, pas un geste inconvenant. Pas même un regard trop appuyé. Rien. Il te foutra la paix.
— Je l’ai pas vu très longtemps, mais c’est bien l’impression que j’ai tout de suite eue, oui. C’est pour ça : je trouve que c’est un peu prématuré, samedi. Pourquoi si vite ? Il faut lui laisser le temps de la rêver, cette rencontre, de l’idéaliser, de ne plus penser qu’à ça. Il ne l’en appréciera que davantage. Et à moi, il faut me laisser le temps de penser à lui en train d’y penser. Je vais adorer.
— Je vois. Bon, ben je vais le rappeler, alors. Et reporter à une date ultérieure.

Elle s’est levée.

— Ce serait bien, oui.
— Et, au final, tout le monde va y trouver son compte.
— Même vous ?
— Même moi, oui ! Te voir savourer, à discrètes petites lampées gourmandes, l’intense satisfaction que tu vas éprouver à sentir son désir se poser sur toi, s’y installer, y séjourner, ça va être, pour moi, un véritable enchantement.
— Oh, vous, faudra que je vous emmène avec moi dans mes expéditions, quand j’erre par les rues pendant des heures, que j’y croise, par dizaines, des regards qui s’enchantent de moi quelques fractions de seconde et qui m’emportent avec eux comme un trésor. Qui me ramènent secrètement chez eux. Avec eux.
— Et dont tu vas partager, de longues semaines durant, tous les plaisirs.


Elle m’a à peine laissé le temps de refermer la porte. Elle m’a quasiment sauté dessus.

— Vous savez, ma copine Emma ?
— Celle qui t’a fait découvrir tant et tant de choses ?
— Elle-même. Eh bien, à force que je lui parle de vous, elle voudrait vous connaître…
— Rien de plus facile.
— Pas tellement, non. En ce moment, elle est au Guatemala.
— Vu comme ça, effectivement…
— Pour son boulot. Elle est photographe. Ce qui l’arrange bien. Ce qui l’a toujours bien arrangée. Parce que, du coup, quand elle a envie de savoir comment un mec est fait, eh ben il lui suffit d’évoquer une histoire de projet artistique quelconque. En général, ça marche. Tant et si bien qu’à l’arrivée elle se retrouve avec des monceaux de photos toutes plus évocatrices les unes que les autres.
— Tu les as vues ?
— Certaines, oui. Faut reconnaître qu’elle a du goût, et qu’en général ils sont sacrément bien foutus, les types.
— Et bien montés, j’imagine…

Elle a sorti son smartphone.

— La plupart. Bon, mais tout ça pour dire qu’en attendant de vous voir en chair et en os, ce qu’elle voudrait, c’est que je lui envoie des photos de vous. Aussi précises et explicites que possible. « Je pourrai bien me le représenter, comme ça, quand tu m’en parleras. »
— Ben tiens…
— Ça vous pose problème ?
— Tu penses bien que oui.
— Ce dont je me fiche complètement ! Allez, hop, à poil !
— Ça presse vraiment tant que ça ?
— Un peu que ça presse. On a parlé de vous tout l’après-midi.
— Je vois…
— Vous voyez rien du tout. Bon, alors, ça y est ? Vous y êtes ?

Je me suis déshabillé.

— Et, bien sûr, dans un souci d’équité, elle va me rendre la pareille, ton Emma. M’offrir ses charmes à contempler.
— C’est prévu, entre autres…
— Entre autres ? C’est-à-dire ?
— Vous verrez bien. Ce sera plus une surprise sinon… Tenez, allez vous mettre là-bas ! Dans la lumière. On va commencer par en faire en pied. Qu’elle ait une vue d’ensemble. Attention, bougez plus, le petit oiseau va sortir. Super ! Tournez-vous maintenant ! Côté pile. Et là, faut pas que je me loupe. Parce que les fesses, elle adore ça. Comment elle va halluciner, les vôtres ! Non, c’est vrai, elles tiennent vraiment la route. Surtout pour dire que vous avez quarante-six ans. Bien fermes. Bien musclées. On en mangerait.

Elle a photographié. Encore et encore.

— Bougez pas ! Restez comme ça. En gros plan, ce coup-ci. Attendez ! Attendez ! Faut qu’on mette la dose. On va la gâter. Après tout ce qu’elle a fait pour moi, Emma… Là, ça devrait être bon ! Il y a de quoi faire. De toute façon, au pire, je vous ai sous la main. Bon, allez, on zoome sur le morceau de choix ? Oh, mais c’est que c’est la forme, on dirait ! Elle vous fait de l’effet, cette petite séance photo, n’empêche… On en profite. On mitraille. En tout cas, elle va apprécier. Sûr qu’elle va apprécier. Oui, bon, mais maintenant, si vous pouviez arrêter de bander, ce serait sympa. Que je puisse vous l’avoir aussi au repos. Et après, à toutes les étapes quand elle remonte. De quoi on pourrait parler pour la faire redescendre ? De politique ? De la tectonique des plaques ? Du linéaire B ? Ça vous fait rigoler, oui, mais ça vous fait pas débander pour autant. Alors, vous savez pas le mieux ? Ce sera que je vous la prenne par surprise. Quand elle sera toute molle. Au moment où vous vous y attendrez le moins. En attendant, je vais déjà lui envoyer ça à Emma. C’est déjà pas si mal. C’est même l’essentiel. Elle pourra en faire son quatre heures. Et on aura du concret pour discuter toutes les deux. Sans compter que moi aussi, maintenant, je vais vous avoir constamment à disposition. Et que je pourrai profiter de vous quand ça me chantera. Même derrière votre dos, si j’ai envie. C’est pas super, ça ?