Nouvelle destination

Je suis le premier à être rentré à l'hôtel hier soir. J'ai hésité à prendre le lit mais, ne voulant pas gâcher le peu de progrès avec Marie, j'ai préféré dormir par terre. Purée, elle n'est pas rentrée de la nuit, et moi j'ai mal au dos !

Lors de notre séparation, elle m'a conseillé d'utiliser tous les moyens possibles pour obtenir des infos de Marina ; et si elle avait suivi ce conseil pour elle-même ? Et merde ! Et moi qui culpabilisais d'avoir couché avec la belle journaliste… mais si ça se trouve, Marie s'est tapé toute la famille pour leur tirer les vers du nez. Non, pas elle, elle est bien trop prude ! Mais elle semblait se lâcher hier soir et apprécier de se sentir séduisante ; peut-être n'a-t-elle pas su résister à un réveil violent de sa libido ? Merde, je n'arrête pas de l'imaginer se faire prendre de tous les côtés par les mâles de la famille Solo !

Je l'ai cherchée partout toute la matinée, et c'est à genoux devant l'autel de la cathédrale catholique d'Athènes que je la trouve. J'avance vers elle tandis qu'elle, le regard perdu vers le toit de l'édifice, prie.

— Des choses à te faire pardonner ? lâché-je en cachant à peine mon amertume.
— Très drôle ! Je suis une pieuse femme, je te rappelle. Je crois que nous sommes dans une impasse : je n'ai pas réussi à obtenir la moindre info utile.
— L'interview ne m'a rien apporté non plus, si tu veux savoir.
— Je savais bien que tu serais incapable de trouver la moindre piste ! me lance-t-elle d'un ton méprisant.

Purée, par moments j'ai vraiment envie de lui foutre des baffes. Quelle pétasse parfois !

— Je pense que les Solo n'y sont pour rien dans le complot qui se trame, continué-je en tentant d'ignorer la pique. Ils semblent juste profiter des évènements pour servir leurs propres intérêts pécuniaires.
— Comme je le disais, nous sommes dans une impasse. J'implore donc Dieu de nous montrer la voie à suivre, mais pour le moment il reste silencieux. Pousse-toi, tu perturbes ma connexion avec notre Seigneur.

Ben voyons, comme si son bonhomme imaginaire allait nous être d'une quelconque utilité…

— Tu aurais pu me dire que tu étais là, lui reproché-je ; je t'ai cherchée partout.
— Oh, pauv' p'tit chou, tu t'inquiétais pour moi ? se moque-t-elle. Sache que je n'ai pas besoin d'un garde du corps, surtout de ton niveau. Je suis la femme la plus proche de Dieu, je te rappelle. Et puis, je me suis toujours mieux débrouillée toute seule.

Purée, par moment je l'apprécie vraiment, mais par d'autres elle devient une connasse insupportable. Pourquoi mon cœur s'obstine-t-il encore à battre pour elle ? Je serais bien mieux à ne me préoccuper que de moi comme avant. Si seulement… Oh, je viens soudain d'avoir une grande idée : la suite de notre aventure m'apparaît clairement.

— Je sais où aller !
— Ah oui ? fait-elle, suspicieuse. Et où ça, génie ?
— Au Jardin d'Aphrodite ! Ils auront probablement des infos à nous fournir.
— Dans cet immonde lupanar d'où tu es issu ? Tu te moques de moi ou quoi ? Une femme de ma stature ne se rendra jamais dans un endroit si malfamé, à part pour botter les culs de tous ces infâmes pécheurs.
— Et pourtant, c'est Dieu qui le veut… tenté-je. Pour notre mission…
— Dieu ? Tu te moques de moi ? Pourquoi s'adresserait-il à toi plutôt qu'à moi ?
— Tu avais du mal à le capter ; la ligne était brouillée. Il a donc décidé de passer par moi.
— Ah oui, ça arrive des fois. Le message nous arrive mal ou on le comprend de travers.

Oui, ça arrive quelquefois, comme quand le commandement « Tu ne tueras point. » devient « Tu constitueras des armées et tu iras massacrer en mon nom. » ou que « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » devient « Tu mépriseras tous ceux qui sont différents de toi, spécialement s'ils ont une orientation sexuelle différente ou s'ils ne partagent pas tes croyances. »

— Eh ben, Dieu qui te contacte ? Jamais je n'aurais cru cela possible. Les voies du Seigneur sont vraiment impénétrables… Mettons-nous en route !


— Bon, Marie, je sais ce que tu vas penser de la plupart de mes anciens collègues, mais je t'en prie, garde tes remarques pour toi. Nous sommes en visite diplomatique. Personne ne nous donnera d'infos si tu les braques contre nous.
— C'est compris, répond-elle, boudeuse, à la façon d'une petite fille qui viendrait de se faire gronder par son père.

Me voici donc de retour au Jardin d'Aphrodite après des mois d'absence. C'est bien différent du Sanctuaire d'Athéna ; beaucoup plus végétal. Ici, les quelques habitations sont éparpillées entre des bosquets fleuris et des mares aux flots berçants. Les résidents, proches de la nature, s'accommodent très bien de la présence de nombreux animaux comme des cygnes et des perdrix qui semblent se plaire dans ce refuge. Il y règne une vraie atmosphère de paix.

— Stop aux intrus ! nous hurle soudain une voix.

Deux gardes à l'allure patibulaire viennent de nous barrer le chemin. Ils tentent de se montrer effrayant mais, s'agissant de pécores de base, ils ne représentent aucun risque pour nous.

— Je suis Francis du Bélier, chevalier d'or au service d'Athéna, me présenté-je en signe de paix. J'étais gardien éternel ici. Nous venons en paix afin de nous entretenir avec la déesse Aphrodite qui, je le rappelle, est une grande amie d'Athéna.
— Vous n'avez rien à faire ici, intrus. Faites demi-tour avant de le regretter !

Je sens déjà un agacement de la part de Marie.

— Puisque je vous dis qu'Aphrodite sera ravie de notre visite, insisté-je.
— Demi-tour ! hurle-t-il.
— Laissez-nous passer ou j'explose vos petites tronches de merde ! s'énerve Marie.
— Allons, allons, du calme, essayé-je d'arranger la situation. Allez chercher un gardien éternel : il vous confirmera mon identité et que je ne représente aucune menace.

Les deux hommes s'échangent un regard indécis, et finalement acceptent de recourir à ma requête. L'un d'entre eux part tandis que l'autre nous barre le passage en pointant une lance dans notre direction. Marie accepte – mais pas de bon gré – d'attendre, même si l'impatience se lit dans son regard. Après un bon quart d'heure, voilà le second garde enfin de retour, accompagné d'un homme en armure resplendissante ; je n'ai aucun mal à reconnaître Pat de la Coquille Saint-Jacques, surnommé Pat le Vilain.

— Francis… sourit-il. Ça faisait un bail ! Que nous vaut l'honneur de ta visite ?
— Salut, Pat. Nous sommes plus ou moins à la recherche d'informations et nous souhaiterions nous entretenir, ma collègue et moi, avec la très belle déesse Aphrodite. Ah oui, j'oubliais de faire les présentations ; Pat, je te présente Marie, chevalier d'or de la Vierge. Marie, voici Pat de la Coquille Saint-Jacques, gardien éternel du Myrte.
— Je suis enchanté de faire la connaissance d'une si charmante demoiselle. Permettez-moi, chère Dame, de louer votre beauté saisissante.

Il lui prend la main pour la baiser mais Marie le repousse violemment.

— Du calme, le décadent ! crache-t-elle. Je ne sais pas pour qui tu me prends, mais je ne suis pas une catin. Alors garde ta langue fourchue à l'intérieur de ta bouche.
— Décadent ? J'avoue que je suis un homme pas toujours sage, mais je ne crois pas être décadent. Est-ce décadent d'admirer une belle femme comme on admire l'œuvre d'un grand maître ? Je ne le crois pas, et je ne vois pas le mal qu'il y a à dire à une femme tout le bien qu'elle nous inspire.
— Pat est plus ou moins le chef ici, tenté-je de détourner l'attention de Marie.

Purée, ça commence bien ! J'avais pourtant bien précisé à Marie l'importance de se montrer diplomate. Elle n'est pas croyable, cette femme : voilà déjà qu'elle agresse l'un des membres les plus importants du Jardin.

— Tu veux dire « un peu comme le Grand Pope » ?
— Pas exactement, lui explique Pat. J'ai bien moins de pouvoir que votre Pope, et je partage mon rôle avec Inanna du Dauphin Astral, gardienne éternelle de l'Olivier. Et puis, comme pourra en témoigner Francis, ici, chaque gardien éternel est important et à son rôle à jouer. Nous prenons les décisions à plusieurs.
— Inanna du Dauphin Astral ? Ah, vous aussi vous pratiquez la parité ?
— Ah non, rien est imposé ici, lui répond Pat. Cela s'est fait naturellement.
— Bon alors, tu nous laisses entrer ? l'imploré-je.
— Euh, comment dire… Comme vous l'ont expliqué les gardes, l'accès du Jardin est interdit.
— Comment ? Je nous ai connus bien plus accueillants autrefois. Que se passe-t-il, bon sang ? Nous ne voulons que nous entretenir avec Aphrodite.
— Elle est absente pour le moment, c'est impossible.
— Absente ? Elle n'a jamais quitté le Jardin depuis que je la connais. Nous ne cherchons que des infos sur les menaces qui planent sur le Sanctuaire d'Athéna. Nous n'en aurons pas pour longtemps. C'est promis, Pat.
— Aphrodite n'est pas là, insiste-t-il. Elle ne vous sera pas d'une grande utilité.
— Très bien. Peut-être Hidden, dans ce cas. S'il y en a bien un qui a des infos, c'est sûrement lui.
— Absent aussi.
— Vraiment ? Dans ce cas, nous allons faire le tour des gardiens éternels. Peut-être que l'un d'eux pourra nous aider.
— L'entrée du Jardin est interdite !
— Interdite ? Mais c'est quoi le souci ? Allons, Pat, nous ne sommes pas des ennemis, insisté-je. Tu me connais, je ne suis pas une menace. Ni Marie ; je m'en porte garant.

Je le vois commencer à hésiter. Je lui lance un regard implorant. À mes côtés, Marie s'impatiente vraiment.

— Bon OK, allez-y, mais faites-vous discrets, finit-il par céder.
— Merci, mec, c'est cool.

Un des gardes s'approche de Marie et lui tend un document et un stylo.

— Veuillez signer ceci ; il s'agit des conditions d'accès au Jardin. Vous devez écrire « J'ai lu et j'accepte les conditions. » au-dessus de votre signature.

Ma belle collègue regarde le document d'un œil suspicieux.

— Dépêche, Marie, la poussé-je. Sans ceci, l'accès te sera refusé.

Elle finit par obéir. Pat ouvre donc le chemin. Nous empruntons une petite route bordée par une multitude de fleurs colorées. Celle-ci ne mène pas à la place centrale du Jardin mais plutôt à sa périphérie. Me voilà surpris.

— Tu nous emmènes où, là ?
— Dans ma nouvelle demeure. Vous avez l'air d'avoir fait une très longue route ; vous avez donc besoin de vous restaurer et de faire une pause. Je manquerais à mes devoirs si je ne vous accordais pas une pause bien méritée.
— Cela ira, proclame Marie. Nous souhaitons nous entretenir directement avec vos collègues.
— J'insiste… déclare Pat.

Cette réponse ne semble pas plaire à Marie mais, d'un regard, je l'implore d'accepter l'offre. La diplomatie se veut de se soumettre aux règles de son hôte. On a déjà réussi à le convaincre de nous laisser entrer, on ne va pas trop s'imposer non plus. Ce serait impoli.

— Dis donc, ça chauffe en ce moment au Sanctuaire, lance Pat pour faire la conversation. Les grèves et les manifestations ont atteint une ampleur inégalée.
— Ah, alors vous êtes au courant ?
— Ouais, c'est arrivé jusqu'à nos oreilles. C'est un beau bordel et ça n'a pas l'air de s'arranger.
— Ben, il me semblait pourtant que cela se calmait depuis le début des négociations.
— D'après les journaux, les négociations sont dans l'impasse depuis que le chevalier des Poissons a menacé les habitants de leur couper les aides sociales parce que ça coûte un pognon de dingue ! Depuis, les manifestations ont repris de plus belle. D'autant plus qu'à ce qu'il paraît, le Grand Pope a fait construire une immense statue pour l'anniversaire de son fils, et qu'il compte lancer un nouvel impôt pour finir de la payer.
— Ah ? Nous n'étions pas au courant de ces derniers évènements. Cela ne m'étonne pas d'eux.
— Ouais, ça a l'air d'être un sacré numéro, votre Maquereau ; il n'aurait pas beaucoup d'amis, au Jardin.
— Il n'en a pas beaucoup non plus au Sanctuaire, remarque Marie.
— Et sinon, repensé-je soudain, à quoi ressemble mon successeur ? Vous avez eu le temps de recruter un remplaçant, je suppose ?
— Euh… en fait, non. La vérité, c'est que nous avions totalement oublié que tu étais parti. Je n'y ai repensé que la dernière fois quand Anthynéa m'a dit « Au fait, Francis est en mission ? Cela fait longtemps que nous ne l'avons pas vu. »

Nous arrivons devant un grand manoir de style gothique qui tranche radicalement avec l'architecture des environs. Au-dessus de l'immense porte de chêne qui sert d'entrée trône une coquille Saint-Jacques, symbole de notre cher Pat le Vilain.

— Dis donc, tu t'es agrandi… sifflé-je, admiratif. C'est magnifique !
— T'as vu, hein ? Il me fallait plus de place ; j'ai intégré mon musée dans l'aile ouest. Vous pourrez le visiter tout à l'heure si le cœur vous en dit.
— Euh… on verra.

Ou pas… Je vois déjà la réaction révoltée de Marie quand elle découvrira ce musée. Pat – que beaucoup au Jardin surnomment « l'homme pas sage » (ce qui est quand même très révélateur, comparé au niveau de perversité du reste des gardiens éternels) – nous mène à l'intérieur, à une salle de réception où il nous installe dans un confortable canapé rouge, puis il fait tinter une petite cloche afin de convoquer deux magnifiques servantes. Des nouvelles, pour le coup : je ne me souviens pas avoir déjà vu de si sublimes créatures à ses côtés. J'en profite pour les admirer. Une brune, une blonde, bien proportionnées, aussi jolies l'une que l'autre. La tenue est très chic pour des servantes : tailleur, jupe serrée et talons. Leurs jambes sont gainées de bas blancs qui tiennent, sans nul doute, par des porte-jarretelles. Pat ne jure que par ce genre de tenue. Marie fronce déjà des sourcils.

— Les filles, déclare-t-il, pouvez-vous nous apporter des verres et un bon petit whisky, s'il vous plaît ?

L'homme pas sage repère mon coup d'œil sur le cul des filles quand elles s'éloignent. Un petit sourire complice se dessine sur ses lèvres.

— Claudia et Natacha sont mes servantes les plus dévouées. Elles n'hésitent jamais à donner de leur personne. Francis, si tu désires quoi que ce soit, demande-leur.
— Je n'y manquerai pas.

Purée, je n'ai jamais eu de servantes à l'époque. Je me serais bien amusé avec, sinon…

— Bon, alors parlez-moi un peu de ce qui vous amène ici, relance Pat, l'œil sombre.
— Que sais-tu des chevaliers noirs ?
— Pas grand-chose. La dernière fois qu'on les a vus, c'était à l'époque de légende ; quatre d'entre eux étaient au service d'Ikki du Phénix qui s'était emparé de l'armure du Sagittaire. Personne ne sait d'où ils sortaient au juste.
— Aujourd'hui ils sont de retour, et ils semblent plus nombreux, lui révèle Marie. Ils complotent contre le Sanctuaire et sont soutenus par plusieurs chevaliers de bronze et d'argent renégats.
— Ah oui ? Je n'en ai pas entendu parler. Nous n'avons pas eu affaire à eux par ici. Les autres les ont peut-être croisés lors de missions ; je leur demanderai pour vérifier. Bon, je vais vous laisser, j'ai un rendez-vous important. J'aimerais que vous attendiez mon retour ici. Je reviens aussi vite que possible. Vous n'avez qu'à visiter mon musée en attendant. Francis, tu verras, j'ai de magnifiques nouvelles pièces. Enfin, bref, faites comme chez vous… enfin, pas trop quand même, hein, Francis : ne casse pas la baraque comme à ton habitude.
— Tu exagères ! m'agacé-je ; ce n'est arrivé qu'une fois, et puis je t'ai remboursé les dégâts.

Pat sort de la pièce. Je me précipite sur ses pas en faisant signe à Marie de m'attendre là. J'ai une dernière demande à lui faire mais je n'avais pas l'intention que ma collègue soit au courant.

— Attends, Pat ; peux-tu m'obtenir un rendez-vous avec Doc ?
— Euh… oui. C'est pourquoi ?
— C'est plutôt confidentiel. Je n'ai pas trop envie que tout le monde soit au courant.
— Hum, tu piques ma curiosité. C'est OK, je vais voir ce que je peux faire pour toi.
— Merci, mec.

Je reviens dans la salle de réception où Marie semble bouillir sur place. Je tente en vain un sourire pour l'apaiser.

— C'est louche toute cette histoire, lance-t-elle. Il nous cache quelque chose.
— Hein ? Mais non, tu délires. Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
— Ben, on nous refuse l'entrée du Jardin alors que tu étais sûr que tu serais bien accueilli. Après, on nous dit que tous ceux qui pourraient nous aider sont absents, puis on nous emmène et nous tient à l'écart.
— C'est vrai que dit comme cela, c'est louche ; mais je t'assure que Pat ne nous cache rien. J'ai pleinement confiance en mes anciens compagnons d'armes.
— Alors comment expliques-tu cette attitude ?
— Je n'en sais rien, mais je suis sûr qu'il y a une bonne raison.
— Pff… en tout cas, ça fait chier d'être coincée là sans pouvoir rien faire.
— Prends ton mal en patience, et un verre en attendant.
— J'en suis déjà à mon cinquième : ça a plutôt bon goût, en fait.

Hein ? J'ignorais qu'elle avait une aussi grande descente. L'alcool va peut-être l'aider à se laisser aller. Je m'assois à ses côtés, tentant un rapprochement, et me sers mon second whisky.

— Ce Hidden, c'est un gardien éternel aussi ?
— Non, juste un gardien forestier – ce qui est un grade correspondant à peu près aux chevaliers d'argent – mais il est très puissant, peut-être autant qu'un gardien éternel. C'est notre homme de l'ombre, notre espion, une sorte de ninja si tu préfères. C'est aussi lui qui est chargé de l'interrogatoire de nos prisonniers. Enfin, quand on en a, ce qui n'est encore jamais arrivé à ma connaissance.
— Et tu penses qu'il pourrait avoir les infos que nous recherchons ?
— Oui : il est toujours au courant de tout. Ses connaissances sur tout ce qui se trame sont totalement hallucinantes.
— Très bien. On le contacte comment ?
— C'est là que ça se complique : il a tendance à surgir aléatoirement et nous délivrer des informations au compte-goutte. Pas toujours facile de remettre ça en ordre, après.
— Pff, décidément, je commence à penser que vous n'êtes qu'une bande de brêles en plus de pervers décadents.
— Tu commences ? Parce que ce n'était pas déjà ton préjugé avant de nous connaître ?
— Je n'ai pas besoin d'apprendre à vous connaître pour savoir à qui j'ai affaire.
— Mouais, si tu le dis… Tu reprends un verre ?
— Volontiers.

Son verre plein est vidé en une fraction de seconde. Elle boit ça comme s'il s'agissait d'eau. Quelle descente ! Par contre, ses yeux commencent à partir en couille et son visage affiche une expression bizarre. C'est la première fois que je la vois bourrée. J'avoue que ça m'amuse.

— Pat, gardien éternel du Myrte ; Inanna, gardienne éternelle de l'Olivier. C'est quoi ce délire à garder des arbres ? balbutie-t-elle.
— Les arbres d'Aphrodite sont les piliers de son Jardin. Leur cosmos nourrit et préserve la paix dans tous le Jardin. Ils sont absolument vitaux. Le rôle des gardiens éternels est donc primordial, tout comme l'est celui des chevaliers d'or.
— Et sinon, tu ne m'as pas dit, tu avais quoi comme armure quand tu étais gardien éternel ?
— Je portais l'armure de la Dryade, la nymphe des bois, et j'étais gardien éternel du Chêne.

Sa réaction se lit dans son regard choqué.

— Ahh, fait-elle de dégoût. Tu veux dire que tu portais une armure de femme ? Mais c'est contre nature !
— Hé, je n'ai pas eu le choix de l'armure : c'était la dernière disponible. Et puis je ne suis pas le premier à avoir porté une armure de femme : le grand héros de légende Shun portait bien l'armure d'Andromède.
— Ouais, héros de légende ou pas, c'est toujours contre nature. Ha-ha, je viens de t'imaginer avec une paire de seins ! Je devrais ralentir l'alcool : je commence à avoir des pensées obscènes. Tu en avais, des seins ? Je veux dire, sur ton armure ?
— Euh… oui.
— Perso, j'adorerais que la mienne en ait aussi. Ma poitrine est vraiment compressée là-dessous. Ce n'est pas toujours très agréable.

L'évocation de sa magnifique et opulente poitrine me laisse songeur. Une certaine chaleur me gagne, chaleur qui n'est pas due à l'alcool. Je lui proposerais bien de retirer son armure pour qu'elle se mette plus à l'aise, mais je crains qu'elle ne soit pas assez alcoolisée pour ne pas se méfier de mes réelles motivations.

— Bon, et si on allait voir ce fameux musée, histoire de s'occuper ? Je crois que j'ai besoin de marcher.
— Non, non, ce n'est pas trop ton genre. Tu ne vas pas aimer.
— Pour qui me prends-tu ? Je suis sensible à l'art.
— Je ne suis pas sûr qu'on puisse qualifier cela d'art ; enfin, pas totalement.
— C'est à dire ? insiste-t-elle, intriguée.
— Eh bien, hésité-je, le musée est dédié aux porte-jarretelles. Il regroupe tout ce qui touche de près ou de loin à cette pièce de lingerie.
— Ah… fait-elle, dégoûtée. Mais quel pervers décadent, celui-là !
— Tu exagères : il apprécie juste la sensualité que cela confère aux femmes qui en portent. Il a toujours eu un faible pour ces vêtements ; ce n'est pas pour rien qu'il milite pour instaurer le Porte-Jarretelles Day au pays entier.
— Je ne veux même pas savoir ce que c'est. Tu as raison, oublions ce musée satanique. Viens, suis-moi plutôt, déclare-t-elle en se dirigeant vers la sortie après avoir vidé d'une traite un autre verre.
— Hein ? Tu vas où ? Pat nous a dit de l'attendre ici.
— Ouais, et toi, en bon chien, tu obéis toujours à tout ce qu'on te dit. J'ai envie d'en découvrir plus sur ce Jardin.

J'accepte finalement de la suivre, surtout qu'elle a ce petit sourire de défi qui la rend craquante. Après tout, je ne vois pas pourquoi l'homme pas sage tient tant à ce que nous restions cloîtrés chez lui. Nous sortons donc de la salle de réception et nous dirigeons vers la sortie du manoir. La démarche de Marie semble assez titubante. La porte s'ouvre et Lambdales, gardien forestier du Ceste, apparaît pour nous barrer le passage.

— Hé, salut à vous ; content de vous voir. J'ai croisé Pat le Vilain qui m'a demandé de vous tenir compagnie et de vous servir de guide à son musée.
— Comme par hasard, juste au moment où nous allions sortir… murmure Marie.

Encore sa théorie comme quoi Pat nous tiendrait à l'écart. C'est vrai que cette apparition soudaine de Lambdales pour nous servir de nounou tombe à pic. Se pourrait-il qu'elle ait raison ? Non, je refuse de croire cela. Chassant cette idée de ma tête, je me contente de faire les présentations.

— … et quand je te disais que Pat militait pour le Porte-Jarretelles Day, Lambdales en est aussi un fervent militant et…
— Francis, me coupe-t-elle, je crois que je ne me sens pas très bien. J'ai la tête qui tourne.

En effet, elle affiche depuis quelques minutes une grimace des plus inquiétantes. La voilà titubante. Je l'attrape dans mes bras avant qu'elle ne se ramasse. Elle me fixe un instant dans les yeux, me sourit juste avant d'arborer une tête horrible et de vomir sur moi tout le whisky ingurgité.