Acte V : Psychiatre et compagnie

L'obsession absolue ! Ce sont les termes qu'il emploie pour définir ce qu'il ressent. Frédéric passe son temps à éviter sa sœur, sa mère, et même son père. Il ne comprend plus du tout ces réactions violentes de son corps vis-à-vis de Karine. Alors un matin, au bord de la crise de nerfs, en fouillant dans ses affaires à la recherche d'un bouquin de classe, il tombe sur le bristol que lui a remis son père. Le nom devant ses yeux, le voilà hypnotisé par la carte de cette femme. Il se demande soudain « Et si c'était cela, la solution ? » Après tout, qui ne risque rien n'a rien. On est idiot que le temps d'essayer.

— Bonjour, je suis bien chez le docteur Redon ?

Dans la salle à manger, au bout du fil du téléphone, la voix de la dame répond :

— Elle-même, oui. Que puis-je pour vous ?
— Je crois que je deviens fou… et peut-être pouvez-vous m'aider.
— C'est une plaisanterie ? On ne devient pas fou comme ça. Et puis les fous… ça n'existe pas vraiment. Je ne veux ni vous faire perdre votre temps ni perdre le mien ; alors dites-moi ce que vous voulez vraiment.
— J'ai besoin d'aide. Mon prénom est Frédéric, et… je crois que je suis amoureux.
— Oh, rien que de très normal. Au son de votre voix, je pense que c'est de votre âge.
— Oui, oui, mais c'est de ma propre sœur que je me suis épris, et je ne sais pas comment m'en sortir. Ensuite, je suis d'une jalousie maladive. Je tourne en rond… j'ai peur de faire une connerie.
— Bon, calmez-vous ! Il n'y a rien de dramatique à tomber amoureux d'une jeune fille. Le problème, c'est qu'elle est de votre sang, si je saisis bien. Comment avez-vous eu mon téléphone ?
— Mon père était un de vos amis pendant vos études.
— Ah ? Donnez-moi votre nom de famille.

Frédéric redonne le nom, qui soudain semble éveiller des souvenirs à la femme au bout du fil.

— Ah oui, Hector… il a donc de grands enfants. Écoutez, Frédéric, je n'ai guère de place dans la journée. Le soir j'ai déjà une petite patiente, mais elle espace ses visites ; alors si vous voulez, je peux vous prendre de temps en temps de dix-neuf à vingt heures. Demain par exemple, si ça vous convient.
— Oh oui ! Je veux absolument avoir une idée, savoir si je peux faire… enfin, si vous pouvez, vous surtout, m'aider.
— Alors c'est entendu ; venez demain à mon cabinet.
— D'accord. Merci, Madame, et à demain.

La journée qui suit est d'une lenteur impossible. Il évite les rencontres avec les uns et les autres. Dans la chambre de sa sœur, après les cours, il entend le remue-ménage qu'elle fait. Puis, après des ablutions rapides, il sort de sa piaule qu'il vient de finir de ranger. Au moins ce ménage intempestif lui aura-t-il permis de tuer cette attente qui le mine.

— Maman… je vais chez un copain ; ne m'attendez pas pour le dîner.
— Ne rentre pas trop tard, mon chéri. Et surtout… ne buvez pas trop.
— Mais non ! Rassure-toi.
— Bon, je vois que tu as meilleure mine.

Il file vers la porte de peur qu'elle ne lui pose des questions plus embarrassantes, et alors que sa main se trouve sur la poignée d'ouverture, elle le rappelle :

— Frédéric ! Frédéric…
— Oui maman ?
— Je t'aime.
— Je le sais, maman, je le sais.

Un « ouf » de soulagement sort de sa gorge. L'air frais de l'extérieur, et il saute dans un taxi auquel il donne l'adresse du médecin. Après quelque vingt minutes de route, la voiture s'arrête devant une demeure plutôt bourgeoise. Il sonne, et celle qui vient lui ouvrir a vraiment la tête de l'emploi.

— Vous êtes Frédéric ?
— Oui Madame.
— Eh bien, entrez ! Là sur votre gauche, la porte du fond, c'est mon cabinet.

Une vaste pièce, un bureau en chêne, un siège en cuir derrière celui-ci. Une impression de déjà-vu ; la sensation qu'il vient de pénétrer dans le bureau de son père. La femme l'invite à s'asseoir sur un des deux autres sièges qui se trouvent dans la pièce. Il ne sait trop où se mettre, et son regard insistant va vers le divan, un sofa bas au cuir un peu suranné. Elle a suivi la direction des yeux du jeune homme.

— Non, non, Frédéric, pas le divan. Du moins pas aujourd'hui. Je veux seulement faire connaissance. Vous écouter, vous entendre, me faire une idée. Donc Hector a déjà de grands enfants…
— Oui. J'ai aussi une sœur aînée qui a deux ans de plus que moi.
— C'est vrai. Vous avez fait allusion à des problèmes d'ordre sentimental avec elle.
— Vous avez donc bien compris ce que je vous disais au téléphone.
— Bien sûr ! C'est mon métier d'écouter les gens, de disséquer les dires des uns et des autres. Une seconde nature, en quelque sorte.

Elle s'est assise sur le siège, en vis-à-vis avec le jeune homme. Il regarde cette femme, une grande bringue un peu sèche ; un rouge peu criard souligne ses lèvres minces. Elle n'est pas vraiment belle ; pas moche non plus. Une femme qui doit avoir le même âge que sa mère. Il attend qu'elle dise quelque chose. Le son de la voix féminine est doux ; elle glisse dans son oreille, pareille à des notes de musique. Alors quand elle lui demande de raconter son histoire, il ne suit plus que le stylo qui gribouille des lignes et des lignes sur un bloc de sténo. Il démarre lentement, cherchant ses mots, pesant chacun d'entre eux. Elle ne lui coupe aucune fois la parole.

Il s'étale sur cette histoire qui lui bouffe la vie, sur cette sœur pour qui il ressent des trucs pas… catholiques, pas chrétiens. Il ne parle pas de ses érections, mais elle doit bien le sentir, ressentir que son corps vibre pour Karine. Elle le laisse causer, causer encore, et il bavarde sans retenue, restant dans cette frange limite de l'envie et de la jouissance mélangée. Rien que de narrer cet incroyable désir pour sa frangine, il sent une sourde chaleur au bas de son ventre. S'il n'était pas assis sur un siège, sans doute que la femme qui griffonne verrait la bosse qui déforme sa braguette. Puis soudain il se tait. Plus un mot.

Le silence est pesant. Perdu dans ses pensées, il entendrait presque la mine du crayon qui gratte une ligne de la feuille de papier. La respiration calme de la psychiatre est perceptible également. Il se perd dans des images venues du fond de sa caboche : le baiser sur la joue de sa sœur lors de l'anniversaire de Karine, le « Je t'aime, mon frère… » prononcé d'une manière étrange ce jour-là. Puis il sent que la psy vient de poser son regard sur lui. Il se trouve bête, comme gêné par ces deux billes qui tentent de déchiffrer des impressions qu'il ne saura jamais traduire en mots.

— Vous voulez que nous en restions là pour ce soir ? Mais rien ne vous oblige à vous taire. Vous savez, je suis très attentive, et vos phrases traduisent une vraie souffrance. Votre sœur… Karine est-elle consciente de ce qu'elle représente pour vous ?
— Bien sûr que non ! Vous croyez que ce serait sain de lui avouer comme ça tout de go que l'amour que je lui voue n'a rien de fraternel ? Nous avons les mêmes parents, et je ne pense pas que ma mère ou mon père apprécieraient que…
— Oui, oui, vous avez raison ; je dirais que vos réactions sont plutôt… réfléchies.
— Je peux vous assurer que ça devient pour moi une torture. J'ai mis un mot sur cette… ces visions quasi incestueuses.
— Oui ? Vous voulez me dire lequel ?
— Obsession. Je crois que je fais une obsession sur elle.
— Je crois que vous avez bien agi en venant me voir ; nous allons sans doute avancer rapidement vers une… guérison positive. Vous ne vous êtes jamais intéressé aux filles de votre école, de votre lycée ?
— Maintenant que vous me le dites, eh bien non. Je dois dire qu'aucune ne m'a fait…
— Allons, libérez-vous, dites-le… Aucune ne vous a fait…
— Bander comme Karine. Et pourtant je suis bien conscient que rien n'est possible entre elle et moi. Mais le pire, voyez-vous, c'est que je dois avoir des hallucinations. Il me semble que je la vois partout. Au bord d'une piscine où elle m'a juré n'avoir jamais mis les pieds, avec des amis nouveaux, des gens que personne ne connaît.
— Et pourquoi êtes-vous si certain que vous vous trompez ? Elle ne peut pas être allée là où vous pensez l'avoir aperçue ?
— Je dois admettre que la jalousie me fait peut-être imaginer des trucs qui n'existent pas. Il m'a semblé voir sur l'épaule de mon fantôme une tache de naissance pareille à celle que Karine porte au même endroit depuis toujours, alors que je suis certain que ça ne peut pas être possible. Vous me croyez, n'est-ce pas ? J'ai même parlé à un type avec qui je l'ai vue autour de la piscine, et il n'a pas sourcillé quand je lui ai donné son prénom ; il avait l'air sincère. Tout le monde pense en ce moment que je deviens… dingue !
— Doucement, jeune homme. Nous allons reprendre point par point tous ces éléments, et voir si nous pouvons y apporter des réponses. Mais je suggère que ça se passe la prochaine fois. En parler avec moi vous fait-il du bien ? Je vous fixe un autre rendez-vous ?


La séance de cinéma, le comportement très osé d'Adrien, n'en fallait-il guère plus pour que ces deux-là se rapprochent ? Eh bien pas du tout : à peine sortis de la salle obscure, comme si rien n'était arrivé, chacun reprend son petit bonhomme de chemin ! Comment penser un seul instant que Catherine va continuer, va oser poursuivre les premiers pas amorcés ? La lumière extérieure, artificielle ou naturelle, reste un frein à l'épanouissement normal des relations amoureuses entre les deux timides. Les jours de vacances qui ont suivi n'ont pas non plus aidé les amours balbutiantes. Rentrée chez ses parents, pas une seule fois non plus elle n'a abordé le sujet avec sa mère, celui d'une rencontre avec madame Redon.

Le retour aux études, revoir Maryse fait du bien à la jeune Vosgienne. Avec Marinette, elle n'a pas abordé le sujet de ses soins. Dès les premières journées elle reprend ses habitudes, et tout se passe pour le mieux. Les cauchemars – s'ils ont baissé en intensité – refont surface de temps à autre. Elle travaille d'arrache-pied pour obtenir son diplôme et entraîne son amie dans son sillage. Mais ces heures de cours assidues ont un prix, celui d'une fatigue extrême, et le soir elle se couche tôt.

Pourtant, un soir, alors qu'elle a pris sa douche qu'elle vient de passer une nuisette stricte, de petits coups discrets frappés contre sa porte viennent la surprendre. Sans entrain, elle va ouvrir.

— Salut, Cathy !
— Ah, Adrien ? Qu'est-ce que tu fais là ?
— Ça fait un moment que nous ne nous sommes pas vus ni parlé. J'avoue que je trouve le temps long. Tu ne veux pas me faire entrer ? Te parler dans un couloir, c'est… un peu bizarre, non ?
— Ah, pardon ! Si, si, mais j'allais me coucher, je suis crevée. Avec Maryse on bosse comme des dingues.
— Oui, elle me l'a dit. Mais je n'en pouvais plus de… ne pas te voir.
— Ah bon ? Je te manque donc tant que ça ?
— Oui ! Pas à toi ? Je ne vais pas rester longtemps, le temps d'un café si tu veux bien.
— J'en ai encore du fait ; je te le réchauffe au micro-ondes, ça t'ira ?
— Oui, oui, ne t'inquiète pas.
— Ça fait un bout de temps que je ne t'ai vu. Je te croyais fâché pour l'autre soir… au cinéma.
— Non ; j'ai du boulot en retard… et puis j'ai oublié de te raconter un truc et ça m'est revenu. Un type m'a presque fait une scène en me demandant ton prénom. Il pensait que tu mentais, que tu n'étais pas celle que tu prétends.
— Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Quel type ? Où était-ce ? Comment était-il ? Tu délires ou quoi ?
— Pas du tout. Je sortais d'un bistrot et il m'a sauté sur le râble. Nerveux et agressif. Enfin, je l'ai calmé et il est reparti persuadé que je lui racontais moi aussi des bobards.
— C'est du grand n'importe quoi ! Tu ne l'as pas revu ?
— Non, mais j'ai eu l'impression que ce mec était… comment te dire ça… amoureux de toi sans vouloir le montrer.
— Si c'était un autre élève, tu le saurais. Je ne sais rien de cela ; pourquoi tu ne m'en parles qu'aujourd'hui ?
— Ben… peut-être parce que moi aussi je suis… amoureux de toi.
— Arrête ! Je ne veux rien entendre de cela. Je fais des cauchemars presque toutes les nuits et je vois la mère de Maryse.
— Ouais, Maryse m'en a parlé. Elle raconte aussi que tu passes plus de temps avec sa mère qu'en sa compagnie.
— Bon, c'est mon procès alors ? Si tu es venu pour me raconter les commérages de Pierre, Paul ou Jacques, tu peux repartir d'où tu viens.
— Enfin, tu vas te calmer, oui ? Je voudrais simplement que tu comprennes que je suis… un peu jaloux.
— Mais de quoi, bon sang ? Le loustic qui t'a rapporté des faits et gestes imaginaires, qu'est-ce qu'il vient faire là-dedans ? Jaloux, mais de qui ? De quoi ?
— Je crois que je t'aime pour de bon…
— Tu n'as guère montré d'empressement particulier à me le prouver, ces derniers temps. Un moment j'y ai cru après notre séance de cinéma… mais… Allons, laissons tomber, ça vaut mieux.
— J'aurais voulu t'embrasser, te dire tout haut ce que je pensais tout bas, mais j'ai manqué de courage.
— Eh ben… ils sont beaux, les hommes d'aujourd'hui ! Ils attendent tous comme toi que ce soit les filles qui fassent le premier pas, sans doute… Allez, prends ton café et ouste, mon vieux. Nous reparlerons de tout cela demain ; la nuit porte conseil. Je vais chez madame Redon dans la soirée de demain ; on se voit après, si tu veux.
— J'aimerais bien voir la tête qu'elle a, cette bonne femme. Je peux t'accompagner ?
— Je n'en sais rien… enfin, pourquoi pas ? D'accord. Viens me rejoindre pour dix-neuf heures ici.
— Banco ! Je file. À demain soir, ma belle.

Adrien hésite une seconde, s'approche de la jeune fille, puis sa bouche vient au contact de sa joue. Il aurait aimé s'aventurer davantage, mais quelque chose le retient une fois de plus. Alors il ouvre la porte et s'élance dans la nuit sans se retourner. Catherine voit le garçon qui une fois de plus se dérobe. Elle a comme un petit pincement au cœur. Si seulement il avait fait un mouvement, une seule petite avancée vers elle ; sans doute aurait-elle fondu entre ses bras. Mais voilà, il est parti comme un voleur à nouveau. Elle soupire, pousse la porte. Il est temps de dormir.


Karine observe son frère à la dérobée. Il l'inquiète de plus en plus. Il se comporte d'une manière plus qu'étrange et se mure dans un silence pesant. Le petit déjeuner pris avec les parents est un moment qui, avant, était apprécié par tous ; mais là ça devient austère, et chacun regarde les autres avec en tête des pensées confuses.

— Ce soir, maman, je ne rentrerai pas de bonne heure : je passe chez mes amies pour nos devoirs de mathématiques.
— Moi aussi, maman, j'ai un rendez-vous assez tardif.
— Ah, Frédéric… une fille là-dessous ?
— Occupe-toi de tes oignons, Karine. Pour vous tous je suis le fou de service, alors inutile de me demander ce que je vais faire ; ça ne regarde que moi.
— Oui ? Eh ben, c'est rigolo les petits déjeuners en ta compagnie, frérot.
— Karine, arrête d'asticoter ton frère !
— Oui, papa. Je vous le laisse votre petit chouchou. Salut, la compagnie !

Elle a pris ses affaires et la voici qui part, légèrement énervée. Mais elle se retourne sur le pas de la porte.

— Allez, bises et bonne journée à tous. Ne m'attendez pas pour le dîner.
— Karine, j'aimerais une bise de ma fille…
— Pardon, maman. Voilà ; et pour toi aussi, papa.

La jeune fille a délicatement embrassé ses parents. Pour son frère, un clin d'œil, et la voici qui court. Tous les trois autour de la table suivent des yeux cette presque femme qui se déhanche dans l'allée qui mène à la rue. Le haussement d'épaules et le soupir de Frédéric n'échappent pas au père.

— Tiens, Frédéric, tu as une minute ?
— Ben… oui.
— Alors viens dans mon bureau.

Ils se lèvent ensemble et Hector passe le bras autour des épaules de son gamin en signe d'affection. Alice a un sourire aux coins des lèvres. Ces deux-là sont quand même toujours bien complices.

Dans le bureau, le jeune homme a l'impression d'entrer dans celui de la psychiatre.

— Mon amie m'a appelé ; elle m'a dit que tu allais la voir.
— Quoi ? C'est pas trop réglo, ça ! Elle n'est pas tenue au secret professionnel, cette bonne femme ?
— Si, si. Elle ne m'a donné aucun détail, m'indiquant simplement qu'elle t'avait vu, et elle voulait de mes nouvelles. Nous avons fréquenté longtemps les mêmes lieux. Puis… j'ai rencontré ta mère.
— Tu dis ça avec nostalgie…
— Pas du tout ; je suis très heureux et j'ai deux beaux enfants, mais ça n'empêche pas les souvenirs. Je suis aussi très content de voir que tu te prends enfin en main : c'est le signe que tu deviens adulte. Essaie de faire encore un effort avec ta sœur ; c'est difficile aussi pour elle… ton sale caractère…
— Bon, tu veux que je te promette de faire un effort ? Parfait, c'est promis, juré craché.
— Cochon qui s'en dédit, alors ! Merci, Frédéric.

Les choses en sont là quand il quitte la maison. Ce soir il a lui aussi rendez-vous avec Odile Redon, tard, juste après une autre patiente. La journée qui s'annonce lui semble pourtant de bon augure. Son père lui a donné de l'argent et ses potes l'attendent pour faire un billard. Que demander de plus ? Mais, bon Dieu, que Karine au petit déjeuner était encore désirable… Bronzée, aussi croustillante que les tartines qu'elle avale chaque matin. Cette idée le fait sourire, mais une autre partie de son anatomie se met à délirer, et c'est avec une trique phénoménale qu'il retrouve ses joyeux amis à la salle de jeux.
Ceux-ci le charrient un peu, comme c'est souvent le cas chez les jeunes :

— Wouah ! Tu as vu miss monde ou quoi ?
— Hein ? Pourquoi tu dis ça ?
— La bosse, là… Ce n'est quand même pas pour moi qu'elle est apparue.
— Qu'est-ce que vous pouvez être cons quand vous vous y mettez ! Bon, on joue ou on se fiche les uns des autres ? Je sais le faire, ça aussi, si ça vous chante.

Le soir viendra bien assez vite. Le garçon cherche dans des distractions de bistrot un dérivatif à son idée fixe, mais rien n'y fait. La silhouette, la poitrine, le cul de sa frangine reviennent le hanter comme si c'était normal d'avoir envie de baiser sa sœur. Merde, il se foutrait des baffes. Il y en a d'autres, des nanas ; alors pourquoi justement celle-là, inaccessible, interdite ? Pas moyen de décrocher son cerveau de ces deux fesses qui se balançaient dans l'allée ; un appel au viol. Pourvu que la mère Redon puisse l'aider !

— C'est à toi, Frédo… Tu es encore avec la nana qui te file la trique ou quoi ?
— Quoi ? Oui, je joue, mais vous êtes lourds, les mecs…


L'exactitude est la politesse des rois ; Adrien n'est pas près de recevoir une couronne ! Catherine décide donc de ne plus attendre : quinze minutes de retard, c'est déjà trop. Alors elle part, ne voulant pas faire attendre son docteur qui se montre déjà bien assez arrangeante en la recevant après ses autres patients. De plus, elle l'a avertie qu'après elle un autre patient la rencontre également depuis quelques jours.
Elle est vite arrivée chez Maryse, et c'est même elle qui lui ouvre.

— Ah ! La reine-mère t'attend dans son bureau. Ce soir, je fais la concierge. Tu ne t'en vas pas sans venir me faire un coucou : j'ai un truc à te montrer ; enfin, à te demander, en anglais. Tu sais combien j'adore ce dialecte d'attardés…
— Toujours le mot pour rire ! C'est bon : en sortant, je passe dans ta chambre. Je crois que ta mère a un autre rendez-vous après le mien.
— Ouais, un beau mâle ; je l'ai déjà aperçu une fois ou deux, mais il n'a pas des yeux de malade mental, pourtant. Je suis certain qu'il te botterait, toi aussi. En tout cas, s'il n'était pas un client de ma mère, j'en ferais bien mon « quatre-heures ». Mais l'éthique de madame Odile… Tu la connais, elle me psychanalyserait pour le restant de ma triste vie !
— J'y vais. À tout à l'heure.
— Oui, je t'attends.
— Ah oui ! Adrien… il pourrait bien arriver pour me rechercher : il voulait m'accompagner.

Elle a chaussé ses lunettes et regarde entrer la jeune femme.

— Alors, ces quelques jours de congé ? Vous avez retrouvé vos Vosges avec plaisir ?
— Oui, c'est comme une cure de jouvence. Mais bon, il faut aussi finir mes études, alors je fais contre mauvaise fortune bon cœur.
— Vous avez vu avec vos parents ?
— Honnêtement ? Non. Le manque de courage, et surtout, surtout la peur de les inquiéter inutilement.
— Ce n'est pas si grave. Bien. Alors, on commence ? Dites-moi tout ce qui vous passe par la tête.

Assise dans un grand fauteuil, Cathy débute un long monologue, décrivant avec minutie son appréhension à parler à sa mère, mais aussi à Gabriel. Elle n'était pas certaine qu'ils soient en condition de comprendre.
La sonnette qui résonne dans l'entrée perturbe un cours instant le récit de la jeune fille.

— C'est sûrement mon copain Adrien qui vient m'attendre. Il devait venir m'accompagner.
— Ne vous inquiétez pas ; Maryse saura bien le retenir le temps de notre entretien. Dites-moi pourquoi vous pensez que vos parents s'inquiéteraient.

Catherine cherche ses mots, revient sur des détails de sa jeunesse, de sa vie d'aujourd'hui, emmêle un peu les choses, confond les dates, mais elle parvient enfin à dire ce qui se cache au fond d'elle. Les questionnements, cet étrange trou qui l'engloutit trop souvent au moment du sommeil. Perdue dans des situations difficiles de sa jeune existence, elle n'entend pas que dans l'entrée la sonnette a de nouveau retenti. Maryse est revenue à la porte, excédée. Le garçon qui attend patiemment qu'on lui ouvre a des yeux de velours.

Il entre, et elle le dirige vers la salle d'attente. Frédéric s'assoit et approche sa main pour saisir une revue sur une table basse. Un mouvement sur un siège dans un coin lui fait lever la tête : un autre type est là à attendre. Il se relève et s'avance vers ce gars qui fait le pied de grue dans la salle d'attente. Quand l'autre tourne la tête vers lui, il en reste comme deux ronds de flan : ils sont face à face, comme l'autre soir au bar.

— Mais… qu'est-ce que vous faites là ?
— Ah ben, vous voilà, vous ? C'est vous qui m'avez pris la tête pour cette fille qui soi-disant n'avait pas dit la vérité. On avait dit que l'on se tutoierait, non ?
— Vous… vous… tu consultes aussi ?
— Non, non.

Au fond de lui, Adrien sent cette angoisse remonter comme une boule au fond de sa gorge. L'autre, celui qu'il avait pris pour un homo, ce Frédéric qui voulait à toute force que Catherine soit une certaine Karine, il est là, devant lui, et il jauge cet ennemi potentiel. Sa présence ici est bizarre. Avait-il aussi rendez-vous avec Cathy ? Mais pourquoi lui a-t-elle dit hier soir qu'elle ne savait rien de cette histoire si c'était pour le retrouver ici ? Et puis elle l'avait invité à l'accompagner chez cette psy, de cela il en était certain. Mais alors ? Qu'est-ce que c'est que cette salade ?

— Tu connais donc Catherine ou Maryse ?
— Non, ces prénoms ne me disent rien.
— Tu te fiches de moi ? Tu es là pourquoi, alors, si elle ne t'a pas invité à venir ici ?
— Mais lâche-moi avec tes conneries, puisque je te dis que je ne connais ni une Catherine ni une Maryse.
— Et la fille qui t'a ouvert la porte, elle, tu ne sais pas qui c'est ?
— Si : ça doit être la fille du médecin.
— Son prénom ne te dit rien ?
— Je devrais le savoir ?
— Merde, tu te fous de ma gueule ! Vous vous foutez tous de ma fiole ou quoi ?
— Hé là, tu te calmes, mon gars. Je ne saisis rien à tes propos. Je ne suis là que pour une visite au toubib, moi, alors tu calmes ta joie ; d'accord ?

Ces deux-là crient si fort que dans le cabinet du médecin le stylo reste en suspens. Odile vient de se lever.

— Excusez-moi une seconde, je vais voir ce qui se passe.
— Faites, je vous en prie.

Une tête vient de passer par l'entrebâillement de la porte de communication entre le bureau et la salle d'attente.

— Bon, Messieurs, je travaille, moi, et ma patiente a besoin de concentration. Si vous n'êtes pas capables de vous parler calmement et en adultes, vous êtes priés de sortir. Ce sera bientôt à vous, Frédéric ; alors asseyez-vous gentiment. Et vous ? Vous devez être l'ami de ma fille et de ma patiente ; alors allez voir Maryse et soyez sage. Merci.

Elle disparaît aussi rapidement qu'elle est arrivée. Les deux gaillards dont les esprits s'échauffaient ne savent plus quoi dire. Assis face à face, ils se scrutent un moment sans trop savoir quoi se dire. Puis c'est Frédéric qui recommence, mais cette fois plus sagement :

— Alors tu es malade comme moi toi aussi ?
— Tu veux dire cinglé ? Non, pas du tout : je suis venu attendre une amie qui est dans le cabinet de…
— Ah ! Je m'excuse de t'avoir mal répondu.
— T'inquiète pas, j'ai cru un moment que tu étais un petit ami de ma… enfin, d'une fille que je…
— Tu penses que je veux te piquer ta gonzesse ? C'est ça ? T'es quand même aussi ouf que moi, je te l'assure.
— …
— Oui, je suis dingo, mais pas de ta copine ! C'est difficile à expliquer, mais j'ai réellement besoin de l'aide de cette psy pour me sortir d'une impasse.
— D'accord, n'en parlons plus.
— Si, justement ! Le jour où nous avons bu un pot… celui où tu m'as pris pour un pédé, je t'avais suivi depuis la piscine.
— La piscine ?
— Enfin, c'était la fille qui t'accompagnait que je suivais : c'est ma sœur.
— Cathy ? Ta frangine ? Mais c'est tout juste pas possible, elle est fille unique.
— Ben si, et j'en ai la preuve, tu sais ; je peux te l'assurer.
— Comment ça ? Tu as quoi comme preuve ?
— Elle a une tache sur l'épaule, une sorte de gros grain de beauté… tu dois bien avoir remarqué.
— Parce que tu t'imagines que je la vois à poil ? T'es encore plus cinglé que je ne le pensais.

Le calme revenu, dans le cabinet la jeune fille a repris sa narration. Elle n'a toujours pas de solution pour son problème, mais Odile lui dit que c'est tout de même en bonne voie et elles prennent congé. Un autre rendez-vous est fixé pour le lendemain soir. La porte dérobée qui permet de sortir sans repasser par la salle d'attente voit Catherine quitter les lieux pour rejoindre Maryse. Odile revient chercher Frédéric, et elle se penche vers Adrien pour lui murmurer deux ou trois mots.


La joute verbale entre les deux garçons est là comme une empreinte qui reste sur la peau de ce jeune qui s'assoit face à la femme au bloc de papier. Elle a toujours son sempiternel crayon, et il va courir sur les lignes bleues de la feuille blanche.

— Vous avez l'air bien énervé ! Pour un peu j'aurais dû vous séparer de votre ami.
— Ce n'est pas mon ami. Il fait partie de ces choses qui sont dans ma tête. Du reste, votre fille un peu, aussi.
— Maryse ? Ah bon ! Racontez-moi tout ceci, s'il vous plaît.
— Alors… je commence par quoi ?
— Le mieux, c'est toujours de le faire par le début.
— Oui, bien sûr.

Frédéric se met à expliquer la filature depuis la piscine de cet Adrien qui était en compagnie de sa sœur Karine. Il raconte la conversation du bistrot, puis cette altercation ici dans l'antichambre du cabinet. Odile, de plus en plus intriguée, barbouille, tartine des pages entières en suivant le monologue instructif du fils d'Hector. Sans aucun doute, ce garçon-là a un problème s'il confond sa sœur Karine et la petite amie de cet Adrien. Il déballe tout, comme s'il croyait vraiment en son histoire, et un détail marque l'esprit de la professionnelle de santé : une marque sur l'épaule ! Ce genre de détail doit aisément être vérifiable. Elle entoure l'annotation qu'elle vient d'inscrire dans ses notes.

Dans sa chambre, Maryse voit débarquer ses deux meilleurs amis, Adrien et Catherine. Elle éprouve un petit creux aux tripes en constatant que ces deux-là sont tout proches de se rejoindre. Elle le devine, le sent, le hume, le flaire. Elle ne laisse rien paraître de ses sentiments plus que mitigés quant à cette idylle en gestation. Ce n'est pas pour le garçon, mais plus pour sa copine. Pour un peu elle en voudrait à ce foutu con de lui retirer une chance de… enfin, elle se dit qu'elle n'avait sans doute aucune chance avec Cathy.

— C'est toi qui faisais ce raffut dans la salle d'attente ? Ça ne va pas ! Qu'est-ce qui t'a pris ? Tu es vraiment un crétin de déranger la reine dans son boulot. Elle n'est pas venue gueuler un peu ?
— Pas vraiment ; elle nous a juste demandé du silence.
— Tu le connais, le loufdingue qu'elle soigne ?
— Non… Enfin… oui, un peu.
— Ben, c'est oui ou c'est non ? Accouche, tu veux !
— C'est… tu sais, Cathy, le type dont je t'ai parlé hier soir.
— Celui qui racontait des inepties sur moi ?
— Euh… je peux te demander un truc bizarre ?
— Quoi encore ? Tu en as assez fait pour ce soir, tu ne trouves pas ? En retard, tu te permets de mettre le bordel chez mon médecin… Tu as encore beaucoup des choses de ce genre à avancer ?
— Non, mais c'est important, et si tu permets… j'aimerais que tu me répondes franchement.
— Ah oui ? Habituellement, je ne suis donc pas franche ; je te mens donc ?
— Ce n'est pas ce que je voulais dire, mais ce type-là…
— Quoi, ce type ? Qu'est-ce qu'il a, ce type ?
— Est-ce que tu as une tache de naissance sur l'épaule ?
— Pourquoi tu demandes ça à Cathy, idiot ?
— Ce gars-là, dans le cabinet de ta mère, il dit qu'elle en a une et que c'est… sa sœur.
— Sa sœur ? Il est givré, ma parole !
— Mais… mais comment sait-il que j'ai une tache sur l'épaule ?
— Quoi ? Tu en as vraiment une ? Tu as baisé avec ce mec ?
— Ça va pas, la tête ! Fous-moi la paix ! Tu me prends donc pour une Marie-couche-toi-là ? Non, mais comme con, on ne fait pas mieux !
— Bon, il y a quand même un mystère ; et si on éclaircissait ça tout de suite ?
— Comment tu veux faire ?
— Ben, on rentre dans le saint des saints et on voit ce qu'il dit, le type dans le cabinet… Ouais, mais comment la duchesse va prendre la chose ? Ça, c'est une autre paire de manches.
— Alors on attend qu'il sorte et on le chope. Il va falloir qu'il s'explique. Vous en dites quoi, les filles ?
— J'en dis que même si ça me fiche la trouille, au moins nous aurons aplani la situation. Alors, on agit de quelle manière ?
— Oh, il en a encore pour une bonne quinzaine de minutes. Là-dessus, ma mère fait bien son boulot ! Je verrai la lumière de la petite lampe rouge qui s'allumera en vert : c'est quand les gens sortent de son burlingue.
— Bon. Alors, on va voir ce que ce monsieur a dans les tripes ?
— Oui, mais du calme : nous sommes trois et il est seul. On lui ne file pas un infractus.
— Infarctus !
— Quoi ? Tu dis quoi, Catherine ?
— On dit infarctus, pas infractus !
— Ouais ? On en meurt pareil quand même. Tiens, pendant que je guette et que tu es en forme pour reprendre les mots et les phrases des autres, jette voir un coup d'ail sur ce truc en anglais.

La jeune fille n'a pas la tête à faire un cours d'anglais, mais elle s'efforce de rester zen. Son amie aussi compte sur elle. En feuilletant le cahier de Maryse, elle s'aperçoit que ce n'est pas très… brillant, c'est le moins que l'on puisse dire. Pas une seule note dans cette matière qui dépasse le douze. En quelques coups de crayon elle corrige les fautes de l'exercice et essaie de faire comprendre à son amie ce qui cloche.

— Ne perds pas ton temps ; je n'aime pas les Anglais ni leur foutu jargon. Alors quand je n'aime pas, ça ne m'intéresse pas plus. Je m'en fous de ces cours à la gomme !
— Oui, sans doute, mais tu sais c'est utile quand même de bien parler une autre langue.
— Je laisse ce genre de truc à vous autres qui bavez devant le prof. Moi, je le trouve juste plutôt mignon, tiens, un peu comme le loustic qui est chez ma mère, dans son cabinet.


Dans le cabinet, Odile venait de poser son crayon. Frédéric s'était tu et méditait, comme un peu soulagé de s'être mis à nu devant cette femme silencieuse. Elle n'avait fait aucun bruit ; seul son crayon soulignait sa présence éveillée. L'entrevue arrivait donc à son terme et il devait rentrer chez lui. Le jeune homme aurait volontiers encore dialogué avec ce fameux Adrien, mais apparemment il avait pris la poudre d'escampette. La psychiatre s'effaça pour laisser le garçon passer. Elle lui tendit une main qu'il serra avec empressement. Un autre rendez-vous était nécessaire pour approfondir le trouble de Frédéric.

Il venait de s'engager dans l'allée faiblement éclairée par des lampes solaires. C'est là que comme un diable sorti de sa boite le visage malicieux de la jeunette qui lui avait ouvert la porte à son arrivée se trouva soudain face au sien.

— Tu as une minute pour nous causer ?
— Qui ça, vous ? Tu es Maryse ; c'est bien comme ça que tu t'appelles ?
— Ben oui, gros malin : c'est Adrien que te l'a dit tout à l'heure, alors pas besoin d'être devin pour… Allez, viens, on va dans mes appartements.

Elle poussait déjà le jeune homme qui, sans un mot, la laissa faire. Les appartements de la donzelle n'étaient rien d'autre qu'une chambre au bout de laquelle une sorte de niche permettait de loger un canapé. La lumière plus vive lui permit de ne voir qu'elle : Karine était assise aux côtés de cet Adrien ! Une Karine aux lèvres pincées qui voyait le gaillard entrer sans émettre un seul son. Alors il se mit à cracher son venin.

— Bon ! Tu as enfin compris que les mensonges n'apportent rien ? Comment as-tu pu nous raconter des tas de salades à tous ? C'est quand même mieux de jouer franc-jeu.
— Tu vois, Cathy, je t'avais bien averti qu'il était givré, ce mec.
— Attends, Adrien ; laisse-le parler : tout le monde peut s'exprimer. Il se trompe, et il va bien reconnaître ses erreurs.
— Écoutez, vous trois ; je n'aime pas que l'on se moque de moi. Je sais qui est cette fille. C'est bien ma frangine Karine, et je ne sais pas pourquoi elle vous ment de la sorte. Mais à moi elle ne peut pas me tenir tête. D'abord il y a cette tache de naissance sur son épaule, et celle-là, elle ne peut pas la renier. Ensuite elle est née en juillet, à l'hôpital de Remiremont.
— Bien. Je ne m'appelle pas Karine comme vous dites, mais Catherine. Et si ma date de naissance est bien celle que vous avancez, que je suis bien née dans cette maternité dont vous citez la ville, je ne suis pas votre sœur. Du reste, tenez… regardez par vous-même.

La fille avait tendu une carte d'identité à Frédéric. Il prit le carton de couleur bistre et examina le papier. En effet, tout avait l'air d'être normal. Il n'arrivait pas à croire en cette ressemblance incroyable. La Nature ne pouvait pas faire deux personnes si parfaitement identiques ! La coïncidence ne pouvait pas être fortuite, non ! Il vacillait sur ses jambes comme si le ciel lui était tombé sur la tête. Puis une autre idée lui monta lentement au cerveau : cette femme, cette sœur dont il était si éperdument amoureux, elle se trouvait devant lui, toute différente et si semblable. Et cette femme-là… rien ne lui interdisait de l'aimer.

Il restait tout de même des tas de points à élucider. Une tache de naissance ne pouvait pas être aussi semblable chez deux êtres étrangers ! Et puis cette histoire de lieu et de date de début de vie… c'était tout de même très louche. L'autre homme qui se tenait près de… Catherine ou Karine – il avait encore un mal fou à réaliser – l'autre type était le petit copain de cette fille, et là, pour le coup, c'était un obstacle à son amour pour elle. Il aurait mauvaise grâce à ne pas le comprendre. Il s'assit sur le canapé avec des vertiges. Pas possible, ces deux prénoms dansaient sous son crâne une carmagnole insupportable.

— Hé, ça va aller ? Tu te sens mal ? Maryse, tu ne voudrais pas appeler ta mère ? Elle saura sans doute ce qu'il faut faire.
— Ouais, mais gare à ses réactions… nous avons salopé son beau boulot.
— On ne peut pas le laisser se pâmer comme ça sans intervenir. Va vite la chercher !