Libérés

La journée suivante fut étrange pour Carlos.
Il sortit courir aux aurores, puis après sa douche alla acheter du pain, après quoi il ne quitta plus son appartement. Il se sentait assigné à résidence, étrangement.

Il resta donc chez lui, se lança dans un grand ménage, en pensant à Clara qui ne pouvait pas aller chez sa sœur avec lui pour tout ranger… Le besoin de faire place nette, il le ressentait : nettoyer, ordonner, aérer, c'était plus que symbolique, c'était quelque chose de profondément salvateur parfois pour y voir clair, pour terminer les choses, et passer à l'étape suivante.

Il se demanda si à la suite de cela, il n'allait pas aller à la cave chercher dans leur cachette les confessions d'Irène pour les visionner et voir ce qu'elles contenaient.
Mais ça attendrait : la police avait encore un œil sur lui, et même des oreilles aiguisées…

Carlos écouta la radio toute la matinée, un peu éberlué du tintamarre médiatique, et même politique, car chacun semblait vouloir y aller de son commentaire autour de cette affaire et de ce qu'il avait fait, qui était en général interprété de façon positive, même s'il se trouvait des commentateurs (assez rares) pour souligner qu'il avait agi comme un justicier excité de la gâchette, il eut même droit à la comparaison avec l'inspecteur Harry, ce qui le fit sourire.

En fin de matinée, il reçut un coup de fil de son frère et l'invita à venir prendre le café après déjeuner, ce dernier n'étant pas libre pour manger avec lui. Il se fit une salade composée, s'installa devant la télé, mais c'était la même chose que la radio, en bien pire : les mêmes images en boucle de la clinique et de l'escalier où avait eu lieu la fusillade.
Ça lui filait mal au cœur.
Il alla bouquiner sur son lit, mais il avait l'esprit ailleurs. Il posa son livre et s'endormit.

La sonnette annonçant son frère le réveilla.
Il fut heureux de le retrouver, il avait l'impression qu'il y avait une éternité qu'il ne l'avait pas vu.
Joao avait l'air fatigué, mais il était content lui aussi de le voir. Ils discutèrent de « l'affaire » et Carlos raconta l'épisode d'un point de vue qui n'était pas celui, très factuel et détaillé qu'il avait adopté avec les policiers, mais qui était affectif, subjectif, et qui passionna son frère.

À la fin du récit, Joao demanda :
— Tu me diras ce que je dois dire aux journalistes : il y en a un bon paquet en permanence en bas de chez moi !
— Oh. Ils t'ont suivi, à ton avis, quand tu es venu ici ?
— Eeeuh, je sais pas, rétorqua Joao. Ils savent pas où t'habites ?
— Pas jusqu'à présent… grimaça Carlos.
— Merde, chuis désolé, j'ai pas fait du tout attention.
— Mais ça ne veut rien dire, commença Carlos en se rapprochant de la vitre du salon donnant sur la rue. Enfin si : trop tard, ajouta t-il en désignant à son frère un fourgon d'une chaîne d'infos avec une parabole dépliée, de l'autre coté de la rue, et un type qui déroulait un câble tandis qu'une jeune femme arrêtait un moment la circulation.
— Oh là là, c'est de ma faute… se lamenta Joao.
— T'inquiète pas, c'est pas grave, le rassura son frère en posant une main sur son épaule. On va préparer ce que tu vas leur dire en sortant, OK ? Ils vont te tomber dessus !

Ils discutèrent de cela pendant un petit quart d'heure, durant lequel Joao observait son frère, qui était semble-t-il serein et réfléchi.

— Tu m'as toujours impressionné, avoua Joao. Ton courage, ton esprit de… décision, d'initiative, qui te pousse à agir en dépit du danger, malgré tout ce qui menace…
— Pas « en dépit du danger », rectifia Carlos, mais en fonction du danger. C'était un savoir-faire que je mettais à l'œuvre.
— Que dalle, rigola Joao, tu me feras pas croire que tu es un robot programmé par les GOE et tu es parti aux trousses de ce mec comme si tu étais Iron Man en armure. Il fallait du courage, ou… non : et de l'inconscience.
— Oui, c'est sûr… Tu as raison, admit Carlos en resservant du café. Et le savoir-faire, c'est pour revenir en un seul morceau.
Son frère garda le silence un instant et sourit, un peu mélancolique :
— J'y ai pensé beaucoup depuis que je suis au courant de ce truc dingue, tu sais. Que tu aurais pu te faire tuer par ce fou furieux. Mourir. Sans que je sois là. Je t'avoue que…

Il s'interrompit, ému, et Carlos finit par demander, ému lui aussi :
— … que ?
— Que depuis des années, j'ai ça dans un coin de ma tête. Spécialement quand tu étais dans l'armée, bien sûr, dans un coin de ma tête, je me préparais à te perdre… J'ai été super-soulagé, et nos parents aussi, quand tu as arrêté pour faire autre chose. Et ce boulot de garde du corps pour des patrons, c'était tranquille, je pensais, surtout qu'on est plus du temps des Brigades rouges ou de… comment s'appelait ce groupe français qui avait assassiné le pat…
— Action directe, répondit Carlos. Oui, je te rassure, c'est un boulot tranquille, Je suis tombé sur un dingue, rien à voir avec mon boulot.
Carlos sourit et ajouta :
— Je sais que je vous ai fait peur, longtemps. J'en suis désolé, parce que je vous ai… comment dire ? rendus inquiets, intranquilles. Mais je me suis calmé, j'ai une vie normale, et à part…
— À part les tueurs de flics, tout va bien ! rigola Joao. Tu sais ?
— Quoi ?
— Maman raconte un truc de temps en temps à ton propos, sauf à toi bien entendu…
Carlos fronça les sourcils en riant, mais toute son attention était éveillée malgré son air détendu.
— Quoi ? Dis-moi !
— Que quand tu auras une femme et des enfants, tu verras la vie autrement et tu arrêteras de jouer les héros. Je crois qu'elle a sans doute raison, ou peut-être pas ?
— Qu'en penses-tu ? murmura Carlos en dévisageant son frère.
— Je ne sais pas, avoua Joao en souriant. Sans doute que tu auras une femme et des enfants, faudra pas les emmerder.
Ils éclatèrent de rire tous les deux, et Carlos eut soudain un petit pincement au cœur : il était sans doute trop tard pour que Clara ait des enfants, si tant est que l'accident ne lui en ait pas ôté les capacités.
Il soupira, et Joao interpréta ce soupir :
— Elle ne veut pas te dire des trucs comme ça, Maman, elle respecte toujours nos choix, nos vies.
— Je comprends ce qu'elle pense… Elle a raison. Et j'ai sans doute accumulé les histoires courtes et les nanas pour ne pas devoir m'arrêter. Ne pas devoir tenir à quelqu'un.
— En même temps, ça tombait bien, avec le prestige de l'uniforme, ça laisse une chance à toutes les filles qui te veulent.
— Salaud ! rigola Carlos, pour qui tu me prends ?

Joao repartit, Carlos regarda un DVD, une comédie qui lui changea les idées. Vers la fin du film, le téléphone sonna, il mit sur pause et décrocha :
— Oui ?
— Bonjour, ici le commissaire Steinberg, répondit Ruth d'une voix neutre, professionnelle. Vous allez bien ? Je vous appelle parce que le juge d'instruction vient de boucler le dossier, vous êtes dégagé de toute charge par l'enquête et l'instruction. Et fait plutôt rare dans ce cas, il souhaite vous rencontrer, dans son bureau, au tribunal de Nanterre. Puis-je vous envoyer une voiture, qui vous ramènera chez vous après ?
— Il y a la presse en bas de chez moi, rétorqua t-il. Je ne tiens pas à voir arriver des flics pour repartir entre eux. Je viens par mes propres moyens. À tout à l'heure, Commissaire.

Carlos se prépara, alla prendre sa voiture au parking souterrain de son immeuble, et quand il sortit, il fut repéré par des journalistes qui se précipitèrent, mais il avait déjà tourné l'angle du boulevard.
Au tribunal, cela dura deux heures et demie. Dans son bureau, le juge d'instruction lui signifia que le dossier était clos, que l'enquête avait démontré qu'il s'était servi de son arme « dans des conditions que les circonstances justifiaient pleinement » et qu'il avait sans doute permis de sauver la vie du policier grièvement blessé, Franck Merlet, en intervenant et en permettant au personnel hospitalier de gagner la chambre au plus vite.
En conséquence, aucun élément n'était retenu contre lui, et à titre personnel, le juge loua son courage.
— D'après le rapport d'autopsie, Bernard Mélinat était blessé par la riposte qu'il avait essuyée de la part de Franck Merlet, mais pas en danger de mort, ni même suffisamment atteint pour être hors d'état de nuire. Il est vraisemblable que sans vous, il serait sorti de la clinique… Et qui sait combien d'autres victimes il aurait pu faire dans sa cavale !

Ruth Steinberg attendait dehors, le juge la fit rentrer, elle croisa le regard de Carlos et frémit, ne laissa rien paraître de son émotion, et lui rendit son arme et deux chargeurs, ainsi que le gyrophare de la Mercedes.
Il salua le juge et la commissaire, soulagé, et tourna les talons après un dernier signe de tête.

Il fut hélé sur le parking du tribunal alors qu'il rejoignait sa voiture, alourdi par son Desert Eagle sous sa veste.
C'était Ruth, qui pressait le pas vers lui.
Il stoppa en souriant… Il s'y attendait un peu.

— Veux-tu… qu'on boive un verre pour fêter cela ? demanda-t-elle d'un air enjoué.
— Non, je suis désolé, je voudrais rejoindre Clara.
— Oui, je comprends… C'est…
Elle garda le silence, elle avait perdu sa contenance et son visage accusait la fatigue et le dépit.
— Notre aventure était juste un truc en passant, reprit-elle sans donner à la phrase une tonalité interrogative, elle l'admettait.
— Non, pas un truc en passant, comme tu dis : on a partagé du plaisir, un vrai plaisir très fort. C'est une belle chose, tu trouves pas ?
— Magnifique ! s'exclama-t-elle aussitôt avant de sourire de ce sentiment exprimé si spontanément. C'est juste que… je suis seule, et… et… ça prend de la place dans ma tête, tout ça. Tu l'aimes, c'est ça ? demanda-t-elle abruptement. Clara ?
— Oui.
— Bien… C'est bien. Sans rire… Elle a besoin qu'on la protège, moi j'ai tout ce qu'il faut pour me défendre. Bon… Excuse-moi de déballer mes états d'âme comme ça au milieu du parking, ajouta-t-elle en souriant, un sourire un peu crispé. Je vais y aller… Mais avant, Carlos, dis-moi ?
— Oui ?
— Cet amour…
— Oui ? répéta-t-il en la dévisageant.
— S'il s'arrête, je veux bien te récupérer.

Il éclata de rire silencieusement, gentiment, elle rit elle aussi, plus tristement, de ce qu'elle venait d'annoncer.
— Et… sexuellement ? Je veux bien être là si tu as besoin, si tu as envie. C'est dingue de dire un truc pareil, je suis folle ! s'exclama-t-elle, un peu effrayée. Mais j'assume. Je veux bien être cela pour toi.
Troublé et surpris, Carlos la dévisagea.
— J'en suis… touché, dit-il. Mais je voudrais essayer, si possible, de construire quelque chose avec elle, que je sens à ma portée. Et on ne peut pas s'engager à moitié, tu vois, ni ménager sans cesse toutes les possibilités.
— Oui, je vois, c'est très noble de ta part, et elle a beaucoup de chance. Mais pense à moi si ça ne marche pas, ajouta-t-elle. Franchement, je ne pensais pas un jour manquer autant… autant d'amour-propre. Mais ça ne me gêne pas.
— Mais ne m'attends pas, Ruth.
— Non, ne t'inquiète pas. Bien… Merci de m'avoir écoutée. Bonne journée cher ami ! lança-t-elle joyeusement en agitant la main comme une petite fille, avant de tourner les talons et d'accélérer le pas.

Carlos la regarda s'éloigner, un peu triste, de cette sorte de tristesse qu'on ne peut pas éviter de forcément rencontrer quand on avance, qu'on fait des choix.
Il pensa à elle sur la route de Colombes. L'après-midi touchait à sa fin et la circulation était dense.
À la radio, il entendit son frère raconter, un peu nerveux, ce qu'ils étaient convenus qu'il dirait.

Devant la maison d'Irène il n'y avait personne. Il se gara et appela Clara, lui annonça qu'il l'attendait devant chez Irène et que l'affaire était close le concernant. Elle répondit qu'elle arrivait au plus vite, avec un tel soulagement dans la voix qu'il en fut ému.
Il raccrocha, sortit de voiture et fit quelques courses pour le dîner.

Il attendait devant la porte depuis vingt minutes quand le taxi de Clara s'arrêta dans la rue, il alla l'aider à descendre de voiture, et quand le taxi fut reparti, ils montèrent le perron, et elle lui murmura de l'embrasser.
— Il est plus prudent d'attendre d'être à l'intérieur, lui glissa t-il. Les flics ne nous surveillent plus, mais la presse ne parle que de ça, et une photo de nous en train de nous embrasser, ce serait un scoop inespéré !
— Oui, je comprends, pardonne-moi… J'ai passé la journée seule avec mes pensées, et… et c'est lourd. Mais tu es là !

Carlos déverrouilla la porte et ils entrèrent. La maison était dans un désordre différent de celui qu'ils avaient trouvé lors de leur précédente visite : la police avait superposé ses propres fouilles au cambriolage.
— Pour ranger tout cela, il va y avoir du boulot ! estima Carlos en refermant la porte. Il posa ses courses dans l'entrée, et elle son sac à main par terre.
Ils échangèrent leur premier baiser depuis la mort de son mari, un baiser qui sut prendre son temps.
Carlos se mit à bander peu à peu, mais assez rapidement, la chaleur de la bouche de Clara, sa langue, son étreinte, son souffle, tout cela le troublait délicieusement. Il caressait son dos, empoigna finalement ses fesses, d'abord avec douceur, puis de façon plus urgente, jusqu'à la peloter sans retenue, et elle gémissait d'aise.
— Saute-moi, souffla soudain Clara à son oreille. Je n'ai pas mis de culotte pour venir : saute-moi, j'attends qu' ça !

Carlos la poussa contre le mur de l'entrée et lui murmura que lui aussi il en mourait d'envie tout en dégageant son sexe tendu, puis il troussa la jupe de Clara et s'empara doucement de sa cuisse gauche par en dessous, la releva en appui sur son avant-bras. Elle avait des bas noirs, sans doute pour lui.
Clara comprit et se hissa en hauteur en s'accrochant à ses épaules, il fit de même avec la cuisse droite et elle referma ses jambes sur son bassin…
Du bout des doigts, il guida son phallus gonflé au jugé, mais il trouva tout de suite la fente humide du sexe de Clara, y cala son gland, assura sa prise des cuisses de son amante, et donna un coup de reins qui fit crier Clara, un cri de plaisir, de libération : enfin !

Enfin il était en elle, planté de toute sa longueur épaisse et chaude, elle serra les dents, heureuse d'être prise, pénétrée, debout contre un mur, avec une brusquerie virile délicieuse. Oui, il la sautait, ne perdait pas de temps en préliminaires, et elle n'avait pas mis de culotte pour préparer cette urgence charnelle, et pour la provoquer aussi, il la sautait et elle gémissait sans honte, attentive aux allées et venues de cette queue qui coulissait dans son vagin mouillé, portée par ses bras musclés qui la tenaient en l'air, et sa tête aussi, c'est sûr, planait loin du sol !

Carlos prenait son pied, excité comme un fou, le nez dans le cou parfumé de cette femme qu'il désirait tant, il la soulevait de ses coups de boutoir libérateurs qui la faisaient couiner, elle avait les jambes crochetées à sa taille et s'offrait toute entière.
C'était de la baise primaire, forte, il se sentait incarner toute la puissance de l'homme, et elle adorait cela, coincée contre le mur, accrochée à lui comme un animal, elle commença à avoir des vertiges de jouissance, ne se retint plus et l'encouragea, impérieuse :
— Vas-y ! Plus fort ! Baise-moi !! Oui vas-y bordel, donne-moi tout ! Plus fooort !
Il accéléra et elle entendait claquer sa queue contre sa vulve, ça la rendit folle :
— Vas-y, vas-y, vas-y ! À fond ! Baise-moi, putain, baise-moi plus fort, PLUS FORT !

Carlos pistonnait comme une locomotive folle, la secouant contre le mur sans ménagement, son dos frottait au rythme soutenu de leur folie, elle sentait l'attache de son soutien-gorge qui lui rentrait dans la peau, elle était complètement déchaînée, elle eut une pensée sauvage et complètement inattendue pour le corps de son mari qui serait enterré après-demain, et eut envie de lui gueuler : « Je baise comme une dingue avec le mec qui t'a abattu, fils de pute, je m'éclate comme une folle avec sa queue, elle m'envoie en l'air, je le fais bander, tu m'entends, fils de pute ? » mais à la place elle se mit à crier à Carlos :
— Je t'aime, viens jouir, viens JOUIR EN MOI ! Vas-y ! Remplis-moi, plus fort, PLUS FORT ! Jouis, mon amour, JOUIS !

C'était un ordre, il se planta en elle et se figea, l'envoyant très haut avec ce dernier coup de reins : clouée au mur elle cria et il ressentit que la jouissance lui parcourait le corps, il se sentit gladiateur tuant un fauve, son épée plongée dans le corps de la panthère, il éclata !
Il eut l'impression qu'il traversait le mur : son sexe sursauta, Clara poussait un long gémissement en le broyant dans ses bras, il se déversa comme un fou au fond de son ventre en grognant comme une litanie : « Putain que c'est bon… Putain que c'est bon !… »
Il lui éclaboussait le cœur et elle en jouissait comme une folle illuminée.

Pendant ce temps, Ruth Steinberg, la tête renversée en arrière, le corps tendu et couvert d'un voile de transpiration, se faisait jouir toute seule dans son lit avec son vibromasseur et son petit soutien-gorge qui l'excite, cuisses grande ouverte avec Fredo Viola en arrière-plan sonore, toute seule mais c'était pas mal du tout : elle imaginait que Carlos lui faisait l'amour très fort.