Double vie
Richard Riga2017Café/douche
Je sortis dans la cour fermée du grand commissariat, escorté d'un flic en uniforme qui m'accompagna jusqu'à une sorte de hangar plein de véhicules de toutes sortes, où se trouvait ma Mercedes.
Le flic me tendit les clefs, et tous mes papiers et mon iPhone, dans une pochette plastique, et me salua.
J'avais un appel de mon patron, ce matin, un message laconique me demandant où j'étais. Et c'est tout.
Et puis un appel mort d'angoisse de mon frère qui voulait des nouvelles et savoir ce qui s'était passé, putain de bordel c'est quoi ce bordel ?
La voiture était passée sous la loupe attentive de la police scientifique, qui avait dû l'étudier de fond en comble.
Mort de fatigue, je pris place dans cette bagnole qui ne m'appartenait pas et dont je n'aurais bientôt plus la jouissance, il allait falloir me faire à cette idée : ce qui venait de se passer signait mon arrêt de mort professionnel.
Les patrons pour lesquels je travaillais détestaient tous la publicité, surtout si elle venait des hommes de l'ombre à leur service, comme moi, car je devais être un rouage invisible de leur système, j'étais payé pour cela, et là je venais de tuer un homme.
Mais tant pis, la vie me réserverait sans doute d'autres opportunités… Je repoussais à plus tard le moment difficile où il me faudrait appeler mon futur ex-patron pour lui expliquer ou pas (sans doute pas, il s'en foutait certainement) ce qui s'était passé.
Il fallait avant tout que je dorme.
Ces dernières heures, je les avais vécues comme une plongée dans un tunnel si périlleux que toute ma concentration, tous mes savoir-faire, avaient été monopolisés du début à la fin, sans que la fatigue ou que l'hésitation n'aient la moindre place pour mordre et me faire vaciller.
J'en ressortais lessivé par cette traversée, et je n'étais pas encore sauvé, pas encore à l'abri sur l'autre rive. Au moins, j'étais sorti de la lumière, j'allais pouvoir respirer, reprendre des forces, afin d'être prêt à me défendre, pour la deuxième partie qui m'attendait peut-être.
Tout en conduisant comme un robot, le corps douloureux de tensions et d'épuisement, je repensais à tout cela : mon esprit ne baissait pas encore la garde, et allait sans cesse fouiller les événements pour en chercher les pièges et les portes de sortie.
Je voulais des nouvelles de Clara.
Elle avait perdu son mari, et dans cette mort violente que j'avais provoquée, il y avait aussi le naufrage de l'idée qu'elle s'était faite de Bernard, dont elle m'avait dit que malgré ses défauts, il avait été là, et cette présence lui avait permis à elle de faire face.
Comment allait-elle vivre et survivre à cela ?
Et cette question accompagnait tout un cortège d'interrogations avec lesquelles j'avais passé les dernières heures.
Hier soir, un flic avait été tué, un autre avait échappé de peu à la mort, cette affaire ne pouvait pas être comme les autres aux yeux de la police, des institutions, des médias : elle focalisait toute l'attention, toutes les priorités.
Aussi je n'étais pas dupe de cette séance torride avec la commissaire aux si jolis yeux : s'il s'avérait que je doive tomber pour avoir caché tellement d'informations, elle n'aurait aucun scrupule à me coincer, malgré toute la chaleur émouvante de nos caresses.
C'était curieux, cette histoire : tellement de sexe et de noirceur, personne n'était franc, personne ne jouissait ouvertement, tout se faisait clandestinement, aux dépens et en dépit de quelqu'un. C'était sans doute la clef, il fallait sûrement en passer par là pour que tout s'écroule enfin…
Dans la catastrophe en cours, il n'y avait qu'un seul danger pour moi, pour Clara et pour sa sœur : que la police parvienne à apercevoir l'autre côté, la double vie d'Irène.
Et les raisons de ma présence aux côtés de Clara et d'Irène étaient liées à ce secret.
Il ne fallait pas qu'elle s'approche de la porte du compartiment, ou plutôt du couvercle, qui maintenait les démons d'Irène à l'abri du regard.
Et tout au long de cette nuit et de cette journée, j'avais guetté les menaces, chaque bribe d'information, chaque sous-entendu au fil des interrogatoires des policiers.
On pouvait penser que le pire était évité, puisque j'étais libre, mais il y avait trois questions qui demeuraient sans réponse, et qui cristallisaient mes craintes.
Tout d'abord, qu'avait raconté Clara à mon propos ?
Impossible de savoir comment elle avait justifié mon rôle dans cette histoire, surtout que j'étais devenu celui qui avait tué son mari.
Ensuite, les flics avaient-ils trouvé chez Irène ou chez Bernard des éléments indiquant que la banquière exemplaire offrait son corps dans les parkings et les boîtes de nuit ?
Le soir où j'avais découvert les DVD du journal intime explosif d'Irène, j'avais tout embarqué chez moi, bien planqué (autre question : les flics avaient-ils perquisitionné chez moi ?), en attendant d'avoir le temps de tout regarder… Parce que déjà à ce moment-là, je me disais que cette double vie démentielle la mettait en danger, et pas simplement au niveau des maladies vénériennes.
Pour finir : le Mac d'Irène avait-il livré ses secrets ? La commissaire en chaleur m'avait glissé qu'ils avaient retrouvé l'ordinateur dans la voiture de Bernard, mais que l'iMac était clean.
Dès lors, impossible de faire la moindre hypothèse : j'avais supposé que depuis le dernier DVD qu'elle avait gravé, Irène avait poursuivi et stocké sur son ordinateur les épisodes suivants de ces dérives nocturnes… Mais peut-être au contraire, avait-elle arrêtée de tenir ce journal intime si compromettant ?
Tellement d'incertitudes…
Au-dessus de ce marécage glauque surnageait une vérité sans doute, une vérité si aveuglante qu'elle permettrait peut-être que les secrets restent dans l'ombre, l'accusation que j'avais formulée à haute-voix devant la police : Bernard avait sans doute couché avec sa belle-sœur, et s'étant senti menacé, avait attaqué.
Cette idée offrait l'avantage inattendu, que j'avais immédiatement détecté, d'être absolument compatible avec ma présence, car j'avais sans doute terriblement inquiété Bernard en débarquant dans le paysage…
Depuis quand cela durait-il ? Impossible de le savoir. En sachant que sa si jolie belle-sœur jouait les putains pour routiers en séances sauvages et gratuites, il n'avait pas résisté à l'envie d'elle, sans doute en la menaçant de tout raconter.
Les délires d'Irène étaient ancrés dans sa douleur folle, mais ils avaient excité des pulsions bien plus vulgaires et immédiates chez Bernard, qui avait peut-être imaginé se rembourser ainsi avec elle du destin qu'Irène elle-même avait fait basculer, et qui lui avait légué une femme aveugle et meurtrie.
Je n'osais imaginer ce que donnerait l'interrogatoire d'Irène quand elle se réveillerait : il y aurait de quoi faire tout exploser en vol, à commencer par sa vie et la mienne, et celle de Clara de façon indirecte.
Mais je n'étais pas comme Bernard, et ne craignais pas franchement la vérité si elle devait sortir. J'avais appris à ne pas faire confiance au hasard, mais à ne pas non plus m'en désespérer : la vie était de toute façon un vaste bordel qui n'avait pas de sens préétabli, et ne répondait à aucun dessein particulier. Alors on verrait bien, et j'imaginais mal Irène se mettre à tout déballer, même si les flics avaient finalement mis la main sur des éléments compromettants…
Enfin bref, ce qu'il fallait, c'est que je dorme, avant toute chose, avant de m'attaquer aux questions sans réponses.
Je me garai dans mon parking, réfléchis quelques secondes dans le silence, et appelai Clara. Je tombai sur sa messagerie.
— Clara ? C'est Carlos. Je suis sorti du commissariat, j'aimerais savoir comment tu vas, j'aimerais te parler. Tu peux me rappeler quand tu veux. Laisse-moi un message, je vais essayer de dormir quelques heures… À bientôt.
J'éteignis mon mobile, avec des sentiments étranges : voudrait-elle me parler alors que j'avais tué son mari, malgré tout le mal qu'elle pensait de lui, et tout le bien que nous nous étions fait ?
Une idée conne me traversa l'esprit : je serais resté à la protéger, à la clinique, Bernard aurait sans doute crevé tout seul en essayant de s'enfuir, et je n'aurais pas été celui qui avait tué son mari…
Je décidai de mettre cela de côté, je ne pouvais rien résoudre pour l'instant, et je n'avais pas l'énergie de me prendre la tête tout seul.
Lui parler, la revoir, c'était la seule chose concrète qui me permettrait d'en savoir plus.
Mais je tenais à elle.
En verrouillant la Mercedes noire, j'eus un petit pincement au cœur en me disant que j'allais me retrouver sans boulot.
Il fallait que j'appelle mon patron avant de m'écrouler sur mon lit, pour en finir, autant affronter immédiatement ce qu'il y avait de pénible pour pouvoir passer à autre chose. Le reste, Clara, mon frère, ça attendrait demain.
Arrivé chez moi je bus un demi-litre d'eau gazeuse, allai me passer le visage à l'eau chaude, et composai finalement le numéro de mon patron, en regardant au loin par la fenêtre de la cuisine.
Ce coup de fil fut totalement surprenant.
Non seulement je n'étais pas viré, mais mon patron me demanda de mes nouvelles et loua mon courage, prit fait et cause pour moi, me décerna le statut de « héros » et me proposa d'emblée les services de son propre avocat, à ses frais :
— Après ce que vous avez fait, qui est exceptionnel, je ne supporterais pas que vous ayez le moindre ennui. C'est une médaille que vous méritez !
J'avais risqué ma vie, c'était ce qu'on pouvait faire de mieux pour un garde du corps, et mon patron était empli de fierté de m'avoir à son service, et rit de bon cœur quand je lui assurai que j'étais désolé de tout cela.
Mais lui était ravi, en fait, de tout ce cirque : je lui offrais un frisson d'une qualité irrésistible, j'avais abattu un tueur de flic, j'étais devenu un personnage de film ou de série télé et j'étais à son service.
Grand prince, il m'accorda un congé « le temps que cette histoire soit résolue », je le remerciai chaleureusement.
Je raccrochai, un tiers perplexe, un tiers agacé, un tiers soulagé, puis le soulagement l'emporta et je me mis torse nu en riant.
Je pris une douche, et l'épuisement gagna la partie, après tellement de tensions, d'angoisses, de jouissances et de questions sans réponses.
Je me laissais tomber sur mon lit, j'eus une pensée pour Clara, et m'endormis aussitôt.
Je me réveillai à onze heures et quart, et toute l'affaire me revint immédiatement à l'esprit, avec en vedette les questions les plus brûlantes.
Non, les flics n'avaient pas débarqué dans mon sommeil pour me traîner en taule pour leur avoir caché la vérité, cette vérité fiévreuse et secrète qui avait déclenché tout cela. Et qui du coup avait indirectement conduit à la mort d'un flic.
Et la police, c'est sûr, quand elle comprendrait, elle n'apprécierait pas : j'étais le survivant, et celui qui savait. On pourrait même s'il le fallait tordre la réalité des faits pour imaginer que j'avais voulu me débarrasser d'un rival.
Si je n'étais plus celui qui avait poursuivi un tueur de flic « jusque dans les chiottes » (sic), mais l'auteur d'un règlement de compte pour des histoires de cul bien glauques, j'allais me retrouver dans la merde, et pour très longtemps.
Je réussis à chasser ces idées noires et me levai. Il faisait beau.
Je pris une douche après avoir lancé un café bien fort, et tout cela plus un sandwich maison au rôti de porc me remit le pied à l'étrier et les idées en place.
Un second café, et mes réflexions reprirent, sous une dynamique nettement plus constructive.
Il était sans doute préférable d'attendre avant d'appeler l'avocat de mon patron, surtout qu'il fallait que je réfléchisse à ce que je pouvais lui dire de tout cela. Dans ma cave, il y avait les DVD, l'intégrale des cochonneries de la banquière-martyre-miraculée…
En allumant mon mobile, je vis que Clara m'avait laissé un message, je ressentis une brutale nervosité en enclenchant la lecture de cet enregistrement : « C'est moi, Clara. Merci, Carlos, merci de m'avoir donné de tes nouvelles. C'est difficile pour moi, je suis perdue, j'ai besoin de toi, et tu es le seul… le seul maintenant. Tout s'est écroulé, et heureusement… tu es là. J'allais dire une bêtise… que j'allais pouvoir y voir clair en discutant de tout cela avec toi. Tout comprendre. Rappelle-moi. Si tu es disponible, j'aimerais que nous allions ensemble chez Irène pour essayer de ranger sa maison, je ne pourrais bien sûr pas faire cela toute seule, et tu ne peux pas savoir comme… comme savoir que Bernard a tout vandalisé et que ça reste comme ça, par terre, éparpillé, comme cette idée est douloureuse pour moi. Tu veux bien m'aider à ranger ? Il faut… remettre de l'ordre. Bon, je te laisse dormir, et récupérer. Et quand tu seras réveillé, rappelle-moi. »
J'étais ému, le cœur battant. Clara me voulait, je pouvais l'aider à affronter cela, et pourtant… j'étais celui qui avait tiré.
Oh, j'aurais aimé évacuer toute ma culpabilité d'un coup. Mais tuer un homme, c'était forcément déchirant.
Clara faisait sans doute preuve de plus de lucidité que moi : Bernard l'avait trahie, elle ne semblait pas me reprocher d'avoir mis fin à son parcours tordu.
Il y avait un autre message : la commissaire, qui me prévenait qu'elle avait des questions à me poser, et que je devais la rappeler, elle aussi.
Je fis le numéro de Clara. Elle décrocha après quelques sonneries, elle avait une voix altérée, nerveuse :
— Ah, Carlos, merci de me rappeler. Tu vas bien ?
— Oui, que se passe t-il ? Quelque chose ne va pas, on dirait ?
— Non, je viens d'avoir un appel d'un inspecteur… non, on dit officier de police, il avait des questions à me poser, et il m'a dit que je ne pouvais pas me rendre dans la maison d'Irène pour l'instant. Ça me perturbe beaucoup, Carlos. Et il m'a dit aussi que… je ne pouvais pas te voir pour le moment : l'instruction est en cours, je ne suis même pas censée te parler. Tu te rends compte ? Combien de temps ça va durer ? Je lui ai dit que j'étais sans défense, et très affaiblie par toute cette histoire, alors il vient avec une fliquette qui va m'assister. Mais bon sang, je n'ai pas besoin d'assistance, j'ai besoin de toi !
Elle respirait mal, et enchaîna avant que je n'ai pu répondre.
— Je sais, ça ne se fait pas, pour une veuve qui vient de perdre son mari, de réclamer l'homme qui l'a tué, c'est tout à fait incorrect, peut-être même choquant. Mais Bernard était… était… Oh Carlos !
Sa voix se perdit, j'entendis un sanglot et murmurai :
— Oh Clara…
— Je ne peux pas pleurer, je pleure sec, mais j'aimerais tellement verser des larmes sur tout cela, c'est tellement affreux ! Tu sais, Carlos… ?
— Quoi ? demandai-je doucement.
— Quand…
— Quoi, dis-moi ? Calme-toi… Dis-moi.
— Quand j'étais dans la cuisine de la maison, pendant que tu visitais les pièces, j'ai compris.
— Compris ?
— Oui, j'ai senti son odeur, tu entends ? Son odeur, je l'ai ressentie en entrant, mais je n'ai pas voulu, mon cerveau n'a pas voulu l'interpréter, et dans la cuisine, ça m'est apparu, j'ai voulu… voulu te le dire, mais je n'ai pas pu, ce que… Ce que ça signifiait, qu'il soit l'auteur de ce saccage, c'était tellement énorme que je n'ai pas pu te dire cela ! Oh je suis désolée, tellement désolée !
— Ne sois pas désolée, Clara, ça n'aurait rien changé, si j'avais su tes soupçons…
— Ma certitude, s'exclama-t-elle. J'avais le cerveau, les nerfs engourdis par la vérité, mais c'était une certitude. Il m'a trahie. Il a baisé ma sœur, et il a voulu la tuer, et te tuer toi, et il a tiré sur deux policiers. J'ai mal, j'ai été manipulée par ce mec, j'ai mal, j'avais la certitude, quand tu es parti dans les couloirs de la clinique, je savais que c'était lui que tu all…
— Stop, Clara, arrête de t'en vouloir ! Cette certitude était tellement énorme, comme tu dis toi-même, il y avait de quoi bousculer n'importe qui, et tu as tenu bon. Tu fais face. Et dès que possible on discutera de tout cela. À fond. Et pas au téléphone : en vrai. Il faut que l'on prenne le temps de parler de tout cela.
— Oui, tu as raison. J'aimerais que… qu'Irène se réveille, qu'elle m'explique, qu'elle me parle de… tout ça. Je suis sûr que ce n'est pas elle qui a été le séduire, ce n'est pas son genre…
— Oui, je ne pense pas non plus. Il a dû exercer des pressions sur elle, elle était fragile, et il le savait.
Clara avait parfaitement compris le message que je lui avais adressé : ne pas faire confiance au téléphone. Les flics l'avaient peut-être placée sur écoute, ou moi. Sûrement moi, d'ailleurs, plutôt qu'elle.
Et en réponse à cela, elle venait de m'apprendre que pour elle aussi, l'important était de sauvegarder le secret sur la double vie de sa sœur, sauver les apparences. Pas son genre ? La bonne blague !
— Merci de m'avoir remonté le moral, Carlos… Ça va aller, maintenant, ne t'en fais pas. Et ne t'en fais pas, je suis une veuve… respectable, qui ne désire rien de particulier, à part ton soutien. N'aie pas peur.
— Je ne me fais aucun souci, Clara. Prends soin de toi. À bientôt…
Je raccrochai, un petit sourire admiratif aux lèvres : ou je me trompais, ou bien cette dernière phrase signifiait qu'elle n'avait pas dit aux flics que nous avions fait l'amour.
Clara était une femme non seulement debout, mais elle avait une véritable force de caractère derrière ses doutes, sa sensibilité.
J'allumai mon ordinateur, et l'éteignis une demi-heure plus tard après avoir fait le tour des articles consacrés à l'Affaire. Il y en avait beaucoup, et tous, à quelques nuances près, servaient une version qui m'arrangeait si elle s'arrêtait là, sans développements ultérieurs intempestifs.
Le beau-frère cinglé qui se sent menacé et qui passe à l'attaque, western à la clinique, mais sur son chemin, il y a le garde du corps, ancien commando. Yeah.
— S'il n'y avait le drame, bien réel, on serait tenté de croire au final d'un film d'action basé sur une intrigue sentimentale, tous les ingrédients étaient réunis hier soir autour du corps inconscient de la miraculée d'Orléans. Du fond de son coma, s'est-elle rendu compte du chaos autour d'elle ?
Je soupirai, il faudra que je pense aux droits audiovisuels.
Autre café, et puis en compagnie de Patti Smith énervée comme j'aime, en caleçon dans le salon je fis ma gym, une série d'abdos, des pompes pour évacuer les restes de fatigue, l'impuissance à répondre aux questions, je cherchais l'oubli temporaire en retrouvant mon corps, machine bien huilée, fidèle au poste.
Après ma bonne suée, je repris une douche chaude, pendant laquelle on sonna. Deux coups, puis deux autres coups, on insistait. Finalement, j'attrapai mon peignoir et jaillis de la salle de bain, plutôt contrarié.
Si c'était un journaliste qui s'était procuré mon adresse, il allait le regretter. Si c'était mon frère – merde il aurait fallu que je l'appelle –, mais le café était prêt, je lui devais des explications, le pauvre…
— Monsieur Dacosta…
— Bonjour Commissaire.
— Désolée de vous déranger…
Elle entra tandis que je lui laissais le passage, elle sentait bon, elle était seule, et en me considérant en peignoir quand j'avais ouvert la porte, quelque chose dans son regard s'était allumé, et m'électrisa doucement.
— Je me suis levé tard, j'ai eu besoin de récupérer…
— Vous avez de la chance, sourit-elle, je n'ai pas pu m'accorder beaucoup de temps pour rattraper ma nuit blanche, de mon côté. Mais c'est le métier !
— Du café ?
— Oui volontiers.
Elle s'installa, elle dégageait des vibrations incertaines et chaudes, des ondes de séduction, elle s'était habillée et maquillée pour ça : se présenter à moi.
Elle portait un pull fin, violet, et une jupe droite collante, avec des Campers élégantes.
— Pas de sucre, merci…
— Vous aviez des questions, c'est ça ?
Elle sourit, et moi aussi : elle savait que je savais que ces questions ne justifiaient pas à elles seules sa présence ici.
— Oui, je voudrais revenir sur vos rapports avec les deux sœurs…
— Rien de particulier, répondis-je. Une attirance, je vous ai dit, pour Clara, attirance réciproque je crois, mais rien de plus. Et je trouve Irène un peu froide, elle met des distances…
La commissaire, souriante, me considéra en silence, et reprit finalement :
— À ce stade de notre enquête, on se demande si Bernard n'aurait pas été jaloux de vous, vis-à-vis de sa femme et de la belle-sœur, laquelle aurait pu jouer là-dessus pour le contrarier et reprendre l'initiative, et si c'était cela, la jalousie, l'élément déclencheur, en plus de la crainte de vous voir débarquer pour protéger Irène.
— C'est de ma faute, tout ça ? demandai-je d'un air navré, maussade. C'est la conclusion ?
— Non, Carlos, sourit-elle, un sourire tendre, plein de chaleur. Ce type était un cinglé, il faisait une vraie fixation sur Irène. Il avait accumulé sur son ordinateur tout ce qui existe sur Internet et qui ressemble de près ou de loin à des blondes coiffées au carré en train de faire tout ce qui est possible de faire. Montage des meilleures scènes de films pornos, photos de toutes origines et de toutes époques, films amateurs chopés sur des mobiles, je vous jure, c'est impressionnant, sa collection secrète…
Une pensée éclata dans ma tête : Bernard avait rencontré, baisé et filmé Irène sur un parking !
J'eus un frisson d'angoisse : si les flics cherchaient l'origine de tout ce matériel porno, ils allaient peut-être découvrir le lien avec la véritable Irène, version nocturne !
— En fait, répondis-je rêveusement, Bernard et Irène n'ont peut-être pas couché ensemble, finalement ? C'était peut-être juste un dingue qui devenait menaçant ?
— Bravo : on s'est dit cela, aussi, répliqua Ruth en m'adressant un coup d'œil ironique mais aussi admiratif. Mais pourquoi mettre à sac son appartement, enfin sa maison… ?
— Oui c'est bizarre : il cherchait quelque chose ? Vous avez retrouvé des choses chez elle, ou chez lui ?
— Rien, et rien sur l'iMac qu'il a dérobé, c'était une banquière très sérieuse, et rien d'intéressant sur les mobiles, y compris le vôtre, comme vous vous en êtes douté…
— C'est de bonne guerre.
— Il y a un truc qui nous chiffonne quand même : elle louait régulièrement des voitures, toujours à la même agence. Des grosses voitures, pour de courtes périodes, alors qu'elle avait une voiture, elle-même. Ça vous dit quelque chose ?
Si Bernard avait filmé une séance sur un parking de nuit, ils n'allaient pas tarder à faire le rapprochement entre la femme des vidéos qui baisait dans une voiture et ces locations.
Je fis une légère et instinctive moue sceptique :
— Non, rien. C'était pas en lien avec son boulot ?
— Non, elle ne faisait pas de déplacements, ou alors avec sa propre voiture. Et ces locations sont assez régulières.
— Je sais pas. Peut-être un rapport avec les voitures en général… ?
— C'est-à-dire ?
— L'accident qui a coûté la vie à sa famille : c'est elle qui conduisait, et elle continue à conduire. Elle fait peut-être, je sais pas, une thérapie personnelle, ou au contraire une punition, en conduisant comme une folle des voitures qu'elle loue exprès ? Je sais pas.
— Waouh, c'est super-intéressant, comme hypothèse, s'exclama la commissaire en souriant de surprise. Ça pourrait coller, c'est bizarre, mais tout ce qui lui est arrivé est très difficile.
— Oui, je vous avoue que j'ai ressenti de la pitié pour elle, une pitié différente de celle que je ressens pour sa sœur, mais toute cette histoire est terrible.
La commissaire but lentement son café qui avait dû refroidir.
— Vous allez coucher avec Clara ?
— Quoi ?
— J'ai un aveu à vous faire : vous êtes sur écoute. Téléphonique. Et nous avons entendu tout à l'heure le coup de fil que vous avez eu avec elle. Elle ne demande que cela, tomber dans vos bras. Je vous ai trouvé… parfait. Elle a de la chance, la jolie veuve. À part qu'elle ne peut pas voir à quel point vous êtes beau.
— Oh. C'est… bizarre ce que vous dites. Écoutez, je vais vous dire : je ne veux pas lui faire mal, elle est sous le choc, ce n'est pas… le moment de tout mélanger.
— Tu es un gentleman. Tu vas coucher avec elle ? répéta-t-elle en me tutoyant. Quand elle sera moins sous le choc ? Elle est très jolie…
— Écoutez… je suis… gêné. C'est quoi cette question… De la jalousie ?
— Sans doute, répondit-elle en souriant un peu tristement. Tu m'as sautée et je ne pense qu'à ça, comme une idiote, ajouta-t-elle. Je vais même jusqu'à l'avouer, alors que je suis censée être la dominatrice, la femme d'action, la femme libérée. Tu parles, j'ai l'impression d'avoir seize ans. Sauf qu'une séance et une jouissance comme celle-là, c'est pas à seize ans que ça aurait pu m'arriver, ricana-t-elle. Ou même à vingt, ou à vingt-cinq. Putain… Je me sens très très conne de débarquer comme ça pour te dire ça.
— Merci de cette sincérité, répliquais-je doucement. Tu veux un autre café ?
— Non. Tu déclenches souvent les confidences débiles ? me demanda-t-elle avec un petit sourire.
— Débiles à ce point-là, non, rigolai-je, et elle se mit elle aussi à rire.
— Quand j'ai entendu cette conversation avec Clara… Je… j'aurais voulu te dire ce qu'elle t'a dit, et que tu viennes me retrouver. Oh mon Dieu, s'écria-t-elle, je suis la reine des connes, pardonne-moi, t'as rien dû entendre de pareil depuis le lycée ! Je vais y aller, oublie ça !
Elle se leva prestement, confuse et agitée, et attrapa son sac à main, puis elle me regarda et se figea soudainement :
— On peut faire l'amour avant que j'y aille ?
Je bandais légèrement en allant dans ma chambre, je la poussai doucement, une main dans son dos sous son pull fin, elle avait le regard un peu ivre du vrai désir, elle ouvrit mon peignoir et me poussa pour que je m'asseye sur mon lit encore défait. Le soleil entrait dans la chambre.
Sa bouche un peu fébrile se referma sur mon sexe qui gonflait peu à peu, et qui durcit rapidement sous les petits coups de langue et la brûlure de sa salive, c'était merveilleux, elle caressait mon ventre de ses doigts, de ses ongles courts de femme d'action.
Elle me suçait, fortement, pas comme un préliminaire mais comme une passionnée qui a faim, je caressais ses cheveux, j'apercevais ses beaux yeux dans le vague, et parfois un regard qu'elle me décochait, qui au contraire était aiguisé, elle excitait mes bourses, me branlait parfois, je me laissais faire, fermais les yeux, pleinement ouvert à mes sensations, dans les bruits furieusement sexys de salive et de petits gémissements de contentement qu'elle laissait parfois échapper.
— Tu sais, lui murmurai-je, si tu continues comme ça… je vais jouir.
C'était ce qu'elle voulait, et peu après un frisson brutal me parcourut, une crispation qui descendit dans mon dos, et j'appuyai légèrement ma main dans ses cheveux doux pour m'enfoncer un peu plus dans sa bouche accueillante, une seconde avant d'éclater.
Mon sperme jaillit, elle aspira, mon excitation devint terrible, sa langue et sa succion s'ajoutèrent au plaisir de l'éjaculation, je criai, je me vidai au fond de sa bouche vorace, elle avala soigneusement, je croisai son regard brûlant de plaisir : le plaisir de m'offrir ça, et en même temps de m'avoir terrassé, se soumettre et me soumettre.
Quand elle releva la tête, elle avait la bouche un peu rougie, luisante, elle me sourit. Me redressant je l'embrassai, baiser salé, gluant encore, baiser profond, passionné, je m'emparai paresseusement de sa poitrine, relevai le pull, puis quittai sa bouche collante pour m'amuser à faire rouler ses tétons entre mes lèvres, contre ma langue, elle pressa ma tête contre elle en murmurant qu'elle était dingue et que c'était de ma faute, ce qui me fit rire.
Elle m'allongea sur le lit, se releva, ôta jupe, pull, soutif, et une petite culotte toute mignonne. Elle sortit une capote de son sac et ne perdit pas de temps : quelques secondes après elle me grimpait dessus et se laissait glisser en soupirant sur ma queue qu'elle guidait entre les lèvres de son sexe, je n'avais pas débandé, mais rien d'anormal : ma maîtresse était envoûtante, aussi déterminée qu'excitante, et c'était un délice que de la voir s'empaler sur moi lentement, en contrôlant sa descente, le visage un peu crispé, elle ne s'occupait que d'elle et ses seins adorables se tendaient dans la direction de ma bouche.
Je gobai la pointe dure de ses nichons tout ronds, elle termina de se pénétrer en soupirant que c'était génial, c'est exactement ce que je pensais, elle remua un peu du bassin pour s'asseoir complètement sur moi, puis commença tranquillement le branle, elle dirigeait toute la manœuvre, et moi je pus m'amuser à tout faire pour lui faire perdre le contrôle de sa chevauchée : coups de reins brusques et sournois qui la faisaient crier, surprise, en la clouant verticalement tandis que mes mains lui bloquaient la taille, pinçage langoureux et larges de ses aréoles sensibles, malaxage insistant de ses fesses qui montaient et descendaient, doigt mouillé contre son anus profitant d'un mouvement pour s'introduire assez loin, elle criait, contrariée ou ravie, je ne sais pas.
Elle prenait son pied de tout cela, comme je prenais le mien, et parfois elle s'interrompait, à l'écoute exclusive de son ventre et de sa tête, elle grimaçait, puis reprenait.
Au bout d'un long moment de cette séance intensive, je la prévins que j'allais jouir, elle descendit alors de cheval, arracha la capote et sans hésiter se cala à nouveau ma queue dans la bouche, en en branlant la base, je ne fis pas de détail, et me mis à jouir comme un fou, me répandant à nouveau dans sa gorge.
Je reprenais mon souffle quand elle suçota une dernière fois mon gland pour finir de le nettoyer, et me regarda droit dans les yeux.
— Merci.
— C'est très bête de me remercier, répondis-je en riant tendrement. Merci aussi, dans ce cas !
— C'est moi qui suis venue, c'est moi qui en avais affreusement envie et qui te détourne de tes jolies clientes. Je suis sur un petit nuage, j'adore ton sperme, avaler, m'en nourrir, j'adore te faire jouir… j'en jouis. J'ai pas le droit d'être là, pas le droit d'avoir une aventure avec toi. Si tu veux me détruire, tu peux. Tu décroches ton téléphone, tu appelles n'importe qui, tu dis que tu viens de bais…
— Tu m'excites, tu me plais.
— Redis-moi ça ? lança-t-elle en riant, en attrapant ses sous-vêtements. Carlos, Carlos. Tu es un salaud de Portugais viril.
— Tu m'excites, tu me plais.
— Ne pas tomber amoureuse, ce serait trop con alors que tu viens de dire l'essentiel et que je vais avoir mal partout pendant une semaine tellement j'ai pris un pied d'enfer. Je vais me concentrer sur les frissons de la baise, et oublier que tu es le mec le plus adorable qui me sera jamais passé sous le nez. Et dans la chatte. Mon beau salaud, on rebaisera comme ça, à fond ?
— Quand tu veux.
Elle quitta mon appartement.
Je repris une douche, et puis un café.