Acte 3

Avec ce renoncement à la vie du garçon que j'étais, me voici projetée dans un avenir que je n'arrive pas encore à concevoir. Mais je vais y aller, totalement consciente et confiante. Il reste encore quelques points parfaitement obscurs, tel que celui de revoir ma mère, que pour le moment j'ai évitée comme la peste. Mais je me dis que c'est fini ; je dois soit la faire venir, soit me rendre chez elle. Il me faut une nouvelle dose de courage pour affronter la reine mère. Machinalement, je décroche le téléphone, et c'est quand j'entends sa voix que je me dis que je viens de faire une erreur.

— Allô ! Qui est à l'appareil ?
— C'est moi maman.
— … !
— C'est moi, maman !
— Qui êtes-vous ? Allô, qui est là ?
— Maman c'est… moi, Daniel.
— Passez-moi mon fils, Mademoiselle. Pourquoi est-ce vous qui avez son portable ?

Zut, c'est vrai ça, comment peut-elle comprendre ?

— Je peux venir te voir, maman ?
— Mais enfin, qui êtes-vous s'il vous plaît ? Il est arrivé quelque chose à Daniel ? Vous lui avez volé son téléphone ? Vous voulez bien me dire pourquoi vous m'appelez ? Où est mon fils ?

J'ai fait une bourde en l'appelant. Tant pis, je raccroche, un peu secoué par sa réaction. Mais bon, je ne pouvais pas m'attendre à autre chose. Elle ne peut pas savoir ni deviner non plus. Bien, il ne me reste plus qu'à prendre le bus et me rendre de l'autre côté de la ville, chez elle. Enfin, chez nous, quoi ! Je suis noué à l'idée de la réception qu'elle ne va pas manquer de me faire. Je l'imagine déjà appelant la police si je ne suis pas convaincant. Tant pis, attendre serait reculer pour mieux sauter. Trente-cinq minutes, c'est le temps de ce voyage, mais elles me permettent de me préparer mentalement aux assauts et questions de maman.

Je me suis vêtu d'une jupe et d'un joli chemisier ; je pense qu'avec le gilet par-dessus, je fais une jeune femme acceptable. Dans le bus, le chauffeur me mate dans son rétroviseur. C'est quand même un monde qu'une femme ne puisse pas circuler sans que des yeux plus ou moins salaces viennent la déshabiller ! L'appui sur le bouton pour demander l'arrêt va lui permettre de se concentrer à nouveau sur sa route. La maison de mon enfance est là : la grille en fer forgé, les arbres du parc où je jouais au cow-boy… enfin, elle devrait me rassurer, cette demeure. Ce n'est absolument pas le cas. Pourtant ici, il y a encore mon empreinte, celle du gamin que j'étais, celle de l'adolescent qui se tirait par la fenêtre le soir pour aller rejoindre son pote Jérôme. Et je ne sais pas pourquoi, mais elle me paraît hostile, comme si elle ne me reconnaissait plus non plus, cette grande bâtisse.

« Allons, juste un peu de cran ! Appuie sur la sonnette ! Vas-y. De toute façon, je n'ai plus le choix. » Dring ! Voilà, c'est fait. Il ne me reste plus qu'à attendre.

— Oui ? J'arrive, j'arrive !

Des petits pieds traînants que j'entends, une souris qui vient ouvrir à pas feutrés.

— Mademoiselle ?

Elle n'a pas ouvert totalement la porte ; juste entrebâillée. Ça me revient : c'est moi qui lui ai dit d'agir de la sorte ; je ne voulais pas qu'il lui arrive quoi que ce soit.

— Maman, c'est moi, Daniel. Je sais que cela va te paraître absurde, mais c'est pourtant moi qui suis là.
— Tu t'habilles en fille ? Maintenant, tu es une de ces créatures ? Tu t'es fait opérer ? Mon Dieu… Ton pauvre père, de là-haut, il doit se retourner dans sa tombe !
— Dis, si tu me laissais entrer ? Tu ne crois pas que pour parler ce serait mieux à l'intérieur de la maison ?

Qu'elle me prenne pour un travesti me rassure un peu quand même. Elle aurait pu me laisser dehors, ne pas m'ouvrir. Mais je suis certain qu'une mère, ça sent ces choses-là. Elle a d'instinct saisi que j'étais « son Daniel ». Nous voilà face à face dans la cuisine.

— Comment ont-ils fait pour changer aussi ta voix ? Et ta barbe, tu t'es fait épiler au laser ? C'est monstrueux, ce que tu as fait ! J'espère que tu as une bonne raison à me donner. Je pensais que tu étais pourtant un bon garçon ; tu n'as jamais manifesté de goût de cet ordre-là dans ta jeunesse.
— Maman… et si pour une fois tu me laissais parler ? Si pour une fois tu écoutais ce que j'ai à dire ?

Elle est surprise par ma réaction, mais je le suis autant par la sienne. Je lui raconte mon histoire. Elle me regarde, son visage est blême ; elle doit s'asseoir pour ne pas tomber. Sa main, délicatement, est venue prendre une mèche de mes cheveux d'une étrange couleur. Elle tremble devant moi, et toute la tristesse du monde se lit dans ses yeux.

— C'est la malédiction ! Je savais bien qu'un jour cela arriverait… C'est la malédiction ! Mon Dieu, comme tu lui ressembles… Elle serait toute pareille à toi, aujourd'hui.

Les mots qu'elle prononce sont autant d'énigmes pour moi. Je ne suis pas, ne comprends pas… Elle vient de devenir folle de me voir dans cet état ! C'est sûr qu'elle a pris un coup pour divaguer de la sorte.

— Calme-toi, calme-toi, maman ! Je me suis levé dimanche comme tu me vois là et je ne comprends rien. Je ne veux pas te faire de peine. J'ai besoin de ton aide : je ne sais plus qui je suis, je suis perdu, je… je…

La main de maman est toujours après mes cheveux.

— Je savais que tu reviendrais, je le savais ! Oh, Sabine, tu es là ! Tu m'as tellement manqué ! Tu sais, je n'ai jamais rien dit à ton frère. Il a vécu en paix sans avoir à se soucier de cette trop pénible histoire. Comme je suis heureuse que tu viennes me revoir, après toutes ces années !
— Enfin, qu'est-ce que tu racontes ? Maman, je suis Daniel ! Qui est Sabine ? Enfin, mais qu'est-ce qui se passe ici aussi ?

Elle pleure. Les larmes coulent sur son visage qui me donne la désagréable impression qu'il vient de prendre des dizaines d'années en quelques minutes. Elle est toute courbée sur sa chaise. Ses mains qui caressent mon visage tremblent, et elle persiste à m'appeler Sabine. Moi qui venais pour me rassurer, je suis dans un état plus dramatique encore. J'appelle le médecin. Son cabinet étant tout proche de notre maison, il est là très vite.

— Oh, Docteur, vous y croyez, vous ? Sabine est revenue ! Elle m'est revenue après toutes ces années ! Regardez comme elle est belle, ma fille… Vous ne trouvez pas qu'elle ressemble à son frère ?

Le toubib me prend à l'écart, me demande s'il y a longtemps qu'elle est dans cet état. Il me pose des questions, savoir si elle a reçu un choc dernièrement. Enfin il tente de diagnostiquer ce qui peut bien arriver à ma mère. Je n'arrive pas à lui dire que le choc c'est moi, que je suis son fils et que la Sabine dont parle ma mère, je n'en ai jamais entendu parler.

— Bien. Puisque vous êtes sa fille, je pense que nous allons devoir l'hospitaliser. Je fais venir une ambulance et elle sera mise en observation à l'hôpital. Je pense que c'est pour le moment la seule chose à faire. Vous habitez avez elle ?
— Non, Docteur, je suis juste venue la voir. Vous croyez que c'est grave ?
— Elle a besoin de repos et d'une surveillance constante. Voire aussi d'examens que je ne suis pas en mesure de pratiquer ici. Donc une structure adaptée me semble être l'unique solution ; pour quelques jours, du moins. Mais ne vous inquiétez pas : ce n'est peut-être qu'un passage à vide. Les personnes âgées ont parfois des moments tels que celui que connaît votre mère.

Elle est à l'hôpital, et moi je suis encore plus dans la mouise. Je comprends de moins en moins ce qui se passe autour de moi. Ma vie par en javel ; lambeau par lambeau, tout se délite, se dilue dans la plus absurde des réalités. Je me sens coupable de je ne sais quoi. Je remplis les papiers de son admission et je rentre chez moi, complètement désespérée, entièrement ruinée de l'intérieur. Et pour faire bonne mesure, il y a Jérôme devant ma porte !

Il pénètre avec moi dans l'appartement ; je n'ai pas envie de parler, je suis déboussolée, désorientée. « Ras le bol de toutes les misères du monde qui me tombent dessus ! » Le café, c'est lui que le prépare ; il est chez lui, ici. « Mais pourquoi me voir en fille l'a fait tellement disjoncter ? Et elle m'appelait Sabine ! Qu'est-ce que ça veut dire ? Pourvu qu'elle n'aille pas plus mal… »

Nous avons bu le café et j'ai raconté à Jérôme tout ce que j'ai sur le cœur. Il m'écoute ou feint de le faire. Sur le canapé, il est près de moi, et je ne sais pas pourquoi l'envie de faire l'amour me revient au grand galop. Son souffle est plus court ; je sais qu'il m'observe du coin de l'œil. « Comme j'ai envie de me confier, d'être rassurée… » Il a passé son bras autour de mon épaule ; je laisse mon visage collé à celle-ci. De son autre main il me caresse le front, et je sens un grand calme m'envahir. Puis, insensiblement, de peur de m'effrayer sans doute, il la fait descendre dans mon cou. Il reste très longtemps à la promener entre mon menton et la naissance de cette poitrine qui maintenant se trouve être proéminente. La chaleur de sa peau est bien agréable. Alors, zut, je ferme les yeux et le laisse faire sa balade manuelle. Très, très doucement, il effleure juste du bout d'un doigt les balconnets d'un soutien-gorge archi-neuf. Il met un temps infini pour finalement en soulever la dentelle légère.

Sa paume est tranquillement venue entourer l'ensemble du sein, et il ne bouge plus. J'ai gardé les yeux clos, essayant de savourer cette première incursion masculine sur ma poitrine qui les fait peut-être rêver. Jérôme a approché sa bouche de la mienne. Il ne va tout de même pas me rouler une pelle ? Et pourtant c'est bien ça ! Voilà ses lèvres qui se collent aux miennes. J'ai un sursaut. « Pas un baiser avec un mec ! Pas avec lui ! » Je ne me débats pas vraiment, mais il a pris mon tressaillement pour une invitation et, sans quitter ma poitrine, il me retourne pour que ses lèvres puissent entrouvrir les miennes. « Bon, eh bien voilà, il a réussi à me mettre sa langue dans le bec. Sa langue entre, c'est ça ; elle fait comme chez elle, quoi ! »

Elle tourne dans mon palais, et moi con, conne – je ne sais plus trop – je réponds à cet envahisseur en jouant avec elle. Je retrouve des sensations ; ce baiser étrange, il est d'une douceur incroyable… et je l'apprécie. Merde, alors ! Je n'y crois pas ; maintenant, je deviens homo ? Je suppose que lui, de son côté, doit l'aimer également puisqu'il insiste. Je ne veux plus me poser de questions et je me dis que puisque je risque de ne plus jamais devenir le mâle que j'étais, il me faut bien débuter la nouvelle existence qui m'attend. Mais je ne veux pas être un ingrat, alors je laisse ma main partir vers une cuisse qui me serre de trop près. Je la laisse glisser contre cette bosse que je sens au bas de ce ventre.

Je l'ai déjà vue, cette chose entre les jambes de Jérôme, mais les circonstances étaient tout autres. Dans les douches, après nos matchs de foot, mais il ne bandait pas, et du reste moi non plus. Je ne pensais sûrement pas à cela dans ces moments-là. Il ouvre lui-même sa braguette. Pour me faciliter la tâche ? Et c'est bizarre, j'ai dans la main l'instrument qui me fait si cruellement défaut entre mes deux gambettes. Je pense que je serais heureux de la tripoter, la mienne, mais je jure que l'effet n'est pas le même du tout. Je fais comme je le faisais pour moi : je tire, retrousse la peau sur un gland qui frémit, et je masturbe lentement son pieu tendu.

C'est bougrement chaud, et mon ami respire plus fort. Plus vite aussi, et il a glissé sa main plus bas, essayant d'ouvrir mes cuisses que pour le moment je serre le plus possible. Il soupire d'aise, d'envie, de plaisir. Il grogne des mots que je ne cherche pas à comprendre. Je reste attentive, attentif – je ne sais plus comment le dire – aux seuls mouvements de mon poignet. Il se tortille comme un asticot au bout d'un hameçon sur une canne à pêche. Et soudain, alors que je n'ai rien vu venir, il m'éjacule dans la main. Il a l'air plutôt triste de voir qu'il n'a pas tenu plus d'une minute.

— J'ai tellement envie de toi… Zut ! Je t'ai pourtant demandé de ralentir tes doigts ! Pourquoi tu n'as pas écouté ?
— Hé ! Ne crie pas ! Je t'ai dit depuis longtemps que je ne suis pas une vraie fille ; alors je te branle ce soir, et si tu n'es pas capable de te retenir, ne t'en prends pas à moi ! Je ne baiserai jamais avec toi. Ça… euh… c'est juste un moment de détresse. J'aimerais que nous ne renouvelions pas cette… cette folie passagère.

Vexé, il s'essuie dans un mouchoir en papier, rajuste ses fringues, et quitte mon appartement. Je viens de perdre mon seul et unique ami, mon dernier vrai soutien sans doute dans mes deux vies.


La nuit d'un vrai sommeil m'a fait un bien fou. Je me réveille avec comme un petit germe d'idée dans le crâne. J'irai fouiller chez ma mère, dans ses papiers. Peut-être trouverai-je enfin un semblant de solution, chez elle. J'ai besoin de savoir qui est Sabine. Elle n'a pas pu inventer ce prénom, il est bien arrivé dans sa tête de quelque part. Mais pour l'heure, je dois aller en cours. J'ai pris une douche rapide, et pour la première fois je m'essaie au rouge à lèvres. Ce n'est pas si facile ; il faut être doué pour arriver à doser justement la couche à mettre. Je dois m'y reprendre plusieurs fois pour n'avoir pas l'air d'une pute au rabais. Un coup d'œil dans la glace ; bon, ce n'est pas le top, mais pour un essai, je crois que c'est passable.
Direction le bahut, lequel grouille déjà de ces jeunes qui, à l'instar de moi, font des études. Je me faufile entre certains groupes, évitant les garçons avec lesquels j'avais des affinités auparavant. Et bien entendu, je me fous dans les pattes de la seule fille que je ne veux pas croiser, Lydie !

— Ah, te revoilà, toi ! Tu sais ton anglais ? Tu n'as pas été particulièrement gentille, l'autre soir avec moi, mais bon… Pour l'anglais, ça n'a pas marché ; mais si tu veux un cours de maquillage, viens me trouver : tu as l'air d'avoir bâclé les yeux et la bouche. Tu veux ressembler à qui avec ce rouge de prostituée ?

Ça a l'avantage d'être clair. Ma fierté de mâle… de femme vient d'avoir du plomb dans l'aile. J'enlève au moins le rouge. Il me faut donc d'autres leçons.

— Mais si tu me promets d'être plus gentille, je veux bien te montrer. Chez moi… c'est quand tu veux.

Je ne réponds pas, m'écarte du groupe de quatre filles qu'elle forme avec ses amies ; elles rigolent toutes de la bonne blague de Lydie. Moi un peu moins, je l'avoue. Jérôme est là-bas. Je l'ai remarqué, mais il semble m'éviter comme la peste. « Aussi bête qu'un garçon ! » Quoi ? Quelle réflexion dans ma caboche ! Si je me mets à penser comme une gonzesse parfois et à la manière d'un type à d'autres moments, je crois que mon esprit va finir par exploser. Il serait de bon ton que j'adopte une position plus en phase avec la silhouette que j'affiche. « Choisis ton camp, Daniel ! C'est de ta survie qu'il est question, désormais. »

L'amphi. Combien sommes-nous dans ce haut lieu du savoir ? Entre trente et quarante personnes. Je suis assis à côté d'une belle blonde. Elle suçote son stylo et prend des notes. Je me contente d'écouter : je fais confiance à ma mémoire et à mes polycopies. Mais depuis quand n'ai-je pas vraiment révisé mes cours ? Si ça continue de la sorte, je vais aussi être largué dans ce domaine, et pourtant j'ai vraiment besoin de suivre mes études. Oui, je sais, je devrais aussi féminiser mon écriture. Mais, bon sang, que c'est compliqué ! Le cours s'achève et la blonde me parle. Ce n'est pas que j'aie envie de lui causer, mais je dois rester civile et sociable pour ne pas perdre pied définitivement.

— On va boire un café, avec mon copain. Tu viens avec nous ? Il y a longtemps que tu étudies ici ? Je ne t'ai jamais vue. Ah, pardon : je suis Josette, et je viens de Nancy.
— Enchanté. Je suis Daniel, et c'est vrai que nous ne sous sommes pas encore parlé, mais croisés, oui ; disons que j'affiche un nouveau look depuis quelques jours.
— Salut, les filles. Et toi, Josette, tu me présentes ta copine ?
— Arrête de jouer les coqs. Danièle, voici Michel, mon petit ami. On n'y touche pas, hein, c'est compris ? Chasse gardée !

Elle dit cela en éclatant de rire. Le gars qui l'a prise par la taille est plutôt sympathique. Étudiant aussi, donc je l'ai déjà croisé à d'autres moments. La cafétéria du bahut nous accueille. C'est la ruée au bar. Les fumeurs – une race en voie de disparition – sont restés devant la porte, à l'extérieur. Je sais que ce Michel me regarde à la dérobée. Il soupèse lui aussi mes formes d'un œil averti. Je connais ce genre de sport pour l'avoir souvent pratiqué. Mais il n'est pas mal non plus. Si je me mets à regarder les mecs, maintenant… Avoir une vue des deux faces cachées des choses apporte un éclairage différent, selon que l'on raisonne femelle ou mâle. Il me semble que j'éprouve une certaine attirance pour ce jeune-là. Il se sait beau gosse, il en profite.

Elle ne doit pas s'en douter, la malheureuse Josette, mais c'est ce genre de mec qui doit se taper toutes les filles du campus. Et si j'étais une femme… Merde, mais lui il voit une femme là où je m'évertue à vouloir encore croire qu'il existe un soupçon d'homme. Dans le dos de sa compagne, il me sourit. Il veut m'emballer ou quoi ? Et je ne la connais pas, elle, après tout. Nous avons tous les trois bu nos cafés et nous retournons vers l'amphi. Son Michel a pris soin de s'intercaler entre elle et moi. À un moment, je me retrouve avec son bras autour de la taille. L'autre enserre celle de Josette. La main qui me tient descend – par inadvertance, sans doute ? – bien plus bas que de raison. Il me tripote la fesse sur le tissu, mais ce n'est pas désagréable. Je suis sauvé par l'entrée dans la salle.

Pendant que le prof de droit nous explique la différence entre un mandat de dépôt criminel et son homologue en matière correctionnelle, Michel griffonne sur un papier. Note de cours ? Poulet pour sa petite amie ? Le message atterrit dans ma main, à l'insu de sa copine qui est totalement subjuguée par le Maître qui distille son « procès pénal » en plusieurs volets. Il veut me revoir, mais il m'espère seul. Je réfléchis un instant et je me dis qu'il pourrait m'accompagner chez ma mère ce soir. Fouiller pour fouiller, autant que je ne sois pas seul. C'est d'accord : nous nous retrouvons vers dix-huit heures à l'arrêt de bus, celui qui est près de l'hôpital.

L'état de ma mère ne s'arrange pas : elle persiste dans ses allégations bizarres. Le parcours par le bus est une calamité, Michel tente de me peloter tout le long du trajet. Je commence à me dire que c'est une très mauvaise idée de lui avoir demandé de venir. J'hésite vraiment à le faire entrer dans la maison. À peine du reste avons-nous un pied dans le salon qu'il cherche déjà à m'embrasser. Il m'a pris contre lui ; il est bien plus grand que moi. Il m'attire dans la cage de sa poitrine, et sûr de son ascendant sur les femmes, il aimerait que je me laisse faire. C'est bien mal me connaître : je le repousse, et il se calme. J'en profite : je lui sers un verre, l'installe dans le canapé avec la télé allumée et je file visiter la chambre de maman.

Dans sa table de nuit, des piles de romans-photos, style Nous Deux, remplissent un premier tiroir. Dans le second, je trouve des trucs que je n'aurais jamais pensé qu'elle puisse posséder : un vibromasseur avec une forme qui ne laisse planer aucun doute sur l'utilisation qu'elle peut en faire, et une boîte de préservatifs ! Ben oui, pourquoi n'aurait-elle pas une vie sexuelle aussi ? J'en tombe presque sur le cul de découvrir que ma mère, c'est aussi… et encore… une femme avant tout. Tout au fond, des papiers ; ceux du décès de mon père. Je les survole.

Machinalement, j'ouvre le livret de famille ; et là, stupeur ! À la date de ma naissance, je vois l'écriture fine et tarabiscotée de l'agent de l'état civil qui a rédigé l'acte. Mais à côté, et à la même date, une autre page. Seule l'heure de naissance diffère de quelques minutes. Je viens de trouver Sabine. Elle m'apparaît en noir sur un papier plus qu'officiel alors que je n'en avais jamais entendu parler. Mais juste sous cet acte de naissance, une autre ligne qui déclare l'année, le jour et l'heure du décès. J'ai donc une sœur inconnue. Enfin, je devrais dire : j'ai eu une sœur. Je comprends soudain la réaction de ma mère qui a cru reconnaître sa fille dans cette autre que je suis devenu. Il y a de quoi devenir dingue ! Je suis assis sur le lit, et je n'entends pas arriver Michel.

Vu la tête que je fais, il pense que je suis sonné par le fait de me trouver dans la chambre de maman, que sa maladie m'attriste. Il vient pour me réconforter. Perdu dans mes pensées, l'esprit totalement absorbé par ce que je viens de découvrir, je dois ressembler à un fantôme. Mais ne le suis-je pas vraiment ? Finalement, les bras qui m'entourent sont les bienvenus. Il m'a couché sur le lit, et les lèvres qui s'écrasent sur les miennes sont un vrai dérivatif à ce moment de stress intense. Je réponds vraiment au baiser passionné que le garçon me donne. Je peux presque dire que j'y trouve un certain plaisir ; il ne reste pas inactif non plus avec ses mains.

En quelques secondes, je me retrouve totalement à poil sur le grand lit de ma mère. Comme il s'y trouvent encore étalés les capotes et le vibromasseur, il pense sans doute que l'envie est déjà bien présente en moi. Mes idées sont de plus en plus confuses alors que sa bouche qui maintenant me suce la fraise des seins, puis sa main qui écarte d'autorité la fourche de mes cuisses sont autant de chaleur qui remonte dans mon ventre. Comment a-t-il réussi à se déshabiller aussi prestement, sans quitter ma poitrine ? Maintenant, il est penché. Sa bouche a remplacé sa main sur cette fente qui me chauffe de partout. Ses jambes sont le long de mon buste puis il se met à califourchon sur moi, continuant de butiner la blessure féminine qu'il a ouverte de sa langue.

Contre mon visage cogne sa bite tendue. Il remue, avançant son bassin dans une danse amoureuse, et sa léchotte déclenche en moi une curieuse réaction : j'ai soudain envie de sentir ce membre qui flirte avec mes lèvres. J'entrouvre précautionneusement la bouche ; le dard a vite fait de s'y installer. Ce n'est pas aussi étrange que j'aurais pu le croire. J'aime assez la sensation de velouté de ce gland qui me pénètre le palais. Je suce, happe, lèche. Et les picotements que je ressens au fond de mon ventre, je les traduis par une gâterie encore plus poussée sur cette verge qui me lime gentiment. Il grogne de plus en plus fort, et je sais que je geins pareillement.

Finalement, c'est bon de tailler une pipe. J'ai aimé avant, que les filles… pardon, les rares filles avec qui j'ai joué me le fassent. Et j'apprécie donc de le faire. Aussi bizarre que cela puisse paraître, je n'ai plus aucune retenue, sentant monter en moi ce feu qui couve depuis trop longtemps. Je n'ai pas même une petite pensée pour la blonde qui ne se doute aucunement de ce que je fais avec son ami. C'est donc sur le lit de maman que je suis pris… prise, pardon, pour la première fois. Je ne sais pas, ne saurai jamais si j'étais vierge, mais quelle importance… Michel sait s'y prendre, il est bon au lit. Je n'en sais rien non plus, pas vraiment de comparaison dans cette matière. Ce n'est pas mon minuscule vécu d'homme, euh… de femme, qui va me donner des indices.

Je sais cependant que j'ai joui fort. Pas aussi violemment que mon envie me le laissait supposer. Pour Michel aussi ça a été rapide, mais il a pensé à prendre un préservatif sur le lit. Merci d'y avoir songé. Il faut dire qu'il n'avait qu'à se servir. J'ai aimé être mise, mais j'ai apprécié aussi de faire une fellation. Dire que quelques jours plus tôt j'aurais juré les grands Dieux que jamais, au grand jamais, un homme ne me prendrait avec son sexe !
Comme quoi il ne faut jamais jurer de rien.