Le baiser de Salmacis
Charline882017Acte 2
Ma nouvelle amie, Béatrice, est repartie dans la rue ; elle a du mal à supporter plus d'une journée de se voir dans ce qu'elle appelle « l'enfermement appart mental ». Je n'ai pas essayé bien longtemps de la faire changer d'avis. Je suis encore trop traumatisé par les bouleversements de ma vie. L'incompréhension de ce qui m'arrive reste palpable, mais je ne veux plus rien montrer et je tente avec plus ou moins de réussite de combattre le mal-être latent qui occupe mon esprit dès que je ne dors plus. Seul, depuis qu'elle a quitté mon appartement, je me dis que je devrais travailler un peu mes cours, mais je n'ai pas la force de garder mon attention sur les pages dactylographiées plus de quelques secondes. Mes yeux s'embuent tout le temps, et c'est de rage que je jette dans un coin les feuilles qui, elles, retombent, mortes, éparpillées dans le salon. C'est affreux de ne savoir quoi faire. Et si j'allais voir mon médecin ?
Je n'ai toujours pas retrouvé mes papiers ni ma carte vitale, et je ne saisis toujours pas comment c'est arrivé. Pourquoi tout a disparu ainsi ? Je ne suis plus personne ! Ni un homme, et encore moins une femme dans ma caboche. « Secoue-toi, bouge ce cul que tu ne veux pas reconnaître ! » La secrétaire de mon toubib me regarde.
— Votre nom ? Vous avez votre carte verte ? Quel prénom vous m'avez dit ? Danièle Milot… Tiens, vous avez un homonyme masculin qui est aussi suivi par le docteur Frouard.
Elle rit, me regarde, pensant sans doute que je vais moi aussi faire une risette. Tu parles, oui ! Je rigole jaune, surtout moi ! Oui, de me voir dans cette merde ! Je n'ai pas envie de lui fournir d'explications ; je les consacre uniquement pour le docteur, si toutefois j'arrive à lui faire comprendre. Enfin, je l'espère… Me voilà dans la salle d'attente, et il y a aussi des clients, patients – enfin, le terme, je m'en tape – il y a des gens qui attendent aussi. Deux femmes et deux hommes. Pfft ! Je ne suis pas encore dans le cabinet, si je comprends bien. Mais ça va relativement vite finalement ; me voici entrant dans le bureau.
— Bonjour ! Asseyez-vous. Que vous arrive-t-il ?
— Docteur, ce n'est pas que je sois vraiment malade. Écoutez, depuis dimanche matin je ne sais pas ce qui m'arrive. Je me suis couché samedi soir, et à mon réveil dimanche matin je me suis retrouvé comme vous me voyez là. Enfin, je veux dire que samedi j'étais un garçon, et dimanche je me suis levé comme ça, en fille, telle que vous me voyez là. Cherchez l'erreur ! Le pire c'est que je n'arrive pas vraiment à me croire moi-même et que je demande aux autres de le faire. Ça paraît vraiment fou, mais pourtant, dans ma tête, je suis resté le mec que j'étais ; c'est seulement mon corps qui n'est plus pareil.
Je vois qu'il me regarde ; il s'est légèrement raidi sur son siège. Je pense qu'il a les jetons. Il me prend pour un débile, un dingo dont il convient de se méfier. Je crois qu'il me voit agité, que ça ne va pas le rassurer du tout, et je bafouille maintenant dans mes explications. C'est sûr qu'il faut une sacrée dose d'imagination pour se dire que la fille en face de vous ne ment pas. Que c'est un mec aussi. Mais, bon sang, je suis sincère ! Ça y est : les grandes eaux sont rouvertes. Pourtant il ne montre rien, aucun signe d'alarme. Il reste stoïque. Il a de l'aplomb, le bonhomme, plus que moi qui pleurniche encore une fois.
— Allons, calmez-vous… On va voir ce qui se passe. Détendez-vous, ce n'est sûrement pas si grave, juste un petit coup de fatigue passagère. Un bon calmant, et tout va rentrer dans l'ordre. Vous allez voir que tout va redevenir normal.
Je sèche mes yeux, mais je ne suis calme que de l'extérieur. Il me jette un regard qui en dit bien plus long que son discours. C'est certain qu'il pense avoir à faire à une timbrée. Je tente de fouiller dans ma mémoire ; il faut que je trouve quelque chose pour arriver à le convaincre que je suis de bonne foi.
— Écoutez, vérifiez, mon numéro de sécu. Enfin, faites quelque chose pour moi, je vous en conjure, je ne suis pas bien du tout. Je ne veux pas de ce corps de femme : je veux retrouver le mien, au moins comprendre ce qui se passe ! Mais comment voulez-vous que j'aille bien si personne ne m'écoute, ne me croit ?
— Venez par ici. Étendez-vous là. Je vais prendre votre tension, et nous pouvons parler tranquillement de ce qui ne va pas. Donc, si je suis bien ce que vous me dites, samedi vous étiez un garçon, et dimanche vous êtes devenu cette belle fille qui se trouve dans mon cabinet ?
— … !
— Quatorze neuf ; un peu élevée, mais rien d'affolant. Ouvrez un peu la chemise, que j'ausculte votre cœur. Comment vous appeliez vous, avant ? Daniel Milot ? Vous êtes donc un de mes patients. Bien. Rajustez-vous et venez que nous discutions un peu. Vous passez un mauvais moment, là ?
Non mais, ce n'est pas vrai, penses-tu ! C'est un vrai plaisir que de se réveiller en gonzesse, de ne plus savoir pisser debout, de ne plus trouver sa bite, de voir sa poitrine multipliée par vingt-cinq et d'avoir une tignasse comme Poil de carotte. Et je dois rester calme, rester zen, ne pas avoir la trouille, être normal, quoi… Ben tiens ! Ce n'est juste pas perturbant ; ça arrive tous les jours, des mecs qui se lèvent avec une chatte et qui ressemblent à leur sœur. Mais oui, Docteur, je suis bien dans ma tête ; dans ma culotte, un peu moins. Mais bon, je porte plus facilement un boxer qu'un string. La ficelle dans la raie des fesses ça peut peut-être aussi un peu désarçonner, non ? Surtout si on n'est pas habitué et – excusez du peu – mais à vingt-trois piges, je manque d'entraînement. Bon, je cache mon fiel, je garde la rancœur qui me monte au nez, je ferme ma gueule, mais je n'en pense pas moins ; il ne m'a rien fait, lui.
— Si, je suis en stress, mais c'est de me voir dans cet accoutrement, Docteur ! Je veux de l'aide ; j'ai besoin de me retrouver comme samedi soir. Je viens pour que vous me disiez comment faire pour que je me réveille de ce cauchemar dans lequel je m'englue, heure après heure. Je ne veux que me retrouver, comme avant, rien d'autre, mais je ne sais pas à qui m'adresser. Je ne suis pas fou, et pourtant, si je parle de ce qui m'arrive, tout le monde a les yeux comme les vôtres en ce moment. Aidez-moi, je vous en supplie, dites-moi quoi faire !
— Mademoiselle, cessez de voir en moi un ennemi. Vivez les moments présents comme il vous plaira, mais vous êtes, par ce que je peux en juger, belle comme tout. Alors, vivez votre vie sans vous poser toutes ces questions existentielles, et tout devrait aller pour le mieux. Je vous prescris un petit calmant ; il devrait vous aider à passer le mauvais cap que vous traversez. Voyez, et dans quelques jours si vos troubles persistent, venez me rendre une autre visite. On verra pour vous trouver un spécialiste à ce moment-là.
Bon ; eh bien, aussi étrange que cela puisse paraître, les conseils du vieux bonhomme m'ont fait du bien. Finalement, je dois vivre pour moi, pour voir ce qui va se passer.
Au retour de cette visite, je m'arrête au bar et, surprise, Jérôme s'y trouve aussi. Dans son coin, il a levé les yeux mais il fait mine de ne pas me reconnaître. Eh bien je vais quand même m'asseoir à sa table. Il esquisse un sourire, forcé peut-être, mais une risette tout de même.
— Il est revenu ? Il n'est pas avec vous, mon pote Daniel ? En tout cas, il a du goût en matière de nanas. Je l'envie presque. Il vous a déniché où ?
Je le regarde. Il est presque pathétique avec son grand regard bleu. Ses mains tremblent un peu, il a l'air sincère. Alors je recommence gentiment à lui dire toutes ces paroles que je lui ai servies lors de son retour dimanche. Il m'écoute religieusement ou il feint bien ; mais c'est important pour moi qu'il me prête un soupçon d'attention. Quand j'en finis avec mon laïus, il me jette des regards étranges. Il doit se dire que j'ai quand même de la suite dans les idées. Sa main glisse sur la mienne, et soudain il me demande :
— Zut ! Vous voulez boire quelque chose ?
— Tu me dis « tu » depuis toujours, alors continue. Mais c'est sympa : je veux bien un bon café. Tu connais le bar comme moi, et leur caoua est le meilleur de la région. Alors vas-y, commande !
Je me mets à lui parler. Je recherche dans ma mémoire un ou deux petits secrets que nous partageons, juste histoire qu'il se rende bien compte que je sais qui il est, que nous avons des souvenirs communs qu'aucune autre personne ne saurait lui narrer sans les avoir vécus avec lui. Mais à un moment je m'aperçois qu'il a toujours ma patte dans la sienne et que ce contact n'est pas aussi désagréable que je pourrais le penser. Il joue avec mes doigts ; mais pour lui, je ne suis que la fille qui lui fait face, ça se comprend aisément. Il esquisse un sourire. Il le veut enjôleur ; pour moi, il n'est que stressant. Et je ne retire toujours pas cette main qu'il malaxe drôlement. Il me fait du rentre-dedans ? J'ai cependant besoin d'avoir de la compagnie, et je le regarde avec un air attristé.
— Ça ne te dérangerait pas de coucher avec un autre mec ? Tu crois que tu aimerais ?
— Si c'est un mec comme toi, aucun souci. Toutes les nuits, tous les jours aussi, si tu veux : je ne crache pas dans la soupe.
Bien sûr, j'aurais dû m'y attendre… Ce qu'il perçoit c'est juste la tignasse rousse et les airbags qui doivent lui donner le tournis. Quand est-ce que je vais m'y faire ? Ce que lui ou les autres entrevoient en me reluquant, c'est une femme, avec un joli cul rebondi. Et ils ne doivent bien tous rêver que d'y coller leur main, et bien autre chose également. « Il faut vivre le présent. » a dit le médecin, mais c'est bien au-dessus de mes forces, bien que ce « con » ait dans les yeux une lueur d'excitation que je remarque comme un nez au milieu d'une figure. Il reste sûrement encore un bon Dieu de long chemin avant qu'un homme me branche avec sa queue ; de cela, par contre, je crois bien que j'en suis certain !
Je dois absolument reprendre mes cours. J'ai déjà perdu une journée avec tout ce que cela comporte. Personne ne semble vraiment me remarquer lors de ma réapparition dans l'amphi. Il faut dire aussi que j'ai changé de place et que je me suis glissé dans un groupe que je ne fréquente pas habituellement. Le professeur nous fait son cours magistral, et puis distribution de polycopies. J'ai suivi assez bien la voix monocorde qui nous a balancé les informations, et j'espère que tout ira bien. Normalement, ma mémoire est bonne. Je n'arrive toujours pas à m'accommoder de ma nouvelle physionomie. De surcroît, Jérôme fait mine d'avoir compris et il me suit partout où je vais. Nous avons des discussions assez tendues sur certains sujets, notamment sa vision du sexe en général et son envie à demi-cachée de moi en particulier. Il a bien tenté depuis l'autre soir au troquet de me refaire un peu de gringue – oh, bien sûr, ce n'est pas franchement du rentre-dedans – mais je vois bien qu'il est taraudé par cette vision de la cambrure de mes reins.
J'apprends aussi à mes dépens ce que nous, les hommes, pouvons faire subir aux filles, femmes et autres dames avec nos sales regards. Je jure que si je retrouve ma forme première, je veillerai à ne pas retomber dans ce genre de travers assez peu flatteur pour nos compagnes. Les yeux qui se posent sur ma petite personne sont parfois remplis de désir, mais aussi pleins d'une évaluation de mes formes que je ne saurais supporter. J'ai pris plus le temps, m'attardant enfin sur ce corps dont je découvre des aspects étranges presque à chaque instant. J'ai commencé par prendre conscience de cette poitrine en me mettant nu devant le grand miroir qui tapisse une porte de son armoire, dans la chambre de Jérôme.
J'ai aussi osé enfin vraiment toucher, palper ces deux boules surmontées chacune d'une aréole d'un brun sombre. J'ai pincé ces tétons qui s'y trouvent aussi, et finalement je pense que cela aurait pu être pire que cette image que la glace me renvoie. Il n'y a aucun narcissisme, ni primaire ni secondaire, dans cette étude ; c'est juste une analyse lucide, je veux le croire, de la présentation de cette vitrine de femme que je symbolise maintenant. Les autres filles aussi discutent d'une autre façon avec celle que je suis désormais. Je m'aperçois que quelques-unes sont très différentes en dialogue avec leurs amies de ce qu'elles me montraient alors que j'étais un mec.
Elles viennent plus facilement au contact. J'en ai des pulsions bizarres. Une envie qui m'obsède de plus en plus. Je réagis comme mes hormones me le dictent. Je suis juste capable de raisonner dès que j'ai ces demoiselles en face, ou à côté de moi. Elles m'acceptent comme l'une des leurs alors que mon âme reste immuablement masculine. Et comme il m'arrive comme en sport de faire encore des choses mâles, elles me prennent toutes pour un garçon manqué. À part Jérôme, les hommes, je m'en méfie : je ne sais pas – ou si je ne le sais que trop bien – de quoi ils sont parfois capables.
Les vacances arrivent vite, et je ne vois toujours aucune issue à cette transformation qui semble bien définitive. Je n'en ai pas vraiment envie, cependant. Devant ce transfert incroyable, je dois faire pourtant des sourires, me dire que cela va bien finir par s'arranger.
Puis il va aussi falloir à un moment ou à un autre que j'envisage une autre possibilité : celle que ma mère débarque un de ces quatre matins dans mon appartement. Elle vient, parfois à l'improviste, s'assurer de visu que tout va bien, que je fais bien le ménage. Elle ne dit jamais rien, mais ses yeux sont toujours des balises de rappel, des monstres de reproches. Lydie, une belle brune, suit les cours – enfin, les mêmes que les miens bien entendu – et elle tient, pour je ne sais quelle obscure raison, à venir chez moi pour réviser. J'ai bien dit non quelques jours, mais maintenant mes refus pourraient bien devenir suspects. C'est donc pour ce soir ; et pour une fois, pas de Jérôme !
Je voudrais bien qu'il soit là ; cela m'éviterait sans doute d'avoir une trop forte envie de cette belle fille. Je n'ai pas l'intention de lui faire du mal, mais on ne sait jamais…
— C'est super, chez toi ! Tu en as de la chance ! Un appartement aussi vaste pour une fille seule… Je n'ai pas ce pot : moi, je dois me contenter d'une chambre universitaire.
— Ben, tu sais, c'était à mon père ; et quand il est mort, ma mère l'a gardé pour que je puisse en profiter pendant mes études, c'est tout bête.
— Si tu cherches une colocataire un de ces jours, pense à moi !
En disant cela, je vois dans son regard comme un voile ; je dois absolument changer de sujet. Je lui propose de boire un verre, et nous voilà elle et moi à siroter un Coca. Elle laisse traîner ses regards partout sur ce qui l'entoure, et je la sens prête à poser encore mille et une questions auxquelles je ne veux pas ou je ne saurai pas répondre.
— Si on s'y collait ? À nos devoirs d'anglais. Tu ne crois pas que nous devrions avancer ?
Son sourire reste figé sur les lèvres. Face à moi, je la jauge encore comme un garçon le ferait. Des cheveux légèrement ondulés, brun clair ; des yeux d'un bleu limpide, presque comme deux flaques d'eau pure. Elle a un joli visage d'un ovale parfait. Sa taille est fine, et elle doit faire à peine plus d'un mètre cinquante. La petite jupe qu'elle porte laisse entrevoir une paire de gambettes d'un galbe attirant. Sous son chemisier, deux mignons petits seins tendent leurs pointes arrogantes, comme deux phares qui attirent encore le naufragé de la vie que je suis. C'est idiot, mais je tente de faire la comparaison entre sa poitrine et celle que moi je véhicule en permanence depuis ce dimanche pourri. Sous prétexte de déposer son verre vide dans l'évier, elle s'est relevée du canapé, bousculant au passage la table basse du salon. Bien entendu, je dois me mettre à quatre pattes pour ramasser mes cours que la belle Lydie vient de renverser sur la moquette.
Alors qu'elle se dirige vers la place qu'elle vient de quitter, elle doit passer près de moi. Et sans que vraiment je ne m'y attende, la jeune femme me donne une claque sonnante et cinglante sur cette croupe que j'agite, sans malice pourtant. Je me redresse d'un coup. Lydie me regarde, mais cette fois ces yeux sont brillants. Un regard que je connais bien : un regard de louve, un regard de carnassier. Je le reconnais pour l'avoir eu si souvent, mais dans ces moments-là, je n'avais pas d'état d'âme de femme à supporter. Cette manière de me scruter jusqu'au fond de mon esprit allume aussi cette petite lampe en moi. Ce minuscule feu-follet qui s'échappe d'abord du cerveau pour venir éclater en envie dévorante.
Le feu vient d'embraser mon ventre tout entier, et je suis certain qu'elle-même le comprend aussi vite que moi. Je tremble autant d'excitation que de peur. Je ne saurai donc jamais m'y prendre en tant que femme ? J'ai cette trouille de mal faire, et la crainte est toujours mauvaise conseillère. Si seulement Jérôme s'amenait pour me sauver la mise… Mais la sonnette reste obstinément muette alors que Lydie s'approche lentement, les mains tendues devant elle, comme pour me faire entrer dans ses bras.
— Tu n'as quand même pas peur de moi ? Danièle, as-tu déjà fait l'amour avec une fille ? Laisse-moi te serrer contre mon cœur… Toute la journée et les précédentes, j'ai juste rêvé de ce moment-là. Comme j'ai eu envie de te sentir dans mes bras, contre ma poitrine ! Je n'ai pas arrêté de penser à ta poitrine ; l'envie de te toucher, de sentir ton parfum m'a pris comme ça, sans que je puisse y résister. S'il te plaît, laisse-moi juste un instant te prendre dans mes bras…
Elle a réussi à s'avancer suffisamment pour que je sois à sa portée. Ses mains m'attirent, et me voici comme happé par cette fille qui me cramponne. Je n'ose faire un seul geste. Ni pour la repousser, ni pour l'encourager, mais elle est dans son monde et je vois, je crois, que je vais y aller aussi si elle persiste de la sorte. Ses cheveux sont venus se frotter contre ma tignasse rouge. Elle m'agrippe de toutes ses forces, et je ne peux que la laisser faire. Je n'ai pas spécialement envie qu'elle me dorlote ainsi. Il y a quelque chose qui me gêne dans ce qu'elle fait. Je cherche, je tourne tout ceci dans ma tête, et soudain je réalise : je n'aime pas que ce soit la femme qui prenne l'initiative et qui dirige la manœuvre. Vieille résurgence masculine qui vient perturber le bon ordre établi de ce jeu de la séduction qui débute pour Lydie.
Mais il en faut plus pour que la demoiselle se calme, d'autant que ces réflexions ne sont que muettes, que mon attitude ne trahit pas mes états d'âme personnels. Doucement, elle arrive à me faire allonger sur le sofa, et sa bouche part à l'assaut de la mienne. Étrange baiser que celui qui nous unit. Je la laisse fouiller mon palais ; il me semble qu'elle y prend goût, mais honnêtement, moi également. Alors je ferme les yeux et elle me transporte dans ce monde où les femmes embrassent mieux que les hommes, où les femmes sont infiniment plus patientes. Suis-je l'exception qui confirme la règle ?
Règle ? J'ai bien pensé « règle », mais… en y pensant comme cela à brûle-pourpoint, à vingt-trois ans, les femmes sont réglées, non ? Je ne vais quand même pas avoir des périodes pareilles ? Cette seule idée me flanque le bourdon. Comment ça se passe dans ces moments-là ? C'est facile pour les hommes : pendant quelques jours ils rigolent avec leurs potes, ils parlent de débarquement, ils assurent que ce n'est rien, juste quelques jours d'abstinence forcée. Mais je n'ai pas envie de voir l'envers du décor ! Et puis je ne suis pas vraiment équipé pour ces moments-là, non plus… À qui demander conseil ? Comment vais-je m'en tirer, moi, de ce bordel ? Ma mère ? Mais elle ne va rien entraver, comme d'habitude, et elle va faire l'autruche encore une fois sans doute.
Je suis mal, soudain ; la situation vient de me couper l'appétit, l'envie de cette nana qui littéralement me tripote partout. Il faut que je fasse un effort pour qu'elle sente que je ne peux pas, que je ne veux pas ! Mon rapide changement d'attitude vient d'interpeller ma jolie cavalière ; elle me jette des coups d'œil furibonds. Elle pense que je suis une allumeuse, que je n'éteins pas le feu que j'ai provoqué. Elle se réajuste la jupe et le chemisier. Elle n'est, mais alors, pas du tout contente ! J'ai droit à quelques noms d'oiseaux bien sentis. Je répugne à faire du mal gratuitement, mais encore une fois c'est mon esprit qui me trahit. La porte vient de claquer sur une Lydie furieuse et preste à quitter mon nid.
La sensation d'un grand poids sur mon estomac est de retour, plus encore qu'avant le passage de cet ouragan de femme. Je me prends la tête entre les mains et laisse sortir ce chagrin qui s'accumule en moi. Quelle attitude adopter face à cette adversité qui me plombe les plus beaux instants d'un après-midi qui devrait être empreint de toute la tendresse du monde ? Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à me faire à l'idée que je vais passer tout le reste de mon existence avec une jupe et des bas ? Vers qui me tourner ? Qui peut faire un geste pour que je sois plus fort, moins froussard ?
Dire que j'ai longtemps ri de voir toutes ces filles minauder pour un peu de poids en trop… Je ne mange pratiquement plus rien depuis cette affaire. Pour être plat, il l'est, mon ventre, je le garantis. J'en deviens extrêmement nerveux, et j'ai une nette tendance à broyer du noir. Jérôme, qui passe sa vie dans mes pattes, en fait les frais. C'est lui que je houspille sans arrêt, et pourtant il reste dans mon sillage. Le soir, il me téléphone, et dans la journée il est comme mon ombre.
Je viens de me lever ; c'est le quatrième jour de la métamorphose. Je suis monté sur la balance ; elle doit être à mon image, détraquée : elle affiche cinquante-six kilos. Je me demande si c'est possible ; j'en faisais presque soixante-dix, samedi soir. J'ai pris les calmants du médecin, et j'ai en plus une tête à me faire peur. Blanc, pâle, les qualificatifs sont nombreux pour décrire le zombie qui se reflète dans le miroir. Je reconnais quand même mes yeux ; eux sont restés pratiquement identiques. Jeudi ! Nous sommes donc jeudi matin. Je ne vais pas à l'amphi aujourd'hui. Tant mieux, parce que je manque de courage. De force également.
Je suis maintenant entièrement nu dans ma salle de bain, attendant patiemment que l'eau remplisse ma baignoire. Je suppose que me tremper dans l'eau jusqu'au cou ne peut absolument pas me faire de mal. Elle est bonne, cette tiédeur, et plongeant dans la mousse qui recouvre la surface, je tente de faire le vide sous mon crâne. Je savonne ma poitrine ; le fait de passer sur les tétons les fait durcir. Je regarde ce phénomène particulier qui éveille au fond de moi une sourde chaleur. Mes doigts serrent plus fort l'éponge que fais glisser sur mon ventre, juste en l'effleurant ; le remue-ménage en moi se fait plus violent. J'écarte doucement mes cuisses et je laisse passer la main qui tient le gant, l'amenant directement sur la face interne d'un genou, puis lentement je remonte vers le lieu qui me perturbe tellement.
La friction que je provoque tend mon corps comme un arc, et mon ventre sort à moitié de l'eau. La touffe rouge apparaît, noyée dans les traces d'une mousse persistante. De ma seconde main je m'empare d'une petite glace sur pied, celle qui m'a servi jusqu'à samedi pour me raser le visage de près. Je me soulève encore un peu plus et je regarde avec insistance l'endroit si différent de ce que je connais. Entre les poils longs et soyeux, roux comme mes cheveux, se dessine un long sillon formé par deux lèvres collées l'une à l'autre. Je passe l'éponge pour chasser les bulles blanches du gel moussu et je lâche l'objet qui me sert à me frictionner. Mes doigts ainsi libérés viennent, tremblants, ouvrir ce coquillage qui m'interpelle autant qu'il m'indispose.
J'écarte les lèvres et entrouvre ce secret que je découvre. L'intérieur est d'un rose sans nuance, et c'est bizarrement érotique. J'arrive à me donner envie en ouvrant la remplaçante de ma queue ! Je promène maintenant mon index sur toute la longueur de cette faille que je sens si réceptive. L'onde qui me parcourt me fait frémir, me donne encore plus chaud. Les effets de l'eau tiède y sont aussi sûrement pour beaucoup ! Je ne suis plus aussi certain ; le second passage de mon doigt qui remonte me surprend encore davantage que sa descente. Un long soupir s'échappe de ma bouche, venu du plus profond de moi. Je n'ai pas pu le retenir. Alors je réitère les mouvements de mon majeur en frottant plus fortement entre les lèvres. Elles s'ouvrent complètement pour laisser entrer ce facétieux inquisiteur qui se fait un plaisir d'explorer.
Il va dans les bas-fonds de cette caverne qu'il fouille, envoyant à mon esprit des signaux. Je sais que je viens de me retrouver, de me dévoiler ; je m'apprivoise sans vergogne. Je me touche, enfonce d'autres doigts dans ce sexe qui m'exaspère encore pourtant. Je creuse mon ventre pour me libérer de la tension qui me fait suffoquer. Je monte vers un plaisir que je n'aurais pas cru possible. Les spasmes que je ressens sont bien bons ; ils m'emportent doucement vers un plaisir inavouable.
Enfin, j'ai joui d'une manière brutale, et je n'ai pu analyser les effets de mes phalanges sur le corps nouveau que je possède. Je commence tout de même à ressentir une certaine tendresse pour ces formes que je trimballe à longueur de journée.
J'ai de nouveau caressé quelque chose de moi. Ces seins qui sont accrochés à moi depuis que… je viens de les palper, les malaxer, les étudier sous toutes les coutures. Et en pinçant légèrement les tétons, j'ai ressenti comme des décharges électriques qui se sont propagées en moi pour venir me redonner chaud dans le ventre. C'est un bon point, non ? Je ne suis pas frigide ! Je ris tout seul de ces considérations peu rationnelles, mais je ne me retrouve toujours pas dans cette femme que je cherche pourtant à aborder. J'ai fait certains progrès, tout de même : quelle révolution que de finir par me dire que je suis une belle femme !
Les regards des autres, voilà qu'ils me semblent importants alors que jusque-là ils m'insupportaient vraiment. La honte d'être ce que je suis, finalement ; c'est cela : la honte de moi ! J'évolue vers cette fille, je vais à la rencontre de mon moi profond. Ai-je le choix, de toute manière ? Non ? Alors, autant faire avec, faire contre mauvaise fortune bon cœur. Bien je vais faire en sorte que je sois ce que je dois être, après tout ; n'est-ce pas le seul et unique but de cette transformation indépendante de ma volonté ? Comme c'est touchant, ce beau discours que je me fais tout seul dans ma caboche… Mais des actes ? Il n'y en a guère pour le moment !
La décision est prise ; mais que c'est difficile d'arriver à associer mes idées avec ce que je viens de comprendre ! En premier lieu, il me faut mettre en valeur ce que j'ai. Donc, je dois passer à nouveau par la case « fringues ». Et cette fois, prendre mon temps, mettre tous les atouts de mon côté. Je vais préparer une liste de ce qu'il faut pour qu'une femme – je n'arrive toujours pas à dire « moi » – soit belle. Je note sur un papier : jupe, robe, culotte, produits de maquillage… enfin, la panoplie complète de la femme fière de son corps. La liste s'allonge à chaque idée, et maintenant que j'ai ouvert le robinet, le flot est incessant. Ah oui, les chaussures ! Et si je notais aussi des talons hauts ? Un peu trop rapide, non ? Marquons-les ! En les essayant, je verrai bien si je peux en porter.
J'évolue dans le bon sens ? Je m'en moque, finalement, parce que je n'ai guère d'autre choix. Il me faut devenir « elle », puisque le sort en a décidé ainsi. Je me prépare donc pour sortir, courir les magasins. C'est aussi quelque chose dont je n'ai pas l'habitude : je me contentais jusqu'à présent de faire quatre courses pour subsister. Je dois donc voir la vie autrement : rien ne m'est facilité ! Ah oui, il me faut aussi d'autres savons, du gel douche moins… masculin, du shampoing. Je vois que le listing s'allonge, s'étire. J'allais oublier le vernis ! Bien ; puisque tout ceci est prêt, allons-y !
La porte : on cogne doucement à l'entrée de l'appartement.
— Salut, Jérôme, qu'est-ce que tu fais déjà là ? J'allais partir en courses ; j'ai besoin d'une foule de petites choses : je n'ai rien de potable à me mettre sur le dos.
— Si tu veux, je peux t'accompagner. Ça me fera plaisir de faire un bout de chemin à tes côtés.
— T'es sûr ? Parce que ce n'est sûrement pas folichon d'attendre pendant que je vais essayer des vêtements, et je ne voudrais pas que…
— Mais non : si je te le propose, c'est que je n'ai vraiment rien d'autre à faire. Et puis je pourrai peut-être te conseiller en matière de fringues. Parce que ce que tu portes, ce n'est quand même pas le dernier cri à la mode !
Si ça peut lui faire plaisir, après tout, pourquoi pas ? Un avis extérieur peut s'avérer de toute façon une bonne chose. Voilà, nous partons les deux ; en plus, c'est avec sa voiture. Je n'ai pas d'état d'âme particulier, je commence à me faire à l'idée que je vais finir dans cette enveloppe de femme. Autant en profiter et essayer de le vivre du mieux possible.
Le premier magasin à nous accueillir – une grande enseigne de prêt-à-porter – en centre-ville est rempli de filles, et ça remue dans tous les sens. Tout le monde y va de son petit tripotage, sous l'œil averti des vendeuses. Elles sont omniprésentes, et comme je tâtonne beaucoup, l'une d'entre elles me guide gentiment.
Jérôme me suit. Comme il est, exception faite de moi, le seul mec dans les rayons, je le vois presque aussi mal à l'aise, finalement autant que je le suis. Bon, j'ai choisi plusieurs articles : deux jupes assez courtes, une petite robe et quelques petits tops. Reste à savoir si tout ceci va aller correctement sur moi. Pour cela, il n'y a qu'une solution – c'est ce que j'exècre le plus dans ce genre de boutique ! – la cabine d'essayage. J'entrouvre le rideau, accroche les cintres et commence l'enfilage des articles, un à un. La première jupe est sur mes fesses. Je me tourne, retourne devant la glace. Mes genoux sont bien visibles, et j'ai la sensation bizarre d'être plus nu que si j'étais vraiment à poil. Mais bon, la silhouette que je regarde me laisse penser que si je me voyais dans la rue, je me sifflerais. Alors je prends mon courage à deux mains et je sors de la cabine. Je sais immédiatement aux yeux sortis de leurs orbites de Jérôme que ce qu'il voit lui plaît.
Les essayages durent un temps extrêmement long, et je quitte le magasin avec deux robes, quelques débardeurs, un pull et trois chemisiers. Et la carte bleue de Jérôme se trouve plus légère aussi ! Finalement, il a bien fait de venir avec moi. J'avais encore oublié que je n'ai plus ni papiers, ni moyens de paiement. Il va bien falloir que je m'occupe de cela également. Et là, cette fois, la démarche passe par la case « maman ».
Chez le marchand de chaussures, c'est un incroyable déballage de toutes sortes de grolles qu'une semaine plus tôt j'aurais trouvées grotesques. Trouver des escarpins de taille trente-sept s'avère plus compliqué qu'il n'y paraît. Pourquoi les pointures les plus usitées sont-elles toujours trente-huit, trente-neuf chez les mecs, et trente-six chez les gonzesses ? Jérôme suit l'évolution de mes premières tentatives de mouvements. Déguisé en échassier sur des talons de deux pouces et demi, j'ai un équilibre plus qu'instable, et je comprends que c'est tout un apprentissage qui doit être entrepris. J'en trouve une paire qui, me semble-t-il, me va parfaitement et me donne de jolis pieds. Le but c'est d'être bien dedans et que cela enjolive, alors je prends. Les bras de mon accompagnateur sont chargés de mes paquets et son portefeuille, de nouveau, se retrouve soulagé de quelques euros.
Une dernière tournée, chez un vendeur de sous-vêtements, mais « classe », ceux-ci. J'ai de nouveau mis sur moi plusieurs soutiens-gorge, l'un après l'autre bien entendu. Le contact de ces caches-nénés est doux, et je trouve que je suis bien féminine avec cela sur la poitrine. Les billes qui remplacent les yeux de mon ami me prouvent que j'ai raison. En le regardant mieux, j'ai la nette impression que son pantalon se déforme à un endroit qui ne laisse planer aucun doute sur l'effet que mon image lui fait. À le voir ainsi cramoisi, j'ai une érection qui me gagne ; enfin, j'ai envie, mais le ressenti est tout à fait similaire. Je suis toute moite à l'entrejambe, c'est curieux ; je pense que je mouille. Nous rentrons maintenant, et Jérôme a des regards plus appuyés sur mes cuisses que sur la chaussée.
À l'appartement, je ne fais mine de rien, de celui qui ne s'aperçoit pas que le garçon avec qui il se trouve a une trique d'enfer. Il a un mal de chien à cacher cette excroissance qui soulève sa braguette. J'ai toujours cette envie latente qui me laisse croire que mon pénis est en érection. Mais quel pénis ? Je n'ai plus rien qui puisse en faire office, mais je suis taraudé par cette crispation permanente de mon bas-ventre. Je me dis qu'il va bien, que je contrôle tout cela, à un moment ou à un autre ; mais quelle difficulté pour moi d'explorer ce corps que je ne comprends plus ! Puis enfin il s'en va. Jérôme repart, et je suis de nouveau seul, face à cette réalité qui va m'engloutir, une obsession sans pareille, des regrets de cette petite queue que j'avais.
C'est décidé, je vais me prendre en main ! J'ai des vêtements qui me vont ; je vais voir maintenant ces endroits que je ne reconnais absolument plus. Ils me font peur, et je pense qu'il est grand temps que je me retrouve. Pour la seconde fois depuis les événements, je fais couler un bain, pas trop de gel moussant, et je vais me plonger dans cette délicieuse eau parfumée. Jusqu'au cou. Je suis dedans et je laisse mes mains faire ce qu'elles veulent ; enfin, si elles s'arrêtent un petit moment de trembler.
Tout en haut de cette blessure de femme, je passe mon majeur mouillé par l'eau du bain. Et là, dans un repli, un tout petit, un minuscule pic rose. Je reviens avec un second doigt – un de l'autre main – et j'écarte en appuyant sur les côtés de ce qui ressemble à un micro-gland. Le fait de presser ainsi fait jaillir la semi-bite qui apparaît, sortie de son capuchon ; j'en reçois une décharge électrique partout dans le bas-ventre. Je passe tranquillement sur cette queue miniature, et je comprends toute la douceur que ce frottement, lui, me procure. Après seulement quelques allers et retours, je sais que je suis en mesure de prendre un vrai plaisir solitaire, de jouir de manière extrêmement violente, même.
Alors je ne veux pas encore essayer un orgasme féminin, juste trouver la clef de l'énigme de mon nouveau corps. Mes doigts sont revenus sur cette touffe de poils roux qui orne mon entrecuisse. Je laisse filer le plus long vers ce corridor entrouvert et je le plonge délicatement dans ce conduit qui m'intrigue encore. C'est d'une profondeur insoupçonnée. Ces phalanges qui touchent les parois pourtant souples du calice que j'explore me donnent des chatouillis qui me font un peu peur. Alors je fais ce que j'aurais fait avec une femme, je veux dire quand j'étais encore un jeune homme : je laisse coulisser ce majeur de plus en plus vite dans le couloir douillet qui fait se tendre l'ensemble de mon ventre.
Je prends conscience qu'il existe une autre forme de bonheur, que c'est tellement différent de ce que la verge que j'avais me donnait. Sentir le plaisir de l'autre côté, du point de vue féminin, m'apprend que si j'ai aimé cet avant qui me manque, je vais peut-être adorer cet après qui, lui, m'est imposé. Me voilà donc femme, et je commence la phase la plus importante depuis ce fameux réveil : celle de l'acceptation totale et inconditionnelle de cet état de fait que je ne peux pas changer.