Blanche
Exorium28/12/2024Chapitre 9
Elle n'ira pas. Elle n'ira plus. Elle ne chevauchera plus à ses côtés. Comment reparaître devant lui maintenant ? Elle s'est comportée comme la dernière des dernières. Elle s'est avilie. Comme jamais elle n'aurait cru pouvoir le faire.
« Tu as joui sous ses coups. Non, mais tu te rends compte ? Tu as joui sous ses coups ! Et de quelle manière… »
Ce n'est pas la première fois.
« Certes, mais les autres fois, tu avais l'excuse de Gontran. Hier soir, tu n'en avais aucune. Alors il serait peut-être temps que tu te regardes enfin en face. Telle que tu es. »
Ce qui veut dire ?
« Que le fouet te met en transes. »
N'importe quoi ! Vraiment n'importe quoi !
« Tu es sûre ? »
Peut-être que j'aime un peu ça quand même, oui.
« Beaucoup, tu veux dire ! Beaucoup plus que quoi que ce soit d'autre. »
Tu m'agaces !
« Et même, sois honnête avec toi-même, ce qui te met dans tous tes états, c'est que ce soit Sylvain. Parce que c'est ton cocher. Ton serviteur. Ce qui t'humilie. Et c'est précisément parce que ça t'humilie profondément que… »
Ça suffit ! Cette fois ça suffit !
Elle se lève. Ne plus penser. Elle va jusqu'à la fenêtre. Elle écarte le rideau. Il fait beau dehors. Il fait si beau…
Il l'aide à enfourcher Flamboyant. Il la laisse prendre un peu d'avance puis il la rejoint. Ils chevauchent de front. Il y pense. Il y pense forcément. Elle aussi. Tout l'y ramène. Chaque trépidation de la selle lui est une véritable torture.
— Mademoiselle…
— Oui, Sylvain ?
— S'agissant de ce jeune homme…
— Gontran ?
— Gontran, oui. Il se dit qu'il aurait préparé son départ de longue date. Dans le plus grand secret.
Ce qui signifie que, pendant tout ce temps qu'il a été avec elle, il ne l'a jamais été vraiment. Déjà ailleurs.
Il s'est joué d'elle. Et il y a quelque chose qui se brise. Doucement. Lentement. Sans faire vraiment mal. Presque un soulagement. Il est lâche. C'est un lâche. Il n'a aucun courage. Ni celui de se battre, ni celui de dire la vérité.
— Il serait, paraît-il, en Asie.
Elle hausse les épaules.
— Grand bien lui fasse !
Il peut bien être où il veut. Elle s'en moque. Elle ne le rejoindra pas. Il n'existe pas. Il n'existe plus.
Ils chevauchent. Des filaments de brume s'étendent à l'horizon. Des étourneaux s'enfuient à leur approche. Il lui jette, de temps à autre, un regard de côté. Sans un mot.
— J'ai un peu froid.
Ils font demi-tour.
Elle descend de cheval. Elle lui tend les rênes.
— Merci, Sylvain.
Pierre lit devant la cheminée. Il lève la tête. Lui sourit.
— L'abbé Maurel est passé. Il était pressé. Il ne vous a pas attendue.
— Que voulait-il ?
— Vous rappeler que c'est demain que se tient sa vente de charité.
— Je n'ai pas oublié. J'y serai.
Le beau temps aidant, on se presse en foule autour des bacs.
L'abbé Maurel se démène comme un beau diable.
Il se frotte les mains. Il les joint.
— C'est un succès ! Un véritable succès. Qui va nous permettre de porter secours à nos déshérités.
Elle, elle sourit. Elle emballe. Elle tend. Elle sourit encore. Elle encaisse.
Ses fesses lui font mal. Une douleur sourde. Pénétrante. Continue. Mais qui, tout compte fait, n'est pas vraiment désagréable. Qui s'avère même, par moments – allons, ne te voile pas une fois de plus la face – particulièrement agréable.
Il y a des femmes. Qui vont. Qui viennent. Beaucoup de femmes. Surtout des femmes. Qu'elle connaît, pour la plupart. Qui la saluent. Avec lesquelles elle échange quelques mots. Des femmes qui ignorent que son cocher la fouette, qu'elle en porte les marques, profondément ancrées, et qu'elle jouit éperdument sous ses coups. Des femmes qui sont à cent mille lieues de se douter. Et elle en éprouve une intense jubilation.
— Je suis moulue, mon ami. Ce bruit… cette chaleur… Dînez sans moi.
Et elle regagne sa chambre.
Elle se dévêt, se jette, au passage, un regard dans la glace. Les marques sont toujours là. En longues traînées parallèles. Violacées. Boursouflées.
Elle soupire. Elle sourit. Elle les parcourt, du bout du doigt.
Et puis elle s'étend. Elle glisse ses mains sous ses fesses, s'endort.
Et les femmes sont à nouveau là. Avec elle. Devant elle. Sous le soleil. Anne Saintonge. Claire Delalande. Émilie Deshouraies. D'autres encore. Beaucoup d'autres.
— C'est un scandale !
Elle a surgi d'un coup. Alice Maurepas, la mère de Gontran.
— Un scandale, oui ! Cette traînée a couché avec mon fils !
Le silence. Tous les regards convergent vers elle. Réprobateurs. Haineux. Le silence s'éternise. Un silence qu'elles finissent par rompre. Toutes en même temps :
— Avec un gamin… Vous n'avez pas honte ?
— Oh, mais avec elle, on peut s'attendre à tout.
— Dévergondée !
— Catin !
Une gifle part. Une autre.
Elle s'efforce, tant bien que mal, de se protéger le visage de son bras replié.
Anne Saintonge suggère :
— On devrait la fouetter.
Les autres font chorus :
— Oh, oui ! Oui. Que ça lui en fasse passer l'envie une bonne fois pour toutes.
Et il y a leurs mains sur elle. Des dizaines de mains. Qui la dépouillent de ses vêtements. Qui les lui arrachent.
Elle est nue. Entièrement nue. Sous les yeux des hommes. Qui ne bougent pas. Qui ne la défendent pas. Qui regardent.
Quelqu'un constate :
— Il y a son cocher, là-bas.
On l'appelle. On la fait mettre à genoux. On la maintient solidement. On pèse, de chaque côté, sur ses épaules.
Et Sylvain cingle.
Le cri qu'elle pousse la réveille en sursaut. Elle est en nage.
Et c'est trempé entre ses cuisses.