Leçon n° 8 : Ne confiez pas du pouvoir à des incapables

Richard Kari

Salut ! J'm'appelle Richard, j'suis de Lyon. Nous sommes en 1279 et ça y est, c'est moi le boss du game ! Ah ah, Riri est dans la place, et ça va décoiffer grave ! Je quitte la Hongrie à vive allure en apprenant la mort de mon père, et direction Lyon pour un retour au pays. Hâte de revêtir ma couronne. À la cour, tous les courtisans pleurent à chaudes larmes, surtout quand ils me voient arriver. Euh… dois-je le prendre personnellement ?

Avec la couronne, on me remet une lettre du paternel. Celle-ci contient tout un tas de « conseils » me disant comment gérer le royaume. Grr, il m'énerve à toujours vouloir me dire quoi faire ! Depuis tout petit c'est comme ça. Et après il s'étonne que je me sois barré en Hongrie chez ma mère dès que j'en ai eu l'occasion. Je n'en ai jamais eu rien à foutre de ce qu'il me dit, et ce n'est pas aujourd'hui que ça va m'intéresser. Je déchire sa lettre et la jette au feu. On va le faire à ma manière !

Je reçois plusieurs demandes de mariage pour ma sœur Ludivica. Mes conseillers me disent que cela pourrait permettre de créer une alliance. Mais avons-nous vraiment besoin d'une alliance ? Depuis toujours nous roulons sur tout le monde ; pourquoi cela changerait ? Surtout que maintenant c'est Riri qui commande ! Bon, les conseillers insistent, alors j'examine les différentes propositions. Entre celle du roi de Suède, pays situé juste au nord de notre ennemi et dont nous avons déjà été l'allié et celle du lointain roi Vyshata « le traître » de la Rus' de Kiev, c'est ce dernier que je choisis. Je sais pas, j'aime bien son nom, je crois ! Ma sœur sera donc mariée au fils du roi.

Des nouvelles de la croisade arrivent peu après. Les croisés ont repris l'Égypte. C'est un Suédois du nom de Halsten Fincke dit « le Gardien », qui est couronné. Ce type est un proche du roi de Suède. Qui sait ; si j'avais choisi de m'allier avec la Suède, j'aurais peut-être pu m'allier avec l'Égypte dans la foulée. Pas de chance. De toute façon, qui aurait pu savoir que ça se passerait comme cela ? Mon maître-espion me dit « Moi, si vous m'aviez demandé mon avis… » C'est vrai que j'aurais pu, mais j'ai un peu oublié.

Le premier conseil de mon père dans sa lettre, le seul que j'ai lu avant de la déchirer, était « Surtout écoute bien les paroles de tes conseillers. » Il n'avait peut-être pas tort. Il faudra que je leur prête une oreille attentive à l'avenir. Tiens, d'ailleurs mon intendant vient de mourir. On me propose plein de candidats plus talentueux les uns que les autres. Rien à secouer, j'engage à la place un de mes potes d'enfance avec qui on a fait les quatre cents coups. On s'est toujours bien entendus, on est sur la même longueur d'onde.

S'il est qualifié pour le poste ? Bien sûr ! On jouait souvent au Monopoly quand nous étions jeunes. C'est lui qui gagnait à chaque fois. C'est aussi lui qui gérait la banque. Bon, pour être honnête, il y a bien une fois où il a été rapidement ruiné, la seule et unique fois qu'il ne s'est pas occupé de la banque. Mais bon, si on ne tient pas compte de ce cas, c'est bien la preuve qu'il est qualifié pour le job, non ?

Il me fait jeter un coup d'œil à nos comptes ; oh putain, on est super blindés ! Yeah, ça va être fiesta à gogo ! On organise tous les deux orgie sur orgie où on s'amuse comme des petits fous ! Ah, et puis je pense à investir dans mes terres, histoire de les développer. Il faut être un peu sérieux, tout de même ! En quelques mois, mon ami me prévient que nous avons dépensé les trois quarts de nos économies. Oh, déjà ?

Je fête mon premier anniversaire sur le trône quand on m'apprend que plusieurs de mes vassaux se sont soulevés contre moi afin d'instaurer la succession par partage salique. Mais, euh… et moi qui pensais qu'ils m'appréciaient ? Ben oui, ils m'invitaient souvent à leurs dîners où ils me faisaient parler toute la soirée. Je les faisais apparemment beaucoup rire, même si je n'ai jamais bien compris pourquoi !

Je lève mes bannières afin d'affronter ces félons. En Bohême (je veux dire sur le territoire traditionnel de Bohême) mes troupes se font défoncer avant d'avoir pu complètement se regrouper. Par contre, je remporte une victoire dans les Alpes mais perds beaucoup trop d'hommes dans l'assaut ; il a fallu déloger l'ennemi d'une position en hauteur. Pas le choix, je dois lever des mercenaires pour compléter mes troupes.

C'est au tour de mon chancelier de crever. Là encore, on me propose plein de candidats qui sont connus pour leurs talents de diplomates, mais je choisis un vassal que j'ai rencontré lors de nos orgies. Il m'avait l'air tout à fait sympathique. Pas forcément compétent, mais sympathique tout de même.

Déjà un an de conflit. Je fête rapidement mon mariage avec Irmgard, une fille de la branche des Kari du comté de Forez, ceux qui ont hérité le duché de Slavonie. C'était un mariage arrangé par ma mère, et jusqu'à maintenant il ne m'apportait pas grand-chose, mais il y a à peine deux ans, son frère Emmerich Kari a usurpé le titre de duc de Slavonie, la plaçant en bonne position sur la liste des héritiers. Enfin bref, je me la fais durant ma nuit de noces et pars dès le lendemain à la tête de mes troupes en direction des terres de jure de Bohême afin de défoncer les rebelles qui assiègent Prague. On va couper à travers le Saint Empire, ça ira plus vite.

Sur le chemin, j'apprends que le Kaiser a déclaré la guerre à mes rebelles pour leur prendre un comté sous leur contrôle, celui de Zerbst, situé plus au nord, qu'un seigneur bohémien a dû obtenir en héritage. Merde, du coup les armées impériales s'agitent dans la région et je tente de les éviter autant que possible car elles me sont très hostiles.

Arrivé près de Prague, pas le choix : je dois affronter les impériaux. Mes généraux me disent de rester en arrière et de ne pas me risquer au combat, que je n'en suis pas capable. Non mais oh, je suis le roi et je vaincrai tous mes ennemis ! Lors d'une première bataille, je suis blessé dans un duel contre Markeward von Pilsen. Prêt à charger un autre ennemi, je suis arrêté par mon baron Jurgen de Chýnov qui, ayant pitié de moi, préfère prendre ma place.

Lors d'un deuxième accrochage, une erreur tactique m'isole sur le champ de bataille. Je me retrouve piégé par les hommes du duc Baldawick de Nordgau. Tous mes compagnons se font tuer. Plutôt que de tenter de m'enfuir, je charge le duc en poussant un cri de rage. Il rit et m'envoie son fléau dans l'estomac. Argh ! Heureusement, mes chevaliers arrivent à temps pour me sauver et repousser l'ennemi. Cette fois je crois que j'ai compris : je ne suis pas fait pour le corps à corps. À l'avenir, je me contenterai de donner les ordres derrière les lignes.

Quoi qu'il en soit, nous avons quand même réussi à passer les troupes du Saint Empire et nous nous posons à Prague afin que je me remette de mes blessures. Les rebelles, ayant aussi subi des pertes face au Kaiser, ont dû abandonner le siège de Prague et se réfugier plus à l'est.

Des nouvelles m'arrivent de Lyon et de Hongrie : ma femme vient d'accoucher d'une petite Kriemhild et ma mère a pris les armes pour tenter de récupérer son titre. Si cette dernière y arrive, je deviendrai roi de Hongrie à sa mort. Quant à ma femme, je lui ordonne de faire le voyage jusqu'à Prague pour me présenter mon enfant, et puis surtout parce que j'ai envie de tirer mon coup.

En attendant son arrivée, je mène mes troupes en expédition contre les rebelles, que j'affronte dans la région de Žleby. Ah ah, ça y est : ils sont pris au piège, ces fumiers ! Je vois leurs étendards là-haut sur la colline derrière la rivière. J'ai tellement hâte d'en découdre que j'ordonne l'assaut général sans même prendre la peine de consulter mes généraux. C'est une grosse défaite ! Mais comment je pouvais savoir, moi, que c'était un gros désavantage de traverser une rivière et d'attaquer un ennemi sur une position élevée ?

Retour donc à Prague où l'on soigne nos blessures… encore. Heureusement, l'ennemi n'a pas profité de sa victoire. Des nouvelles nous arrivent : le Saint Empire est en train de leur infliger de lourdes pertes de toute part. Ma femme arrive de Lyon. Ça va, le voyage s'est bien passé, elle a juste échappé à trois embuscades, sinon rien à déclarer. Je jette à peine un coup d'œil à ma fille et pousse sa mère sur ma couche pour l'empaler de toute ma sublime virilité. Elle prend peur quand elle voit l'état de mes blessures mal soignées.

1284 ; mes généraux me convainquent de les laisser mener un nouvel assaut contre les rebelles afin que je reste à Prague pour tenter d'obtenir un héritier mâle. Je dois dire qu'ils n'ont pas tort. Résultat, les rebelles sont cette fois vaincus à Žleby, ce qui nous permet de signer une paix blanche, et ma femme accouche du petit Friedrich. Euh, mais c'est quoi cette grosse bosse dans le dos du gone ? Qu'est-ce qu'il est laid ! Y'a pas de satisfait ou remboursé ?

De retour à Lyon, je fais libérer l'ancien rebelle le duc Hartmann de Vérone alors que les rumeurs parlent d'une nouvelle fronde de seigneurs. J'espère qu'il ne trahira pas ma confiance. Des nouvelles m'arrivent de Hongrie : ma mère ne s'en est pas mieux sortie que moi. On dit qu'elle s'est fait battre à plate couture et qu'elle a même dû renoncer à son duché. Mon héritage ne sera donc plus constitué que du comté de Pécs. Snif ! On dit aussi que mon frère Franz est en train de réunir des troupes dans l'objectif de me prendre mon trône. Oh, le sale fils de gourgandine !

Ayant eu vent des orgies que j'organise avec mon intendant, le pape a envoyé un légat me faire des remontrances sur mon manque de piété. Non mais, pour qui il se prend ? J'ai horreur qu'on me dise ce que je dois faire. Je le retourne direction Rome avec un coup de pied au cul en lui ordonnant de dire à son coprolithe sénile d'aller se faire foutre.

Hop, mon maréchal vient de décéder : comme pour mes conseillers précédents, je choisis un de mes potes plutôt que les grands guerriers qu'on me propose. Bon, c'est vrai que le nouveau est à peine capable de tenir une fourchette dans la main – alors ne parlons pas d'épée – et ne pige que dalle à l'art de la guerre, mais je m'entends bien avec lui. Il est drôle parce qu'il fait des blagues de cul…

Suite à cette dernière décision, mon frère Otto, le duc de Provence, s'énerve et me déclare la guerre. Traître de putain de fumier de félon ! Son but : instaurer la succession élective. Il pense sûrement que mes vassaux voteront pour lui à ma mort. Plusieurs grands seigneurs se rangent derrière lui.

La guerre fait rage, et je fais le poids face à Otto uniquement grâce aux mercenaires. Pendant deux ans, elle se poursuit sans que personne ne prenne un réel avantage mais chacun a été affaibli. C'est à ce moment-là que mon autre frère Franz débarque de Hongrie à la tête d'une puissante armée pour réclamer le trône. Mais pourquoi mes frères me détestent autant ? Heureusement que le troisième, Hans, est mort dans un accident l'année dernière…

Mon maître-espion m'apprend que ma femme Irmgard cherche à m'assassiner. Je ne puis croire cette nouvelle trahison. Pas elle, quand même ? Je la confronte, et elle m'affirme que non. Bon, OK, on verra la vérité plus tard. Bon, du coup je la prends en levrette.

Je décide de poursuivre mes efforts sur Otto et de m'occuper de Franz après. J'essaie de prendre les places fortes d'Otto situées dans la péninsule italienne tandis que Franz débarque en Bohême et se dirige vers Prague. On m'apprend qu'un de mes vassaux, le comte Hertwig von Steyr de Plzeň a commis de graves crimes. Hop, justice sera faite ; j'ordonne son arrestation sur le champ. Malheureusement, il échappe à mes hommes et se soulève. Les trois quarts des vassaux qui m'étaient encore fidèles se rangent derrière lui. Pire que ça, les caisses du trésor royal se vident à vue d'œil et mes mercenaires refusent de continuer de se battre pour moi gratuitement. Et votre honneur, alors, bande de scélérats ? Je suis obligé de les renvoyer. Ah la la, c'est de plus en plus la merde. Qu'ai-je fait pour mériter ça ?

Je me souviens soudain que j'ai un allié. Ouf, sauvé ! J'envoie donc un messager au roi Vyshata « le traître » ; seule la tête de mon messager me revient. Gloups ! Est-ce que ça veut dire que je ne peux pas compter sur lui ?

Peu de temps après, un message du pape m'apprend qu'il m'a excommunié ! Quoi ? Comment ose-t-il ? Qu'ai-je donc bien pu faire pour mériter un tel déshonneur ? Et pourquoi tout le monde me déteste ? C'est vraiment trop injuste.

Quoi qu'il en soit, l'année 1288 me donne encore espoir. Une nouvelle prise dans la péninsule italienne pousse mon frère Otto à signer une paix blanche. Ses troupes se joignent aux miennes. Mieux que ça, j'ai convaincu ma femme de demander une alliance à son frère, le duc Emmerich de Slavonie. Autre bonne nouvelle, mon frère Franz vient de se prendre une giga claque par les troupes rebelles menées par Hertwig. Ah ah, mes ennemis se battent entre eux ! Cette fois je sens que le vent a tourné, je suis sur le point de reprendre l'avantage.

C'est en remontant la péninsule italienne que je me fais surprendre par l'armée de Hertwig. Me voilà en infériorité numérique et en terrain défavorable pour combattre mon ennemi. Je prie pour qu'un miracle se produise. Eh ben, même pas ! Mon armée annihilée, je n'ai plus d'autre choix que de me rendre. On me force à signer une charte accordant bien plus de liberté aux vassaux et à abdiquer au profit de mon fils de quatre ans.

Friedrich Kari, « le Bossu »

An de grâce 1288. Je suis en train de colorier un joli dessin quand on vient me chercher pour me coller la lourde couronne de mon père sur la tête.

— Hein, quoi ? Est-ce que ça veut dire que papa est mort ? que je demande.
— Pas encore, il a juste abdiqué, mais ça ne devrait pas tarder… qu'ils me répondent.

À son retour à Lyon, papa a de la fièvre. Ses vieilles blessures le font souffrir. Il insiste pour être nommé régent mais les grands se moquent de lui et l'envoient « se faire foutre ». Je sais pas ce que ça veut dire, mais ça a pas l'air bien gentil ! À la place, on fait venir mon tonton Otto.

Tonton dit de ne pas m'inquiéter, qu'il va gérer la situation mais je ne peux pas aller finir mon dessin parce qu'il veut que je reste à ses côtés pour apprendre. Mais moi, je veux juste dessiner le château. Enfin bon, j'obéis.

Des nouvelles arrivent quelques semaines après, quelque chose qui fait paniquer les grands. Y'a le duc Kuno qui se rebelle pour gagner son indépendance, apparemment. J'apprends qu'on n'a plus d'argent, plus d'armée et plus d'alliés pour le combattre.

— Et ben alors, pourquoi on ne le laisse pas faire ce qu'il veut ?

Tonton me colle une tarte quand je lui pose la question.

Ah, et puis on a reçu des nouvelles de mon tonton Franz. Il est toujours en train de piller nos campagnes avec le peu de troupes qu'il lui reste, dans l'espoir d'obtenir ma couronne. Si je la lui laisse, est-ce que ça veut dire que je peux retourner dessiner ?

On était bien alliés avec un autre de mes tontons, le duc de Slavonie, mais depuis que mon père a perdu la couronne il ne veut plus entendre parler de nous. Tonton Otto a envoyé un nouveau chancelier – il a viré celui de papa parce qu'il ne l'aimait pas – pour convaincre mon tonton Emmerich. Il a aussi viré le maréchal de papa ainsi que son intendant qui, apparemment, piquait dans les coffres du royaume.

Otto me dit aussi qu'il doit fiancer ma grande sœur Kriemhild. Son futur époux est Valentin Estrid, fils du roi Abel du Danemark. Voilà de quoi obtenir un allié, mais il semble qu'il est déjà en guerre et ne peut pas intervenir pour le moment. Il va falloir patienter.

Et puis le sombre jour arrive. Papa vient de mourir à cause d'anciennes blessures mal soignées. Pourquoi j'ai l'impression que je suis la seule personne à être triste ? C'est limite si les grands ne font pas la fête !

Autre nouvelle, autre décès. Cette fois, c'est celui du duc Kuno, mort d'une crise cardiaque. On dit que ses armées se sont disloquées après sa mort. La guerre est finie sans que nous ayons eu à combattre. Les grands me disent qu'on a une chance de cocu ; j'approuve, même si je sais pas ce que ça veut dire.

Tonton Otto prend maintenant la tête des quelques troupes qu'il a réussi à lever pour tenter de capturer tonton Franz qui se rapproche des Alpes afin de mettre définitivement fin aux guerres qui ont agité notre royaume ces dernières années. Il veut que je l'accompagne, toujours dans le but que j'apprenne. Tonton Franz s'échappe quand il nous voit arriver.

On doit faire demi-tour au début de l'année 1290 car on apprend qu'une armée de paysans s'est soulevée dans un comté de Corse que nous possédons. On se rend en Provence chez tonton Otto pour embarquer sur sa flotte. Chouette, c'est la première fois que je vois la mer. Je suis tout excité.

Sur le bateau, je suis même pas malade, contrairement à Tonton Otto qui dégueule partout. Je joue sur le pont puis je vais à côté de la balustrade du navire pour regarder les vagues. Soudain je sens quelqu'un qui m'attrape par derrière, me soulève et me jette par-dessus bord. Je tombe dans l'eau et panique. Au secours ! Je sais pas nager, je vais me noyer…