Le baume de l'âme
Charline8830/01/2019Les dossiers médicaux
Devant le film, au milieu du canapé, le jeune homme ne bronchait pas. Elle était restée vêtue de sa jupe et de son corsage. Ses yeux se fermaient presque tout seuls. Elle se tenait sur le fauteuil qui fermait l'angle le plus éloigné de la pièce. Les acteurs pourtant réputés ne parvenaient pas à la tenir éveillée. Yann, alors qu'elle piochait, avait tourné la tête vers ce corps de femme dont la silhouette lui rappelait quelque peu sa mère. Elle était… éblouissante de beauté, jusque dans son pré-sommeil. Son visage penché sur sa poitrine, elle se laissait aller tandis que ses cuisses serrées se relâchaient. Il ne voulait pas regarder, mais ses regards revenaient sans cesse inconsciemment sur ces deux fuseaux libres de tout bas.
La peau claire était une tentation, un supplice dont il se serait bien passé. Il n'osait plus faire un mouvement – même celui de respirer – de peur de l'éveiller brutalement. Elle avait ses bras sur les accoudoirs du fauteuil, et tout son être se tassait sur l'assise. Une fois de plus, elle remua ; sa cuisse gauche s'écarta davantage. La position de Marjorie ouvrait des perspectives visuelles au garçon. Pas moyen de retenir ces yeux qui se braquaient sur cette fourche que plus rien ne semblait vouloir cacher. Une culotte de couleur se nichait tout de même au fond de l'étroit couloir visible depuis le sofa.
Bon sang, il en bandait ! Réaction physique à cette vue explicite et d'un érotisme torride. Il n'avait pas souvent admiré un pareil spectacle. Cette femme admirable qui avait partagé la vie de son père et qui aurait pu être sa mère… Il s'en fit la réflexion, mais son esprit, lui, ne l'entendait pas de cette oreille. Il n'aurait jamais eu une érection pour sa mère, mais Marjorie était une étrangère, finalement.
Un autre sursaut du corps de la belle brune dont la main avait remonté par inadvertance le bas de sa jupe. La dentelle du slip se montrait encore ; le cierge qu'il arborait gonflait sa braguette. Il tenta vivement de se concentrer sur le film. Bernard Blier y lançait ses répliques mythiques.
Pas possible de garder les quinquets rivés sur l'écran. Ils repartaient de nouveau vers ce centre de femme qui les tentait. Mon Dieu, si jamais elle revenait à elle, si elle voyait cette bosse dans son froc… que penserait-elle de lui ? Un saligaud, voilà ce qu'elle se dirait ! Un salopard qui bandait pour la veuve de son père ; inavouable, et surtout inacceptable. Un pervers qui ne pourrait plus se regarder dans une glace. Comment échapper à cette situation ?
Une sorte de sifflement sortait de la gorge de la belle endormie. Alors, mû par un réflexe, Yann se leva. Il se saisit d'un plaid sur le dossier du second fauteuil, s'approcha de la dormeuse, et en essayant d'être le plus discret possible il lui étendit la pièce de laine sur les genoux. L'honneur était sauf. La vue sur le sexe dissimulé sous une culotte ayant été obturée, il se remit à suivre « Les tontons flingueurs ».
Quant au bout d'un très long moment, en sursaut elle refit surface, elle ne posa aucune question sur la provenance de cette couverture en travers de ses genoux.
— Je me suis endormie, veuillez me pardonner. J'ai parfois des insomnies qui m'empoisonnent les soirées.
— Ce n'est pas grave. Je vais vous laisser ; j'aime aussi me coucher de bonne heure. Bonne nuit, Madame Sarran.
— Vous pouvez aussi m'appeler « Marjorie » ; il n'y a pas de honte, et puis j'aurai l'air moins… vieille. Ces « Madame » me font l'effet d'être au seuil du troisième âge, vous comprenez ?
— Oui, bien sûr, Marjorie.
— Vous voyez, c'est si simple. Au fond du couloir des chambres, il y a une douche et des toilettes. Ne descendez pas cette nuit pour… enfin, faites comme chez vous.
— Merci à vous, et bonne nuit.
— Oui, bonne nuit.
Elle venait de se redresser ; il hésita un instant, croyant qu'elle avançait son visage pour une bise, il fit alors le pas en avant qui lui permettrait de poser ses lèvres sur sa joue. Curieusement, elle répondit à son bisou sonore. S'ils avaient été en pleine lumière, il aurait remarqué la rougeur de son visage. Pourquoi cette réaction à cette embrassade ? Elle avait failli tourner la tête pour aller chercher ses lèvres avec sa bouche. Quelle idiote ! Elle n'était plus qu'une vieille folle au milieu de son salon, une dingue qui avait envie d'un… d'un gamin. Mais son corps était tendu à l'extrême ; lui avait senti le mâle, et il ne s'y trompait pas.
Yann était plongé dans les draps frais quand le plancher du corridor se mit à craquer sous les pas de son hôtesse. Le bruit lui parvenait, feutré, et s'arrêta dès qu'elle eut franchi la porte de la chambre en face de celle où il était couché. Il attendit un court instant ; elle venait de ressortir dans le couloir alors qu'il s'était relevé. Derrière l'huis, par le trou de la serrure, il ne vit qu'une nuisette vaporeuse qui entrait à nouveau dans la piaule de l'autre côté du couloir. Il était aussi nu qu'un ver. Le cœur battant, il actionna la clenche. Le panneau de pin tourna sur ses gonds. En deux pas, il fut derrière celui où la belle venait de s'engouffrer.
Il fléchit sur ses genoux et colla son œil au trou de la serrure, devenu œilleton de circonstance. La femme était assise sur son grand lit ; sa peau claire apparut sous la lueur jaune d'une lampe posée sur la table de chevet lorsqu'elle retira sa nuisette. Le garçon voyait deux seins, pas spécialement gros mais bien plantés sur le torse nu. Puis elle leva une jambe qu'elle fit glisser sur le drap blanc. La culotte du salon avait disparu. Un buisson sombre était légèrement plus haut que son sexe ; la femme passa une main dans les poils. Une fois de plus, la situation devenait… très chaude. Il espéra soudain qu'elle se touche, là sur sa couche, mais elle s'allongea et ses mains en conques vinrent un instant masser les deux globes aux tétons d'un brun sombre.
La queue du jeune homme avait repris un volume impossible à camoufler. Elle se tenait toute raide, remontant fièrement vers son nombril, mais le bras tendu de Marjorie venait de tourner pour fermer la lumière ; alors Yann reprit le chemin de sa chambre. Une lame de parquet craqua dans un bruit qui lui sembla épouvantable. Il se dirigea donc vers le fond du couloir pour donner le change. Dans les toilettes, il attendit quelques minutes, tira la chasse d'eau bien inutilement et ressortit.
Alors qu'il avançait dans le noir, il crut percevoir un obstacle. Une lampe s'alluma soudain, et il ne put que porter ses deux mains sur son bas-ventre.
— J'ai eu peur que vous ayez un problème…
Elle était là, debout. Un faisceau de lumière allait de sa tête à son ventre. Il se sentait comme un idiot avec sa trique encore conséquente, et Marjorie ne faisait rien pour le mettre à l'aise. Il ne pouvait pas tout cacher de cette bite qui bandait trop fort.
— Vous avez un problème, Yann ?
— Non… enfin, oui. Euh, non !
— Dites-moi ce qui ne va pas…
— Rien, je vous assure. Je retourne me coucher. Je n'ai pas l'habitude de votre maison ; le bois travaille toujours autant ?
— Sans doute, mais depuis le temps je n'y prête plus aucune attention. Vous vous êtes fait mal ?
— Mais non, non, rassurez-vous.
— Montrez-moi ça ; ne faites donc pas l'enfant. Vous souffrez ?
— Je… non, pardon ! Je ne… je ne souhaitais pas que vous me voyiez dans cet état.
— Venez, je vous raccompagne dans votre chambre. Allons, allongez-vous et laissez-moi vous soigner.
— Mais… mais…
Marjorie avait empoigné la bite sans plus de gêne que s'il s'était agi de celle de son mari. Ce jeune homme bandait, et il ne pouvait le faire que pour elle. Elle manipula le gourdin avec des gestes pleins d'égards pour lui ; elle avait tellement envie de cela… Quand elle se pencha, il sut qu'elle allait le prendre dans sa bouche, alors il ne lui fit aucune difficulté. La pipe était royale. Les lèvres qui suçaient sa pine étaient d'une étonnante douceur. Pourquoi, et comment avait-elle su ? Il ne voulait plus rien savoir, juste savourer l'instant présent. Se laisser faire, ne surtout pas l'effaroucher.
Aussi quand elle s'étendit sur le lit, laissant son long corps suivre le sien – mais toujours en gardant sa bouche sur le vit – il comprit qu'elle aussi attendait un geste, une caresse. Il se laissa coller, et quand elle fut assez proche, tout contre lui, il posa une main sur son ventre. Un long gémissement suivit ce mouvement osé. Lorsque les deux cuisses s'ouvrirent, il sut que la place dégagée allait accueillir sa tête. Posés sur le côté, tête-bêche, chacun broutant dans le jardin du voisin, l'affaire devenait torride. Les doigts masculins qui s'enroulèrent dans les poils soyeux firent éclater une gerbe de gémissements de la gorge de Marjorie.
Elle roulait des hanches sous cette langue qui avait, toute seule, trouvé un tracé que personne n'avait emprunté depuis des mois. Elle ondulait sous les effets pervers de cette baveuse qui s'entortillait, se débattait sur le clitoris. Ses mains qui n'avaient pas quitté le manche rigide malaxaient les bourses qui en assuraient la terminaison. Yann avait la sensation qu'il allait s'engloutir dans la bouche brûlante tandis qu'il insistait sur toute la longueur d'une fente totalement ouverte. Il salivait de sentir cette liqueur qui en coulait sans discontinuer. Elle avait l'air d'apprécier cette minette aux accents diablement coquins, et lui adorait la fellation impromptue qu'elle lui prodiguait avec moult passages sur la hampe fièrement bandée.
Elle le laissa aussi la retourner comme une crêpe pour venir se placer sur son ventre. La bite plaquée entre leurs deux bedaines n'attendait qu'un geste de son maître pour investir la tour d'ivoire d'une vestale en manque de sexe depuis fort longtemps. Un seul coup de reins suffit pour qu'il encastre son vit dans cette chatte trempée. Une fois au fond, il oscilla très doucement, et elle attira sa bouche sur la sienne. Au moment où les quatre lèvres se soudaient, il recula lentement, lui donnant l'impression qu'il allait la laisser vide, mais c'était pour mieux réinvestir les lieux avec une violence inouïe, arrachant à la belle un cri de fauve blessé.
Elle le griffait, se tordant sous le joug de son jeune amant. Il profitait de cette situation et écoutait les plaintes rauques de cette femme qui hurlait son prénom au ciel de la chambre. Mais était-ce bien à lui qu'elle adressait ses prières à peine audibles ? Un Yann pouvait toujours en cacher un autre… Il fut le premier surpris de la sentir soudain inonder le lit d'un geyser craché du fond de son ventre occupé. Le jet puissant avait mouillé autant le baiseur que la baisée, les draps et le matelas : les femmes fontaines avaient une émule en Marjorie. Alors pourquoi retenir plus longuement son envie de jouir également ? Sa tête tout entière lui renvoyait l'image de cette furie qui s'accrochait à tout, qui lacérait de ses ongles rouge carmin tout ce qui s'approchait de ses mains. Il sentit sa semence qui, telle de la sève, montait dans la tige qui piaffait d'impatience ; les spasmes du plaisir eurent tôt fait de vider ses bourses.
Ils étaient repus, lui allongé sur elle, elle étirée sur la couche aux odeurs fortes de sexe. Il la laissa se relever. Mais la brune lui prit la main et l'obligea ainsi à la suivre.
— À la douche, mon gaillard ! Pas question de venir dans mon lit sans être propre.
— Je vous…
— Tu peux aussi me dire « tu », au point où nous en sommes…
— Comme tu veux. J'ai aimé baiser avec toi.
— Chut ! Je ne baise pas, moi… je fais encore l'amour. Le respect…
L'épouse du bon vieux médecin de famille, secrétaire à l'occasion, avait pris le rendez-vous avec un mot gentil. Dans le village, presque les trois-quarts des résidents étaient devenus au fil des ans des amis. Yann n'avait connu que lui, et Marjorie avait suivi. Alors quand ce mardi elle se présenta à quatorze heures avec un jeune inconnu, Yvonne afficha un sourire énigmatique. Elle savait bien que ce jeune homme ne pouvait en aucun cas être le fils de son amie, veuve depuis quelques mois. Un ami, un neveu, un parent ? Toujours curieuse, elle n'osait cependant pas poser de question à la brune. Mais elle saurait bien tout à l'heure.
— Ça va, Marjorie ? Vous vous remettez de cette cruelle perte ?
— Je n'ai pas le choix, Yvonne, vous savez. Mais ça va, le temps calme tout.
— Oui… mais quand même, à pas quarante ans, c'était trop jeune pour partir. Léon va en avoir fini avec son patient. Il arrive. Vous voulez quelque chose, un café pour patienter ?
— Non, merci. Tout va pour le mieux.
— Le jeune homme non plus ?
— Euh… non merci, Madame.
— Oh, vous n'êtes pas d'ici : personne ne m'appelle jamais « Madame » ; c'est « Yvonne », chez nous.
La brune n'avait pas relevé. Aucune envie de discuter avec elle de ce qui les amenait ici. De toute façon, elle saurait bien assez tôt, encore qu'elle s'avérât discrète en toutes circonstances. Un brouhaha venu du cabinet attenant à la minuscule pièce où les deux attendaient leur apprit que le médecin allait les recevoir. Du reste, quelques secondes après la porte s'ouvrit et un grand type aux cheveux blancs, portant des lunettes, leur tendait une main ferme et franche.
— Ah, Marjorie ! Eh bien, ça fait un moment que je ne t'ai vue. Bonjour, jeune homme. Alors, qu'est-ce qui t'arrive ? À moins que ce ne soit monsieur qui soit malade. Il n'en a pas l'air, pourtant.
— Notre venue est un peu particulière, Léon. Nous voudrions savoir…
— Si je peux te le dire… je t'écoute.
— Ce garçon est le fils de Clémence Tisserant. Vous savez qui c'est ?
— Je crois me souvenir, mais elle est partie de la région très très jeune. Pas plus de dix-sept ou dix-huit ans, je pense ; elle allait en classe avec ton mari, si ma mémoire ne me fait pas défaut.
— Oui, c'est ça, Monsieur. Elle fréquentait l'école du Phény.
— Donc c'était votre maman, mon garçon ?
— Oui, Docteur. Mais elle est décédée l'an dernier.
— Ah ! Donc un peu comme ton Yann, ma pauvre Marjorie… trop jeune, beaucoup trop jeune. Mais bon, je pense que vous voulez savoir quelque chose. Alors, votre question ?
— Ce jeune homme… s'appelle aussi Yann. Et il croit, ou pense qu'il pourrait être le fils de mon mari et de Clémence.
— Oh, je ne crois pas que ça puisse être possible, ça. Il était stérile, ton mari. Attends un instant ; ici, nous n'avons pas informatisé les dossiers de nos patients… disparus. Les nouveaux, oui. Je fouille dans mes archives… Alors, Sarran… Paul : non, ce n'est pas le même. Ah, voilà : Sarran Yann, fils de Gabriel et de Danièle Sarran.
Le toubib se retourna vers eux avec un air triomphant, satisfait de son rangement, de sa mémoire aussi. Il se mit à feuilleter un dossier en carton bleu. Tournant des pages et des pages, il finit par en extirper une de la pile impressionnante.
— Presque quarante années de médecine là-dedans ! Bien, voilà ce qui nous intéresse. La date des oreillons de ton mari… Ben il avait quel âge ? Voyons cela… Sa stérilité date des années quatre-vingt-huit ou quatre-vingt-neuf. Il avait quoi ? Onze ou douze ans, bien que nous n'ayons cherché les causes que bien plus tard. Vous voyez, jeune homme, le mal était déjà fait. Si Clémence a couché avec lui après sa treizième année, il ne lui était pas possible de vous fabriquer. Je suis désolé, mais c'était médicalement irréalisable.
— Vous… vous êtes sûr et certain que…
— Oui. Il vous faut chercher ailleurs la cause de votre venue sur terre, mon garçon. Désolé, je ne peux rien pour vous. Mais vous devriez peut-être parler avec d'anciens élèves du Phény ; ils sauraient peut-être vous guider, vous renseigner mieux que moi.
— Merci, Léon. Mais c'étaient des enfants d'ici, et moi je ne suis qu'une pièce rapportée. Je ne connais pas les élèves qui ont fréquenté l'école de mon mari.
— Oui… va quand même voir Gisèle, celle de « La Mauselaine » ; elle était à cette époque aussi avec Yann en classe. C'est la mémoire de notre village ; peut-être aura-t-elle quelques anecdotes à vous raconter.
— Merci, Docteur. Combien nous devons-vous ?
— Mais rien du tout ! Ça m'a fait plaisir de vous connaître et de revoir la jolie Marjorie… Heureux aussi de savoir que tu vas mieux, ma belle. Le choc a été rude pour nous tous, tu sais bien.
— Oui, merci encore, Léon. Vous n'auriez pas l'adresse de cette Gisèle ?
— Je pense que oui. Tiens ! Gisèle Thiébaud.
Le médecin écrivit une adresse sur un papier qu'il tendit à la brune ; celle-ci y jeta un coup d'œil, et les deux repartirent comme ils étaient venus. Mais la voiture prit non pas le chemin du retour, mais celui des pistes de ski du village. En mai, la saison était terminée depuis bien longtemps, et pourtant les exploitants des pistes avaient eu une idée de génie : de longues pistes de bob en ciment avaient été conçues pour que les touristes gardent la sensation des descentes. Et ça avait bien fonctionné. Il y avait toute l'année du monde à « La Mauselaine ».
L'adresse était celle d'un joli pavillon planté dans un décor de montagne. Un chien sortit de nulle part et arriva en jappant vers les deux intrus. Un homme environ de l'âge de Marjorie était sur le pas de la porte, en haut de quelques marches de bois.
— Couchée, Elysor, couchée ! N'ayez pas peur, elle n'est pas méchante. Elle crie plus pour se rassurer que pour vous faire fuir.
— Bonjour, Monsieur. C'est bien ici chez madame Thiébaud ?
— Ça dépend. Laquelle cherchez-vous ?
— Gisèle.
— D'accord. Oui, elle est là. Je vous l'appelle.
L'homme était reparti vers l'intérieur de la maison et la chienne restait à suivre des yeux les deux inconnus qui attendaient dans la cour. Une autre dame venait de passer le bout du nez par une fenêtre, et au bout de deux minutes elle descendait les marches.
— Bonjour. Je suis la femme de Yann Sarran, et ce jeune homme c'est le fils de Clémence Tisserant.
— Eh bien, c'est une réunion de souvenirs ! Mon Dieu… Clémence, que devient-elle ? Ça fait si longtemps que nous nous sommes perdues de vue. Quant à vous… notre pauvre Yann, si c'est pas malheureux, si jeune…
— Nous aurions, Madame, quelques questions… Enfin, le garçon là aimerait savoir…
— Entrons dans la maison, nous serons mieux assis pour discuter. Vous me renvoyez des années en arrière. Clémence… « la guêpe » ! C'était son surnom à l'école, à cause de sa taille tellement fine. Venez m'en dire un peu plus sur ce qu'elle est devenue. Mon Dieu, elle a un grand fils comme vous ! Je ne me serais jamais douté qu'un jour j'aurais des nouvelles de « la guêpe »… Je vous offre quelque chose à boire ? Un apéritif, peut-être… c'est l'heure, après tout. J'ai un vin de groseille ; vous me direz ce que vous en pensez.
— Vous êtes gentille, merci. J'ai pensé longtemps que ma mère, Clémence, avait eu une liaison avec monsieur Sarran, mais apparemment je me suis trompé.
— Yann avec votre maman ? Oh, ils étaient bons amis, mais je crois qu'elle avait surtout le béguin pour un autre garçon de l'école. C'est si loin déjà, tout cela…
— Je me prénomme aussi Yann, vous savez.
Gisèle versait un breuvage rouge dans des verres. Elle leva les yeux vers le gamin au bout de la table.
— Ben, y a rien de drôle là-dedans. Si ?
Le jeune homme tentait de suivre le cheminement de l'esprit de cette femme qui avait côtoyé sa mère, et vraisemblablement son père. Elle devait avoir des tas de secrets à lui narrer. Elle était dans ses souvenirs. Marjorie scrutait cette femme robuste, bien charpentée, mais pas vraiment grosse ; simplement solide, vosgienne jusque dans ses moindres mouvements. Elle leva son verre et le poussa vers ceux de ses hôtes.
— À la vôtre !
Les deux frappèrent leur godet contre celui de Gisèle. Le garçon trempa juste le bout des lèvres dans la mixture sucrée, mais terriblement alcoolisée. C'était suave, épais, mais pas mauvais. Les dizaines de questions qui venaient aux lèvres de Yann se figèrent, en suspens, et la femme le regarda de plus près.
— Un beau gosse qu'elle nous a fait là, notre Clémence. Yann ? Eh bien, comme son père alors ? Nous nous doutions tous qu'il s'était passé des trucs entre eux deux, mais personne n'en était certain. Vous êtes la preuve que nous avions raison.
— Mais ce n'est pas possible ; mon mari n'a jamais pu avoir d'enfants. Les oreillons, vous savez…
— Oui, nous les avons tous attrapés la même année. Et votre Yann, Madame Sarran, n'a pas eu de gosses à cause de cette saloperie ? Il faut dire aussi que son père, c'était un dur. Pour voir le toubib, il fallait être à l'article de la mort, chez le Gabriel ! L'année de nos onze ans, je m'en souviens comme si c'était hier. Bon sang, que c'était douloureux ! Il a trinqué plus longtemps que les autres, le gamin du Gaby…
— Alors comment est-ce possible que Clémence ait eu un enfant avec lui ? J'ai du mal à vous suivre, Gisèle.
— Avec lui ? Ah, mais vous n'y êtes pas du tout : c'est bien avec un Yann qu'elle a fricoté, notre guêpe, mais pas avec le vôtre.
— Comment ? Ma mère a connu ici un autre Yann ? D'où ce quiproquo ?
— Parce que vous pensiez que vous étiez le fils du mari de Marjorie ? C'est bien votre prénom ?
— Oui, Gisèle, c'est bien cela. Voilà qui va éclaircir enfin notre histoire, alors.
— Mais pourquoi n'est-elle pas venue me voir elle-même ? J'aurais été heureuse de la revoir, elle était sympa.
— Elle est décédée au début de l'année dernière. Et comme elle ne m'a jamais parlé de mon père…
— Ah, d'accord. Donc vous le recherchez. Mais qu'est-ce qui a pu vous faire penser que ça pouvait être Sarran, votre papa ?
— Un courrier que ma mère n'a jamais envoyé. Destiné à un Yann, auquel elle écrivait des choses très intimes. Elle a toujours refusé de me parler de ce père que je ne connais pas. Je ne le verrai jamais sans doute.
— Laissez-moi un peu réfléchir, vous voyez les années ont passé depuis les bancs de l'école primaire. Bien des gens sont partis aussi, la preuve… Clémence Tisserant, Yann Sarran et tant d'autres encore… je fais presque figure de rescapée.
— Vous… vous auriez un nom à me donner ?
— Je cherche le nom de famille de Yann, l'autre ; je suis certaine que ça va me revenir. Il y a eu une ribambelle de jeunes qui sont nés la même année, et ce prénom était à la mode. Je sais… Mougel ! Il s'appelle Yann Mougel, le garçon qui courait après Clémence.
— Vous savez quand il est mort, lui ?
— Mort ? Mais non ! Je crois me souvenir qu'il a épousé une fille de « La Bresse » ; il est parti chez les « corbeauxLa Bresse 88 est une région des Hautes-Vosges qui possède un large territoire sur lequel se trouve un lac : le lac des Corbeaux. Les résidents de ce lieu-dit sont surnommés « Corbeaux ». Par extension – et par raillerie aussi pour la solitude du coin ravitaillé par les corbeaux – tous ceux de la vallée surnomment les habitants de la Bresse « les Corbeaux » ; c'est très connu dans les Vosges.
». À ma connaissance, il est toujours de ce monde. Enfin, je crois, mais je ne saurais vous en dire plus. Vous seriez le fils du jeune Mougel. C'est vrai que si on vous regarde attentivement… il y a un petit air. Je vous en remets une petite rasade de… Il est bon, hein !
La bouteille s'était à nouveau levée et avait rempli les verres. La poitrine de la brune allait éclater sous l'effet du cœur qui battait à l'intérieur. Elle respirait mieux de savoir que ce gamin avec qui elle avait passé une nuit n'était pas le fils de… son époux. Le poids qu'elle avait sur la conscience s'allégeait considérablement. Au troisième verre de vin de groseille, Marjorie était déjà un peu pompette. Elle abandonna le volant au jeune homme qui la ramena vers le lac et le chalet.
— Vous croyez que je peux aller voir ce… cet homme ?
— Nous irons après le déjeuner. Vous voulez bien encore le partager avec moi ?
— Bien sûr ! Vous êtes… formidable. Votre lapin d'hier, un pur délice.
— Oui ? Mais vous savez, à midi ce sera steak-frites ; pas vraiment de la grande cuisine.
— Je n'ai pas des goûts de luxe, et manger en votre compagnie est déjà un plaisir en soi.
« Galant, le jeune homme… et bon amant, si mes souvenirs sont intacts. Cette nuit valait bien un dîner et un déjeuner. »
— Il est des desserts dont je veux bien reprendre, plusieurs fois même !
— Ah, vous avez donc apprécié ?
D'instinct, ils avaient repris le vouvoiement. Marjorie se rendait compte qu'insensiblement elle aguichait à nouveau le garçon ; mais il avait une telle répartie, un tel aplomb, comme s'il l'avait toujours connue. Et puis le poids qui pesait sur sa conscience, Gisèle de « La Mauselaine » l'avait totalement levé. Dans sa cuisine le gamin buvait un autre apéritif pendant qu'elle s'affairait à frire les patates. La viande grillée aromatisait la pièce du chalet dédiée à la cuisson des aliments.
Si sa tête était comme dans du coton, elle se rendait compte que ses gestes avaient changé. Une tout autre signification qui tendait à séduire l'homme assis près d'elle. Ses hanches se tortillaient comme celles d'une midinette. Elle le regardait à la dérobée, et chaque fois elle surprenait les yeux de ce nouveau Yann sur ses reins. Sans doute avait-il lui aussi deviné qu'elle était une femme qui attendait quelque chose. Les mouvements pour dresser la table, les pas pour aller de la crédence à l'évier, tous ces déplacements anodins revêtaient désormais un caractère quasi sexuel. Aguicheuse, elle le savait, mais rien ne pouvait empêcher son comportement animal, celui d'une femelle en parade devant un mâle.
Elle avait déposé dans chaque assiette une pièce de viande odorante. Les frites croustillaient sous les dents du loup affamé qui dévorait autant des yeux que du bec. Elle avait un charme fou ; il ne put retenir sa trique. Comment ne pas bander devant un corsage qui se gonflait à chaque respiration ? Comment ne pas avoir envie de cette brune aux cuisses élancées et à la taille plutôt fine ? Elle aussi mastiquait avec élégance, lui servant du vin rouge qui se mariait de fort belle manière avec sa cuisine simple. Un vrai régal ! Le fromage – un munster fermier au parfum si particulier – accompagnait une laitue délicatement assaisonnée.
Elle souriait d'un air angélique. Marjorie semblait revivre. Pourquoi ? Elle ne se posait pas de questions. Elle se sentait bien face à ce jeune homme qui déjeunait avec appétit. Pendant que les cafés coulaient avec une musique qu'elle n'écoutait que d'une oreille distraite, elle desservit la table. Yann avait toujours les regards rivés sur ses hanches qui se dandinaient à trois mètres de lui. Au moment où elle finissait de ramasser les miettes, le poignet du jeune homme saisit sa main. Elle ne chercha pas à la retirer. Il l'attira contre lui, sans se lever de sa chaise. Simplement, il repoussa son corps et son siège, et elle se retrouva en position assise sur ses genoux.
Elle ne se déroba pas non plus lorsqu'il vint simplement au-devant de sa bouche. Le baiser qu'il lui volait avait une saveur de renouveau. Les deux langues qui nouaient une nouvelle histoire se mêlaient si bien, si tendrement qu'elle se laissa emporter par ses frissons. Il avait déjà lancé ses doigts à l'assaut de sa poitrine et elle s'en trouva satisfaite. Qu'un jeune homme puisse encore la désirer… elle mit cela sur le compte du vin de groseille de Gisèle. Une manière comme une autre de se donner bonne conscience. Les paluches habiles n'avaient aucune intention de rester accrochées aux mamelles. Quand l'excursion se fit plus ciblée, que le bouton qui maintenait la ceinture de la jupe fermée sauta, elle savait que le dessert de ce midi, ce serait… elle !
Yann la releva gentiment en la tenant pas la taille. Il la souleva et elle fut déposée délicatement sur le tablier de bois où quelques minutes auparavant les plats se trouvaient encore. Dans la manœuvre, sa jupe avait coulissé le long de ses longues jambes. Elle se laissa étendre sur le plateau plutôt rude. Lentement, sans cesser de la regarder dans les yeux, il lui retira sa culotte ; et quand il lui releva les pieds pour les passer par-dessus ses épaules, elle comprit où il voulait en venir. Tout son corps était parcouru par une sorte de frémissement. Lui, sans se démonter, plongea tranquillement son visage tout entier vers son sexe qu'il avait mis en évidence. Sa langue, qui l'instant d'avant fouillait son palais, était maintenant aux abords d'un autre royaume. Les doigts qui écartèrent les deux pans de sa chatte étaient doux et délicats.
Instinctivement, comme pour le garder contre elle, elle avait placé ses deux menottes de femme sur la caboche masculine. La caresse intime que Yann débutait la tétanisait plus que de raison. Elle sentait monter en elle ce vent de folie des envies démentielles. Pas un grand calme, pas un temps d'attente : non, une nervosité appliquée, attentive à tendre tous les muscles de son être. Elle savait, reconnaissait la nature exacte des sensations que la langue lui distillait. Elle les appréhendait par avance, les anticipait, et finalement se laissait bercer par toutes ses crispations intenses.
Aucune once de révolte, aucun geste pour modérer les coups de langue, et surtout elle tenait toujours la tête de peur de la voir se retirer. Mais il n'en avait pas l'intention : il léchouillait cette blessure si suave, cette fente aux contours de velours, se perdant parfois dans la forêt de poils toute proche. Les cuisses restaient ouvertes, talons soutenus par deux larges épaules. Des gémissements remplaçaient le chuintement de la cafetière. Marjorie se tordait sous la limace visqueuse qui s'engouffrait loin en elle. Sa poitrine montait et descendait au rythme soutenu de la caresse du garçon.
D'autres parfums se mélangeaient désormais tout autour de ce couple, tout autour de ce jeune homme qui s'évertuait à faire crier sa complice du moment. Un doigt venu renforcer la langue trouva un chemin bien mouillé pour se glisser dans l'ornière rose. Puis, enduit d'une huile corporelle propre à Marjorie, le visiteur de ce début d'après-midi se lova gentiment dans le sillon qui séparait les deux fesses. Elle n'eut qu'une légère crispation lors de ce voyage vers un autre tunnel.
Pourtant, bien que sachant le but de cette manœuvre, la brune bloqua sa respiration. Elle avait d'instinct compris que ce sentier inusité allait recevoir une visite. Elle n'en avait pas toujours gardé des souvenirs… d'extase, mais cette fois l'intrusion se fit sans aucune douleur. Le majeur qui investissait sa grotte était infiniment doux. Il ramona un long moment, formant des cercles afin d'assouplir les muscles. Elle avait relâché depuis longtemps sa pression et reprit une respiration régulière.
Le visage se redressa au-dessus de son ventre ; elle sut que l'heure était venue de se sentir femme à part entière. La chose qui battait son flanc était presque brûlante. Les deux jambes redressées, cette fois contre la poitrine de Yann, il lui avait avancé le buste au bord de la table. Elle sentit le dard pointer vers cette cible qu'il avait si habilement fait suer. Elle ressentit comme un coup de poignard alors que d'un seul jet il venait de se planter en elle. Ses lèvres vaginales écartelées par le passage de la queue, elle ne put que pousser un râle, puis il la besogna sans à-coups, avec maestria, lentement, plus vite parfois, calquant ses mouvements de reins sur ses plaintes.
Elle adorait cette manière à la fois rude et aussi tendre de la pénétrer. Elle sentait les premiers effets de cet assaut monter en vagues de son ventre. Quand, au cours d'une reculade pareille aux autres elle se retrouva vide, elle ne comprit pas de suite que la bite tentait une autre approche. Butant contre l'œillet distendu par le majeur, il lui fut aisé de s'empaler tout entière dans ce fondement accueillant.
En fermant les yeux, Marjorie pensa que cette fois ça risquait d'être douloureux ; mais le bougre savait s'y prendre, et les doigts qui avaient parcouru la moitié de tous ses sentiers revinrent en force sur son clitoris. Il se mit en devoir de la pistonner copieusement tout en la masturbant vigoureusement. Et là, soudain des étoiles sous les paupières, la brune sentit que son esprit se détachait de son corps. Ses bras en avant, elle s'agrippait à tout ce que ses ongles accrochaient. Sa tête se berçait dans tous les sens.
Un instant béni, un instant de paradis, elle se retrouva dans un monde qu'elle avait oublié, un monde fait de couleurs, de senteurs et de tant de bonheur. Le magicien qui la forçait y mettait tout son cœur, toutes ses forces, et elle se pâmait d'aise sous les coups de boutoir de ce type, encore inconnu hier. Son corps suivait et s'emballait ; il voulait sa part de jouissance. Elle adorait ce renouveau, ce printemps des sens. Ce gamin était une fontaine de jouvence, un élu sans doute qui lui était envoyé par son mari… enfin, elle voulait s'en persuader !