Chapitre 4

Nos corps étaient secs. On était rhabillés. Une fine pellicule de sel tapissait notre peau et commençait à m'irriter… surtout sous les aisselles et entre les jambes dans les plis de l'aine. Je verrai à prendre une douche aussitôt à l'aéroport : pas question de reprendre le vol aussi inconfortablement.

— Je te dépose où, Sylviane ?
— Laisse-moi à l'aéroport ; je prendrai un taxi pour rentrer chez moi. Comme cela, ça paraîtra plus vrai… On ne sait jamais ! Je ne veux pas lui donner le bâton pour me faire battre, à ce salaud !

Le chemin de retour me parut long. Il faisait chaud, et malgré la clim de la voiture, ma chemise collait à la peau. On avait échangé nos numéros de téléphone, nos adresses mail et nos identifiants Skype. Sylviane avait essayé de poser sa tête contre mon épaule mais s'était reprise, s'apercevant que son attitude me dérangeait pour conduire ; elle avait donc changé de position, collant son dos contre la vitre de la portière.

Elle avait remonté sa jupe en la roulant jusqu'à la taille ; elle n'avait pas remis sa culotte de dentelle. Elle avait replié sa jambe gauche et l'avait remontée vers elle tandis qu'elle avait placé son pied droit, nu, sur la planche de bord, devant elle. J'avais une vue imprenable sur son sexe grand ouvert qui frisait l'indécence. La peau nue de ses fesses sur le cuir fauve des sièges laissait transpirer un érotisme grandiloquent. J'avais posé ma main droite sur ma cuisse, conduisant cette « automatique » seulement d'une main.
Sylviane prit ma main et l'approcha de sa chatte.

— Caresse-moi…
— T'en as pas encore assez ? m'étonnai-je en touchant son clitoris.
— Avec toi, jamais !

La position de ma main n'était guère confortable ; ma passagère s'en aperçut. Changeant de position, elle se coucha à moitié sur sa gauche en travers de la console centrale afin de poser sa tête sur ma cuisse. De sa main libre, après avoir baissé ma fermeture de braguette, elle s'introduisit dans mon boxer pour se saisir de ma verge et l'en extraire : il n'en fallut pas plus pour que mon membre prenne une attitude confortable. Sylviane l'engloutit dans sa bouche. Sa langue s'escrimait sur les terminaisons nerveuses autour du gland, que je sentais durcir et grandir.

Je dépassai quelques routiers espagnols montant vers Rungis. Ils ne pouvaient pas ne pas voir ce qu'il se passait dans la 607 Peugeot qui les doublait ; les conversations à la CB devaient aller bon train ! Juste avant de prendre la sortie Rivesaltes-Aéroport, je me vidai dans la gorge de ma compagne en deux jets exquis. Nous allions arriver au péage. Sylviane se releva, rangea mon « macaroni » dans son nid puis referma mon pantalon. Au moment où je passai au pas devant la balise de péage « T », ma passagère avait repris sa place comme si rien ne s'était passé.

J'étais crevé, HS ! Et dire que j'allais encore devoir voler jusqu'à Saint-Étienne… presque deux heures aux commandes du Beech. Après un au-revoir très mouillé, sensuel et tendre de baisers, je laissai Sylviane à la station de taxis alors que moi, je retournai chez Avis pour restituer le véhicule.

La température du terminal me fit un bien fou. Je me dirigeai vers le bar où je commandai un Perrier citron. J'en profitai pour appeler l'aéroclub du Forez. J'eus immédiatement Françoise, la secrétaire du club, au bout du fil.

— Ah, enfin ! On commençait à se faire du mouron. Tu es où ?
— Toujours à Rivesaltes.
— Tu as fait du tourisme ?
— Non, je me suis reposé un peu dans l'avion ; la chaleur est horrible ici.
— Mouais… Elle baisait bien, ta passagère ?
— Aucune idée : je suis sérieux, moa, M'dame !
— Tu m'en diras tant, mon cochon… J'ai par contre une question.
— Vas-y.
— Tu es pressé de revenir ?
— Pressé… pressé…. pas de gosse qui pleure, pas de femme à m'attendre. Pourquoi ?
— Nous avons un colis pour toi de Perpignan à Satolas. Tu prends ?
— Il est où, ton colis ?
— Il arrive demain à 10 heures.
— C'est quoi ?
— Un homme d'affaires.
— Et il ne peut pas prendre l'EasyJet de 9 heures 30 qui le laisserait directement sur LFLL ?
— Va savoir… Il doit avoir ses raisons. Sois prudent. De toute façon, ce n'est pas à toi que je vais faire la leçon ; tu es un grand garçon.

En effet, j'étais grand garçon. Je savais comment gérer ce genre de situation.

— Dis-m'en plus, Françoise.
— Tu prends ?
— Affirmatif.
— Je te rappelle dans la demi-heure qui suit.
— OK, je reste en standby.

La secrétaire de l'aéroclub avait raccroché. Je restai sur place à me désaltérer. Le temps me durait de pouvoir me doucher ; tout le corps me démangeait… J'en profitai pour observer les lieux.

Un hall d'aéroport comme tous les halls d'aéroport de France où les gens se croisent et se recroisent, où ils se retrouvent ; les embrassades, les trafics de chariots avec les bagages.
Des gens provenant de nombreuses destinations, surtout du Maghreb. Certains habillés comme vous et moi, d'autres coiffés du chèche, du burnous, vêtus de djellabas. Des femmes voilées de noir ou de marron de la tête aux pieds, ou seule une raie à la hauteur des yeux laissait apparaître un regard craintif et bien souvent arrogant. Je me demandai comment faisait la PAF (Police de l'Air et des Frontières) pour faire leurs contrôles. Une odeur forte de transpiration, de crasse, que même les parfums bon marché n'arrivaient pas à masquer. Le long de la paroi, à gauche de l'entrée du terminal, un comptoir de bistrot – La Croix du Sud – là où j'étais assis.

Je repensais à mon après-midi. Vingt dieux, quelle femme ! Une affamée, mais quelle beauté ! Rien que d'y penser… Je crois que le fait d'avoir vu le 4×4 BMW de son mari garé devant la maison où elle pensait m'emmener l'avait rendu furieuse, et de ce fait avait décuplé sa fringale de sexe ; je n'avais jamais vécu cela, même au tout début de ma quarantaine.

La sonnerie de mon téléphone m'arracha à mes réflexions. C'était Françoise.

— Bien ! Voilà : tu vas prendre un taxi et te faire conduire au Village Catalan, le long de l'autoroute A9 en direction de la frontière.
— Je connais.
— Je t'ai réservé une chambre ; elle est payée avec le petit déj. Tu paies ton dîner et tu m'amènes les factures pour que l'on te rembourse.
— Okay. La suite ?
— Le pax est un type d'une soixantaine d'années avec une valoche de 30 kg. Tu gères la procédure d'embarquement avec les autorités et les forces de police car il a un accent pataquès. Il a tout payé avec sa Mastercard Gold. Tu n'as rien à t'occuper ! Il te reste combien dans tes réservoirs ?
— Suffisamment pour faire un Perpignan-Brest.
— Comment penses-tu négocier ce vol : VFR ou IFR ?
— Je ne vais pas me faire chier ! Je l'enregistre en IFR. Au moins j'aurai la paix et je ne me prendrai pas la tête à calculer mes radiales.
— OK, c'est toi le boss. Passe une bonne nuit, et laisse les jolies filles en paix !
— Pourquoi ? T'es jalouse ?
— Idiot ! Repose-toi bien, et à demain. Tu call au décollage, idem à l'arrivée et au départ de Saint-Ex (Saint-Exupéry : aéroport international de Lyon).
— Okay, Madam' !

Françoise était une excellente copine. Elle était mariée avec le « chef-cambouis » de l'aéroclub, un bon copain. Nous étions amis. Je m'entendais à merveille avec elle, et je n'étais pas le seul. C'était un couple formidable : toujours prêts à rendre service à un membre du club, qu'il soit pilote ou pas.

Comme convenu, je m'étais fais conduire au Village Catalan par un taxi de l'aéroport. J'avais fait amener le Baron à l'abri pour la bagatelle de 1 500 Francs (230€) pour un remorquage d'un kilomètre et demi et une place dans un immense hangar en demi-cylindre en tôle ondulée sous lequel s'entassaient des dizaines de petits avions privés allant du Robin DR-400 jusqu'au Cessna Citation 550 XLS d'affaires. L'aviation privée était devenue un moyen de transport de riches, et les entreprises traitant l'aéronautique prenaient vraiment les propriétaires d'aéronefs pour des vaches à lait.

Robin DR-400
Robin DR-400
Cessna Citation 550 XLS
Cessna Citation 550 XLS

Le Village Catalan était une sorte de centre commercial en bordure de l'autoroute A9 à la sortie de Perpignan en direction de la frontière espagnole. On y trouvait de tout : des boutiques de souvenirs de Catalunya made in China ou Taiwan, des magasins de fringues, des restaurants, et une auberge où l'on pouvait passer la nuit. C'est là que Françoise m'avait retenu une chambre à la Bodega Costa Brava.

Une petite chambre tranquille de couleur jaune canari donnant sur la garrigue d'où provenait le bruit des élytres des cigales qui s'en donnaient à cœur joie. Un lit de 140, une cabine de douche moulée en polyester comme en trouvait sur les bateaux de croisière dans une pièce qui se faisait appeler pompeusement « salle de bain » ; une potence avec quelques cintres pour y accrocher ses vêtements. Tout cela coûtait au voyageur fatigué qui désirait se reposer ou à des amants affamés la bagatelle de 250 Francs (40€) pour la nuit.

Étant donné que je n'avais pas prévu de dormir dehors, je n'avais pas pris mon baise-en-ville ni des affaires de rechange : j'allais donc être obligé de me ravitailler au centre commercial en ustensiles de toilette et en vêtements de rechange, au moins un slip et une chemise. Je laissai ma sacoche de vol dans la chambre et je descendis faire mes achats.

Une demi-heure plus tard, j'étais sous une douche bienfaisante. Je n'avais pas trouvé de chemises pour adultes qui me plaisent : chemises à fleurs ou avec tes thèmes de corrida, trop chic pour moi et pas assez chères. Je m'étais rabattu sur un tee-shirt blanc et un caleçon Dim au tarif J.P. Gaultier ! Cette douche a eu l'avantage de me laver du sel, mais pas de la fatigue.

Je descendis au restaurant de la bodega, commandai un plat de fruits de mer que je mangeai avec un réel appétit. Je remarquai la serveuse, une femme de 30 ans environ aux yeux charbonneux avec de longs cheveux noirs coiffés en queue-de-cheval. Je devais lui plaire car elle n'était que sourires, et même derrière le comptoir elle me dévorait des yeux. Il est vrai que le tee-shirt blanc m'allait bien et me moulait le torse que j'avais assez athlétique en ce temps-là… Mais j'étais trop crevé et je passai sur cette occasion toute cuite. Je payai ma note, ramassai la facture et m'éclipsai dans ma chambre. Sans doute déçue, en silence elle avait dû m'affubler d'un ¡ Maricon !


Je me réveillai à sept heures du matin. Après avoir pris ma douche qui finit de me vivifier et mon café dans la salle de la bodega, je remontai pour composer mon plan de vol IFR* sur mon ordinateur portable que tout pilote est tenu d'emporter avec lui en voyage, et je le transmis immédiatement au centre d'exploitation des vols, à la tour de LFMP (Perpignan-Rivesaltes). Cinq minutes plus tard, je reçus l'acceptation par mail.

À neuf heures du matin j'étais à l'aéroport. Après avoir bu un « petit noir » au comptoir de La Croix du Sud, je passai le premier sas surveillé par un agent de la PAF. Malgré mon badge de PN (Personnel Navigant identifié par la DGAC locale) remis la veille par le service d'exploitation de l'aéroport, je dus exhiber ma carte nationale d'identité pour pouvoir passer ce premier barrage.

— Vous allez dans quel secteur, Monsieur ? me demanda le policier.
— Aviation d'affaires.
— Merci. Vous pouvez y aller, me répondit-il après avoir pianoté sur un clavier d'ordinateur et vérifié sur l'écran.

Je passai quelques halls où se démenaient des « gilets jaunes et oranges » (personnels de piste et personnels d'exploitation ayant accès aux aéronefs). Ensuite je sortis par une porte sur laquelle était inscrit « Aviation Affaires & Privée », porte qui donnait sur le tarmac.
Il commençait à faire chaud. Des véhicules de piste conduits dans leur majorité par des Africains ou des Arabes à la barbe fournie tractant des multiples remorques chargées de bagages se croisaient à une vitesse vertigineuse à grand renfort de klaxons. On se serait cru dans les rues de Bombay ou de Calcutta.

J'arrivais au hangar. Le Baron était sorti : il est vrai que j'avais payé son hébergement jusqu'à neuf heures, et il était neuf heures et demie. La CCI de Perpignan ne faisait pas de cadeaux aux « vaches à lait privées » ! Je fis le tour de l'avion pour vérifier que durant mon absence et son déplacement il n'avait subit aucun dommage. J'en profitai pour faire ma visite de pré-décollage : vérifier que les volets étaient bien à leur place, la dérive non faussée, les goupilles commandant les mouvements bien enclenchées, le train ne présentant aucune fuite, les niveaux d'huile dans les deux moteurs bien en ordre, et que sur les capots aucune trace suspecte ne soit visible. C'est seulement après cela que je passai sur le flanc arrière droit de l'avion pour ouvrit la portière d'accès.

Tout était propre. Aucune odeur bizarre ne trahissait la partie de jambes en l'air de la veille. Les couvertures que nous avions utilisées étaient bien rangées dans leur coffre approprié. Les toilettes chimiques étaient propres et prêtes à servir si le besoin s'en faisait sentir. Tout était en ordre. Je pouvais aller chercher mon passager. Je fermai l'avion et retournai dans l'aérogare, au bar où j'avais rendez vous avec mon passager.

Il était là… ou plutôt ils étaient là ! Un couple. Là, il y avait un problème : ce n'était plus le même poids. Je m'approchai d'eux, un homme dans la cinquantaine de type méditerranéen et une femme d'une vingtaine d'années, cheveux blonds ayant un air de péripatéticienne ou d'une chasseresse de « pigeons à fric ».

— Bonjour, Messieurs-Dames. Vous attendez le pilote qui doit vous emmener sur Lyon ?
— Oui M'siou, me répondit le passager avec un fort accent nord-africain.
— On m'a parlé d'une personne et non de deux…
— Madame ne m'accompagnera pas ; elle reste ici.
— Ah bon ! Très bien. Donc si vous voulez bien, on va y aller.

Je les laissai se dire au revoir. Un baiser sur la bouche et une enveloppe passant de la main de l'homme à celle de la jeune femme. Elle prit son sac à main, et juchée sur des échasses d'au moins 15 cm de haut, elle disparut en dandinant ce qui ne devait pas seulement lui servir de pare-chocs arrière.
Le passager m'ordonna :

— Ma valise est là.
— Très bien, lui répondis-je. Alors on y va.
— Vous prenez ma valise.
— Monsieur, nous allons tout de suite mettre les choses au point. Je suis payé pour vous emmener en avion d'un point A jusqu'au point B qui est votre destination. Je ne suis pas votre boy ni votre bagagiste. Vous avez des chariots qui sont prévus à cet effet.
— Très bien ! Je vais en parler à votre compagnie à mon arrivée à Lyon.
— Non, Monsieur : vous n'allez pas en parler à votre arrivée car c'est avant votre départ que je vais les appeler, et tout de suite ! lui répondis-je en sortant mon portable.
— Vous n'aimez pas les Arabes, vous !
— Moi, j'aime tout le monde, Monsieur, du moment qu'on ne me confond pas avec ce que je ne suis pas et qu'on garde le respect dû à mes fonctions et attributions.
— C'est bon, laisse tomber.
— Autre chose encore ?
— Quoi ti veut ?
— Ici, en France, la politesse veut que l'on dise « vous », et pas « tu ».

Le type commençait à me les gonfler pas mal… Je lui demandai son passeport qu'il me remit sans broncher. C'était un passeport algérien qui avait été tamponné par la PAF de Marseille-Marignane. On prit la direction de la porte où je savais que l'agent de police était en faction. Le client me suivait, tractant lui-même sa valise sur roulettes.
Arrivé à la hauteur du policier, je lui remis le passeport du « pax » et lui disant :

— Un passager pour Lyon. Il a un bagage pour la soute que je n'ai pas contrôlé.
— C'est bien, merci. On s'en occupe

Puis, s'adressant au passager :

— Vous arrivez d'où, Monsieur ?
— De Figueres.
— Je ne vois pas le tampon espagnol…
— Ci pas ma faute si il y a pas d'contrôle à la frontière.
— Vous avez passé la frontière par quel poste ?
— Par La Junquera.
— À pied ?
— Non, ci mon cousin qui m'a emmené avec sa voiture.

Le policier interpella un agent des douanes qui passait justement à proximité ; il échangea quelques mots à voix basse avec lui. Le gabelou s'approcha du client. Moi, je me tenais deux pas à l'écart.

— Bonjour, Monsieur. Douanes françaises. On va procéder au contrôle de vos bagages.
— Pourquoi ? Je viens de l'Espagne, et c'est Schengen…
— Oui Monsieur, pour les ressortissants de la zone Schengen ; mais vous êtes Algérien, et l'Algérie n'appartient pas à la zone Schengen. Donc on doit vous contrôler. Vous vous opposez au contrôle ?
— Non si je suis obligé !
— Alors prenez votre bagage s'il vous plaît et suivez-moi.

Je vis mon passager suivre le douanier en tirant derrière lui sa valise. Le policier me demanda :

— Et vous l'emmenez où, ce monsieur ?
— Lyon Saint-Exupéry… et je suis seul à bord. Pas de porte sécurisée entre la cabine et le cockpit.
— Vous volez sur quoi ?
— Beech Baron 58, un avion de six places.
— Vous craignez quelque chose ?
— Pas spécialement ; mais avec les temps qui courent, je préfère prendre des précautions.
— OK. Je vais envoyer un collègue pour procéder à une fouille au corps.

Le policier de l'Air et des Frontières parla dans un téléphone portable et alla rejoindre le douanier dans la petite pièce attenante. Quelques minutes plus tard, je vis arriver deux CRS qui entrèrent eux aussi dans le local. Vingt minutes passèrent. L'agent de la PAF vint vers moi avec un sourire.

— Vous avez le nez creux, vous !
— Pourquoi ?
— Vous allez devoir repartir tout seul ; on va garder votre passager avec nous. Il va avoir des explications à nous fournir.
— Vous avez trouvé quelque chose ?
— Je ne peux pas vous répondre, Monsieur. Je n'en n'ai pas le droit. Vous pouvez passer. N'oubliez pas de rendre votre badge à l'employé de la CCI qui gère le hangar de l'aviation d'affaires.
— Très bien, et merci. À la prochaine !

Bizarrement, je n'avais plus chaud lorsque je sortis sur le tarmac ; une sueur glacée me coulait entre les omoplates. En cours de chemin, j'appelai Françoise.

— Bonjour.
— Salut ! Vous vous apprêtez à décoller ?
Je m'apprête à décoller, et tout seul : ton client a été retenu par la PAF et les douanes ; ils n'ont rien voulu me dire de plus. Je vais changer mon plan de vol et remplacer le LFFL par un LFMH en IFR.
— Okay, tu nous expliqueras à ton arrivée. Tu manges avec nous ce soir ? On fait un barbec avec quelques copains et copines.
— Roger ! À tout à l'heure.

Je passai par la tour où j'effectuai ma modification de plan de vol et je retournai à l'avion.
J'étais assis à ma place. Les contacts étaient enclenchés, les moteurs tournaient au ralenti à 2 200 tr/mn. Je branchai ma radio et me calai sur la fréquence de Rivesaltes Tour.

— Perpignan tower, bonjour Monsieur. De Beech Fox Sierra 211, vol IFR sur Saint-Étienne. Prêt à copier.
— Bonjour, Monsieur. Beech Fox Sierra 211, vous êtes autorisé pour une navigation à destination de Saint-Étienne selon plan de vol déposé. Suivez l'axe de la piste et montez jusqu'à 9000 pieds. Contactez le départ sur 120.75 Mhz. Transpondeur 2505 (pour les besoins de l'histoire, les chiffres donnés sont faux, sauf l'altitude et la fréquence).

Je confirmai selon la procédure en vigueur en répétant les instructions mot pour mot :

— Beech Fox Sierra 211, autorisé pour une navigation à destination de l'aéroport de Saint-Étienne selon le plan de vol déposé. Suivons l'axe de la piste, grimpons à 9000, transpondeur sur 2505 et appelons départ sur 120.75. De Beech Fox…
— Beech Fox Sierra 211, c'est correct. Contactez le control ground sur 118.3.

Je réglai la nouvelle fréquence et appelai. Celle-ci étant occupée, je dus attendre mon tour pour parler.

— Perpignan ground de Beech Fox Sierra 211. Bonjour, Monsieur. Avec l'information X-ray, nous sommes prêts pour le roulage IFR.
— Beech Fox Sierra 211, bonjour Monsieur. Roulez jusqu'au point d'arrêt piste 33 en empruntant la voie de circulation Tango. Contactez tour sur unité deux unité point neuf lorsque vous serez prêt au décollage.

Je donnai un coup d'œil à droite et à gauche, desserrai les freins, et poussai les deux manettes des gaz en avant. Le Baron sembla trembler sur lui-même et commença à avancer. Je le dirigeais avec les pieds. Je sortis du parking de l'aviation d'affaires et pris la bretelle indiquée, la « T » comme tango. Je réglai ma vitesse sur 3 nœuds. Mes feux de position étaient allumés, ainsi que mon gyrophare sous le fuselage et les phares d'atterrissage. Tout allait bien. Je vérifiai une dernière fois la température et la pression de l'huile sur les deux moteurs : ils tournaient comme une montre suisse.

J'étais arrivé sur le double trait jaune en bordure de la piste où l'arrêt était obligatoire jusqu'à l'autorisation de la tour. Je basculai sur la fréquence de la tour et appelai comme il me l'était ordonné.

— Perpignan Tower de Beech Fox Sierra 211, sur la piste double trio, prêt au décollage, départ IFR pour Saint-Étienne.
— Beech Fox Sierra 211, autorisé à décoller piste double trois.
— Perpignan Tower de Beech Fox Sierra 211 : autorisé pour take off sur double trois. Au revoir, Monsieur, et à la prochaine.
— Beech Fox Sierra 211. Bon vol, Monsieur, et au plaisir de vous recevoir à nouveau dans nos installations.

Je desserrai mon frein de parking et remis suffisamment de gaz pour avancer afin de m'aligner sur la « zébrée ». Je coupai les gaz, serrai les freins, affichai 9 000 pieds sur mon pilote automatique, 800 pieds/minute sur mon variomètre, plaçai le curseur de mon compas sur 33 degrés et descendis les volets sur 45°, puis je poussai les gaz à fond et commutai la synchronisation des deux moteurs. Tout l'avion se mit à trembler. Le compte-tours arrivait à la fin de la zone verte. Je mis une main sur la « bête à cornes » et de l'autre je desserrai le frein de parking. L'appareil se mit à piaffer comme un cheval de course puis s'élança sur la piste de béton. Sur les côtés, le paysage défilait de plus en plus vite. Le badin (compteur de vitesse) affichait 90 nœuds. Je tirai légèrement sur la bête à cornes. Le « tacatac » des roues sur la piste s'estompa pour disparaître. Le variomètre annonçait 500 pieds/minute en positif. Je rentrai le tricycle ainsi que les volets, appuyai sur la touche « AP » du pilote automatique, sur la touche « ALT » qui s'alluma en vert et sur la touche « HDG » du conservateur de cap.
L'appareil grimpait tranquillement, dirigé par la pilote automatique.

Une voix dans la radio m'indiqua de contacter Perpignan départ, ce que je fis immédiatement. On me demanda de virer à droite au zéro quatre zéro et de continuer au track jusqu'à 9 000 pieds.

Une heure et demie plus tard, guidé par la balise ILS, je m'alignais sur la zéro unité huit pour me poser sur Saint-Étienne-Bouthéon.

* NdA : Le vol aux instruments ou IFR – Instrument Flight Rules – est un type de vol qui permet de piloter avec la seule aide des instruments de l'avion et du guidage du contrôle aérien, sans information visuelle extérieure.