Anne-Isabelle et ses prétendants
Oshmonek2017Chapitre 2
Mon père est dans une rage folle ; il tempête et hurle tout en tapant du poing sur la table de la grande salle à manger.
— Tu iras ce soir chez le baron ! Tes propres sentiments ne sont en rien importants. L'amour ? L'amour ne sert à rien. On ne prend point pour épouse une femme que l'on aime : on prend femme pour satisfaire sa famille !
Voilà le discours qu'il me tient. Je sais qu'il a raison ; le mariage n'est point un engagement amoureux : les hommes ont pour ces choses de l'amour des maîtresses. C'est comme cela depuis le début des temps. J'ai tout de même tenté de lui faire raison entendre, mais il s'est mis en colère, et je le laisse débattre avec lui-même de ce point de détail. J'attends que sa colère retombe et, en bonne fille, lui dire que je serai l'épouse attendue par le baron.
Je me résigne à ce mariage pour le bien de ma famille et aussi parce qu'à bientôt 21 ans, c'est la plus digne et peut-être dernière opportunité de faire un mariage correct. Pour ce qui est de l'amour, je ferai comme beaucoup de femmes d'aujourd'hui : j'irai le trouver dans les bras d'autres hommes.
Dans l'après-midi, on est venu me porter de bonnes nouvelles de Jean ; il s'en sortira avec une jolie plaie à l'épaule et une blessure, plus importante, à son amour-propre. Mais tout cela est sans gravité.
On nous a également porté des nouvelles de Paris où se sont tenus les États généraux ; la monarchie n'en est pas sortie grandie, notre bon roi Louis non plus. Ce mois de mai est décidément très étrange.
Maintenant que mon père s'est calmé, je n'ai plus qu'à me préparer pour mon dîner de ce soir. Il me faut réfléchir à ma tenue. Point trop habillée, je ne suis pas une sœur du couvent effarouchée par les hommes ; point trop provocante non plus pour ne pas passer pour une catin dévergondée.
De retour dans ma chambre, Sœur Radegonde m'attend avec les sourcils froncés.
— Pourquoi ce regard de courroux ?
— Ma fille, rien ne serait plus néfaste qu'une mauvaise image ; vous devez être l'épouse attendue par le baron. Vous devez aussi pouvoir contenir vos appétits, et pour cela ne point avoir d'envies en latence.
Je ne comprends pas ce qu'elle me dit ; j'élude le sujet d'un geste de la main.
Elle a préparé sur le lit la tenue idéale, et elle m'aide à me dévêtir. Une fois nue et alors que je vais pour prendre le corset qu'elle a choisi, elle me pousse sur le lit brutalement. Je m'affale en travers de la couche, surprise par le geste. Elle s'approche alors de moi, pose sa main sur ma toison et commence à fouiller mes chairs intimes. Devant mon regard surpris, elle explique :
— Il faut satisfaire à vos envies avant votre rencontre, sinon ces dernières nuiront à votre réflexion et vous ne saurez tenir une conversation soutenue.
Je comprends mieux. Elle me connaît si bien. Elle approche alors de mon intimité la quille de bois poli dont elle s'est déjà servie sur moi pour me prendre ma virginité. Elle en frotte l'extrémité sur mes chairs qui s'ouvrent doucement à la caresse. Le jus qui s'écoule entre mes lèvres lubrifie la tête de bois qui, petit à petit, s'enfonce dans mon sexe. Elle pousse l'objet aussi loin que mon sexe le permet et commence des allers-retours qui me font monter en température et m'amènent vers la jouissance.
Elle sait y faire, la sœur : ses années passées au couvent de Saint-Bordel lui ont permis d'être très au fait de ces choses. Je jouis en quelques secondes, resserrant mes cuisses sur l'objet de plaisir qu'elle manie si savamment.
— Voilà. Ainsi, vous serez sereine et point polluée par des pensées impures.
Eh bien, voici mes ardeurs calmées ; et c'est sereinement que j'enfile la tenue qu'elle a choisie pour moi. Un corset blanc et ajusté enferme ma poitrine généreuse. Une robe pourpre avec un contrepoint d'or et une crinoline large ; des jupons longs descendent sur mes pieds. Une belle perruque poudrée venant de Paris et quelques discrets bijoux complètent l'ensemble. Une mouche au-dessus de la lèvre et quelques traits autour de mes yeux finissent le maquillage.
Je m'admire dans le miroir ; je suis jolie et désirable. Je devrais faire un bel effet au vieil homme.
La voiture nous emmène dans la cour du beau château de Dissay. Nous passons l'ancien pont-levis et entrons dans les lieux. Ce bel endroit de pierre blanche est une ancienne forteresse aménagée en château moderne, avec de belles ouvertures et quelques statues du meilleur goût. Les torches qui scindent la cour éclairent les lieux comme en plein jour.
Je suis venue avec ma tante, car pour être chaperon, il faut être de noble naissance. Je suis également accompagnée de Sœur Radegonde qui est à la fois mon amie, mon guide et mon précepteur. À la porte, nous attend un laquais. Il nous regarde avec un certain dédain. Il fait entrer ma tante et moi, et d'une main arrête la bonne sœur.
— Ma sœur, votre présence n'est pas souhaitée en ce lieu.
— Mais je…
Devant la mine déterminée de l'homme, elle n'insiste pas et monte se refugier dans notre carrosse. Bien que je trouve cela étrange, je continue mon chemin aux côtés de ma tante et nous pénétrons dans une pièce qui ressemble à un boudoir mais qui, vue l'odeur qui s'en dégage, est plutôt un fumoir.
Au milieu de la pièce, trônant dans un fauteuil de velours vert, se tient le baron, une pipe à la main. Son habit de soierie bleu-nuit et son absence de perruque lui donnent un air plus vieux encore. Je dois dire que je ne sais donner d'âge à cet homme. Je dois dire également que je m'en moque : plus il sera vieux, plus vite je serai veuve et riche.
Il entre parfaitement dans les critères de mes parents les miens. C'est à dire que mon père dirait : « Avec cinquante millions en louis d'or dans ses caisses, cet homme est idéal. » Ma mère dirait : « Cinquante ans, veuf et seul : cet homme est parfait. » Quant à moi, je dirais : « Quatre-vingts ans et pas loin de mourir, c'est le mari rêvé ! »
L'homme se comporte en hôte parfait ; il nous fait servir de délicats mets préparés avec soin par son personnel, sa conversation est agréable, il se plaît à raconter ses parties de chasse endiablées à la nuit tombante. Bref, nous passons une agréable soirée.
Je regarde autour de moi : les richesses de cet homme sont visibles partout. De l'or, de la vaisselle d'argent, des tissus de qualité. L'homme semble avoir beaucoup voyagé également : il nous montre dans son cabinet de curiosités moult objets venus de contrées exotiques. Puis, pour terminer la conversation, il demande l'autorisation de s'éloigner un peu à mon bras – mais tout en restant visibles – ce qui garantit à mon chaperon qu'aucun propos ne heurtera mes chastes oreilles.
Il me dit alors :
— Nous nous marierons dans quelques semaines. Votre dot m'importe peu ; tout ce que je demande, c'est qu'avant cette cérémonie l'on vous confie aux bons soins d'une amie très chère qui saura faire de vous l'épouse idéale. Y consentez-vous ? J'en parlerai bien vite à votre père.
Je réfléchis à peine, ignorante de ce qu'il a en tête et ne pensant qu'aux richesses étalées sous mes yeux, et qui bientôt seront miennes. S'il souhaite parfaire mon éducation, que l'on fasse !
— Bien sûr, mon bel ami. Une question, cependant : pourquoi Sœur Radegonde n'a-t-elle pu nous accompagner ? Elle est une préceptrice de qualité.
Je vois alors la mine du vieil homme se renfrogner, son regard se durcir, et avec une voix dure que je ne lui connais pas il déclare :
— Cette… cette chose… cette ignominie ne peut entrer dans ma maison.
Devant ma mine interloquée et ma bouche béante, il rectifie :
— Je n'aime simplement pas trop les gens d'Église.
Sont-ce là de simples idées de ce nouvel élan national révolutionnaire, ou une vraie animosité ? Je ne saurais le dire en cet instant. Je le découvrirai sûrement plus tard.