Les premiers pas
Charline8818/10/2018L'amour vache
Les nuits sont aussi longues que les journées. Interminables, invivables, dans une perpétuelle attente d'un appel, d'un signe qu'il se refuse à me donner. Je suis allée rôder près de chez lui, mais il ne s'est pas montré. Il fait la sourde oreille, ne répond à aucun de mes appels. Je suis comme une âme en peine et je vis ces moments comme de véritables cauchemars. Mon corps le réclame, mon esprit a besoin de lui. Il a réussi au-delà de toutes ses espérances sans doute à faire de moi un pantin incapable de vivre sans lui. Mais point d'Hippolyte, nulle part, et je continue à me désespérer. Contrairement à mes assertions du soir de notre querelle, j'ai gardé les bijoux, et le collier est toujours en place sur mon cou.
Je sens souvent – pour ne pas dire toujours – les regards curieux des passants médusés par cet ornement inaccoutumé. Bien entendu, avec un bon couteau j'aurais aisément pu sectionner le cuir ; mais non, je tiens à garder ce signe distinctif de mon appartenance à Hippolyte. Pourquoi ? C'est un de ces grands mystères qui font que nous autres femmes sommes bien femmes. J'erre dans ma maison, sans but précis, avec une sorte de fièvre chevillée aux tripes. Il me manque à chaque instant et je regrette ses amis aussi. J'ai besoin de me sentir remplie, de me sentir désirée, d'être prise, d'être j'oserais dire « baisée ». Mais rien, pas de signe de lui. Il me reste uniquement mes deux précieux bijoux sur la poitrine et les chaînettes du sexe.
Je pleure tout mon content. Le onzième jour, je commence à me dire qu'il ne reviendra pas, plus. Lors de mon petit déjeuner, je recharge mon téléphone qui s'est éteint faute de courant dans la batterie. Il est vrai qu'il passe la majeure partie du temps proche de moi, la nuit aussi, pour être certaine qu'il n'a pas appelé. Et lorsque je remets l'appareil en route après deux bonnes heures de mort apparente, un message apparaît. Fébrilement, je l'ouvre en tremblant. C'est lui. Oh, miracle ! Mes yeux parcourent les quelques mots : « Je vais t'envoyer une enveloppe, et si tu suis bien mes instructions je referai un pas vers toi. Mais n'oublie pas que tout se paie, et comptant parfois. »
J'oscille entre bonheur et peur. C'est sûr que je vais en baver, mais je crois que je tiens plus à lui que je n'ai la trouille. Toute la journée j'espère cet écrit qu'il m'a promis. Je fais les cent pas, je tourne en rond dans cet appartement qui devient trop grand, trop vide. Et à l'heure du dîner, je n'ai toujours aucune nouvelle d'Hippolyte. C'est donc décidé : je vais me doucher et je prendrai un somnifère pour passer une nuit plus longue, et surtout moins agitée. Dans cette foutue poitrine mon cœur bat à une vitesse vertigineuse et l'eau me ramène à des palpitations plus agréables. Je traîne un peu, encore pleine d'espoir. Demain sera un autre jour…
Le verre d'eau est sur la table de la cuisine ; à ses côtés trône le petit fuseau blanc du sommeil en comprimé. C'est au moment où je saisis le verre que mes doigts vont aussi attraper le cachet que je vois cette minuscule enveloppe glissée sous ma porte. Je repose tout, et les guibolles flageolantes je récupère le rectangle qui doit contenir… ce billet tant espéré. Mes doigts mettent un temps fou pour arracher le rabat de la missive. Et je lis ce qu'il veut. Il me demande juste de me rendre à un certain endroit dans un parc. Il déclare qu'il sera sur les lieux jusqu'à vingt heures et que si je ne viens pas il ne fera plus jamais un geste pour arranger les choses entre nous. Suivent ensuite des commentaires sur la manière dont je dois me présenter. Il me veut en jupe et en chemisier, rien dessous. Pour les chaussures, il n'évoque rien de spécial. Par contre, je devrai sortir de ma voiture, passer un bandeau, me dévêtir et rester là sans bouger. Je n'aurais aucun mot à dire et devrai obtempérer à tous les ordres qui me seront donnés.
Je sais bien que c'est encore une connerie, mais je n'ai plus beaucoup de temps pour me rendre à mon rendez-vous. Quelle chance que je sorte de ma douche ! En quelques minutes je me retrouve à conduire sur une route secondaire, le GPS me guidant vers un point précis dont j'ai entré les coordonnées. Ce n'est pas très loin, mais la nuit est déjà tombée.
Je ne me sens pas très rassurée quand je suis sur place. Je fouille dans le vide-poche à la recherche de ce fichu bandeau. Il est là sur mes yeux, et comme le précise le courrier, à côté de mon véhicule je retire le peu de fringues que je porte. C'est vite fait. Sur une grande place vide, en pleine forêt, je suis aussi nue que dans la salle de bain. Je n'ai guère le temps de réfléchir.
— Salut, Claire. Tu es juste à l'heure.
La voix que mes oreilles captent ne me dit rien. Je ne connais pas ou ne reconnais pas cette personne qui vient de me saluer. Calmement, elle poursuit :
— Étends tes bras à l'horizontale devant toi.
Mécaniquement, mes mains se tendent dans le vide à hauteur de mes épaules et je sens les bracelets de cuir qui serrent de suite chacun de mes poignets. Puis mes mains sont rabattues en croix sur mon cou. Deux clics, et les voici attachées à l'anneau de mon collier. L'inconnu m'enferme les chevilles, pareillement à mes avant-bras. Je suis tirée par le cou, je dois avancer. Il m'a donc également posé une laisse ?
— Attention, il y a une marche ; lève le pied. C'est bien. Monte. Allez, grimpe !
Sous mes escarpins plats, je sens un plancher : un autre véhicule, assez haut puisque je me hisse debout sans problème dans l'endroit que je ne vois pas. Le type qui me réceptionne n'est pas Hippolyte, c'est ma seule certitude. Il me parle sans violence, avec seulement une voix agréable, mais ferme.
— Mets-toi à genoux et ensuite couche-toi. Il y a une couche à ta gauche.
Je sens effectivement comme un matelas ou un lit, et conformément à ce qu'il me demande, je m'exécute. Je suis allongée sur le dos sur un matelas, j'en jurerais. Le bruit du moteur se fait entendre et la camionnette – ça doit en être une – se met en branle. Le gars qui m'a embarquée à bord n'est forcément pas seul puisqu'il a placé ses deux pieds sur mon ventre alors que nous roulons. Personne ne parle. Ça dure un long moment, mais dans le noir, les sensations sont trompeuses. Après de multiples virages, le chauffeur arrête enfin ce que j'assimile déjà à une bétaillère. Mais c'est bien moi qui me suis fourrée dans ce pétrin.
Peur ou non, il est trop tard : je vais devoir assumer. Je me sens bien moins sereine au fur et à mesure que le temps s'écoule.
— Allez, la gazelle, sors de là ! Amène-toi !
Je me remets tant bien que mal sur mes deux pattes et je dois le suivre – enfin, je suis traînée plutôt – vers une source de lumière. Si le bandeau me laisse dans l'ombre, je sais sans la voir qu'il y a de la lumière. Puis des voix, beaucoup de voix et de la musique. Mais je ne vois pas la source des notes que je perçois.
— On peut maintenant retirer ton bandeau et t'asseoir. Tu restes sagement là ! On viendra te chercher. De toute manière, si tu essaies de t'enfuir tu n'iras pas loin, et je te prie de croire que tu le paierais cher.
Je suis murée dans mon mutisme et mes questions sont toutes sans réponse. Où suis-je ? Où est Hippolyte ? Mais surtout, surtout, que va-t-il m'arriver ?
Il fait nuit dans la petite piaule où l'on m'a débarquée. Je distingue vaguement des ombres tout près d'un banc sur lequel j'ai pris place. Il me semble que je ne suis pas seule. Au bout de quelques minutes, mes yeux s'habituent à cette obscurité latente. Effectivement, nous sommes au moins trois, et ce sont des femmes. Elles aussi sont toutes nues. Elles aussi attendent je ne sais quoi, et aucune ne regarde les autres. Alors j'ose enfin ouvrir la bouche. Après un long silence, celle qui se trouve être la plus proche de mon siège me murmure tout doucement des mots que je ne comprends pas. Elle ne doit pas être française ou parler notre langue. Ce n'est pas fait pour me rassurer, mais au fond de notre réduit une petite voix, très jeune, s'élève :
— Taisez-vous ! Vous ne savez pas de quoi ils sont capables. Chut ! S'ils savent que vous vous parlez, nous allons toutes dérouiller. Et je peux vous dire que c'est dur.
— Mais enfin, que faisons-nous ici ?
— Nous allons être vendues.
— Vendues ? Ce n'est pas possible, ça !
— Mais si ! Ce soir, un mac ou un particulier va nous acheter. Si c'est un mac, eh bien nous serons putes à vie dans un claque clandestin. Celles, les mieux d'entre nous qui auront la chance de plaire à un riche Maître, seront un peu mieux loties ; enfin, jusqu'à ce qu'il se lasse et elles reviendront ici pour faire l'objet d'une autre vente.
— Comment vous savez ça, vous ?
— J'ai déjà été vendue une première fois, et ce soir un mac va m'embarquer, j'en ai peur.
— Mais… mais on ne peut rien faire ?
— Tu peux gueuler, mais ils vont tellement te tabasser que c'est pire encore, et surtout tu devras y passer quand même… alors choisis ! En douceur ou avec les coups… à toi de voir.
Je me tais et médite sur ce que je viens d'entendre. Pour me punir, donc, je vais passer par une vente aux enchères ? Une traite de femmes me semble incroyable à notre époque, mais mes tripes, elles, sont nouées, et j'en ai presque la nausée. Une porte vient de s'ouvrir et un grand mec empoigne la petite jeune qui vient de nous expliquer.
— Allez ! Viens ici, toi ! Tu seras la première de la soirée.
Le bruit que je perçois, ce sont des chaînes qu'elle traîne à ses pieds. Elle est dans le rectangle de lumière et je la suis des yeux, celle qui part vers son destin. Un haut-parleur s'est mis en route et une voix d'homme se répercute jusqu'à nous. Les paroles que nous entendons ne laissent plus planer le moindre doute sur la véracité de son récit :
— Premier lot de la soirée… une jeunette de vingt-cinq ans. Elle revient de chez Maître Isidore. Il veut en trouver une plus fraîche et vous la remet en vente. Regardez-moi cette jolie croupe. Elle a connu le fouet, la cravache et tous les instruments du SM de bon ton. Elle a joui sous toutes les coutures. Mise à prix : dix mille euros. Allez, on y va ! Dix mille pour cette chatte. Qui fait une offre ? Ah ! Monsieur, là. Dix mille cent ; qui dit mieux ?
— Dix mille cinq cents.
— Bien ; à ma gauche, personne pour monter ? Elle peut encore servir une bonne dizaine d'années.
— Onze mille.
— Onze mille à ma droite ; qui dit mieux ?
— Personne ? Alors onze mille une fois, onze mille deux fois… onze mille… trois fois. Adjugée au monsieur, là. Elle est toute à vous. Une petite pause, le temps de boire un verre et on recommence ?
Les cris et les rires sont nombreux, signe qu'il y a foule dans cette salle à quelques mètres de la pièce où les femmes sont parquées. La jeune femme qui vient d'être l'objet de cet abject marchandage est ramenée dans la même pièce. Elle sanglote doucement. Je voudrais bien lui parler, mais j'ai peur aussi. Au bout d'un long silence qui me paraît correspondre à une éternité, la porte s'ouvre à nouveau et une autre fille passe de l'ombre à la lumière. Elle est comme nous toutes, livrée au débat financier que l'on perçoit dans ce que j'imagine une salle. Ce sont des rires, des éclats de voix et des applaudissements sans fin.
Quand elle réapparaît dans notre antre, chacune d'entre nous se dit que cette fois ça va être notre tour. Les gaillards qui jouent les acheteurs font à nouveau une pause qui nous semble interminable. La porte s'ouvre une fois de plus et le cœur des femmes en attente bat plus fort. Le mien est sur le point d'exploser quand le type avance dans ma direction. La chaîne de mon cou est passée dans sa pogne et je suis tirée vers la fête. Il y a, dans ce vieux hangar, des spots lumineux partout. Je dois passer entre deux rangées de mecs qui ne se privent pas pour me donner de légères claques sur les fesses. Certains tendent les doigts pour soupeser mes seins.
Quatre marches me mènent sur une estrade en pleine lumière. Je suis placée au centre de celle-ci et je fais face à une meute d'hommes qui me dévisagent comme une proie future. J'en ai des frissons, et ma sueur doit couler de mon front sur mon visage. Je ne peux rien faire d'autre que subir. Un grand gaillard armé d'un micro est sur ma gauche et me désigne.
— Une bourgeoise que son mari ou compagnon vous offre pour le week-end. Elle ne sera esclave que le temps de payer sa dette. Elle n'a pas souvent servi. Regardez ces fesses, visez-moi cette paire de seins : un vrai bijou que son maître a rehaussé d'or et de brillants. Une jolie croupe, une chatte peu utilisée, et deux nuits pour l'heureux enchérisseur qui remportera la mise. Il aura le droit de cuissage dès la minute où il l'aura acquise et… payée, jusqu'à lundi matin, huit heures. Son maître la récupérera en bonne forme et sans trace trop visible. Je me fais bien comprendre ?
Des bruits, des cris hystériques fusent de partout. Je surprends des bribes de conversations, des mots peu amènes pour moi. Je me dis que ce n'est pas possible, qu'il ne va pas laisser faire une chose pareille, et pourtant… l'autre avec son micro recommence à haranguer les spectateurs.
— Alors on débute les enchères à cinq mille euros les deux nuits. Allez, cinq mille pour ces quarante-huit prochaines heures. Un amateur de jolie femme ? Une presque vierge. Qui est intéressé ?
— Six mille !
— Ah, voilà six mille par-là. Qui dit mieux ? Dix mille sur ma gauche !
Je n'en reviens pas : ils sont tous à crier, et le monsieur Loyal annonce des chiffres de plus en plus élevés. La somme monte et j'en prends un coup au moral. Vendue comme une jument, comme une bête… Je n'arrive pas à croire que je suis exhibée nue devant un parterre de dingues qui se bat à coup de billets de banque pour me sauter. Les hommes sont donc tous fous ? Et moi, la salope de service, celle qui montre son cul, je ne peux rien faire pour empêcher cela. Crier, pleurer ne servirait à rien. L'envie de vomir me reprend. Les esprits s'échauffent et une femme est montée sur l'estrade à côté de moi.
— Je paie, mais je veux voir la marchandise.
Dans la foule, c'est du délire. Des types avancent des chiffres et la femme est rejetée au bas des quatre marches. Elle rejoint la foule des anonymes qui se battent pour quelques heures à me faire des misères. Je ne sais pas si je vais pouvoir supporter ce truc plus longtemps. Mes jambes tremblent et il me semble que je ne vois plus rien qu'une sorte de voile. Les derniers enchérisseurs font des offres que je n'entends déjà plus, puis je suis tirée vers la salle par un gars à la carrure impressionnante. Je ne suis pas ramenée vers mes compagnes d'infortune.
— Bon, je t'ai payée suffisamment cher pour en avoir pour mon pognon. Je veux savoir si ça me convient. Ouvre la bouche ! Montre-moi tes dents. C'est vrai que tu as du chien. Bon, allons-y. On file d'ici avant que les fauves ne veuillent leur part du butin.
— …
— C'est bon. Deux jours, c'est vite passé et tu n'as guère le choix. Tu vois où ça mène de faire la salope ?
Alors qu'il me parle, nous avançons vers un véhicule dont il ouvre le coffre. Il me lève comme un fétu de paille et me voici allongée dans l'étroit compartiment qui se referme sur ma carcasse nue. Je reste dans cet endroit un temps considérable. Quand le coffre s'ouvre une seconde fois, c'est pour y loger un autre paquet, mais de sexe masculin cette fois. L'homme qui est jeté plus que posé près de moi me semble jeune. Il ne dit rien, et comme moi me paraît terrorisé. Je suis devant lui, en chien de fusil ; pas moyen de faire autrement. Il est nu lui aussi et je sens dans mes reins son ventre qui palpite contre mon derrière. Le véhicule démarre maintenant et le gars me parle à l'oreille :
— Qu'est-ce qu'il va nous arriver ?
— Je… je n'en sais rien. Je suis comme vous, vous ne l'avez pas remarqué ? Je suis aussi liée par les mains à un collier au cou. Mais vous avez aussi… été vendu ?
— Oui, et ils m'ont sodomisé devant tout le monde… Mon Dieu, que vont-ils nous faire ?
— Vous êtes qui ? Pourquoi vous trouviez-vous là ?
— Je passais dans le bois ; je me suis arrêté pour satisfaire un besoin urgent, et ensuite plusieurs hommes me sont tombés dessus et me voici ici.
— C'est quoi, ce que je sens dans mon dos ?
— Excusez-moi, mais la position, la promiscuité, je ne peux pas… Désolé, mais je ne commande plus mon sexe.
— Vous… vous bandez dans un moment pareil ?
— Pardon… je ne comprends pas ce qu'il m'arrive. Pardon…
— Hé ! Vous n'allez pas me brancher dans ce coffre, quand même ?
— Je ne peux pas trop reculer, vous savez. Mes mains sont attachées aussi sur mes reins.
Je n'y crois pas… Le type est raide comme un piquet, et dans cette inconfortable position je sens sa bite qui me touche les fesses. Elle s'est insinuée dans ma raie culière. Il bouge un peu, trop sans doute, ce qui ne fait qu'aggraver la situation. Le sexe tendu glisse sur ma chatte, mais j'ai beau essayer d'y échapper, pas moyen. Un soubresaut de la bagnole propulse encore davantage contre moi le gars qui, finalement, ne cherche même plus à se retenir. La queue a trouvé toute seule la fente et il remue lentement les hanches par petites secousses. Il est en moi. Bizarrement, ça me donne un coup de fouet. Mon corps réagit.
Il réagit de manière favorable à cette intromission inattendue et intempestive. Je suis sautée dans un coffre gros comme un placard à balais et je me contente de subir, mes genoux touchant le fond de la malle, côté route. Lui se balance un peu plus et il me baise sans rien dire. Merde ! J'ai la rage, et pourtant mon ventre se délecte de cette venue impromptue. Bien entendu, les mouvements du gars n'ont pas l'ampleur nécessaire pour me provoquer un orgasme, mais c'est bon. J'en arrive à aimer cette autre pénétration pourtant particulièrement honteuse. Finalement, je l'absous : il est comme moi prisonnier de ces types, et il n'est pas vraiment responsable de cette érection spontanée.
Nous n'allons guère plus avant dans l'interlude plaisant de ce voyage ; la voiture s'est immobilisée et notre prison s'est ouverte. Je suis sortie par quatre bras puissants qui me jettent comme un paquet de linge sale dans une herbe haute. Mon compagnon est lui aussi extrait de l'espace exigu qui nous contenait pourtant tous les deux. Il est aussi balancé tout près de moi, et alors que je me relève, un des types s'aperçoit de l'érection de mon compagnon d'infortune.
— Non, ce n'est pas vrai… Regardez-moi ce cochon : il avait la trique ! Tu n'as quand même pas osé te taper notre joli petit lot ? Viens ici, toi.
Cette phrase menaçante m'est destinée. Et il arrive vers moi plus rapidement que je ne me déplace pour le rejoindre. Sa paluche me tripote l'entrecuisse. Il me fouille, et inévitablement il sent l'humidité due à la friction de la verge dans ma chatte.
— Mais si… ce fumier nous a grimpé notre bourgeoise. Tu ne perds rien pour attendre, sale chienne ! Et toi, tu mériterais…
Alliant le geste à la parole, il envoie une beigne au travers de la figure du pauvre type dont la caboche dodeline de droite et de gauche. À la pâle lueur des étoiles, il me semble voir briller des larmes dans les quinquets du garçon. Nous sommes maintenant entraînés vers une cabane au milieu de nulle part, jetés les deux dans une misérable chambre avec pour seul meuble un bat-flanc en rondins.
— Vous voici chez vous jusqu'au retour du Maître. C'est bien. Soyez sages. Toi le connard, si tu touches un seul poil du cul de notre poupée, tu es mort. Je me suis bien fait comprendre ?
Le jeune homme – enfin, je pense qu'il l'est encore – ne dit rien. Il se contente de secouer la tête de bas en haut. La porte se referme sur notre désarroi et notre solitude à deux. Le moteur du véhicule nous indique que nos gardes-chiourme sont repartis. Du moins l'un d'entre eux. Alors le gamin s'approche de moi.
— Tu ne veux pas essayer de me détacher ?
— Je ne sais pas si je vais y parvenir avec les mains accrochées à mon cou.
— Laisse-moi regarder… Ah oui, il y a deux mousquetons qui te retiennent les poignets. Tu peux te coucher dans mon dos ? Je vais tenter de les défaire.
— Tu crois que c'est bien prudent ?
— Tu as vu ce qu'ils m'ont fait ? Je ne vais sûrement pas attendre qu'ils reviennent pour me torturer ou me faire Dieu sait quoi.
— Bon, alors comment veux-tu que je me mette ?
— Tu t'allonges et je viens les mains contre ton cou. Après, on verra bien si j'arrive à te débarrasser de tes entraves.
Au bout de longues minutes, une de mes mains retrouve un semblant de liberté. Je m'efforce de décrocher la seconde. Me voici enfin libre de mes mouvements et j'entreprends de libérer aussi le jeune homme. Il ne me faut pas plus de cinq bonnes minutes pour y parvenir. Nous sommes libres. À tâtons, nous cherchons la porte. Ces gaillards-là étaient tellement sûrs de leur coup qu'ils n'ont pas pris la peine de fermer la lourde. Nous sommes dehors, nus comme deux vers dans la nuit sombre. Nous longeons le chemin, nous écorchant les pieds sur des pierres que nous n'apercevons pas. Au loin, des phares nous signalent l'arrivée de quelqu'un. Nous plongeons les deux dans les fourrés, mais ce n'est qu'une fausse alerte.
Ces deux lumières sont passées à quelque cent mètres de nous à vive allure. Une route plus importante sans doute est par là. Quand nous y parvenons, nous la longeons, sans trop savoir dans quelle direction partir. À chaque bruit de moteur, nous nous réfugions soit dans le sous-bois, soit dans le fossé. Et finalement l'aube fait son apparition alors que nous voyons au loin quelques toits de bâtisses. Un village ? Peut-être. C'est avec joie que nous marchons plus rapidement sur l'asphalte. À la première demeure, je cours vers la porte d'entrée. Une vieille dame est là qui me regarde comme si elle voyait un fantôme.
— Mais… mais qu'est-ce que vous faites dans cette tenue ?
— Ce serait trop long à vous expliquer. Pouvez-vous appeler la gendarmerie ou la police, s'il vous plaît ?
— Oui, oui, entrez au chaud ; j'appelle la police. Tenez, mettez cela sur votre dos. Mon Dieu, que vous est-il arrivé ?
Le garçon qui m'accompagne me regarde et me passe un plaid que vient de nous fournir notre hôtesse. J'ai soudain moins froid. Il fait de même et nous buvons un café que la dame nous a apporté. De loin, un gyrophare se fait de plus en plus présent. Les policiers arrivent, et c'est un flot de questions. Mon compagnon répond à toutes, racontant son histoire. Puis c'est à mon tour. Je dis qu'un ami m'avait donné rendez-vous dans un endroit où deux hommes m'ont kidnappée. Ils veulent savoir le nom d'Hippolyte, alors je suis forcée de leur donner. Ensuite, l'adresse de ce dernier arrive sur le tapis. Ils notent tout méticuleusement avant que nous ne soyons embarqués tous les deux dans une ambulance affrétée par les pompiers.
L'hôpital, un havre de paix, de calme et de douceur où je suis auscultée par un médecin femme qui me redemande ce qui m'est arrivé. Je suppose que pour le garçon dont je ne connais pas seulement le prénom il en est de même. Pour la énième fois, je répète mon histoire. Je n'ai bien évidemment pas de blessures apparentes, hormis quelques écorchures aux pieds. Je suis renvoyée chez moi avec une patrouille de police et je retrouve mon appartement avec un certain plaisir. Il me faudra demain aller signer ma déclaration au poste de police, mais je leur ai bien précisé que je ne désirais pas déposer de plainte contre qui que ce soit. S'ils ont été surpris, personne ne m'en a fait la remarque.
Une douche, une nuit de sommeil agité, et je prends un taxi pour aller récupérer ma voiture dans la clairière où je l'ai abandonnée. Elle n'a pas bougé et mon sac à main est toujours derrière le siège passager. Par contre, aucune trace de mes vêtements. Les policiers sont-ils déjà passés ? Ou bien serait-ce Hippolyte ou un de ses sbires qui les a récupérés ? Les clés de ma petite berline sont sagement dans mon sac. Je file vite de cet endroit sinistre. Direction le commissariat, où là je retrouve le jeune homme de la veille. Bien vêtu, dans une sorte de pantalon de toile claire, avec un chandail d'inter saison, il me paraît bien moins gamin que dans mes souvenirs.
Quand il me voit, il s'approche de moi, main tendue. Un sourire éclaire sa face joviale. Nous nous saluons poliment avant d'être séparément dirigés vers des bureaux différents. La fille qui me lit ma déposition me demande si je ne veux toujours pas déposer plainte, puis elle me fait signer la déclaration que je juge conforme à mes dires. Ensuite, je sors de là avec un soupir. Le garçon est là qui m'attend à l'extérieur.
— Je n'ai plus de voiture. Les gens qui m'ont enlevé me l'ont volée. Vous pouvez me déposer au centre-ville ?
— Oui, venez.
— Ils m'ont dit que vous ne vouliez pas porter plainte ; vous les laissez s'en tirer à bon compte.
— Ils ne m'ont pas vraiment fait de mal. Au départ, j'étais allée à un rendez-vous galant donné par un ami et… je ne veux pas lui faire d'ennuis.
— Je vous comprends, mais il est sans doute mêlé de près ou de loin à toute cette affaire puisque vous étiez au même endroit que moi et vendue aux enchères aussi. Je songe soudain que je ne me suis pas encore présenté… Laurent, technicien en informatique. Je réside au centre du village.
— C'est vrai. Je suis Claire, et j'habite dans la résidence là-haut.
Je montre du doigt une rangée de petits bâtiments de taille moyenne. Il suit des yeux ce que je désigne.
— Nous nous sommes tutoyés, hier, dans la tourmente…
— Oui. Je veux bien continuer, si ça ne te dérange pas, bien sûr. Nous pourrions aussi aller boire un verre ; tu veux bien, Claire ?
— Pourquoi pas ? Allez, monte je t'emmène.
Ce n'est pas vraiment long. Le village, c'est juste un gros bourg, mais on y trouve tout : supérette, restaurant, pharmacie, et plusieurs bars. Il me propose de nouveau de prendre un pot avec lui et j'accède à sa demande. Les rares clients sont tous des habitués, et personne ne s'occupe de nous. Laurent me raconte un peu de sa vie, son divorce, ses passions, et le temps passe vite. Une idée germe dans mon esprit :
— Tu veux partager mon dîner ? Nous pouvons aller chez moi, j'ai tout pour faire une dînette en tête-à-tête.
— Je ne sais pas… Je ne voudrais pas déranger ; et puis… après ce qui s'est passé dans la voiture…
— Nous n'étions plus nous ; et qui te dit que ça m'a déplu autant que tu veux le croire ?
— Bon, alors j'accepte avec joie, Claire.
Il est sur une chaise de ma cuisine et je prépare en chantonnant une omelette pour deux. Il s'est proposé et découpe sur une planche de la ciboulette qui se trouvait dans un verre d'eau. J'en suis presque heureuse. Nous n'arrêtons pas de rire, et ça fait un bien fou. Il me regarde à la dérobée, mais comme de mon côté j'en fais autant… nous arrivons à plonger nos yeux les uns dans les autres. Le mouvement de se lever pour pousser de la pointe de son couteau les morceaux de verdure dans mes œufs battus le fait s'appuyer contre mon dos en rigolant aux éclats. Je me retourne au lieu de m'écarter, et ce qui se mijote depuis quelques minutes ne se passe pas dans la poêle.
Il écrase ses lèvres sur les miennes, et ma bouche n'offre aucune résistance. Il m'embrasse et je me sens revivre. Ce baiser passionné m'entraîne dans un remue-ménage de mes sens hors du commun. Nous ne cherchons pas à nous désenlacer, trop heureux de ressentir cette attirance mutuelle. Je sais bien que c'est encore trop rapide, trop hâtif, mais je laisse aller la musique. Sa main est descendue sur mes reins ceints dans une jupe aux dessins de fleurs voyants. Elles me pétrissent le bas du dos sans que je ne m'en offusque vraiment. Et les baisers succèdent à d'autres baisers de plus en plus chauds. Notre dîner est aux oubliettes, passé au registre des pertes et profits.
Comment ma jupe se retrouve-t-elle sur le carrelage de la cuisine ? Pas besoin d'être devineresse pour savoir ce qu'il va se passer. J'ai, d'une patte agile, ouvert la ceinture de Laurent et me voici avec un boudin blanc dans la paume. Je fais les seuls gestes qui se font dans cette situation : j'astique lentement le manche que je tiens. Lui a découvert mes fesses, et la culotte qui les cachait file rejoindre le tas de frusques que nous avons jetées les unes sur les autres. Mon soutien-gorge fait partie du lot des abandonnés. Et lorsque ses doigts découvrent les petites barrettes jaunes qui dépassent de part et d'autre de mes tétons, il stoppe net son inspection mammaire.
— Wouah… c'est chouette, ça ! Adepte des piercings ?
— Humm, ils ne sont pas très vieux. Prends garde à ne pas me faire mal.
— Ne t'inquiète pas, je te promets d'être la douceur personnifiée, ma Claire. C'est si bon de redécouvrir ton corps dans des circonstances plus… enfin, moins spéciales.
— Je comprends. Cette chose-là, je la connais déjà sans vraiment la connaître. Elle m'a secourue dans un moment difficile ; je lui suis reconnaissante de cela.
— Et moi donc… Tu es belle… plus que cela encore.
— Chut ! Fais-moi l'amour, je crois que j'en ai envie. Attends, viens donc ici.
— Où veux-tu que j'aille ?
— Je m'étends là et tu viens en moi.
— C'est toi qui décides, ma belle.
— Oui ? Alors, viens… viens, je t'en prie !
Je me suis hissée sur le plateau de la table, là ou initialement les assiettes devraient être posées. Il m'écarte les cuisses en les caressant doucement, et mes talons sur ses épaules, il me prend lentement. Ma chatte est devenue la cible de son vit qui se presse d'abord sur toute la longueur de cette fente qui pleure. Je suis bien. Il bande bien. Nous allons devenir de vrais amants. Les sens en éveil, je le laisse faire à sa guise. Il frotte sa pine sur tout le pourtour de mes lèvres, enfonçant seulement le gland entre les deux. Il fait aller et venir de haut en bas ce bouton rose qui m'obsède. Je me laisse bercer par le velours de la bête, qui chaudement s'imprègne de ma mouille. Et alors que je ne m'y attends pas, la tête s'engouffre dans la tanière et vient buter au fond de la cavité trempée.
Alors débute ce merveilleux corps-à-corps qui nous unit dans des soupirs identiques, indissociables. Nous ne faisons plus qu'un, oubliant les soucis d'un soir de folie. J'adore cette forme de bonheur, cette pénétration tout en finesse. Elle me donne goût à y revenir et je rue désormais comme une damnée qui s'empale sur une queue bien ferme. Je me frotte contre son pubis et je sens les couilles de Laurent frapper mes fesses à chacun de ses coups de reins. La jouissance qui vient de concert chez lui comme pour moi nous rapproche mieux que des milliers de phrases. Nous finissons cette étreinte dans des baisers fougueux. Je me sens libérée d'Hippolyte et amoureuse de mon nouvel amant.
La vie est belle. Le ciel de cette nuit brille de milliers d'étoiles. Laurent me tient la main alors que les vagues de l'Atlantique nous lèchent les orteils. Mes cheveux flottent dans le vent et la vie nous sourit. Trois ans déjà que nous avons vécu les évènements qui nous ont finalement rapprochés. Les vacances de juillet sont une source de petits plaisirs. Nous sommes le long de ce littoral qui nous plaît tant. Personne sur la plage, personne à l'horizon, et nos bouches se retrouvent toujours avec le même bonheur. Il est beau et me répète sans cesse que je suis la femme de sa vie. Entre mes cuisses, sous le paréo qui lui aussi se soulève à la brise de mer, je sens se balancer deux chaînettes d'or. Elles sont toujours là, et mes seins nus sous la gaze du pauvre rempart qui cache ma nudité sont toujours ornés de deux petites barres spéciales.
Il me murmure des mots doux, des mots d'amour à l'oreille. J'adore les entendre, mais je préfère encore cette patte qui empaume la moitié de ma poitrine. Elle est vite remplacée par sa bouche de laquelle sort une langue gourmande. Il sait bien me donner toujours cette envie de lui faire plaisir… Nous roulons dans la bande de sable fin mouillé pour devenir des obstacles à la mer qui remonte.
— Je crois que nous sommes en marée montante, mon amour.
— On s'en fiche, Laurent. Prends-moi ici ; nous sommes seuls au monde, non ?
— Tu crois ? Pas de voyeurs à l'horizon ? Alors tant pis pour toi !
— Si des gens nous observent, ils en seront quittes pour se soulager à la main… à moins que ce ne soit des couples. Alors s'ils veulent se joindre à nous… qu'est-ce qu'ils attendent ?
Nous rions tous les deux en dansant, allongés dans la vague mourante. Il se vautre sur moi pendant que je crie pour la forme. Puis, alors qu'il s'apprête à me prendre, alors que je suis à genoux les jambes encerclées par l'eau qui monte, je tourne la tête vers lui.
— Embrasse-moi, idiot !
Il s'exécute ; j'adore son palot. Dès qu'il reprend son activité, je l'exhorte à être des plus tendres, à être le plus doux possible.
— Non, ma belle ; je veux de l'amour vache. Je veux t'entendre crier jusqu'au port de Saint Gilles.
— Vas-y doucement, tu veux ?
— Pourquoi devrais-je te ménager, ma dame ?
— Ben… parce que je ne suis plus aussi seule. Tu comprends ? Il ne t'a encore rien fait, lui…
Le reste se perd dans mes gémissements de femme amoureuse. Il aura fallu tellement de temps pour en arriver à un bonheur comme celui-ci ! Et le petit bonhomme qui pousse en moi – ou la petite femme– , évidemment… prenons-en soin.