(Elizabeth) Anathème

Dernière semaine de cours avant les partiels de fin d'année. J'arrive encore en retard ce matin. Je frappe, entre dans la salle et m'excuse auprès de mademoiselle Dietch, notre prof de comptabilité. Elle est cool comme prof et me laisse entrer sans problème. Bon, plus qu'à trouver une place. J'observe les rangs.

Il y a deux places de libre : soit à côté de Morgane en train de pianoter sur son téléphone, soit à côté d'Idriss qui semble de plus en plus déprimé. Le pauvre, déjà qu'il en prenait plein la gueule avant les élections, mais depuis c'est encore pire. Mon club a lancé une véritable opération de lynchage contre lui et son équipe, et tous les moutons ont suivi sans se poser de questions. Du coup, les seuls moments où quelqu'un lui adresse la parole c'est pour l'insulter ou se moquer. Sinon il est mis à l'écart, et dès qu'une personne l'approche, celle-ci est regardée d'un mauvais œil.

J'ai essayé de parler à Lorelei, de lui faire comprendre qu'il ne méritait absolument pas ce sort. J'ai cru à un moment qu'elle allait céder, mais non, elle a fini par décider de faire la sourde oreille à mes arguments. Ne voulant pas laisser l'homme que j'aime traverser seul cette épreuve, je décide de m'asseoir à ses côtés.

— Qu'est-ce que tu fais ? me murmure-t-il. Tu es folle ! Va rejoindre les tiens avant d'avoir des ennuis.
— Je n'en ai rien à faire, déclaré-je.

Quelques regards moqueurs se tournent vers nous. Plusieurs minutes plus tard, quelqu'un nous lance une boulette de papier. Tss… Quelle bande de crétins ! Ils ont tous perdu la tête. Nathan était un con, c'est vrai ; Simon n'était pas beaucoup mieux, c'est vrai, mais Idriss est bien meilleur. Il voulait vraiment changer les choses. Il aurait permis à tous de se sentir correctement intégrés dans cette école, mais les gens ont préféré fermer les yeux sur ce qu'il avait à proposer et se sont contentés de le rabaisser pour une chose qu'il n'avait absolument pas faite et qui le révolte autant que les autres. « Je me demande quels sont les crétins qui ont voté pour Iblis. » a osé me dire Élodie. J'ai cru que j'allais la gifler, alors j'ai préféré partir pour ne pas m'énerver. Suis-je une crétine alors qu'elle a soutenu Nathan durant une bonne partie de l'année, ce même Nathan qui a poignardé son frère, qu'elle surnomme aujourd'hui « Satan » ? Elle était prête à soutenir Simon aussi, et puis d'un coup elle a retourné sa veste, s'est rangée du côté des nymphes et s'est mise donc à soutenir Boris. Suis-je plus crétine qu'Élodie la girouette alors que je sais voter pour quelqu'un qui se préoccupe des autres ?

À la pause, je vois Idriss ranger ses affaires dans son sac.

— Que fais-tu ? m'inquiété-je. Tu t'en vas ?
— Oui, je ne veux pas que tu aies des problèmes à traîner avec moi ; et comme je sais que tu refuseras de me laisser seul, je n'ai plus que ce choix.
— Arrête, c'est débile ! Ne les laisse pas gagner.
— Liz, ils ont déjà gagné. Écoute, c'est gentil de t'inquiéter pour moi, mais je ne tiens pas à ce que tu m'accompagnes dans ma chute. Retourne avec tes amies et amuse-toi avec elles.
— Ce ne sont pas mes amies. Tu es la seule personne qui m'importe vraiment. Je t'aime. Reste, s'il te plaît.

Il hésite un moment, puis finalement continue de ranger ses affaires. Je lui prends la main et le fixe dans les yeux, me montrant aussi implorante que possible.

— Allez, insisté-je.
— Je… je… Non ! Je ne veux pas t'attirer d'ennuis.

Pas la peine de le supplier plus : je vois qu'il ne cédera pas.

— Alors promets-moi de venir à la maison ce soir. Nous en reparlerons.
— D'accord, si tu veux.

Il va voir la prof, s'excuse auprès d'elle, prétend ne pas se sentir bien puis quitte la salle. J'ai un pincement au cœur en le voyant disparaître. Après plusieurs secondes d'hésitation, je décide de lui courir après pour un dernier baiser d'encouragement, mais apparemment j'ai trop attendu : il a déjà disparu. Je reviens doucement vers notre salle d'un pas dépité. Je croise Morgane.

— À quoi tu joues, là ? me demande-t-elle sèchement. Pourquoi tu traînes avec lui ?

Je ne me donne pas la peine de répondre et retourne à ma place. Le cours reprend. Je n'écoute plus ; mes pensées vagabondent vers des horizons plus verts. Et puis la journée passe doucement et j'ai hâte de me retrouver dans ses bras. La fin des cours me redonne une certaine énergie. Je rentre rapidement à mon appartement.

J'attends de longues minutes qu'il arrive comme prévu, le harcèle de SMS pour voir où il en est. C'est au moment où je pense qu'il va finalement me poser un lapin que j'entends frapper. Je me précipite à la porte et ouvre. C'est lui, le regard toujours aussi sombre. Je me jette dans ses bras et l'embrasse. Sa langue ne me répond que timidement. Je lui prends la main et le fais entrer. Il est temps de reprendre notre conversation là où elle s'était arrêtée.

— Tu ne peux pas te permettre de rater autant de cours si tu veux passer en seconde année. Les sujets que nous révisons en ce moment vont être ceux abordés aux partiels. Tu ne peux pas les laisser te…
— Écoute, me coupe-t-il sans avoir prêté attention à ce que je lui disais, j'ai quelque chose à te dire. Tu ferais mieux de t'asseoir…

Holà ! Je n'aime pas du tout ce genre de phrase. J'ai du coup de grandes craintes. J'obéis tandis qu'il détourne les yeux, le visage fermé.

— Voilà, depuis plusieurs jours je fais des recherches et je m'interroge sur mon avenir. J'ai décidé d'aller en fac l'année prochaine et d'étudier les sciences sociales.
— Quoi ? fais-je, surprise. Mais tu aimais beaucoup les cours de commerce et…
— Et ils m'ont dégoûté de ce monde. Je préfère ne pas être mêlé à ces gens-là.
— Ne les laisse pas décider pour toi de ton avenir. Tu as travaillé dur pour arriver jusqu'à cette école. Tu t'es donné à fond toute l'année. Tu mérites d'avoir ton diplôme bien plus que n'importe lequel d'entre eux. Ne les laisse pas t'enlever cette chance.
— Ça suffit, tranche-t-il en haussant la voix. J'ai pris ma décision. Je quitte l'école.
— Je te demande juste de bien y réfléchir, le prié-je d'une petite voix de ne pas partir sur un coup de tête. Tu pourrais le regretter à l'avenir.
— Ce n'est pas tout… hésite-t-il à continuer.

Quoi encore ? Qu'est-ce qui pourrait être pire que de voir mon copain quitter mon école ?

— La fac que je rejoins est située à Paris. Je vais donc aussi quitter la ville.
— Quoi ? Mais… on ne se verra quasiment plus alors.
— Elizabeth, ne t'accroche pas à moi. Nous n'avons aucun avenir ensemble. Tu mérites quelqu'un de mieux.
— Arrête tes bêtises et ne dis pas n'importe quoi ! geins-je, les larmes aux yeux. Je t'aime, et c'est tout ce qui compte. Je ne veux pas te voir partir.
— C'est fini entre nous, dit-il plus sèchement. Je ne suis pas amoureux de toi.

Non… Comment peut-il dire cela après tout le temps que nous avons passé ensemble, après toutes les fois où il a honoré mon corps, toutes les fois où il m'a serrée contre lui, toutes les fois où il s'est laissé noyer dans mon parfum ? Ce n'est pas possible ! Je fonds en larmes et me jette à ses pieds.

— Non, tu ne peux pas faire ça ! Je t'aime, tu m'entends ? Tu es tout pour moi. Reste avec moi, je t'en supplie…
— Elizabeth, arrête. Tu te fais du mal pour rien.
— Tu mens, j'en suis persuadée. Tu mens pour me protéger.

Cela me paraît soudain évident. Il m'aimait vraiment. Il m'aime encore et il vient de me le prouver. Il sacrifie notre amour pour ne pas que je risque, moi aussi, de me faire rejeter de tous si je continue à le fréquenter. Je lui enserre les jambes comme pour le retenir à jamais à moi. Je le sens trembler. Soudain, une goutte me tombe sur le crâne. Je relève la tête. Quelques larmes lui coulent le long des joues. D'un seul coup il craque et éclate en sanglots. Il se jette sur mon lit, les mains sur son visage comme pour cacher sa peine.

— Je suis désolé, pleure-t-il. Je ne voulais pas. Mais… c'est ce qui doit être fait.
— Je me fous des épreuves que l'on aura à traverser, mais je ne te lâcherai pas. Tant que nous serons ensemble, nous resterons forts. Je t'aime.

Je le prends dans mes bras. Il se laisse faire. Nous nous embrassons passionnément et retrouvons notre calme. La source de nos larmes semble se tarir pour le moment. Je passe une main délicate sur la peau hâlée de sa joue pour y enlever une goutte qui y perle encore.

— Je t'aime… lâche-t-il dans un murmure.

Je le savais. Je luis souris et l'embrasse tendrement. Nos langues s'emmêlent dans un ballet sensuel.

— Promets-moi, lui demandé-je, promets-moi que tu resteras ici et que jamais nous ne nous séparerons.
— Je… je te promets.

Nouveau baiser. Je préfère nettement entendre ça. Heureuse de lui avoir fait entendre finalement raison, je commence à me déshabiller pour sceller cette promesse dans la chair. Mes vêtements sont ôtés les uns derrière les autres tandis que son regard profond me contemple amoureusement. Il n'ose pas intervenir, se contentant d'admirer le spectacle en affichant un sourire timide.

Je me frotte à lui et l'embrasse. Ses mains viriles se posent sur mon corps et me caressent. Je me sens frissonner sous la chaleur de ses paumes. Je défais ses boutons de chemise un par un en essayant de retenir ma hâte. Son vêtement vole. J'embrasse et lèche sa peau tannée de son cou jusqu'à son torse légèrement velu. Mes doigts surfent sur le relief de ses abdominaux jusqu'en haut de son pantalon. Je quitte précipitamment ses genoux pour lui ôter ses derniers vêtements. Son sexe apparaît. Je suis heureuse de voir que sa déprime ne lui a pas fait perdre son désir de moi.

Il voulait disparaître, me quitter, m'abandonner. Comment a-t-il pu penser une seconde à ça ? Il voulait m'enlever tout, me faire perdre ses joues mal rasées qui me piquent les cuisses à chaque fois qu'il me lape le sexe, m'enlever son corps musculeux que je prends plaisir à caresser encore et encore, ne plus m'autoriser à me réfugier dans ses bras puissants et m'interdire son sexe vigoureux que j'aime sentir au plus profond de mon ventre. J'espère que cette folie ne lui traversera plus jamais la tête. Il est tout pour moi et je veux être tout pour lui.

Je prends son sexe en bouche pour lui rappeler ce qu'il perdrait si jamais il partait pour de bon. Je sais qu'il a promis ; je n'ai donc plus rien à craindre mais je veux lui faire oublier ce délire le plus rapidement possible. J'avale sa hampe sur toute sa longueur. Je la lèche, la suçote, la pompe. Ma langue joue sur son gland circoncis. J'y mets toute ma volonté et tout mon talent. Idriss ne reste pas insensible à mon savoir-faire. Ses gémissements sont bien loin des pleurs désespérés de tout à l'heure.

Il est temps de passer à la suite des opérations, de souder nos corps l'un à l'autre. Je l'enjambe et m'empale sur cette queue magnifique et adorable. C'est si bon de se faire remplir par ce sexe que j'ai failli perdre… Ses mains profitent de mon corps offert pour flatter ma poitrine et mes fesses. La tête penchée en arrière, je me laisse emporter par la sensation de bien-être que me procurent ses caresses et ses coups de reins. Je me sens heureuse. Il m'a fallu du temps pour le conquérir et j'ai failli le perdre, mais il est encore là, son sexe coulissant dans le mien. Il me fait l'amour comme il l'a souvent fait ces derniers mois. Je me sens cajolée, protégée, choyée, honorée, aimée. Il est mon âme-sœur, j'en suis sûre.

Tout a l'air si loin maintenant : ces élections, ces résultats décevants, les insultes, le mépris et le rejet des autres. Ils ont voulu l'abattre, mais grâce à moi il survivra et reviendra plus fort que jamais. En attendant, nous consommons notre union dans un plaisir et un don de soi absolus. Main dans la main, nous copulons avec fougue. Nos langues se caressent mutuellement. Mes sens sont en ébullition. Je me délecte de ce membre qui me perfore le ventre.

Idriss me prévient qu'il va bientôt jouir. Je lui souris et le supplie de répandre sa semence dans mon ventre affamé. Moi aussi je me sens prête à décoller. Nous accélérons la cadence pour le grand final. Nos cris et le clapotis de notre corps-à-corps retentissent dans tout l'espace de mon petit appartement. Je sens son membre trembler et le voilà qui gicle en moi tandis que l'orgasme m'emporte. Tout mon corps se convulse de plaisir. Je crie de bonheur.

Épuisés, nous nous écroulons sur le lit l'un à côté de l'autre afin de reprendre notre souffle. Des étoiles dans les yeux, je revis les derniers instants de notre corps-à-corps. J'aimerais tant garder ce moment unique en mémoire pour toujours, qu'il ne se dégrade pas ! Une main caresse doucement mes cheveux puis ma joue. Je tourne mon visage vers le sien. Il fait encore son regard profond, presque de chien battu, celui qui me fait fondre à chaque fois.

— Tu sais ce qui me fait le plus mal dans cette histoire ? se confie-t-il. Au-delà des « assassin », « meurtrier », « terroriste » et autre insultes racistes qu'on me balance à la gueule ? C'est ces quatre-vingt-dix pour cent ! C'est tous ces hypocrites qui ont prétendu me soutenir et qui ont assuré qu'ils voteraient pour moi pour au final me planter un coup de couteau dans le dos.
— Moi, j'ai voté pour toi ! je l'en assure.
— Oui, je sais, mon amour ; mais toi, tu es naïve… plaisante-t-il malgré tout.

Il m'embrasse une dernière fois et me serre dans ses bras. Après l'amour, lorsque les endorphines redescendent peu à peu et qu'il me tient près de lui, c'est le moment de la journée où je me sens le mieux. Apaisée, je m'endors doucement tout contre lui.


La sonnerie de mon téléphone me réveille d'un bond le lendemain matin, me coupant en plein milieu d'un rêve merveilleux où je me mariais avec Idriss. Ma main cherche l'appareil dans le noir. Je le trouve et arrête l'alarme.

— Allez, c'est l'heure d'aller en cours, mon amour, fais-je pour l'encourager à bouger.

Mais pas de réponse. Je tâte le lit et ne trouve aucune présence. Inquiète, j'allume la lumière. Un bout de papier remplace sa tête sur son oreiller. Mon cœur se serre. Je m'empare du papier d'une main tremblante. Je reconnais aisément son écriture pataude.

Désolé. Tu ne mérites pas de souffrir par ma faute. Retrouve tes amies, tombe amoureuse de quelqu'un d'autre, applique-toi dans des études et sois heureuse. Adieu. Je ne t'oublierai jamais, mon petit cygne adoré. Idriss.

Non ! Ce n'est pas possible ! Il avait promis qu'il resterait et le voilà à encore changer d'avis ? Mon portable en main, je cherche son numéro pour lui faire retrouver la raison. Rien ! Tout a été effacé. Je fonds en larmes ; cette fois, je l'ai perdu pour toujours.


Elles sont là, à profiter du soleil pour discuter ensemble assises dans l'herbe. Il y a marraine, Anzhelina, Lorelei, Ondine et Morgane. Je m'avance vers elles d'un pas décidé.

— Tiens, Liz ! m'apostrophe Louise avec un grand sourire. Viens donc te joindre à nous. Nous parlions du BDE et…
— Je ne me joindrai pas à vous, la coupé-je sèchement. Je veux dire, je ne me joindrai plus à vous. Je ne veux plus rien avoir à faire avec vous. Je quitte le club des nymphes.
— Quoi ? s'étonne Lorelei. Mais pourquoi ?

Je ne me donne pas la peine de répondre et tourne les talons avant de perdre le contrôle de rage. J'entends Louise se lever et courir après moi. Une main tente de me retenir. Je me retire violemment de son emprise.

— Attends, fillote, tente Louise. Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Ne m'appelle plus jamais « fillote », craché-je.
— Liz, parle-moi, insiste-t-elle.
— Ne m'appelle pas non plus « Liz ». Et ne fais pas semblant de t'intéresser à moi, c'est bien trop tard !
— Liz… supplie-t-elle. Dis-moi ce qui se passe.
— Il est parti, fonds-je en larmes. Voilà, vous êtes contentes, j'espère ! Vous lui avez fait quitter l'école pour de bon. Idriss est parti et m'a laissée seule. Tout est de votre faute.
— Il t'a laissée ? Tu veux dire que vous sortiez ensemble ? Je l'ignorais.
— Bien sûr que tu l'ignorais ! hurlé-je. Tu étais bien trop préoccupée par ton fichu club pour t'intéresser à ce que je faisais. Combien de fois as-tu promis qu'on passerait un moment ensemble pour finalement annuler au dernier moment ? Non, tout était plus important que de t'intéresser à ta filleule, alors bien sûr que tu l'ignorais. Tu n'en avais rien à faire de moi. Maintenant, c'est trop tard. Laisse-moi tranquille !

Elle balbutie quelques mots, tente de se justifier, mais tout ce qu'elle pourrait me dire ne pourra pas atténuer ma peine. Elle sait bien que j'ai raison. Idriss m'avait surnommé son « petit cygne » car je n'arrêtais pas d'écouter Le lac des cygnes de Tchaïkovski à la maison. Aujourd'hui le cygne prend son envol et se détache des maudites griffes de Louise Leonne.