La Princesse de Vendôme
H.P. Brodsky2017D'Artagnan part en mission
Quelques rayons de soleil réussirent à passer à travers les persiennes de la chambre, et l'un d'eux caressa doucement les yeux d'Aramis afin de le réveiller. Il se retourna fébrilement vers celle qu'il aimait et se détendit immédiatement. Elle était toujours là, il n'avait donc pas rêvé la nuit dernière… Combien de fois depuis toutes ces années s'était-il réveillé fébrile au milieu d'un cauchemar ? Elle était près de lui, il pouvait la voir, la respirer, l'embrasser, il s'approchait d'elle alors pour la prendre dans ses bras, et son image s'évanouissait tandis qu'elle murmurait en pleurant : « Hélas, mon bel amant, mon bel amour impossible, je ne peux plus être à toi… » Et il se réveillait alors, transpirant d'angoisse, et hurlant dans la nuit comme un loup blessé dans la cellule de son monastère jésuite.
— Le Diable te possède, René, lui avait dit l'abbé Coffin, son confesseur.
— Non pas le Diable, mon père… une femme.
— Est-elle belle ?
— Vous le savez bien.
— Est-elle amoureuse de toi ?
— Je n'en doute pas.
— Crois-tu en elle, plus qu'aux sacrements de notre sainte Église ?
— Oui mon père… Et je ne veux pas renoncer à elle.
— Tu es un imbécile, René.
— Je suis amoureux.
— Mais vas-tu te taire à la fin ; cesse d'être arrogant, par le Christ !
— Je sais bien, mon père, que vous me méprisez pour cela. Et je sais bien que jamais je ne sortirai de ce noviciat interminable… mais peu m'importe. Ma vie sans elle n'a pas de sens, elle n'aura donc pas de but.
— Tu dis n'importe quoi, mon fils. Certes, tu ne seras jamais un véritable homme de Dieu, ni sans doute un grand théologien, mais tu feras, si tu m'écoutes, un Jésuite très acceptable.
— Un Jésuite n'a pas le droit d'être amoureux.
— Hum… « En ces choses, il ne faut jamais vouloir établir une règle si rigide qu'il n'y ait de place pour des exceptions » a dit notre fondateur.
— Ce qui signifie ?
— Simule et dissimule… Tu es un homme, tu es donc pécheur et tu le resteras. Mais cesse donc de te répandre ainsi devant tout le monde. Seul Dieu a le droit de juger de la noblesse de tes sentiments. Si tu consacres ta vie au service du bien, crois-tu qu'il te reprochera ta passion somme toute bien humaine ?
Sous la férule du père Coffin, Aramis avait donc repris espoir. Il avait étudié comme on lui demandait, sans passion certes, mais avec suffisamment de sérieux pour pouvoir s'élever dans l'ordre des Jésuites. Il avait appris la patience, le double jeu, le langage codé, l'obstination, et durant tout ce temps, il avait préparé la fuite de Caroline.
Cela n'avait pas été simple. Il lui avait fallu déployer des trésors d'ingéniosité et apprendre à dompter ses émotions. Jusqu'au jour où Athos était venu lui rendre visite…
Athos avait changé. Il ne buvait plus, ou presque. Lui, s'en été vraiment remis à Dieu. Il avait cru qu'en tuant Milady, il tuerait dans le même temps le mal qui lui rongeait le cœur. Mais la plaie, en réalité, ne s'était jamais totalement refermée. Il avait besoin de faire retraite, et le hasard (mais dans ces circonstances, le hasard n'était-il pas la part de Dieu lui-même ?) l'avait ramené vers son ancien compagnon. Ainsi avaient-ils passé ensemble de longues heures à évoquer leur passé, leur amitié et leurs exploits. De longue heures également à évoquer d'Artagnan, le meilleur d'eux quatre, et Porthos, dont seule la taille de géant égalait la générosité.
Aramis finit par confier à son ami sa volonté de se battre pour retrouver sa bien-aimée. Athos n'approuva pas. Il avait pour sa part renoncé totalement à l'amour. Mais la détresse de son compagnon lui rappela la sienne, bien des années auparavant. Et Athos avait un cœur aussi noble que généreux. Il promit alors d'aider Aramis dans son entreprise. Et ainsi, nuit après nuit, un plan audacieux vit le jour. Ce plan que nous avons conté dans le chapitre précédent.
Aramis se retourna vers Caroline et la regarda dormir un long moment… « Qu'elle est belle, mon Dieu ! » Il s'approcha d'elle et déposa un chaste baiser sur son front. Elle ouvrit les yeux… elle sourit.
— René, tu es bien là… Ne me dis pas que c'est encore un de ces abominables rêves…
— Non, mon amour, tu ne rêves pas.
— Je n'arrive pas à y croire vraiment, tu sais…
— Laisse-moi te réveiller doucement, mon amour.
Il embrassa son cou langoureusement, puis se mit à lécher délicatement sa poitrine. Il s'attarda longuement sur la pointe de ses seins tout en la caressant entre les cuisses.
— Je t'en prie, mon amour, fais-moi encore ce que tu sais si bien faire. J'en ai tellement envie.
— Oui, ma chérie. Tout ce que tu voudras. Je suis à toi, tu te rappelles… pour toujours et à jamais.
Il posa alors sa bouche contre son intimité et commença à la laper doucement. Elle était trempée, et elle sentait bon. Il introduisit sa langue à l'intérieur, de plus en plus profondément, de bas en haut, puis de haut en bas tout en caressant ses jambes si douces.
— Oh, René… Tu es diabolique…
— Certainement pas, mon amour, j'aime ta chatte, c'est tout.
— Alors lèche-moi comme tu ne l'as jamais fait.
— Ma ch…
— Tais-toi s'il te plaît, ne dis plus rien. J'ai attendu depuis trop longtemps. Je veux ta langue à l'intérieur de mon corps… Plus vite, oui… comme ça…
Elle lui avait pris les cheveux et collait contre elle cette bouche avide de son sexe. Et Aramis, prêt à étouffer, n'en pouvait plus d'excitation.
— Pénètre-moi maintenant, mon amour. Je veux ton épée dans mon ventre, je veux ta bouche dans mon cou, je veux tes yeux dans les miens. Je veux que tu viennes en moi, que tu jouisses en moi…
Aramis s'introduisit alors dans le saint des saints. Il ne tarda pas à se sentir prisonnier à l'intérieur de sa belle princesse. Et il aimait ça… Il la regarda dans les yeux. Un voile semblait posé dessus. Dans ces moments-là, Caroline était si différente, si totalement transformée… Elle devenait l'incarnation d'une déesse païenne de l'amour, et c'était elle alors, qui bien que sous lui, contrôlait leurs ébats. Et il aimait ça… passionnément. Ils jouirent à nouveau ensemble, et leur cri de bonheur fut entendu au-delà des murs de leur refuge.
Porthos laissa tomber sa tartine de rillettes dans son café et se leva d'un bond, prêt à monter jusqu'à la chambre des amoureux. Athos éclata de rire…
— Allons, Porthos… reste tranquille. Ces cris sont signe que tout va bien.
— Voyons, Athos, personne ne crie comme ça, à moins de connaître les pires souffrances, répondit le géant interloqué.
— Tu crois ?
— Je n'ai jamais poussé ce genre de cri, moi !
— Toi ? Mais tu rugis comme un tigre dans ces moments-là, tu fais trembler les murs de la maison.
— Oh…
— Laissons-les profiter un peu de leurs retrouvailles. Nous n'allons pas pouvoir rester longtemps ici.
— Je croyais que personne ne connaissait cette demeure à Saint-Germain.
— Personne, sauf d'Artagnan…
— D'Artagnan est notre ami, Athos. Jamais il ne nous trahira.
— Cela fait presque vingt ans…
— Mais il nous a aidés à fuir, hier soir.
— Hier soir, il n'avait pas reçu d'ordre du Mazarin. Mais d'Artagnan est aux ordres de l'État, et j'ignore comment il réagira lorsqu'on lui donnera l'ordre de retrouver la princesse.
— Tu es sans cœur Athos ! Tu n'as aucune confiance dans tes amis. Moi, je sais que l'on peut faire confiance à d'Artagnan.
— Mon brave Porthos… Tu es sans doute le seul d'entre nous qui mérites d'aller au Paradis.
— Eh oui… déclara Aramis en descendant l'escalier de la chambre, heureux les simples en esprit.
— Que veux-tu dire par là, rugit Porthos ?
— Je veux dire que tu penses simplement, que tu ne passes pas ton temps à tergiverser ou à t'inquiéter pour des broutilles, et que cela te rend heureux. Si Athos et moi avions ce don de Dieu, sans doute serions-nous moins inquiets.
— Voilà pourquoi vous devriez m'écouter plus souvent.
— Mais la sagesse de Dieu est folie aux yeux des hommes, mon ami. Et si tu parles parfois comme un prophète, Athos et moi, hélas, n'avons pas cette capacité.
— Quoiqu'il en soit, si vous jugez qu'il est impossible de rester ici, je vous invite tous les trois dans mon domaine de Pierrefont.
— D'Artagnan le connaît également…
— Oui, sans doute, Athos… Mais mon domaine est gigantesque. C'est le plus grand domaine de toute la région.
— Et d'Artagnan est le plus malin de nous quatre.
— Eh bien, nous pouvons rester dans mon château dans ce cas, c'est le château le plus fortifié de tout le nord de la France.
— Et d'Artagnan est le meilleur lieutenant des armées du Roi.
— Aaaaah, mais cessez donc de m'agacer avec d'Artagnan !
— Allons, Porthos, d'Artagnan est le meilleur ami que nous n'ayons jamais eu, répondit Athos dans un fou-rire.
Rochefort, tout habillé de noir comme à son habitude, se tenait devant Mazarin qui le scrutait du regard de derrière son bureau.
— Je ne sais pas quoi faire de vous, Monsieur le comte.
— Alors oubliez-moi, Cardinal.
— Vous oublier… j'y songe fortement.
— Mais si cette fois Son Éminence avait la bonté que ce ne soit pas dans un cachot…
— Je m'interroge… Toutes ces années de détention ne vous ont pas assagi, semble-t-il.
— Ventre-saint-gris, Votre Éminence… presque cinq ans de bonne vie à rattraper. Ne me demandez pas d'être sage immédiatement.
— Vous êtes toujours aussi vif, votre forme physique ne semble pas altérée…
— Mes cheveux et ma barbe ont blanchi.
— Faites comme moi : employez l'artifice des teintures italiennes… Mon cher comte, je vous laisserais bien libre comme me le demande le duc de Beaufort, mais je doute alors qu'il ne continue à négocier avec moi si je lui donne satisfaction.
— Puis-je me permettre de faire remarquer à Votre Éminence que si elle m'enferme à nouveau à Vincennes, les négociations risquent alors de s'interrompre…
— Je sais, Rochefort, je sais. Je pèse le pour et le contre…
Un garde entra et annonça à Mazarin l'arrivée du lieutenant d'Artagnan.
— Faites entrer, susurra Mazarin. Et vous, Rochefort, restez avec nous. Mais dans l'ombre, s'il vous plaît. Derrière ce paravent.
D'Artagnan entra, la mine austère et le visage fermé. Il avait passé la nuit entière à faire semblant de rechercher la princesse de Vendôme et son ancien compagnon. Il avait en outre dû subir les reproches et les insultes perpétuelles du prince… Les recherches avaient cessé au petit matin, et d'Artagnan avait dû reprendre son service sans dormir une seule petite heure.
— Ah, lieutenant… Dois-je vous dire combien je suis déçu.
— Et moi donc, Votre Éminence !
— Ne vous moquez pas de moi… Le chevalier d'Herblay est un de vos amis, et nous savons que c'est lui qui a agi cette nuit.
— Comment être certain ?
— Allons, un bal masqué, un déguisement, un enlèvement rocambolesque… cela sent l'intrigue d'un jeune fou à plein nez.
— Justement, Votre Éminence, le chevalier d'Herblay n'est plus un jeune homme.
— Et c'est bien là la dernière chance qui vous reste de me prouver votre fidélité, lieutenant. Prenez une compagnie de nos mousquetaires gris, et lancez-vous à ses trousses. Je veux ce chevalier mort dans moins d'une semaine, et la princesse « délivrée » ; j'insiste bien sur ce mot, lieutenant.
— Vous croyez sincèrement que la princesse a besoin qu'on la délivre ?
— Peu importe le mot employé, lieutenant… les affaires de cœur de ces deux fous ne pèsent rien face à la raison d'État. Allez, vous avez une semaine.
D'Artagnan sortit d'un pas prompt, contenant la colère qui l'envahissait. Mazarin sourit et se tourna vers le paravent derrière lequel attendait Rochefort.
— Monsieur le comte de Rochefort, je crois que j'envisage une solution capable de nous contenter tous les deux.
— Je suis à vos ordres, Cardinal.
— Je n'ai pas vraiment confiance en ce d'Artagnan… Il a certes rendu de grands services par le passé, mais son sens politique est étouffé par son sens de l'honneur. Ce qui est loin d'être votre cas…
— Effectivement, Votre Éminence.
— Suivez-le. Informez-moi de ses moindres faits et gestes. Et s'il retrouve les deux amants, ramenez-moi la princesse, par n'importe quel moyen.
— Êtes-vous certain que le jeu en vaut la chandelle, Votre Éminence ?
— Vous n'êtes pas là pour réfléchir au bien de l'État, Rochefort. Mais vous souhaitez ne plus retourner à Vincennes, n'est-ce pas ?
— Je suis à vos ordres…
— Eh bien remplissez votre devoir, mon ami. Et je saurai sans doute m'en souvenir durant les négociations qui auront lieu avec votre Maître…