Chapitre 2

Il s'était perdu dans des invraisemblances monumentales, revenant sur des détails impossibles à avaler. Claude, la figure blanchie, ne parlait pas, se contentant de suivre ses lamentables observations. Elle ne savait pas vraiment ce qui s'était passé, mais elle imaginait aisément que ces traces-là… n'avaient rien de normal. Aucune écorchure qu'aurait pu laisser une chute ou un passage dans les ronces comme ça lui arrivait à elle dans les bois. Non ! Mais elle refusait cette évidence que seules des mains pouvaient avoir dessiné ces hiéroglyphes. De plus, sa poitrine séchée, les marques avaient tout bonnement disparu. L'eau tiède les avait fait apparaître et la malchance s'était occupée de les lui montrer.

Elle ne posa aucune question. Il mentirait, de toute façon. Le plus incroyable de cette histoire restait qu'elle se sentait plus coupable que Michel. Ne l'avait-elle pas poussé à aller voir ailleurs ? Oui ? Mais alors, pourquoi lui jurer un si grand amour si c'était pour la tromper à la plus petite contrariété ? Et plus elle y songeait, plus elle enrageait… à son encontre. Voilà bien où sa sottise l'avait menée.

Elle ne voulait plus qu'il l'approche, et il respectait cela. De son côté, au bureau, la vie avait repris une sorte de cours guère plus brillant qu'à son domicile. Le patron avait fait le point avec Maryse, mais si elle faisait mine d'avoir compris la situation, elle persistait à lui lancer des œillades appuyées dès qu'ils se trouvaient en tête-à-tête. Ses toilettes avaient changé, comme si le fait de se vêtir différemment pouvait avoir une incidence sur la suite des évènements. D'un côté ou de l'autre, l'homme se sentait bougrement, doublement piégé.

Il avait lui aussi vu un psychologue, démarche normale dans le cadre d'une demande d'adoption. Il jugeait ne s'en être pas trop mal tiré. Mais avec ces guignols-là, tout était possible, même le pire. Alors depuis trois mois il naviguait entre deux eaux. À la maison, les rapports restaient tendus, et du coup il avait dû user de ses mains pour calmer la faim qui l'habitait. Le corps interdit de Claude qui passait et repassait sans arrêt derrière son crâne le rendait fou.

Aussi, il avait refusé également toutes les avances plus ou moins précises de sa secrétaire. Malgré son envie de sexe, il se garderait bien de refaire un faux-pas. Personne n'était heureux en définitive, et le statu quo avait bien du mal à s'instaurer. La fin de cette année minable allait bientôt arriver, mais pas de sapin dans la maison pour ce Noël approchant.

Comment donc ne pas ressentir un petit coup au cœur ce vendredi soir en rentrant chez lui ? Son épouse était sur le pas de la porte en tailleur bleu nuit et elle avait un air surexcité. Bon Dieu… quelle tuile allait encore lui tomber sur la tête ?

— Michel ! Michel ! Viens ici !
— Oui, du calme… Qu'est-ce que j'ai encore à me reprocher ?
— Mais… Oh, tu ne peux pas savoir… Quel bonheur !
— Quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu as gagné à l'Euro Millions ?
— Non ! Non ! Tiens !

Elle dansait toute seule dans sa cuisine. L'enveloppe jetée nonchalamment sur la table fut poussée vers Michel. Si c'était ce que cette lettre contenait qui la mettait de bonne humeur, il en remerciait par avance l'expéditeur. Ses doigts tremblotaient en extirpant le contenu de cette sauveuse. Et lui aussi dut s'asseoir pour finir la lecture de la missive. Ce qu'il lut s'imprima lentement en lui et il en eut également une bouffée de chaleur.

— Tu imagines, Michel ? J'en rêve encore.
— Je… je ne sais pas quoi te dire.
— Alors, ne dis rien ; viens seulement m'embrasser. Ta punition a assez duré. Viens me redire que tu m'aimes toujours !
— Ma punition ? Pour quel mal m'as-tu puni ?
— Il y a eu une autre femme, ne me raconte pas de salades. Je ne veux plus savoir, seulement savourer le plaisir de ce qui nous attend.

Devant tant de candeur, il hocha la tête. Elle vint lui sauter au cou, comme si d'un coup de baguette magique tout ce qui les éloignait avait disparu. Il n'en croyait pas ses yeux et ses oreilles. Elle chantonnait en se collant à lui, ce qui réveilla bien des envies dans son grand corps las d'attendre. Puis le murmure qu'elle lui lança le renvoya à une nuit déjà lointaine.

— Tu me diras un jour ?
— Te dire quoi, ma belle ?
— Mais qui était cette femme qui t'avait si joliment griffé. Sois sans inquiétude, je crois que c'était de ma faute ; et puis… c'est déjà du passé.
— Mais il n'y a pas grand-chose à en dire.
— Elle était belle, au moins ? Je la connais ?
— Arrête, Claude, nous sommes à l'aube d'une nouvelle vie. Pourquoi te torturer avec des idées qui ne sont que dans ton imagination ?
— Tstt ! Tstt ! Je veux bien oublier, mais pas que tu me prennes pour une cruche.
— Alors ne ramène pas toujours sur le tapis ce sujet qui fâche.
— Oui ; ce soir, tu as raison. Ouvrons une bouteille de champagne : tu l'as méritée.
— Et je n'ai pas droit à… un peu plus que du vin ?
— On verra, on verra… si tu es sage et si tu avoues.
— C'est le monde à l'envers : les avocats ne sont pas là pour avouer, mais pour défendre les opprimés et les victimes.
— C'est moi la victime dans cette affaire, mon cher Maître !

Le « pop » de l'ouverture du vin doré mit un terme à ce dialogue de sourds. Sur la feuille, l'agrément – première étape à ces candidats à l'adoption – leur ouvrait une porte nouvelle. Lui n'était pas dupe. Il restait encore du chemin à faire pour qu'un enfant vienne enrichir de ses cris le chalet de leurs amours ; mais pour l'heure, le courrier ramenait sa compagne vers lui, et l'essentiel était préservé. Restait pour Michel à discuter de tout cela avec Maryse, et là encore… ce ne serait pas une mince affaire.


Après ses ablutions, il s'était élégamment vêtu, laissant son costume de conseil dans la penderie. Une tenue plus « sport », et comme Claude était aussi en vêtements de sortie, une dînette en amoureux s'imposait. Elle n'eut aucune hésitation lorsqu'il proposa un grand restaurant de la région. L'euphorie n'était pas retombée chez elle, et sur la route, son babillage incessant le fit sourire. La soirée s'annonçait sous les meilleurs auspices. Et depuis la dernière… il y avait si longtemps qu'il se serrait la ceinture !

Le dîner Chez Gustave les faisait renouer avec les jours heureux. La table qui leur était toujours réservée avait l'avantage d'être à l'abri des regards ; un petit recoin précieux pour tant de couples d'amoureux qui fréquentaient ce restaurant réputé. Elle lui tripotait les doigts, pareille à une collégienne lors de son premier flirt. Il ne retira pas sa patte. Et après une entrée appréciée, ils en étaient au plat de résistance quand il sentit qu'elle avait quitté un de ses hauts talons. Son pied nu se frottait langoureusement à sa cheville. Il lui sourit, et fort de ce consentement non-dit, elle insista, montant ce ripaton gainé de nylon sur son genou.

C'était toujours aussi génial ! Elle avait les bons gestes au bon moment. Deux regards s'enlisaient, se liaient, se reflétaient dans mille éclats presque fiévreux. Cette fois, le sexe de l'homme avait repris un volume conséquent, et la jambe tendue vers cette excroissance n'allait pas arranger la déformation de la braguette… Elle pressait davantage sur la bosse qu'elle pressentait, et son sourire montrait ses dents par des lèvres entrouvertes.

— Ben, mon cochon… la diète forcée te donne de la vigueur ; si ton ramage est digne de ce que je crois… alors la fin de nuit sera plus que chaude.
— Chut… laisse-moi apprécier le retour de l'enfant prodigue.
— Tu ne veux toujours pas céder ?
— Pardon ? Céder à quoi ?
— Tu vas me faire languir longtemps encore avant que je sache qui était cette… pute que tu t'es tapée ?
— Mais tu es incorrigible ! Alors essaie d'imaginer qu'elle m'a coûté deux cents euros pour du vent.
— Du vent, du vent… Mon œil, oui ! Elle faisait mieux l'amour que moi ? Et puis sa bouche… c'était meilleur ? Deux cents balles pour une partie de cul ! J'aurais dû faire ce boulot, moi, c'est rentable.
— Tu veux cesser un peu tes âneries ?
— Mais oui ; j'en sais assez. Je préfère cela encore à ce que tu m'avoues que tu as baisé une de mes amies ou je ne sais pas qui… ta secrétaire par exemple.
— Ma quoi ?
— Maryse. Après tout, tu passes presque plus de temps au bureau qu'en ma compagnie. Souvent, les secrétaires en savent plus sur les maris que les épouses elles-mêmes.

La désagréable impression que le sang venait de se retirer de son visage fit tourner la tête à Michel. Merde ! Comment pouvait-elle être aussi intuitive ? Ce n'était qu'une boutade, mais elle frôlait, flirtait avec la vérité. Pas que cela en fait, puisque son pied persistait à faire pression sur le nœud qui se trouvait compressé, à l'étroit dans son enveloppe de tissu. Et la risette de Claude n'avait pas quitté ses lèvres.

— J'adore quand je te fais cet effet ; nous allons devoir rattraper le temps perdu. Tu vas devoir assumer, mon bon Michel : j'ai envie de plein de folies, ce soir. Remarque bien, tu me sembles avoir des prédispositions précieuses, là !
— Je peux achever mon assiette en paix ?
— Oh oui, finis vite ! Ensuite, le dessert sera bien plus… savoureux. Tu vois ce que je veux dire ?

Il y avait bien longtemps qu'elle n'avait pas fait preuve d'une telle audace ; alors comme ça, pour jouer, il déboutonna la ceinture de son pantalon et ouvrit sa braguette. Entre deux doigts, il fit glisser son slip de quelques centimètres. Très peu, mais suffisamment pour que ses orteils atteignent la bête raide, nue, qu'il venait de laisser sortir.

— Dépêchons-nous ; je crois qu'il y a une urgence, Michel. Tu réclames l'addition pendant que je vais me refaire une beauté ?
— Attends. Laisse donc traîner encore un peu ce peton qui me donne des frémissements…
— Ben, tiens donc… Monsieur y prend goût ?
— Oh, que oui ! Tu es bien la meilleure, ma douce.
— C'est vrai ? Ah oui, j'oubliais… Tu as des points de référence, désormais.

Elle se releva en riant de sa bonne blague ; comme un idiot, Michel remisa sa camelote alors que la jeune serveuse s'approchait, le sabot de la Carte Bleue à la main. La fine silhouette, un instant suivie par les yeux en amande de la jeunette, venait de se couler dans un angle, la rendant invisible à tous. Le panneau discret indiquant les toilettes devait se trouver dans ce coin-là.

— Ça vous a plu, Monsieur ?
— Pardon ? Ah oui, un grand merci au chef ; nous reviendrons !

La jeune fille lui tendit le reçu, et sa petite menotte escamota prestement en retour un billet glissé par Michel.

— Merci… merci beaucoup, et au plaisir de vous revoir, votre dame et vous. Merci !

Des yeux comme ceux-là feraient un jour couler beaucoup de larmes aussi. Michel se surprit d'avoir de telles idées. La gamine louvoyait déjà vers d'autres tables. La femme qui revenait des toilettes avait un charme fou, et son mari en fut fier. Quelle belle épouse avançait vers lui ! Un port de tête royal et ses hanches qui chaloupaient, tanguaient… un régal pour tous les quinquets mâles du restaurant.

Les deux adultes qui sortaient bras dessus bras dessous du restaurant avaient un petit air heureux. Ils reprirent la route en lacets qui d'abord grimpait vers un petit col perdu, puis la voiture fila vers la tache sombre entourée de lumière, bien plus bas au fond d'une autre vallée.

— Ne roule pas trop vite, Michel ; profitons encore un instant de ce bonheur tout bête d'être un peu seuls au monde.
— Tu veux que nous nous arrêtions quelque part ?
— Tu aimerais ? Tu te souviens du lieu de nos tous débuts ? Nos premiers rendez-vous… Un retour des années en arrière, ça te tenterait ?
— Pourquoi pas ? Alors on y va ?
— C'est toi qui décides…
— Oui, mais l'arrière d'une voiture, ce n'est guère confortable, et surtout plus tellement de notre âge !
— Nous sommes déjà si vieux ? Mon Dieu, comme le temps nous file entre les doigts… il me semble que c'était hier, pourtant.

Il venait de bifurquer sur un petit chemin non goudronné, tout juste praticable avec sa grosse berline ; ils étaient secoués sans cesse.

— Laissons la voiture par ici ; je crois me souvenir qu'il y a le chalet des chasseurs par là, je me trompe ?
— Tu as une sacrée mémoire, ma belle ! C'est un peu plus haut, mais le sentier est minuscule ; et de nuit, pour ne pas le rater, il faut un coup de pot phénoménal.
— Tu crois ? Attends, je vais longer le bord du sentier. Donne-moi la main, s'il te plaît.
— Fais attention à ne pas tomber : il doit bien y avoir quinze ou vingt mètres de dénivelé, et pas de barrière de sécurité.
— Tiens, regarde ; je crois que c'est celui-ci, le chemin qui mène au chalet.

Elle battait des mains, et le bruit perturba le silence de la montagne. Ce soir, elle se sentait heureuse et elle ne se souciait plus de déranger qui ou quoi que ce fût. Elle disparut au détour de la sente qui conduisait au plus sombre des bois. Michel la suivait au son de ses pas sur les brindilles qu'elle écrasait sur son passage. Il se fit une réflexion à voix haute, et son timbre porta d'une manière brutale :

— Ça ne doit pas être facile de grimper sur ce chemin avec des talons aiguille…

Comme un coup de fusil, le retour claqua dans l'obscurité :

— Je t'ai entendu, tu sais. Tu as raison, mais je les tiens à la main. Allons, rejoins-moi ; j'aperçois le toit pointu qui se découpe dans le ciel.
— Ah ? C'est bien. Mais gare aux loups, Claude : peut-être est-ce le domaine de la bête des Vosges…
— Idiot ! Fou ! Tu veux me faire peur ?

La réponse venait de fuser en un immense éclat de rire qui trouva un écho favorable dans cette montagne vide. La clairière les vit se réunir une fois encore. Les yeux habitués à la pénombre virent les contours flous d'une table de pique-nique et des bancs qui s'y rattachaient. Elle y colla son derrière de suite alors que Michel inspectait les alentours. Tout respirait la solitude ; rien ne devrait venir les interrompre dans un jeu qu'il comptait bien débuter séance tenante. Si évidemment elle y adhérait pleinement…


Les bruissements n'étaient pas dus au vent. La femme, dans cette nature obscure, enlaçait son mari. Un baiser les unit, un baiser de renouveau. Il aimait cette chaleur douce alors qu'un courant d'air plutôt frais courait sur le flanc de cette montagne qu'ils aimaient. Les vieux souvenirs les hantaient, chacun revoyant à sa manière ces heures idylliques passées ici, dans un décor pourtant totalement changé. Michel revivait le lent déshabillage de cette folle nuit. De leurs vingt ans, que restait-il ? Cette femme aux seins plus lourds, ce ventre qui lui donnait encore et toujours un plaisir analogue ?

Elle aussi avait des pensées qui se bousculaient sous cette chevelure que la brise ramenait sur son visage pour en camoufler une partie. Ses premiers émois avaient eu lieu en pleine lumière, le jour des feux de la Saint-Jean. Elle se souvenait avoir vu sur la grande place brûler la chavande. Ce soir, point de feu de bois pour danser. Non, ils étaient seuls, serrés – pour ne pas dire ressoudés – l'un contre l'autre, et l'unique source de chaleur dont elle avait besoin se trouvait être ce grand gamin qui avait sans doute donné un coup de canif dans un contrat vieux de tous leurs souvenirs. Mais la joie de ce fichu agrément avait permis qu'elle passe outre à ces vaines jalousies.

Et puis chez elle comme chez beaucoup de monde, une péripatéticienne n'était pas une vraie femme. C'était une circonstance atténuante, comme Michel aurait dit dans son jargon professionnel. Mue par un je-ne-sais-quoi de joyeux, finalement l'étape décisive était enfin dépassée. Elle l'embrassa avec une fougue longuement contenue puis, sur cette table soumise aux courants d'air, sans même qu'il la découvrît elle se laissa prendre avec des cris de chatte. L'assaut fut aussi violent que bref, mais il rapprochait deux êtres qui avaient failli se perdre. Et l'échange l'avait laissée pantelante.

Mais cette bastille si gentiment prise gardait la force et l'attrait des heures de gloire. Alors il se laissa à nouveau tenter, ne lui concédant en caresses que le temps de remettre en forme sa quille moins fringante. Et bien sûr, pour lui aussi ça prenait un peu plus de temps qu'à leurs débuts. Claude avait encore quelques spasmes, vautrée sur cette table qui – outre les mangeurs de passage – aurait bien des anecdotes à raconter si elle avait eu la parole. La jupe troussée sur son ventre, elle respirait fortement. Alors, dans cette position, qu'il vînt la lécher tombait sous le sens.

La « revenoteRetour, ou seconde fois en patois vosgien.  » se fit plus câline, plus gentiment peut-être. De la langue et des doigts, pour la garder excitée, mais également pour que sa queue reprenne une droiture et une raideur suffisantes, il joua de ce piano si chaud. Quand dame bite eut repris une allure plus fière, il la pistonna sans être aussi bourrin qu'à la tournée précédente. Si la méthode, moins expéditive, plut à Claude, celle-ci, perdue dans des gémissements sans fin, n'en fit pas autrement état. Essoufflé, l'homme embrassa sa belle pour conclure ces retrouvailles forestières.

Après cet intermède charnel, le retour se déroula sans difficulté. Cette fois, la nuit avait tout envahi et ils restèrent sur la terrasse, affalés tous deux sur la balancelle. Le corps au repos mais l'âme en joie, ils goûtaient, silencieux, à des instants agréables, les yeux se noyant dans l'immensité de la masse sombre du lac où quelques étoiles se mireraient encore jusqu'au lever du jour. Le couple ne parlait plus, se contentant d'admirer le paysage qui leur faisait face ; Michel prit la main de Claude.

La nuit les avait enveloppés de ses bras frais, et ce fut un vrai coup de froid qui réveilla la brune.

— Michel, viens. Allons nous coucher ; nous allons finir par attraper la crève à somnoler comme ça sur la terrasse.
— Oui. Je crois que c'est bien une des dernières soirées où nous pourrons passer un moment assis comme ça… l'hiver n'est plus très loin.

Déjà la longue silhouette féminine avait franchi l'embrasure de la porte-fenêtre. De là au lit, il n'y avait plus tant de chemin. Le sommeil les garda tout proches l'un de l'autre, loin du tumulte des semaines passées ; et Michel, comme tous les matins, se leva à huit heures pétantes. Il irait à son bureau et se promettait bien de discuter avec Maryse. Sur le second oreiller, les boucles brunes ne bougèrent même pas quand il embrassa sur la joue la femme qui dormait, bienheureuse dans des rêves où il n'était question que de gosses qui couraient sur des pelouses… non sécurisées.


Le nez plongé dans un épais dossier, celui d'une pauvre femme qui devait passer aux Assises au printemps, l'avocat repoussa les feuillets qu'il parcourait pour saluer sa secrétaire. Elle aussi, toujours ponctuelle, arrivait à neuf heures trente chaque jour ouvré. Parfois elle faisait du rab, mais seulement le soir. Fidèle à des habitudes anciennes, sa première tâche était de préparer un bon café, puis elle frappait un coup et, sans attendre de réponse, elle entrait. Et cela durait depuis… douze ans, avait-elle dit ?

L'arôme du breuvage vint chatouiller les narines de Michel. Quand elle pénétra dans son bureau, le plateau à la main, il la fit asseoir. Ému, il lui raconta, se perdant dans ce qu'il avait déjà dit ou non à cette Maryse qui attendait sans doute autre chose.

— Vous saviez que mon épouse ne pouvait pas avoir d'enfant et que nous avions donc entamé une procédure d'adoption ?
— … Euh, oui, je crois que vous m'en aviez parlé.
— Eh bien, pour cette fichue procédure que nous avions envoyée depuis bien longtemps, pour cette requête, eh bien, hier, l'administration nous a retourné l'agrément obligatoire pour parachever le processus.

Un court instant, la femme avait cru que son cœur allait se décrocher de sa cage, mais après le mot « procédure » était venu s'ajouter « adoption », et la machinerie reprit un rythme plus normal. Elle y avait cru… Alors, à cause d'une bouffée de chaleur qui lui monta au front, elle se sentit mal. Le visage blanc comme un linge, elle se cramponna au bord du bureau pour ne pas tomber.

— Maryse ! Hé, Maryse ! Vous ne vous sentez pas bien ?
— Si… si.

Mais de toute évidence, il voyait bien la contradiction entre ses dires et sa manière de se tenir au pupitre. Elle tenta de se relever mais ses jambes se dérobèrent sous elle. Le monde où elle partait avait des formes et des couleurs irréelles ; mais comme elle s'y sentait bien… L'avocat se précipita pour voir ce qu'il pouvait faire, mais il se trouvait bien emprunté devant ce corps de femme allongée dans une position peu académique. Il lui remonta seulement les pieds puis appela son médecin. Ensuite il mouilla une serviette et lui tamponna le visage en attendant l'arrivée du praticien.


Quand Jean Mathieu reçut le message, il s'apprêtait comme chaque jour à ouvrir son cabinet médical. Surpris par l'appel de son ami Michel, il n'hésita pas. Le bureau du conseil auquel il avait eu recours pour une affaire au tout début de sa carrière était dans le secteur de la vieille ville, donc tout proche de son propre cabinet ; à peine cinq minutes à pied. Il se rendit donc chez l'avocat rapidement. La femme couchée était toute pâle et avait de toute évidence fait un malaise. Il ausculta Maryse qu'il connaissait, elle aussi, de vue.

Cette secrétaire devait avoir entre trente-cinq et quarante ans, et son cœur battait un peu vite. Le médecin posa à Michel quelques questions d'usage, et lorsqu'elle reprit ses esprits il lui demanda un complément d'information. Il la fit asseoir sur un canapé de la salle d'attente et pria l'avocat de sortir pour ausculter plus intimement sa patiente.

— Vous vous appelez bien Maryse ? Ça fait un bail que vous travaillez dans ce cabinet d'avocat.
— Oui… douze ans. J'ai commencé j'avais vingt-et-un ans tout juste.
— Vous n'êtes donc pas mariée ?
— Ben non, c'est comme ça, la vie qui…
— Ce n'est pas un reproche. Mais dites-moi, vous mangez bien ? Dormez bien ? Quatorze-huit : un peu élevé, mais rien d'affolant.
— J'ai des nausées matinales depuis quelque temps.
— Je crois qu'elles sont on ne peut plus normales.
— Normales ? Vous trouvez que c'est normal, vous ?
— Oui. Enfin, je veux dire dans votre état : vous êtes enceinte, et je vous conseille d'aller voir un gynécologue.
— Enceinte ? Mais non, voyons ! Ce n'est pas possible.
— Bien sûr… Depuis que je fais ce métier, je me trompe tout le temps, et surtout sur les grossesses de mes patientes. Vous n'avez jamais eu d'enfants ? Je vais vous faire un arrêt de travail de trois jours.

Elle le regardait et ne savait plus quoi dire, la chique coupée. Un coup de massue énorme venait de s'abattre sur son crâne. Pas possible, ça : il ne pouvait être question qu'elle soit enceinte. Pas après ce que Michel venait de lui dire. Mon Dieu… dire qu'ils n'avaient ni lui ni elle songé à une quelconque protection, ce fameux soir. Ce n'était pas vrai… pas en cloque, non ! Et l'arrêt de travail, elle n'en voulait pas non plus.

— Je ne veux pas arrêter mon boulot ; nous avons plein de dossiers en route.
— Votre patron peut se débrouiller sans vous. De toute façon je le signe, mais rien ne vous oblige à arrêter. Chacun son travail : moi, je vois que vous n'êtes pas en forme, et que ce que j'en sais c'est que vous êtes fatiguée ; ça ne va pas aller en s'arrangeant, vous pouvez me croire. Encore que chez certaines femmes, seuls les trois premiers mois sont difficiles.
— Mais… mais…
— Bon. Eh bien, je vais vous laisser. Vous savez ce qu'il vous reste à faire…

Enceinte ! Maryse avait du mal à avaler sa salive. Voilà pourquoi depuis un moment son petit déjeuner faisait du yoyo dans son estomac tous les matins. Merde ! Mais il ne pouvait s'agir que de cette nuit-là avec Michel. Qu'est-ce qu'elle allait pouvoir faire ? Le lui dire ? Pas question : son couple allait mieux, et elle ne sentait pas le courage de le mettre dans l'embarras. Elle n'avait à s'en prendre qu'à elle ; elle l'avait ouvertement aguiché, ce foutu soir. Quelle idiote !

Elle se trouvait bien punie. Le docteur Mathieu discutait avec Michel. « Mon Dieu pourvu qu'il ne lui raconte pas… » Elle revint vers les deux hommes. Mais non, le vieux bonhomme et son patron parlaient d'une sortie à la pêche ensemble, un de ces jours.

— Ah, Maryse, heureux de voir que vous êtes revenue parmi nous ; vous pouvez vous vanter de m'avoir collé une sacrée frousse ! Je vais devoir potasser mes cours de secourisme. Vous voulez prendre votre journée pour vous reposer ?
— Non. Non, merci. J'ai oublié de vous régler, Docteur…
— Laissez cela, Maryse ; Michel est un ami, et si on ne s'entraide pas entre amis, que deviendra le monde ?

Puis, sa petite sacoche à la main, il a pris congé des deux. Elle est repartie à son poste de travail, mais son boss revenait toutes les demi-heures pour voir si tout allait bien. Un moment, elle eut envie de lui jeter à la figure qu'elle attendait un bébé, et que ce bébé… c'était le sien. Mais elle se retint de justesse. Après tout, ils avaient des vies différentes, même si durant quelques semaines elle avait pu rêver qu'ils les partagent. L'existence lui sembla bien débile, d'un coup…


Chez Claude et Michel, tout allait mieux. Elle se donnait à lui comme aux plus beaux jours de leurs débuts. Ils avaient eu tout un tas de contacts avec des organismes sociaux, mais cette fois c'était pour définir – le mot était presque le bon – l'enfant qu'ils pourraient adopter. Les autres leur conseillaient un enfant plutôt qu'un bébé, tout simplement parce qu'ils étaient presque trop âgés–  l'assistante sociale n'avait pas osé employer le qualificatif de « vieux », mais l'avocat l'avait bien compris. Les Assises de début d'année avaient mobilisé aussi le cabinet, et surtout Maryse qui constituait les dossiers.

Depuis quelques jours, un type venait l'attendre devant l'immeuble où se situait leur lieu de travail. L'avocat l'avait vue repartir avec ce gars dans une petite voiture ; elle s'était donc trouvé un ami et ne lui parlait plus de cette histoire, ce moment d'égarement dans le cours d'une vie. Il avait pourtant l'impression qu'elle le regardait toujours avec insistance quand elle pensait qu'il ne la voyait pas. C'était une belle femme… mais elle n'était pas et ne serait jamais… Claude. D'autant qu'à la maison, leurs roucoulades avaient repris de plus belle !

C'est un tourbillon qui entra dans le cabinet au milieu de cet après-midi-là. La femme brune s'arrêta devant la secrétaire.

— Bonjour, Maryse. Mon mari est dans son bureau ?
— Oh, bonjour Madame. Ça fait bien longtemps que l'on ne vous a pas vue ici.
— Je n'aime pas déranger les gens qui travaillent, mais je n'arrive pas à joindre Michel au téléphone depuis plus de deux heures.
— Quand vous voudrez…
— Je ne sais pas ; samedi soir ? S'il fait beau, nous ferons des grillades au barbecue. Michel m'a dit que vous aviez un petit ami… il peut aussi venir avec vous, ça va de soi.
— Ben… merci. Entendu pour samedi soir, alors. Nous amènerons le vin ; du rosé, ça se marie bien avec les viandes grillées.
— Vous mangez de tout ? Je sais, ma question est idiote, mais on ne sait jamais…
— Oui, nous mangeons de tout, rassurez-vous. Je comprends tout à fait : ça devient compliqué, cette mode de faire attention à sa ligne ou de manger tel ou tel aliment.
— Bon. Je file voir le grand manitou.

Elle venait d'entre dans le bureau du patron. Un véritable feu-follet, et Maryse, surprise par la demande de Claude, n'avait pas su refuser. En y réfléchissant bien, c'était sans doute retourner le couteau dans une plaie encore mal cicatrisée. Et puis, après tout, elle verrait au moins où vivait celui qui faisait toujours battre ses cœurs. Et son enfant serait une fois, avant sa vie, passé chez son véritable père. Elle se prit à sourire à cette pensée dingue.

De l'autre côté de la porte, Claude discutait âprement avec son homme. Elle venait de lui expliquer qu'ils étaient attendus pour voir plusieurs enfants en attente d'une famille, et elle s'en trouvait absolument surexcitée. Il aurait dû, à l'entendre, tout lâcher et foncer avec elle voir ces gamins, mais il la tempéra dans ses ardeurs.

— Attends, ma belle ; je comprends ton impatience, mais je suis à quelques jours d'une affaire d'Assises très, très difficile et je me dois de consacrer tout mon temps à mon client. Il moisit en prison depuis plus d'une année.
— Alors ton travail passe avant notre vie de couple ? Tu n'as pas une journée à consacrer à ta famille ? Pour en créer une vraie, je veux dire.
— Si, Claude, si ! Mais pas là, pas tout de suite. Et demain non plus : je dois rendre visite à la prison à cette femme qui va passer aux Assises.

Finalement, elle refoula ses larmes et fit mine d'être d'accord.

— Bon. Eh bien, je vais leur téléphoner que nous n'irons qu'après ton procès ; comme ça, tu auras tout ton temps. Tu en veux encore de cet enfant, quand même ?
— Quelle question ! C'est juste un timing qui ne convient pas. Et puis après tout, comme c'est toujours toi au final qui décides, tu peux aussi y aller seule les voir, ces gosses. Ça me donne l'impression que nous irions au supermarché pour choisir un article…
— Est-ce ma faute si je ne peux pas en fabriquer personnellement ? Tu me le reproches ?
— Mais non, bien sûr. Mais après les Assises, j'aurai l'esprit plus libre.
— Bien ; alors je te laisse bosser. À ce soir ?
— Oui. Et, Claude, je t'aime, tu le sais…
— Oui ! Oui ! Tiens, pour parler d'autre chose, j'ai invité Maryse et son petit copain à venir faire une dînette samedi soir. Pas d'objection ?

Heureusement qu'il était assis, sinon il serait tombé sur le cul. Mais que répliquer à ceci ? Et puis lui refuser deux trucs dans la même journée serait un drame pour elle. Alors il se contenta de faire de l'humour :

— Non, Votre Honneur, pas d'objection.
— Ah, je vois que tu es déjà à fond dans ton job. Bise, mon cœur, et à ce soir !


Le type qui se cachait derrière un énorme bouquet de fleurs accompagnait Maryse ; elle le leur présenta.

— Claude et Michel, je vous présente Bernard.
— Bernard, voici Michel, mon patron, et Claude, son épouse.

Les mots d'usage avaient jailli des bouches des deux hôtes : et si la crispation du propriétaire des lieux ne se voyait pas, elle était néanmoins bien présente. Ce gars n'avait guère plus d'une trentaine d'années, et il semblait couver Maryse comme lui le faisait avec sa Claude. Un certain soulagement remit un peu de couleur sur le visage du mari de la brune. Elle ne s'occupait que de son invitée, laissant les deux hommes discuter en allumant le feu sous le barbecue alors qu'elles mettaient la table à l'intérieur. Trop frais encore pour dîner à l'extérieur.

Ce gaillard n'avait pas sa langue dans sa poche, et d'emblée il déplut à Michel. Rien de précis, rien de concret, juste un sentiment mitigé qui lui disait que ce mec-là n'était pas un type pour sa secrétaire. Mais bon, ce n'était pas ses affaires, et qu'elle soit « casée » le rassurait de toute façon. Le repas s'éternisant, la bouteille de rosé n'avait pas suffi ; mais bon, les premiers beaux jours de cette fin janvier annonçaient un printemps très en avance. Un décalage entre les saisons que beaucoup mettaient sur le compte du changement climatique.

Après le repas, les deux hommes étaient allés faire un tour sur la terrasse ; ce Bernard fumait de temps en temps, à ses dires.

— C'est chouette, chez vous ! Le lac, la forêt… un coin de paradis.
— Oui. Vous aimez la pêche ? En cette saison, normalement le lac est gelé. Nous l'avons déjà vu avec des voitures roulant sur la glace… mais depuis quelques années la couche n'est plus assez épaisse pour seulement marcher dessus. C'est dangereux.
— Et c'est vous qui avez construit, ou votre chalet était déjà tout fait quand vous êtes arrivés ici ?
— Non : ici, c'était un champ de pommes de terre qui appartenait à mon arrière-grand-père, et ensuite à ma famille. J'en ai hérité, et voilà ce que nous en avons fait.
— J'admire le travail.
— Vous faites quoi, vous, comme boulot ?
— Je suis représentant pour une boîte qui vend des machines agricoles. C'est un peu la morte-saison, l'hiver, pour nous. Ça va reprendre un peu fin février, mais le gros boum c'est à partir d'avril.
— Ça se conçoit aisément. Et comment ça se passe pour vous, avec Maryse ?
— Oh, c'est une véritable perle ! J'avoue que parfois elle est un peu distante, mais j'en suis fou amoureux. J'ai remarqué que votre épouse ne vous lâchait pas des yeux… Elle ne serait pas un peu jalouse ?
— Jalouse, Claude ? C'est vraiment une question que je ne me suis jamais posée. Bon, rentrons à l'intérieur ; il fait frisquet, et la nuit qui tombe ne va pas arranger la situation.

Le repas avait été un moment joyeux, et lorsque les deux invités avaient quitté la maison, la brune était venue se coller à son mari.

— Finalement, je l'aime bien, ta secrétaire. Tu n'en dis jamais un mot. Elle travaille bien sinon tu ne l'aurais pas gardée. Et lui, ce Bernard, tu l'as trouvé comment ?
— Comment ça, « trouvé comment » ? C'est un homme, voilà tout.
— Oh, je suis certaine que tu as ta petite idée sur ce type. Je ne sais pas… Par certains côtés je l'ai trouvé charmant, et par d'autres… inquiétant.
— Ah bon ? Explique-toi.
— Je ne sais pas ; c'est indéfinissable, un doute qui persiste… je ne le sens pas trop. D'abord parce qu'il n'a pas cessé de me reluquer les fesses chaque fois que je me suis levée, et puis… trop beau, trop…
— Ouais, on laisse tomber tout de suite ; pour les jugements hâtifs, j'en ai mon content au tribunal !
— C'est juste une intuition, féminine sans doute, mais je me trompe rarement. Remarque également qu'elle, Maryse, buvait tes paroles aussi. De quoi me rendre un peu jalouse.

Encore ce mot : jalouse ! Bernard n'avait-il pas prononcé le même ? Et s'il avait zieuté le cul de Claude, lui n'avait pas vu quoi que ce soit d'anormal dans le comportement du compagnon de sa secrétaire.

— Et puis… tu ne trouves pas qu'elle a un bon petit bidon ?
— Un quoi ? Du ventre, tu veux dire ?
— Elle ne serait pas enceinte, des fois ? Bon, je ne sais pas, mais je suis une femme aussi, et son petit ventre rond m'a donné un peu de nostalgie…
— Tu es folle, ma parole. Elle le connaît à peine, ce type.
— Tu sais bien qu'une seule fois suffit… pour certaines. Hélas, je ne fais pas partie de celles-là.
— Bon, tu auras bientôt de quoi réaliser ton rêve de toujours, alors ne te mets pas martel en tête. Enceinte, Maryse ? Alors elle pourrait me laisser les dossiers sur les bras…
— Salaud ! C'est seulement comme ça que tu la vois ? Une employée corvéable à merci ?

En disant cela, ses poings tambourinaient sur la poitrine de son mari. Elle riait et se serrait contre lui de plus en plus. Lui aussi riait… mais jaune. Ce serait le pire moment pour se retrouver, sans le secours de cette travailleuse irréprochable. Il lui demanderait… lundi au bureau. Et il se laissa enfin tripoter par les mimines de sa brune ; et les endroits où elle mettait ses pattes n'étaient pas à raconter aux enfants. Elle savait y faire, et il ne lui avait fallu que quelques secondes pour que sa bite se raidisse dans son caleçon. Mais c'était surtout le but qu'elle recherchait.

Pourquoi dans ces conditions lutter ? Se laisser faire était autrement plus agréable, et il ne s'en privait pas. En deux temps trois mouvements, ils furent entièrement nus alors que dans la cheminée le feu de bois réchauffait le salon où ils venaient de se retirer. Une rumba d'amour, danse immortelle, débutait dans les lueurs dansantes des flammes qui les illuminaient. Et ce ventre, s'il était stérile, n'en était pas moins bon. Sous la langue, sous les doigts… un régal dont il ne se passerait plus. Quant à elle, ses lèvres entouraient cette chose qui, au gré de ses caresses, restait d'un volume substantiel. Le bonheur tenait à pas grand-chose…


Michel sortait épuisé de la session d'Assises. Son client s'en était pas trop mal tiré ; restait à savoir s'il ferait appel ou non de cette décision. Mais là, ce n'était pas encore le temps de repartir sur le sentier de la guerre. Malgré sa bonne volonté, l'avocat n'avait pu que limiter les dégâts. Il avait aussi repoussé à plus tard cet entretien avec Maryse. Par contre, il scrutait avec une insistance non feinte cet abdomen où Claude pensait qu'une graine poussait. Elle non plus n'en avait plus reparlé, mais il était certain qu'elle devait y penser. Il faudrait bien qu'il trouve le temps pour l'accompagner voir – curieux mot – les enfants proposés à leur couple.

Bernard, depuis le dîner de ce fameux samedi soir, venait désormais directement au bureau chercher Maryse. Un soir, en revenant d'un rendez-vous, il les avait même dérangés alors qu'ils s'embrassaient à bouche-que-veux-tu. Bizarre, parce qu'il avait fait beaucoup de bruit, n'avait pris aucune précaution particulière pour entrer dans le cabinet. Ces deux-là auraient donc pu arrêter avant son arrivée. Un instant, l'idée qu'ils avaient fait exprès lui traversa l'esprit. Mais pourquoi ? Là était la question en suspens.

Si ce que lui avait dit Claude était exact, le ventre aurait dû encore être plus rondelet. Enfin, en vérité, il n'avait jamais fait attention avant. Elle était toujours aussi belle, peut-être un peu plus épanouie ; mais de là à la soupçonner d'être enceinte, il y avait un pas qu'il n'oserait pas franchir. Les jours suivants, il prit un peu plus de temps pour le consacrer à Claude qui le traîna dans quelques boutiques sous prétexte qu'il devait se vêtir plus « jeune ». S'il n'en saisissait pas la raison, elle semblait avoir son idée. C'est dans la rue qu'ils croisèrent le démarcheur en machines agricoles. Celui-ci déambulait avec une jolie blonde montée sur des échasses. Bernard ne les vit pas, et Claude cogna sur l'épaule de son mari en lui chuchotant deux ou trois mots :

— Tu vois que j'avais encore raison : ce type est un goujat. Il met sa copine en pelote et se balade avec une autre sans se cacher. Quel saligaud ! Je plains la pauvre Maryse.
— Ce n'est sans doute qu'une de ses amies, sans plus.
— Ben, tiens donc… Allez, ne me raconte pas d'histoires ! Ce gars-là m'a fait mauvaise impression dès que je l'ai vu. En tout cas, il a bon goût parce que cette fille ou Maryse sont toutes les deux bien belles.

Michel sourit de cette diatribe lancée à la cantonade. Et, la voiture roulant, il se demanda pourquoi diable sa femme parlait presque à voix basse. Elle soupira et repartit sur un autre sujet :

— Tu sais, la grande maison près de chez nous… celle aux volets bleus ; eh bien, la nouvelle propriétaire m'a contactée. Je dois lui établir un devis pour remettre en état tout son intérieur.
— Ah bon ? C'est bien, alors !
— Tu ne la connais pas ? Elle vient d'arriver des Landes. Elle travaille aux affaires familiales, au tribunal. Alors ça pourrait être bon pour notre dossier, tu ne crois pas ?
— Je ne l'ai pas encore vue ; et pour cet enfant, puisque tu en parles, fixe un jour et prends donc rendez-vous. Les Assises sont finies pour cette session.
— Oh, mon cœur… je t'aime ! Merci de tenir parole !
— Allons, tu m'as déjà pris en flagrant délit de mensonge ?

Elle sifflotait, signe que dans sa tête tout se remettait en ordre. Claude parut soudain plus jolie, illuminée de l'intérieur. Ils firent les échoppes, et là encore elle eut le dernier mot. Quelques tee-shirts et jeans dernier cri remplissaient les sacs au nom des enseignes qu'ils visitaient. Lors du retour à la case départ, ils repérèrent à nouveau l'amoureux de l'employée du cabinet. Cette fois, il se trouvait à la terrasse d'un bar très fréquenté. Mais si elle le vit, l'épouse de Michel se tut.

À la maison, elle tint à tout prix à ce qu'il passe les pantalons neufs.

— Je veux faire les ourlets. Tiens-toi bien droit, je vais les marquer. Ne bouge pas tout le temps ; tu as la bougeotte, ma parole !

À genoux devant lui, elle mettait en plis le bas des jambes d'un des jeans fraîchement achetés. Son visage penché sur ses pieds, il pouvait sentit le souffle de sa respiration. Et voilà comment les idées pouvaient soudain arriver. Il la laissa s'affairer un bon moment, et quand elle se leva, il lui passa la main aux fesses. Prestement elle se retourna, et comme il retirait le futal, elle ne put pas manquer de voir la trique qu'il arborait.

— Ça te fait bander de me voir à tes pieds ?
— Ben… j'avoue que oui. C'est excitant de te savoir à ma merci.
— Vite dit, mon cher ; « à ta merci », pas tout à fait. Quoique… pourquoi pas, si ça reste dans le cadre de nos petits jeux ?
— Pas question que ça déborde, tu me connais bien.
— Oui, même si j'aimerais parfois que…
— Que quoi ? Allons, dis le fond de ta pensée. Que quoi ?
— Non, non rien.

Il n'avait plus envie de discuter. Elle était toute proche, et la saisir n'avait rien de compliqué. La victime consentante se laissa donc dévêtir rapidement et il la fit mettre à califourchon sur un siège à l'assise en paille, un de ceux de la cuisine. Il se saisit de la ceinture de sa jupe et entreprit de lui lier les mains au dossier de la chaise. Elle avait les yeux remplis d'envie. Puis comme ça, pour jouer autrement, il prit un foulard qui pendait sur la patère de l'entrée.

— Je vais te mettre ce bandeau.
— Ah bon ?

La voix était rauque, éraillée, et elle avait un rictus de louve. Il savait qu'elle appréciait ce moment si différent. Quand il eut fini de lui masquer les yeux, il se demanda bien comment il allait pouvoir la manger. Et il songea au réfrigérateur. Les bruits sourds qui parvenaient aux oreilles de Claude avaient de quoi l'inquiéter, mais pas outre mesure. Il saurait ne pas dépasser les bornes ; de cela elle en était certaine. Mais elle tremblait, et pas forcément de peur. Quand lentement il lui passa une main du cou aux fesses, elle frissonna. Les gestes étaient lents, calculés, énervants même.

Elle espérait la seconde patte de son mari, la souhaitant dans une prière muette sur ses seins. Mais quand elle vint, un cri énorme monta de sa gorge. Il l'avait brûlée… et cette brûlure se répétait sur d'autres points de son dos livré à ses fantaisies. Puis il quitta la largeur de ses épaules, et cette fois c'était bien sur le bout de ses nichons qu'il posa ce qui la faisait frémir. Avec quoi pouvait-il bien s'amuser sur sa peau ? « Pourvu qu'il ne laisse aucune trace… » C'est seulement cette pensée qui la remuait.

Il bougeait sa main, et la sensation de morsure suivait le même périple. Puis il stoppa sa balade et ce fut sur sa bouche qu'il appuya avec cette patte qui tenait… elle avait compris : ce n'était qu'un glaçon, un stupide dé d'eau gelée, prévu pour rafraîchir les apéros. Mon Dieu, comme c'était bon ! Bien meilleur depuis qu'elle était rassurée. Quand il cessa toute activité réfrigérée, elle resta un long moment sans trop se douter de ce qu'il mijotait. Mais quand elle sentit une sorte de gifle énorme sur son derrière, elle sut qu'elle jouirait fort de ses jeux.

Michel, armé de sa ceinture enroulée au bout de son bras, donnait des petits coups secs. Pas vraiment forts ; suffisamment cependant pour faire un bruit extravagant. Une variante de ces fessées qu'il aimait lui donner parfois. Et elle se laissa entraîner dans ses fantasmes. Ceux de la femme entravée, livrée à des mains expertes qui la mataient pour la forcer à obéir. Jamais elle n'avouerait de tels penchants, mais l'un d'eux se trouvait en cours de réalisation. Et sur la paille de l'assise, ses jambes écartées, elle sentit que sa chatte suintait, transpirait à grosses gouttes.

La mouille faisait un petit filet clair coulant le long de ses grandes lèvres et tachait le rembourrage de la chaise. La pluie de claques distillées avec méthode la faisait crier, soupirer et se tordre, et c'en était délicieux. Puis il s'arrêta de lui marteler le derrière, mais il reprit, de la paume de la main, une lente reptation sur son épiderme. Elle n'en pouvait plus, râlant alors qu'il ne cherchait pas les endroits intimes, se contentant de frôler, de caresser toute la large bande que sa position mettait en valeur.

Il cajola les fesses qui venaient de rougir un peu, puis les doigts masculins se coulèrent dans l'espace qui séparait le séant en deux parties bien distinctes. C'était très doux, fait avec patience, et elle se trémoussait de plus belle. Pas une fois elle n'avait ouvert la bouche pour lui demander de s'arrêter ; elle goûtait à ce délicat supplice qu'il lui prodiguait avec amour. Il repoussa le siège pour l'éloigner de la table : ainsi, il pouvait en faire le tour sans qu'elle sache où il se trouvait. Ses gémissements n'avaient aucune connotation douloureuse. Elle adorait ce Michel qui l'amenait inexorablement à l'orgasme.

Elle ouvrit la bouche quand il s'appuya de tout son ventre contre sa figure. Désirait-il qu'elle le prenne entre ses lèvres ? Mais non, le bâton qui lui battait la joue ne demandait pas sa langue. Elle sentit que des doigts en étau pinçaient ses tétons, mais sans vraiment les serrer à lui faire mal. Juste les compresser un peu, pour qu'ils se gorgent de sang. Mais en avaient-ils besoin ? Pas si sûr… Elle n'était plus qu'une énorme envie, toute attente d'un final plus… viril ! Apparemment, il ne se pressait pas pour conclure ce moment d'extase.


Assise dans son bureau, face à lui, elle écrivait la lettre à taper que Michel lui dictait. Les jambes visibles jusqu'à la base de sa robe qui, remontée très légèrement sur les cuisses, invitait quasiment les regards. Mais lui, perdu dans les méandres d'un texte de loi très ardu, ne levait pas la tête. Longtemps elle crut qu'il était dérangé par sa posture, mais elle ne ressentit nul besoin d'en changer. Il s'arrêta au milieu d'une série d'articles du Code pénal qu'elle notait du mieux possible, alors elle aussi remonta son menton. Les billes qui roulaient dans leurs orbites la firent rougir.

Donc il n'avait pas encore vu ! Elle décroisa ses longues gambettes de manière à être bien certaine qu'il suivrait leurs lignes jusqu'à… ce qui se cachait aux confins de ces deux-là, et elle suivit avec gourmandise l'itinéraire des quinquets de Michel. Elle voulait qu'il n'oublie pas ce qu'elle lui avait offert un jour. Et ça fonctionnait à merveille : l'espace d'un éclair, la striure blanche tout en haut, camouflée par la robe, l'avait captivé. Il était bouche bée, sans dire quoi que ce soit, les mains tremblant sur son Dalloz !

— Ce sera tout, Michel ? Vous avez fini de me dicter votre courrier ?
— … euh, oui ! Ah non, encore la formule de politesse d'usage : Je vous prie, Madame la présidente… enfin vous savez faire, comme d'habitude.
— Entendu. Elle sera sur votre bureau ce soir pour la signature.
— Oh, rien ne presse ; ne vous précipitez pas. Demain sera suffisant.
— Bien, patron ; demain, alors. Je voudrais sortir ce soir une heure plus tôt ; c'est d'accord ? Je vais passer une visite.
— Une visite ? Vous n'êtes pas souffrante, j'espère.
— On ne peut pas vraiment parler de maladie, rassurez-vous. Mais je dois vous dire que durant quelques semaines… vous devrez vous passer de moi.
— Ah bon ? Pourquoi ça ? Si ce n'est pas trop indiscret…
— Vous n'avez donc rien vu ? Là…

Elle avait mis son index sur son nombril. Et comme il faisait l'étonné, elle reprit d'une voix ferme :

— J'attends un heureux évènement. Encore quatre mois et…
— Un bébé ? J'en suis ravi pour vous et pour Bernard, bien sûr !
— Bernard ? Ah oui, Bernard… oui. Merci.
— Alors je ne connais rien à vos droits, mais je suppose que vous me direz un peu à l'avance, pour votre congé maternité.
— Oui, oui. J'ai aussi une amie qui pourra le cas échéant me remplacer, si cela vous arrange.
— Bien, bien ; vous l'amènerez avec vous quand il sera temps de… je vous fais confiance.
— Oui, bien entendu. J'en réponds comme de moi-même.

Elle sortit du bureau pour regagner le sien. Il n'en revenait pas : Claude avait encore vu juste ! Il se traita de crétin de n'avoir pas demandé plus de détails. Il se leva et se rendit dans la pièce où elle travaillait.

— J'ai manqué à tous mes devoirs. Vous savez déjà ce que vous allez avoir ?
— Oui : une petite fille. Pour le prénom, rien de bien défini encore.
— Et vous n'êtes pas trop fatiguée ? Si vous avez besoin d'aménager vos horaires, pas de souci non plus. Prenez soin de vous et… de lui.

Il y avait dans les yeux de Maryse comme une lueur, une étincelle qui brillait. Elle allait lui dire quelque chose, il le sentit. Puis à la dernière seconde elle détourna la tête. Il sembla à Michel qu'un trop-plein d'émotion la submergeait. Pleurait-elle ? Et du coup il se surprit à resonger à ces enfants que Claude devait aller visiter. Les larmes seraient elles contagieuses ? Il fila alors qu'elle mettait son manteau. Elle allait vers son rendez-vous. Et curieusement, ce Bernard n'était plus visible. « Quel goujat ! » songea l'avocat.

Seul, il appela son épouse. Elle aussi fut surprise : son mari au téléphone en pleine journée, ça devait être bougrement important !

— Il est arrivé quelque chose ?
— Non, pourquoi ? Je voulais seulement m'assurer que tu avais bien contacté le centre pour notre visite aux gamins.
— Mon Dieu… il va neiger en juillet ! Mon mari qui, d'un coup, est pressé ; et moi qui pensais que c'était simplement pour me faire plaisir. Tu es un amour…
— Ben… oui, je sais. Alors ?
— Oui, c'est fait, mais ce sont eux qui m'appelleront quand ils seront prêts.
— Prêts qui ? Les services de la petite enfance ou les gosses ?
— Les deux, je suppose. Tu rentres bientôt ?
— J'ai encore du boulot au bureau, mais pas tard, c'est promis. Et puis… Maryse m'a averti : ce sera une petite fille qui va venir chez eux.
— Quelle chance elle a ! Elle va venir très normalement, pour eux ; ils ne la choisiront pas sur catalogue… ou suite à un défilé.

Il ne sut pas trop si elle plaisantait pour le singer ou si elle le pensait véritablement. Difficile de juger par téléphone interposé. Finalement, la maternité proche de l'une et la joie d'adopter de l'autre faisaient que son univers si bien rangé tournait autour de deux petits qui ravissaient les cœurs. Mais l'avenir serait-il toujours aussi serein ? Pourquoi un doute subsistait-il ? Une sorte d'épée de Damoclès pendait-elle au-dessus de sa tête ? Il se plongea de nouveau dans la bible rouge des lois françaises.

Claude, loin d'être joyeuse à l'annonce officielle de la grossesse de la secrétaire de son mari, s'enferma dans un silence insupportable. Lui ne comprenait plus rien du tout. Quelle bêtise avait-il encore faite pour qu'elle redevienne si taciturne ? Ce soir-là, Claude avait de nouveau repoussé les avances de son mari. Bon, il n'allait pas non plus en faire un drame ; ça arrivait de temps à autre. Mais qu'elle se mure dans un univers où il ne pouvait accéder lui fichait la rage ; il ne méritait pas ce qu'elle lui infligeait.

De guerre lasse, lui aussi se colla dans son coin, et quoi de meilleur pour se sentir mieux que de sortir son bateau et filer sur le lac ? Jusqu'à la nuit il irait persécuter les brochets, ceux qu'il remettait à l'eau après les voir mesurés et pesés. Et ces moments sur l'étendue bleue étaient toujours bénéfiques. Il repensa à sa journée, à cette lettre, et surtout à cette culotte entraperçue l'espace d'un regard. Pourquoi Maryse lui avait-elle si volontairement montré son cul ? Un derrière qu'il avait eu l'honneur de fréquenter d'une manière tellement intime… Elle l'aurait à nouveau aguiché qu'elle ne s'y serait pas mieux prise.


Quatre jours que durait le marasme ambiant ; quatre jours qu'elle ne décrochait plus un mot. Allez savoir ce qui se passait sous sa tignasse brune ? Et le samedi matin étouffant annonçait une soirée encore plus moche. Pris d'un irrépressible besoin de parler, Michel tenta de renouer un dialogue qu'elle fermait sans raison. Mais rien à faire ! Alors furieux, il prit sa voiture et roula au hasard. Et celui-ci l'amena sans qu'il y prenne garde, vers… chez Maryse. La maison où il n'était passé que de nuit avait un plus bel aspect la journée. Quand il sonna, elle mit un bon moment pour venir ouvrir, et les pas traînants sur le carrelage lui apprirent qu'il avait bien fait d'insister.

— Michel ? Mais…
— Je m'excuse de vous déranger. Je ne comprends plus rien ! J'ai annoncé à Claude que vous attendiez un bébé, et depuis je n'ai plus entendu le son de sa voix.
— Entrez. Allons, venez. Ne restez pas sur le trottoir pour discuter.
— Merci.

Dans le salon qu'il reconnut de suite, le divan gardait la marque de la femme qui devait dormir là.

— Votre ami Bernard ne sera pas fâché que je sois venu chez vous ?
— Mon ami Bernard ? Il n'est pas là… plus là, je veux dire.
— Mais, et le bébé ? Il est fou !
— Non. Il sait compter, et sans doute que votre femme aussi sait bien le faire.
— … Je ne comprends pas. Vous voulez me faire passer un message ? C'est quoi, cette histoire ?
— Vous souvenez-vous du jour de mon malaise ? Au cabinet.
— Celui où j'ai fait intervenir le docteur Mathieu ?
— Oui. Eh bien, je n'ai rencontré Bernard qu'un mois plus tard.
— Où voulez-vous en venir ? Et Claude, que vient-elle faire dans ce micmac ? Je suis peut-être bête, mais je ne saisis pas du tout.
— Je suis en train de vous dire que Bernard n'est pas, ne pouvait pas, ne sera jamais le père de cet enfant.
— Ah… Et comment ma femme pourrait-elle être au courant ?
— Vous n'avez pas une petite idée ?
— J'avoue que non.
— Mon Dieu, ces bonshommes… il faudrait toujours leur faire un dessin. Enfin, vous êtes instruit ; alors, bon sang, réfléchissez une petite minute.

Le sang se retira lentement du visage de cet homme qui venait d'un coup de réaliser… Pour être dans le caca, il l'était profondément ! Ce que Maryse lui assénait n'était rien d'autre qu'une fin du monde ! De son monde si parfait. Il dut s'asseoir lui aussi pour digérer un peu ce que ces mots signifiaient. Il ne voulait pas croire ce qu'il venait d'entendre ; ce n'était pas vrai, pas possible ! Il y avait une erreur quelque part. Il rêvait tout éveillé et allait sortir de ce cauchemar ! Il ne pouvait s'agir que de cela : une hallucination.