C'est quand la maison se vide que le silence s'installe, que mes vêtements tombent, ainsi que ce qu'il me reste de retenue, que, crescendo, des frissons parcourent ma peau, que mon esprit s'embrume et que j'entame ma métamorphose… Que…

J'aime le contact de mes pieds nus sur les tomettes encore vibrantes des pas qui m'ont précédée depuis des décennies. Les fantômes sourient à la femme libre que je suis devenue et qui affirme, ici encore davantage – ici surtout – que mes limites s'effacent. Libre de mes choix, de tous mes choix, y compris de mes chaînes.

Les murs épais ont été débarrassés de tout repère de la vie d'avant : photos, tableaux, papiers peints ou carrelages ont disparu. Reste le plâtre et le sol en terre cuite. Un meuble ou un objet pour chacun des fantômes.

Seule.
Et maintenant, je l'attends.

Mes nourritures terrestres se résument en un amoncellement coloré – évoquant une nature morte flamande du XVIIe siècle – sur la table de la cuisine et, sur la banquette, les œuvres de Duras ainsi que mon précieux catalogue de l'exposition de Georgia O'Keefe à la Tate Modern de 2016.

Il vient toujours avec une bouteille de très bon vin. Rouge.
Parfois, je sors ma boîte d'aquarelles.

Je ne m'ennuie pas. Je sais qu'il viendra ; il vient toujours.
Alors je vis nue, mes pas glissent sur les tomettes jusqu'aux lames en bois de la terrasse, puis sur l'herbe drue de la pelouse qui entoure l'érable où il aime m'attacher. Aucun voisin : il sait que personne n'entendra mes cris. Aucune autre visite que les siennes – rares, certes – mais qui me nourrissent et me comblent.
Il ne prévient jamais de son arrivée.

Chaque jour je réponds à son exigence de nouvelles photos ; je me dois de le surprendre, et la maison tout entière, du sous-sol au grenier, est un espace qui m'inspire, tant il est imprégné dans le moindre recoin de ses sauvages assauts. Son odeur est partout. Et quand elle embaume ma peau, je ne me lave pas pendant des jours.

Nous nous écrivons des mots d'amour crus ; je me fais jouir à le lire. Mon plaisir résonne dans l'espace vide. Il aime alors en recevoir l'enregistrement, et me dira plus tard branler sa si belle bite à m'écouter. Je me plais à le croire, même si je ne peux pas affirmer le connaître. J'ai renoncé à poser des questions, par peur qu'il se ferme et prolonge son absence. Alors je me tais, et je l'écoute me parler en détail des films qu'il me projette sur le grand mur blanc quand, vidé, il m'attrape doucement dans ses bras puissants et caresse longuement mes cheveux. Là, je peux me persuader de ses « Je t'aime ».

Un jour, sans prévenir, il ne viendra plus.
Je le sais et déjà l'accepte, en savourant, de tous mes pores, sa peau moite se frottant des heures à la mienne.

Puis l'automne sera là, et je fermerai les volets et la porte à clef pour retourner auprès des miens. Ceux qui tolèrent, sans le comprendre, mon besoin d'une solitude dont je ne leur développe pas les contours.

Sans lui, je laisserai mon sexe s'assécher, ma peau se faner. C'est ainsi, c'est le prix à payer. Je le savais avant de signer ce contrat avec un diable. Même pour quelques jours, quelques semaines…
Être à lui. En conscience. Totalement.
Quand lui le veut.

J'entends la porte s'ouvrir ; mes pieds nus courent sur les tomettes, ma poitrine s'ouvre comme une fleur au soleil.

Il est là.
Les traces de sa poigne sur ma peau n'ont pas eu le temps de s'estomper depuis son dernier passage. Il aime ça.

Oui, heureuse.