Les gémissements, les cris et les rires avaient saturé la nuit, une très brève trêve m'autorisant un court sommeil dans le convertible, seul rescapé des assauts répétés, multiples et humides, des combinaisons infinies entre la trentaine de participants à l'orgie, dix femmes. Tous avaient faim et, pour certaines, l'offre n'était pas encore assez conséquente. Les places au sec valaient cher : j'avais salement baptisé de ma fontaine le grand matelas, la machine Moussa étant bien trop pressée de reprendre là où nous en étions restés deux mois plus tôt.

Douzième étage, vue sur la Tour Eiffel et La Défense, à quelques minutes à pied de la gare où mon bus me dépose de province. Enthousiasmé par l'appartement loué pour la nuit, et pressé que je sois là, J. n'avait pas su attendre de me faire la surprise, et avait inondé mon mobile de photos de l'incroyable panorama, le temps des dix minutes qui le séparaient de mon arrivée.

Son organisation est toujours impeccable, et j'aime être sur place la première, pour d'abord l'aider à installer bar et buffet, puis, avant l'entrée des morfales, notre rituel inaugure l'espace qui sera bientôt imprégné de cette tension particulière qui précède la fête. Cette fois-ci, c'est cul posé sur la vasque – et l'esprit déjà embrumé de plusieurs ti-punchs » que nous nous étions échauffés. Nous nous retrouvons toujours avec le même bonheur. Juste avant que la porte s'ouvre aux invités, notre before est un moment suspendu de véritable complicité.

Habituellement, après mon « apéro » avec J., je laisse les belles affamées se ruer sur les mâles, leur laissant à peine le temps de retirer leur veste qu'ils sont déjà sommés de leur démontrer leurs si incroyables talents. Mais Moussa me la jouait love, collant, insistant, et, étrangement, malgré l'ennui que m'inspirent sa très maladroite communication pseudo autoritaire et son rythme manquant cruellement de variations, le jeune homme m'amène vite à gémir et couler, encore et encore, jusqu'à ce que je me sente vidée, de mes forces et du reste…

Deux autres, dont je n'avais même pas demandé les prénoms.

À quatre heures du matin, nous sommes encore cinq naufragés qui hésitons à nous plonger dans le sommeil. Elle va dormir, et je crie dans un dernier galop, le bouquet final, le plus explosif, soudain remise en selle après café et joint, entre Moussa et le si pervers Malik, beau, drôle, terriblement surprenant. Trio chauffé à blanc par les mots qui osent, qui osent tout, et je trouve là un partenaire qui sait spontanément mettre mon cortex à vif, d'autant qu'il a su d'emblée comprendre comment doser gifles et morsures.

« Vas-y, branle-toi bien, espèce de sale pervers… Tu aimes regarder la queue de Moussa qui me lime ? Dis-le, que tu aimerais l'avoir dans ton cul ! »

Malik et moi, on se comprend, nous sommes pareils. Moussa s'agitait, sans trop capter le jeu, et il peut faire ça durant des heures. Il m'agace à vouloir y mettre des sentiments, des promesses, mais mon ventre aime bien sa queue, ça reste mystérieux… Malik ose tout, aime tout. On fait du sale en se délectant de mots crades. Il insiste pour que je reste une nuit de plus. Ses époustouflantes lubricités pourraient m'achever… Blottie contre J. sur le canapé aux draps sauvés de l'apocalypse, je sombre d'épuisement orgasmique, un dernier regard sur le paysage incroyable de la ville endormie, de si haut.

Ce sont ses petits cris, à elle, oui, oui, oui, qui me tirent de mon si court sommeil. Même pas deux heures. Je souris et l'écoute.

Encore une fois, j'étais la dernière à faire du bruit dans la nuit, mais je suis toujours fascinée par ces gourmandes du matin. Celles qui remettent ça malgré la gueule de bois. Avec ces hommes qui ne dorment jamais…

Elle se douche, et elle est pimpante pour aller prendre un train qui la ramènera auprès de son mari, qui, comme le mien, tolère son besoin boulimique de jeunes hommes sombres. Nous avons la cinquantaine bien frappée et sourions toutes deux de notre nuit quasi blanche, mais surtout noire, qui n'a rien à envier à celles de notre jeunesse. Demain, l'une comme l'autre, nous retrouverons nos étudiants, remplies de l'énergie des multiples corps qui auront frotté le nôtre durant ces heures moites. Moussa a filé, fâché que je lui refuse l'éventualité de jeux en duo, dans une vie à l'extérieur, loin de l'orgie.

Café sur café, je ne suis pas du matin, mais Malik a encore faim et le soleil inonde la chambre au silence retrouvé. Alors on baise encore, dans ces draps que j'aurai été la première et la dernière à souiller. Je jouis encore, en pensant à toutes ces femmes et à leurs cris, à tous ces corps de marathoniens noirs, sur ce lit comme un boulevard, sur ce ring qui aura accueilli la folie, à ces quelques dix heures de monde parallèle…

Deux énormes sacs poubelles, cadavres de bouteilles et multitude de capotes. Ce soir, l'appartement recevra peut-être une famille, un groupe d'amis. Avec J., on laisse toujours l'espace le plus nickel possible ; j'ai traqué le moindre emballage de Skyn.
Puis, comme à chaque fois, les garçons me raccompagnent pour un café-croissant avant mon bus du retour.
« À dans deux mois ? Trop top, cet appartement ! On reviendra ? »

Sur le parvis, je surprends des regards étonnés sur le trio de la bientôt sexagénaire aux longs cheveux gris entre les deux beaux Africains qui me souhaitent bon retour en m'embrassant la bouche. Et là, nous nous sentons vraiment vivants, de la vie comme on l'entend…

Les tours de La Défense sont encore visibles quand je m'endors au roulis du bus.
Fourbue. Repue.

J'étais à Courbevoie, un dimanche matin.
Et c'était bien, et c'était bien…