Les mains liées à l'anneau rivé dans le rocher, Gwénael attend vaillamment que les Dieux d'Ombre daignent bien se manifester comme tous les huit ans lors de la grande marée. Contrairement à son habitude de jeune fille fière et libérée, elle n'en mène pas large, encore abasourdie de se retrouver entravée à ce rocher des sacrifices malgré son père, l'un des douze Anciens.

Bande de salauds d'Anciens ! Cette fois-ci, il n'y avait pas eu beaucoup de problèmes pour choisir la victime : par neuf voix pour, une seule contre (son père) et deux abstentions, la chose avait été vite entendue. À peine le résultat connu et son père tombé en syncope sur le parvis, elle s'était vue entraînée de force par la foule en délire qui voyait là une bonne occasion de faire d'une pierre deux coups. La tribu exultait : on sacrifiait une victime particulièrement belle et on se débarrassait en même temps d'une gêneuse. Elle se défendit comme elle le put, arrachant des touffes de cheveux par-ci, éborgnant par-là, et castrant même. Les Anciens exhortaient la foule afin qu'elle n'abîmât pas le « cadeau » fait aux Dieux d'Ombre, ce qui fit que personne ne riposta à ses coups désespérés.

Le soleil est à son zénith, la chaleur monte ; la brise marine l'aide à supporter l'exposition. Personne ne viendra l'aider, pas même un de ses nombreux amants qui lui juraient qu'elle était plus importante que leurs propres vies. Peut-être son père, mais elle n'y croit pas, dans l'état où il était quand elle l'a vu s'effondrer… s'il n'est pas déjà mort.

Bref, elle attend.

Sa vision se voile, le ciel se vrille, la mer se torsade, un sourd sifflement résonne entre les rochers. Gwénael est prise de nausées, son estomac est complètement chamboulé. Au bord de l'évanouissement, elle distingue devant elle deux formes dantesques, immenses et sombres : les Dieux ?

Elle se contracte sur elle-même, attendant le coup fatal qui va la couper ou la broyer. Elle se crispe de tous ses muscles, attend, espère qu'elle ne souffrira pas, mais rien ne vient.

— Ah, celle-ci est encore consciente, Nas-Ta.
— J'ai des yeux pour voir, Tas-Na !

Elle risque un œil vers les voix. Ce qu'elle découvre la fait sursauter comme un arc dont la corde se casse. Ahurie, elle contemple deux formes géantes hautes comme quatre hommes, deux gigantesques parchemins noirs comme les marionnettes du théâtre d'ombres qui avait bercé son enfance. Les formes ressemblent vaguement à des êtres humains avec un corps, deux jambes, deux bras, mais des têtes semblables à des animaux totémiques. Chose étrange, rien ne semble rattacher les diverses parties du corps des Dieux entre elles. Elles flottent dans l'air chaud et saturé d'humidité.

— Vous… vous… vous êtes des… des Dieux ?
— Ah, elle parle, Nas-Ta.
— J'ai des oreilles pour entendre, Tas-Na !

Celui qui vient de répondre est le plus grand. Ses gestes sont lents, aériens et gracieux. Il se dégage de sa personne une aura impressionnante. Ses épaules sont triangulaires, ses attaches fines, ses doigts longs et fins. Sa tête ressemble à celle d'un cobra ; ses yeux fins sont des découpes acérées dans le tissu qui semble le composer. On dirait un Dieu de l'éloquence, de la poésie. Il reprend la parole :

— La petite humaine est consciente… C'est bien la première fois !
— Oui, c'est bien la première fois. De plus, elle est toujours vivante, même après nous avoir vus ! dit Tas-Na, guilleret.
— C'est très bon signe. Les autres étaient trop fragiles ; elles étaient comme la flamme d'une bougie dans la tempête. Celle-ci est plus résistante.
— Vous… vous allez faire quoi de moi ? balbutie Gwénael.
— Tout d'abord te délivrer ; mais ne cherche pas à fuir : nous nous déplaçons plus vite que toi, petite humaine.

Tas-Na, le plus petit, place un de ses doigts sur les liens qui l'entravaient à l'anneau, et elle se retrouve libre. Elle contemple, hébétée, son sauveur. Sa découpe est plus ronde et il est moins fin que l'autre. Sa tête plus carrée évoque vaguement celle d'une tortue. Ses gestes sont plus saccadés mais il se dégage de lui une force infernale ! Un Dieu des combats, de la guerre ?

Elle s'écarte doucement du rocher. Que faire ? Fuir ? Impensable : ils sont gigantesques, ils feront en un pas ce qu'elle fera en dix foulées. Se jeter à la mer ? Ils en sortent ! Elle se dit que s'ils avaient voulu la tuer, ils l'auraient déjà fait. De plus, ils semblent contents de la voir vivante. Elle décide d'attendre la suite des événements.

— On la prend avec nous ? demande Tas-Na, le plus rond.
— Nous sommes là pour ça, répond l'autre.
— Chouette, chouette !
— Mais avant, je pense qu'il serait judicieux de modifier notre apparence pour la petite humaine.
— Ah oui, c'est vrai ; tu as raison, Nas-Ta.

Et ils se mettent à rapetisser. Maintenant, ils la dépassent encore de deux têtes mais c'est déjà plus convenable ; ils paraissent moins effrayants. Le plus grand se tourne vers elle et demande :

— Quelle est ton appellation, petite humaine ?
— Mon nom que vous voulez ? dit-elle, pas très rassurée.
— Oui, ton nom, si tu veux.
— Gwénael, fille d'Otton, Ancien de la tribu, de la lignée des Ases.
— De la lignée des Ases, rien que ça ! s'amuse le plus petit.
— De la lignée des Ases ! sourit le plus grand.

Étonnée, elle demande alors :

— Ben oui, des Ases ! Qu'est-ce qu'il y a de si surprenant là-dedans ?
— Nous sommes justement des Ases ! Des divinités Ases !

Et ils se mettent à rire tous les deux. Voir un Dieu rire est un spectacle imposant. Voir deux Dieux rire l'est deux fois plus. Les rochers se mettent à trembler autour d'elle, l'eau des flaques à s'évaporer, le sable à se sublimer en une brume légère. Le plus petit reprend ses esprits :

— On a bien fait de tomber sur elle aujourd'hui ! dit-il entre deux éructations.
— Ça faisait longtemps, mais ça nous a fait du bien ! hoquette l'autre.
— Oh oui !
— Vois-tu, petite Gwénael, si nous étions de la même lignée, je pense que tu serais plus plate, ce qui n'est pas ton cas, se calme le plus fin en la regardant attentivement.

Gwénael n'est pas précisément une fille plate pour ses dix-huit printemps. Haute de cinq pieds – ce qui est légèrement au-dessus de la moyenne des femmes – son corps délicatement potelé et lisse, aux seins ronds et bien accrochés est néanmoins musclé à point par les nombreuses années d'exercices physiques qu'elle adore. Voluptueuse et ferme, elle est depuis un certain temps la cible convoitée de beaucoup d'hommes, dont certains furent ses amants. Mais son caractère très indépendant et parfois cruel ne lui avait pas toujours valu l'affection de ceux-ci, plus habitués à jouer les héros de ces dames. Sa chevelure de feu, coupée au ras des épaules, sa peau albâtre aux fins reflets verts, ses yeux émeraude, sa bouche charnue sur un visage ovale et fin la mettent définitivement au-dessus du lot commun. Son père avait imaginé un somptueux et fructueux mariage avec le digne représentant d'une autre tribu qui, au début, rechignait à cette alliance. Un seul coup d'œil sur sa future promise l'avait fait changer d'avis illico.

— Je pense qu'elle sera parfaite, dit alors Nas-Ta, le plus grand.
— Effectivement, Nas-Ta ; on pouvait tomber sur nettement pire.
— Euh, je peux savoir pourquoi je suis… parfaite ? demande timidement la jeune fille.
— Eh bien, pour le Tu-Inn-Kun, petite humaine.
— Gwénael, s'il vous plaît : Gwénael. Me faire traiter de petite humaine me rend nerveuse et ne me rassure pas du tout… insiste-t-elle en se tortillant sur place.
— Va donc pour Gwénael, petite humaine ! répond, moqueur, le plus grand.
— Ça ne sonne pas comme nos noms de chez nous, mais ça sonne bien quand même : ça fait exotique, renchérit le plus petit.

Et les deux Ases continuent de la regarder, tournant autour d'elle. Ce n'est pas la première fois que des hommes tournent autour d'elle, mais quand il s'agit de deux Dieux, ça fait tout drôle. Curieusement, quel que soit celui qu'elle regarde, il se présente à elle toujours comme s'il était de profil, impossible de voir son épaisseur. Elle entend distinctement, pendant qu'ils palabrent, le mot « Tu-Inn-Kun » qui revient souvent. Le langage qu'ils utilisent à présent ressemble à celui de certains très anciens textes qu'elle trouvait barbants quand elle était en études religieuses. Elle fait un effort de mémoire mais ne retrouve rien.

— Petite… Gwénael, nous pensons que tu seras parfaite pour le Tu-Inn-Kun.
— J'en suis flattée, mais… c'est quoi, le « touhinecoune » ?
— La meilleure façon de te l'expliquer est de te le démontrer, répond le plus rond.

Et devant les yeux affolés de la jeune fille, un gigantesque sexe noir de trois pieds de long lui pousse de profil. Elle secoue la tête, recule et se tourne vers l'autre Ase qui est maintenant, lui aussi, doté d'une virilité prodigieuse et surtout inhumaine. Paniquée, ne voyant aucune issue, elle se demande s'ils ont bien l'intention de la violer en forçant toute cette longueur démentielle en elle, auquel cas elle n'y survivrait pas.

— Je crois que notre jeune amie panique, dit Nas-Ta.
— Je crois savoir pourquoi : nous avons peut-être un peu exagéré les choses, Nas-Ta.
— Je le crois aussi, Tas-Na.

Et ils enlèvent un pied à la longueur de leur sexe en érection, ce qui ne rassure pas beaucoup plus la jeune fille, même si c'est un tantinet plus acceptable.

— Je… je suis censée faire… quoi… moi ? balbutie-t-elle.
— Sois sans crainte, nous allons t'expliquer… dit doucement Nas-Ta.

Et, délicatement, il la prend dans ses bras. Ce contact l'électrise ; la sensation de douceur est extraordinaire, la caresse de ces longs doigts est sensuelle à souhait. Jamais aucun amant ne lui avait fait cet effet-là. Si elle ne conservait un peu d'appréhension sur la suite des événements, elle se laisserait aller sans limites. Un autre contact plus rude mais terriblement charnel gaine ses jambes puis son bassin. Sa respiration s'entrecoupe, se saccade. Quatre mains courent sur son corps, la caressent, la frôlent, l'envoûtent. Deux bouches cajolent ses moindres recoins, mordillent ses aspérités, ses pointes, ses cimes. Une bouche entoure un mamelon et entreprend de tourner autour, resserrant petit à petit la spirale autour du téton dressé. Elle croit en défaillir quand les lèvres se referment sur sa pointe exacerbée pour la mordiller amoureusement. Plus bas, des doigts cherchent puis trouvent un accès vers son clitoris. Le massage intime est délicat, exquis, ni trop peu, ni trop intense. Enserré par les replis de sa chatte, massé indirectement en douceur, son bouton rose s'enfle, se gonfle de désir. La bouche a quitté son téton et remonte vers son cou qu'elle lèche adroitement puis vient mordiller le lobe délicat de son oreille.

Elle sursaute de désir quand un doigt s'insinue en elle, farfouille en elle. Elle se tend en arrière, bouche ouverte, yeux clos de désir. Des lèvres sensuelles se posent alors sur les siennes, d'abord doucement puis plus exigeantes. Une langue veloutée sollicite la sienne, se tortille autour d'elle. Elle fond littéralement quand une autre langue glisse dans sa fente, collectant sa cyprine, puis s'attaque avec tendresse à son clitoris en feu. Déjà deux doigts sont en elle ; un troisième les rejoint, augmentant son euphorie. Elle ondule du bassin, cherchant la langue, plantant mieux en elle les doigts tentateurs.

Le baiser n'en finit plus ; ses lèvres sont comme soudées à son grand amant. Elle voudrait que ça n'en finisse plus, tandis que deux mains s'en prennent à ses seins ronds et gonflés pour exciter davantage son désir qui est au-delà de tout ce qu'elle a pu connaître jusqu'à présent. Les doigts du bas sortent et entrent, s'attardant entre ses fesses, déposant sa mouille dans le sillon, titillant sa rosette. Un doux et long frisson la secoue quand un doigt glisse avec une facilité désarmante dans son rectum, lui massant le tube intime. Elle écarte même davantage ses fesses pour lui faciliter l'entrée, ondulant du bassin. Une bouche comblée, une chatte remplie, un anus garni, sa peau caressée, son corps désiré, les sensations sont extraordinaires, indescriptibles.

Dans un bref éclair de lucidité elle comprend mieux pourquoi les récits mythologiques sont remplis de scènes de coucheries et d'enfants adultérins semés aux quatre coins de la Terre. Il est vrai qu'avec des amants pareils, elle se laisse faire sans problème, avec volupté, et qu'elle en redemandera encore, même si ça s'apparente quand même, au début, à un viol. Pour l'instant, elle se laisse aller dans le fleuve tumultueux des passions, ballottée par le désir et ses sens exacerbés. Plus une seule partie de son anatomie n'a été épargnée par les caresses et les baisers de ses amants divins.

Il est certain qu'un de ses amants cherche à pénétrer en elle : une longue queue, plaquée contre sa cuisse, est à l'orée de ses lèvres détrempées. Quand le gland se fait enrober par l'abricot délicat de son sexe, elle pousse un petit râle de bien-être ; elle en frissonne d'aise, et son cœur se met à palpiter comme jamais il ne l'a fait. Quand elle sent la tige plonger en elle, massant sa petite vulve, la taraudant au plus intime, son corps est pris de petits tressaillements. Jamais elle n'a connu ce genre de sensation ultime ; les Dieux sont décidément des divins baiseurs !

C'est quand elle halète son désir, dans une phase d'euphorie totale, qu'une deuxième queue se poste à son autre entrée, libérée des doigts de son inquisiteur. Sa rosette ne résiste pas longtemps à la sourde pression d'un gland plus petit et bien effilé qui s'ajuste parfaitement en elle. Percée par-devant, entreprise par-derrière, elle perd pied, se laissant aller à sa jouissance.

Plaquée contre ses deux amants, elle se débat pour expulser son plaisir d'avoir été offerte ainsi puis rassasiée. Sa bouche capturée par des lèvres avides et sensuelles, elle laisse la langue veloutée ajouter encore plus de ravissements à ce qu'elle ressent. Ils s'activent en elle, limant ses gaines. La sensation n'est plus tenable ; elle croyait ressentir la jouissance ultime, mais elle découvre qu'il n'en était rien, comme s'il n'y avait pas de limite au plaisir qu'elle éprouve. Elle se dit qu'elle va mourir d'extase, mais que ça sera décidément un beau sacrifice ! D'ailleurs, comment retrouver avec un homme toutes ces sensations ?

Pendant qu'elle est partie dans ses délires extatiques, il lui semble bien que les queues qui la farfouillent, la comblent, grossissent en elle. Son rectum semble plein à craquer : la fine tige de tout à l'heure s'est muée en gros mandrin qui la laboure intensément. Devant, un gros bras plonge en elle et la ramone furieusement. Elle va éclater, elle va exploser, minée par ces sexes démentiels ! Mais elle s'en fout totalement ; le feu qui la brûle la consume entièrement dans les moindres recoins de sa chair excitée.

Une nouvelle extase la submerge quand deux jets puissants l'inondent en dedans, deux vagues chaudes qui la tapissent complètement. Pendant de longues secondes, différents jets la secouent, remplissant toutes ses cavités, s'évacuant le long des queues géantes, ruisselant sur ses cuisses, ses jambes. La jouissance qu'elle éprouve de se sentir si comblée est si violente qu'elle s'évanouit pour de bon, heureuse, satisfaite et repue.

Quand elle reprend connaissance, elle est allongée sur le plus petit et le plus rond de ses amants qui la berce tandis que l'autre veille sur elle, la caressant délicatement. Elle ouvre les yeux, étonnée d'être toujours parmi eux :

— Je ne suis pas morte ?
— Non, petite Gwénael. Pourquoi voudrions-nous ta mort ?
— C'était… c'était si… intense, si fantastique, si énorme, dans tous les sens du terme que j'ai bien cru mourir de plaisir !
— Nous t'en remercions. Ça fait plaisir à entendre que je suis fantastique ! Et toi aussi, Nas-Ta, bien sûr. D'ailleurs, si tu étais morte, comment aurions-nous continué ? Hum, dis-moi ? répond le plus gros.
— Continué ? Parce que vous voulez dire que… s'alarme Gwénael.
— Que ce n'est que le commencement !

Et pendant longtemps un éternel recommencement tourbillonne : ils explorent toutes les combinaisons possibles et imaginables, même celles qui ne viendraient pas à l'esprit des humains. Le temps n'existe plus, les contingences humaines non plus.

Au bout du quatrième jour, lassée, fatiguée, luisante de sueur et de semence, elle tombe les bras en croix dans l'herbe tendre.

Pendant de nombreuses années, ses deux amants continueront à l'honorer. Elle sera la source d'une nouvelle lignée de puissants. On racontera plus tard, bien plus tard, que ses deux amants la ravirent un jour et qu'ensemble, à trois, ils continuent toujours de vivre un éternel Tu-Inn-Kun, là haut, au-delà du ciel, parmi les autres Dieux et Déesses…