Fin de partie…
ou début d'une nouvelle aventure ?
Hidden Side13/09/2018
J'ai rencontré Myriam il y a environ dix ans, lors d'une prestation chez un gros client de ma société de services. C'est la première personne que j'ai croisée en arrivant ce matin-là : une grande fille plutôt mince, dont les longs cheveux bruns encadraient un visage ovale assez banal, hormis de magnifiques yeux bleus. Myriam avait – et a toujours – un sourire d'une blancheur nordique. Quand ses lèvres se retroussent, deux adorables fossettes creusent ses joues pâles.
Durant ces années bénies, son visage s'illuminait dès qu'on se retrouvait chez nous. Mais ces dernières semaines, ce n'est plus vraiment l'adoration qui éclaire son regard. Et quand, saisis d'une ironie amère, ses traits s'animent, c'est pour former un rictus plus proche de la rage que de l'humour…
Myriam a changé. Presque du jour au lendemain. Je n'ai pas compris ce qui est arrivé, je n'ai pas non plus réussi à le lui faire dire. Comme si, d'un claquement de doigts, tout ce qui nous liait s'était désintégré. Pour retarder les face-à-face muets, écourter les soirées hostiles, j'ai pris l'habitude de travailler de plus en plus tard, ne rentrant qu'après avoir épuisé toute raison de différer mon retour…
Me glisser dans la chambre à minuit passé, me déshabiller dans la pénombre, laisser la douche noyer ma colère, ensevelir ma frustration sous ses trombes liquides, tituber un moment sous le jet, tête baissée, poings serrés, attendant l'apaisement qui ne viendra pas, ne viendra plus. Puis se sécher avant de se glisser entre les draps – linceuls de nos amours mortes – à quelques centimètres de son corps immobile, inaccessible et censément endormi.
C'est dingue ce que deux êtres humains, par ailleurs raisonnables et équilibrés, peuvent s'infliger en silence. Deux personnes qu'une alchimie toute particulière avait unies, mais dont le bonheur déraille soudain après des années d'insouciance, pour qui la tendresse se mue en indifférence, l'indifférence en aversion…
Je ne me rappelle plus de la dernière fois où nous avons fait l'amour. La seule chose dont je me souviens, c'est la meurtrissure que m'a causé son regard lorsque j'ai voulu l'approcher : un dégoût implacable, un refus catégorique. Quand on vous rejette à ce point, sans raison, et pire sans rien vouloir vous dire, il n'y a pas trente-six possibilités : j'ai très vite compris que Myriam voyait quelqu'un d'autre. Même sans être de nature jalouse ou suspicieuse, il est des évidences qu'on ne saurait ignorer…
Fuyant mes demandes d'explication, méprisant mes sanglots lamentables, Myriam ne m'a pas laissé d'autre choix que de me confronter par moi-même à la réalité de sa trahison. Elle ne voulait pas vider son sac ? Il ne me restait plus qu'à fouiller sans ménagement dans sa vie, bafouer son intimité pour dévoiler au grand jour son abjection.
J'ai commencé par forcer l'ordi contenant ses données personnelles. L'accès à son compte était barré d'un password inédit ? Obstacle bien maigre pour quelqu'un de réellement déterminé : disque dur copié puis déplombé sur mon lieu de travail. Rien de probant toutefois dans les fichiers, nulle trace de relation trouble. Sauf que… les logs étaient vides, les historiques de navigation siphonnés. Preuve par l'absurde d'un comportement coupable ? Son téléphone, emprunté discrètement, ne m'a pas livré plus de pistes.
Ça commençait doucement à virer à l'obsession… Elle voyait quelqu'un. Il me fallait savoir qui, sous peine d'en crever !
J'ai bien pensé à la faire suivre, mais une étrange retenue s'imposait à moi. Je refusais que notre malheur eût des témoins. N'ayant aucune aptitude pour la filature, j'ai écumé les boutiques d'apprenti-espion jusqu'à tomber sur une caméra assez discrète pour se fondre dans le décor. L'après-midi même, je planquai l'engin dans la bibliothèque de notre chambre, braquant l'objectif automatique vers le lit. Puis j'ai attendu, fébrile, les images qui allaient cautériser ma peine…
Durant trois jours, il n'y eut à l'écran que Myriam et son va-et-vient quotidien, épié sans vergogne. Myriam, passant et repassant dans le champ de la caméra, tantôt habillée, tantôt nue, allongée un livre à la main, étirant le bras pour éteindre, le visage calme et détendu. J'avais oublié à quel point elle était belle sans ce masque de crispation permanente.
Le quatrième jour, je l'ai surprise en train de se masturber. Tableau tout à la fois classique et choquant : le drap aux chevilles, les genoux largement écartés, Myriam se caressait avec fébrilité. Mes yeux étaient rivés sur ce sexe entrouvert et désormais interdit, sur ces nymphes glissantes où plongeaient par instants deux doigts joints, trempés de ses sécrétions. Cette vision m'a mis le feu au ventre. J'avais à la fois honte et très envie d'elle… jusqu'à ce que je remarque enfin le téléphone plaqué à son oreille. Quelqu'un était en train de lui parler ! Une tierce personne qui l'excitait à distance, lui faisant l'amour sans même la toucher.
Nous aussi avions usé de ces jeux, un temps… Je n'avais aucun mal à imaginer ses râles dans le combiné, le rythme saccadé de son plaisir croissant. Les yeux rougis, j'ai cliqué au hasard pour fermer la fenêtre et éteindre le PC. Myriam me trompait, en effet. Restait à découvrir avec qui…
Le soir même, j'ai à nouveau fait main basse sur son Nokia, balayant d'un geste rageur la liste des appels entrants. L'écran bleuté me narguait du fond de sa vacuité.
« T'inquiète pas, ma belle ; je trouverai bien… »
La caméra travaillait pour moi ; il me suffisait de patienter. Ça n'a jamais été mon fort, la patience. Pourtant, quelques jours plus tard, j'ai fini par savoir. Quel choc !…
C'était un vendredi après-midi ; je revenais d'un stage de trois jours, chiant comme la pluie, où ma boîte avait cru bon de m'envoyer. Sitôt chez nous, je transférai le film des dernières 72 heures sur mon portable. Myriam étant à son cours d'aquabike, j'étais tranquille pour un petit moment. Sautant précipitamment les séquences anodines, je tombai assez vite sur l'objet du délit, horodaté au jeudi soir 21 h 13.
La vache, elle n'avait pas traîné : le lendemain de mon départ !
La surprise a failli me faire choir de mon siège. Allongée sur le dos, Myriam se faisait ramoner sèchement. Pendant quelques minutes, je n'ai vu que le dos et les fesses du mec qui la tronchait avec tant d'enthousiasme. Puis le type a fini par se tourner légèrement… J'ai aussitôt reconnu Franck, un de mes plus proches collègues.
— C'est pas possible… grognai-je, une main sur la bouche pour contenir ma nausée.
Incrédule mais pourtant incapable de détourner les yeux, je regardais cet enfoiré se taper ma copine. Myriam n'était pas en reste : agrippant les fesses de son amant à pleines mains, elle le guidait au tréfonds d'elle-même avec délectation. Subitement il s'interrompit, présentant son sexe à la bouche de la traîtresse, laquelle le pompa sans hésiter. Une partie de jambes en l'air, bestiale et dénuée de toute tendresse…
Comment pouvait-elle me tromper avec ce mec ? Tout ceci était tellement loin de nous, de nos désirs, de nos besoins ! Ça n'avait aucun sens ! Un écœurement détaché s'était instillé en moi ; les images glissaient sur ma rétine, mon cerveau ne parvenait plus à leur accorder la moindre réalité.
Soudain, une main sur mon épaule m'a fait tressaillir. Revenue sur ses pas sans que je l'entende, Myriam était là, à côté de moi, observant son double se faire baiser sur l'écran de mon Vaio. Mes joues ont viré au rouge brique ; j'éprouvais autant de déshonneur et de culpabilité que si j'étais personnellement responsable de ce gâchis.
— OK, je vois… Ça fait longtemps que tu me surveilles ?
— Non, pas vraiment.
— Je n'aurai même pas eu besoin de te l'avouer. Quelque part, ça me facilite la tâche. C'est plus simple.
— Quoi ? Qu'est-ce qui est plus simple ? Qu'est-ce que… tu veux dire ? ai-je réussi à balbutier.
— C'est fini. Je te quitte.
Le regard embué de larmes, je la regardais sans comprendre. J'aurais dû me jeter à ses pieds, la supplier… Au lieu de ça, face à sa détermination, j'ai laissé éclater ma colère :
— Mais pourquoi ? POURQUOI, BORDEL !
— Parce que finalement je préfère les hommes, Anna.