Jack et son asticot magique
H.P. Brodsky30/03/2017À la mémoire de Charles Bukowski…
C'était l'ambiance des grands soirs lorsque je suis entré chez Molly ; debout sur le bar, un verre de gnôle à la main, Jack faisait son show. Il marchait tel un tribun, de gauche à droite, puis de droite à gauche sur le comptoir, sans faire attention aux verres qu'il renversait, et il haranguait la foule en lui parlant de sa bite, comme d'habitude. La bite de Jack, c'était devenue une légende urbaine, un mythe, un événement dont plus personne n'ignorait rien dans notre petit bourg. Et ça nous faisait tous bien rigoler, ces histoires, parce que nous, on était tous au courant de la réalité : JACK AVAIT UNE TOUTE PETITE BITE !
On savait ça depuis l'enfance. Depuis les sorties scolaires à la piscine jusqu'aux douches prises en commun dans les vestiaires du club de rugby local. On l'avait tous vue, la bite de Jack. Un micro-pénis, comme on dit. Une malformation qui avait ravagé sa vie et qui avait fait de lui un conteur magnifique d'histoires de poivrots. Des histoires dans lesquelles son zob prenait des proportions gigantesques, effrayantes, jusqu'à faire de lui la terreur de toutes les petites chattes serrées des environs.
— Hé, arrête un peu ton char… cria la grosse Lulu, du fond de la salle. Moi, je l'ai vu, ton asticot, je peux en parler.
— Tu peux rien en dire, espèce de bécasse baveuse. Quand tu l'as vu, c'était avant l'opération.
— Hé, Jack… On sait que t'es encore plus fauché qu'un RMIste, alors pas de craques… Tu l'aurais payé avec quoi, ton braquemart en acier ?
— Z'êtes vraiment trop cons, répondit Jack en descendant du comptoir. Je vous ai déjà dit comment c'était arrivé.
— Ah ouais, c'est vrai… Les services secrets t'ont greffé un zob qui valait trois milliards. En fait, tu es comme Steve Austin, sauf que toi, y avait tellement de travail qu'avec ce prix-là, ils n'ont pu refaire que ta queue…
— Allez vous faire foutre !
On la connaissait tous, son histoire à la con. Mais faut dire que pour ma part, je saluais son imagination.
Il y a trois ans de ça, Jack avait déclenché une bagarre générale dans le bar d'en face, toujours pour la même raison, un connard qui était venu l'asticoter sur la taille de son vermicelle. Jack avait une petite bite, certes, mais sur le terrain de rugby il jouait première ligne. Avec son mètre quatre-vingt-dix, ses 120 kilos, ses oreilles en chou-fleur et son tarin de boxeur à la retraite, normalement, on aurait dû lui foutre la paix. Mais non… Il fallait toujours qu'un abruti vienne le chercher en se foutant de la taille de son machin. Ce jour-là, Jack lui avait pété toutes ses dents, et les gendarmes durent s'y mettre à cinq avant de pouvoir l'embarquer dans leur camionnette. Il s'en était tiré avec trois côtes cassées et une nouvelle fracture du nez, et avait passé quinze jours à l'hôpital.
À son retour, il avait imaginé une histoire à partir de laquelle il avait décidé de bâtir sa légende : un grand chirurgien lui avait proposé de tester sur lui sa dernière découverte. Il lui avait greffé une merveille technologique de huitième génération, qui en plus d'avoir considérablement agrandi la taille de son zgeg lui avait donné la possibilité d'en sortir tout ce qu'il voulait. Jack pouvait au choix pisser de la bière, de l'essence, du liquide pour déboucher les chiottes, du café, et même du cappuccino… Il aurait pu dès lors satisfaire les greluches de toute la planète, sauf que… nous savions tous que JACK AVAIT UNE TOUTE PETITE BITE. Alors tout le monde continuait à se foutre de sa gueule, et les bagarres continuaient, toujours aussi nombreuses, et chaque samedi soir Jack se faisait embarquer par les gendarmes, direction la cellule de dégrisement.
Moi, je l'aimais bien, Jack. Parce que, putain, son histoire, il fallait quand même une sacrée imagination pour la trouver ! Ce soir-là, je me suis dit que j'allais essayer de lui éviter de se faire embarquer. J'ai commandé deux bières au comptoir, et je me suis assis en face de lui.
— Tiens, celle-là, je te l'offre.
— Merci, Brodsky… t'es un frère. T'es un des rares qui passent pas leur temps à se foutre de ma gueule.
— Bah, faut bien s'aider entre maudits de la Création.
— Ah ouais ? Et c'est quoi, ta malédiction à toi ?
— Ben, je suis le plus grand écrivain du XXIe siècle, et mes bouquins se vendent pas.
— Et moi j'ai la queue la plus performante de toute l'histoire de l'humanité, et personne n'en veut…
— Qu'est-ce que tu veux, c'est le drame éternel des types exceptionnels. Les autres sont rien que des jaloux.
— T'y crois, toi, à mon histoire ?
— Évidemment que j'y crois…
— Sans blague ?
— Sans blague. Toutes les histoires sont vraies, à plus forte raison celles qu'on se donne la peine d'inventer. Et tu vois, ton histoire, j'aurais bien aimé l'écrire moi-même.
— Tu serais passé pour un malade, ou un obsédé…
— Qu'est-ce qu'on en a à foutre, Jack, hein ? On les emmerde tous !
— Ouais, on les emmerde. Méritent pas de vivre, ces connards !
— C'est ce que je me dis, des fois… Tu sais, si j'avais une zapette à désintégrer, il y en a un ou deux ici que je renverrais bien dans le néant.
— Moi, c'est pas un ou deux, crois-moi… C'est à peu près tout le monde. Regarde-les… Si le bon Dieu tirait la chasse et qu'il fallait que tu en sauves quelques-uns, tu sauverais qui ?
— Ben… Molly.
— Pourquoi ?
— Elle sert la meilleure bière du coin.
À ce moment-là, deux abrutis se sont pointés à notre table. Bob, un grand crétin avec une tête pleine d'eau, et Jérémy, un petit teigneux qui cherchait toujours la bagarre avec n'importe qui. Il s'est penché doucement à l'oreille de Jack, et il a murmuré :
— Jack, jamais tu baiseras une fille de ta vie… T'as une toute petite bite.
— Répète un peu pour voir ! a gueulé Jack en se levant.
— T'as une toute petite bite, tout le monde le sait. Et tu peux compter sur moi pour répandre la nouvelle dans toutes les villes alentour.
— Tu veux la voir, ma bite, connard ? Tu veux vraiment la voir ?
Je regardai la salle… Ils étaient tous éclatés de rire, ces imbéciles. Et moches, et bêtes, et dégoulinants de saloperies vicieuses… Même Molly se marrait. Jack avait raison, bordel : ils auraient tous mérité de crever.
— EH BIEN PUISQUE VOUS INSISTEZ, JE VAIS VOUS LA MONTRER, MA BITE, BANDE DE CONNARDS, ET JE VOUS PRÉVIENS : C'EST LA DERNIÈRE CHOSE QUE VOUS VERREZ !
Jack a sorti sa queue. Stupeur dans la salle : ELLE ÉTAIT VÉRITABLEMENT ÉNORME. Du coup, tout le monde a fermé sa gueule.
— Mais c'est pas tout : vous allez voir si je raconte des conneries…
Il pointa alors son zob sur cet abruti de Jérémy, et un rayon laser sortit de son gland. Le teigneux fut totalement désintégré. Une odeur de brûlé commença à se répandre dans le bar. Tous étaient comme liquéfiés… Et Jack commença à mitrailler tous les clients du bar, les désintégrant tous, les uns après les autres. Certains voulurent s'enfuir, mais ils n'en eurent pas le temps. La quéquette atomique de Jack fauchait les vies et envoyait tous les moqueurs dans l'enfer des poivrots. Même Molly reçut son solde pour tout compte.
Je ne m'étais pas levé de ma chaise. J'ouvrais des yeux tout ronds… Jack se retourna vers moi, le regard joyeux, totalement épanoui.
— Je t'offre une bière, Brodsky ?
— Euh… oui, volontiers.
Il prit mon verre et pissa dedans.
— Tiens, de la Guinness maison : tu m'en diras des nouvelles.
Je portai le verre à ma bouche et trempai mes lèvres dans la « bière ». Elle était bonne.
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